Cour d'appel de Caen, 1ère chambre - section 1, 14 décembre 2010, n° 08/00634

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Caen, 1re ch. - sect. 1, 14 déc. 2010, n° 08/00634
Juridiction : Cour d'appel de Caen
Numéro(s) : 08/00634
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Caen, 15 janvier 2008, N° 05/04468
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 08/00634

Code Aff. :

ARRET N°

XXX

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 16 Janvier 2008 – RG n° 05/04468

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIERE CHAMBRE – SECTION CIVILE

ARRET DU 14 DECEMBRE 2010

APPELANTS :

Monsieur F Z et Madame N O épouse Z

XXX

XXX

représentés par la SCP GRAMMAGNAC-YGOUF BALAVOINE LEVASSEUR, avoués

assistés de Me Hervé CHEREUL, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

LA SCP ALAIN MAUDUIT JOSE-D E ET H E, venant aux droits de la SCP LEMPERIERE A, Notaires

XXX

XXX

prise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP MOSQUET MIALON D’OLIVEIRA LECONTE, avoués

assistée de Me VALERY du cabinet PILLON-VALERY, avocats au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

M. BOYER, Président de Chambre,

Mme CHERBONNEL, Conseiller,

Mme ODY, Conseiller, rédacteur,

DEBATS : A l’audience publique du 26 Octobre 2010

GREFFIER : Madame Y

ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 14 Décembre 2010 et signé par M. BOYER, Président, et Madame GALAND, Greffier

FAITS ET PROCEDURE :

Suivant acte reçu le 26 décembre 1995 par Maître A, notaire associé de la SCP Lemperière-A-Mauduit, F Z et N Q, épouse Z ont établi les statuts de la SCI Z et ont apporté en nue-propriété à ladite SCI un immeuble à usage professionnel comprenant un hangar avec bureau sis à Caen, Zone Industrielle du Chemin-Vert, XXX ainsi qu’un immeuble sis à Verson, 2 rue St Manvieu composé d’un rez-de-chaussée à usage commercial et d’un étage à usage d’habitation.

M. et Mme Z faisaient réserve expresse à leur profit et au profit du survivant d’eux de l’usufruit.

Ils se faisaient réciproquement donation éventuelle de l’usufruit ainsi réservé afin qu’au décès du pré-mourant, cet usufruit soit entièrement réversible sur la tête du survivant.

Considérant que cette opération impliquait le transfert de l’immeuble à usage de hangar et de bureau sis à Caen du patrimoine professionnel de M. Z dans le patrimoine privé des époux, avant démembrement de la propriété au profit de la SCI, la direction des services fiscaux du Calvados a notifié aux époux Z un complément d’impôt sur le revenu correspondant aux plus-values immobilières calculées sur la base de la valeur en pleine propriété de l’immeuble.

Les époux Z ont contesté cette imposition devant le Tribunal administratif de Caen, en ce qui concerne l’assiette de calcul de la plus-value, au motif que l’usufruit était demeuré dans leur patrimoine professionnel.

Par jugement du 5 juillet 2001, le Tribunal administratif a rejeté la requête des époux Z en réduction de la cotisation d’impôt sur le revenu.

Par jugement du 3 avril 2002, le Tribunal administratif a rejeté la requête de F Z en réduction des cotisations en matière de cotisation sociale généralisée, de contribution au remboursement de la dette sociale et du prélèvement social de 2 % auquel il était assujetti au titre de l’année 1995.

Par arrêt du 16 février 2005, la Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête des époux Z en annulation du jugement rendu le 5 juillet 2001.

Soutenant que la SCP Lempérière-A-Mauduit avait failli à son devoir de conseil en ne les informant pas des conséquences fiscales de l’acte passé le 26 décembre 1995, les époux Z ont, par acte d’huissier du 31 octobre 2005, fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Caen la SCP Mauduit-E et E, venant aux droits de la SCP Lempérière-A-Mauduit, afin de l’entendre condamner à leur payer la somme de 54.072,97 € à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 16 janvier 2008, le Tribunal de grande instance a :

— débouté les époux Z de leurs demandes,

— donné acte à la SCP Mauduit-E et E de ce qu’elle ne contestait pas devoir régler les frais de procédure administrative s’élevant à 2.744,08 €.

Il est satisfait aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile par le visa des conclusions déposées pour le compte de :

— les époux Z, appelants, le XXX,

— la SCP Mauduit-E-, le 12 mai 2010.

Un rapport oral a été fait à l’audience avant les plaidoiries.

MOTIFS :

Le notaire, rédacteur d’acte, est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours.

Consulté par les époux Z sur les modalités de transmission de leur patrimoine à leurs enfants, Maître A ne les a pas informés des conséquences fiscales de l’opération qu’il a préconisée et de l’acte par lui reçu le 26 décembre 1995. Spécialement, il n’a pas attiré leur attention sur le fait que cet acte impliquait un transfert de l’immeuble à usage de hangar et de bureau, du patrimoine professionnel de M. Z à leur patrimoine privé et par conséquent la réalisation d’une plus-value taxable.

Cette faute n’est d’ailleurs pas contestée par la SCP Mauduit-E laquelle se borne à dénier le lien de causalité entre cette faute et le préjudice dont les époux Z demandent réparation et subsidiairement l’étendue du préjudice.

L’intimée fait valoir que les époux Z, qui désiraient prendre leur retraite, ne pouvaient échapper au paiement des plus-values sur l’immeuble professionnel puisque, qu’ils choisissent de le céder avec le fonds artisanal ou de le conserver pour le transmettre à leurs enfants et percevoir des loyers jusqu’à leur décès, l’imposition sur la plus-value était due dès le retrait du bien de l’actif professionnel.

Toutefois, M. Z n’a pas pris sa retraite concomitamment à l’acte du 26 décembre 1995. Il n’a cédé son fonds de commerce que le 26 décembre 2000, soit cinq ans plus tard, à la SARL Carrosserie de la Colline, dans laquelle son fils X est associé.

Il résulte des consultations particulièrement étayées de Maître B qu’il existait au moment de la passation de l’acte, un outil reconnu et efficace de transmission patrimoniale, à savoir la mise en location-gérance du fonds de commerce. L’article 151 septies du code général des impôts prévoyait en effet l’exonération des plus-values professionnelles sur les éléments d’actif cédés après cinq ans de location-gérance.

Le Centre national d’assistance fiscale, consulté par l’intimée, confirme que dans l’hypothèse où M. Z aurait donné en 1995 en location-gérance son fonds de commerce à une SARL de famille constituée entre sa femme et lui-même, et les murs en location dans le même acte ou par un acte séparé, lors de la cession du fonds de commerce en 2000 et du retrait de l’immeuble d’exploitation dans le patrimoine privé à cette même date, les époux Z auraient pu bénéficier d’une exonération d’impôt de plus-value et de contribution sociale, non seulement au titre de la plus-value constatée lors du retrait de l’immeuble de Caen dans leur patrimoine privé mais également au titre de celle éventuellement constatée lors de la cession du fonds de commerce, ce à la condition que le chiffre d’affaires de l’activité de location-gérance ait été inférieur à 300.000 F pour les années 1995 à 1998 et 350.000 F pour les années 1999 et 2000.

L’immeuble sis à XXX a été évalué 1.200.000 F dans l’acte reçu le 26 décembre 1995.

Cette valeur n’a pas été contestée par l’administration fiscale qui a établi le calcul de la plus-value à partir des valeurs vénales et comptables déclarées dans l’acte.

Le fonds de commerce a été vendu en 2000 pour le prix de 76.224,21 €. Il résulte des mentions figurant à l’acte de vente que le fonds de commerce a dégagé des bénéfices nets de 101.632 F en 1997, 124.247 F en 1998 et 142.724 F en 1999.

Compte tenu de ces valeurs, il est certain que le loyer de l’immeuble et la redevance du fonds auraient atteint un montant cumulé inférieur à 300.000 F.

En l’absence de sous-évaluation du loyer, l’administration fiscale n’aurait pu remettre en cause cette exonération.

Le recours aux dispositions de l’article 151 septies du code général des impôts aurait pu permettre aux époux Z de bénéficier d’une exonération d’impôt de plus-values et de contribution sociale lors du retrait de l’immeuble de Caen dans leur patrimoine privé et lors de la cession du fonds de commerce.

Ce dispositif ne les aurait pas empêchés de procéder, à l’expiration du délai de cinq ans, à l’apport de la nue-propriété de l’immeuble sis à Caen à une SCI familiale.

En s’abstenant d’informer les époux Z que l’acte par lui reçu le 26 décembre 1995 impliquait nécessairement la réalisation d’une plus-value taxable, le notaire rédacteur de l’acte n’a pas mis ses clients à même d’effectuer dans les délais la déclaration de plus-value. Cette faute est directement à l’origine des majorations de retard mentionnées dans l’avis d’imposition (pièce 2) soit la somme de 7.209,16 €.

Les frais de la consultation du Cridon par le notaire, uniquement destinée à remédier aux conséquences de son manquement à son devoir d’information, doivent être laissés intégralement à sa charge soit la somme de 827,34 €.

La SCP Mauduit-E a contraint les époux Z à contester l’imposition devant le Tribunal administratif en subordonnant l’acceptation d’une réclamation à l’encontre de Maître A à la mise en oeuvre d’une telle procédure. Elle a, en outre, très insuffisamment renseigné les époux Z sur les chances de succès de la procédure devant le Tribunal administratif en leur indiquant qu’ils avaient toutes les chances d’obtenir gain de cause, ce qui était objectivement inexact.

Elle supportera, par conséquent, les frais de la procédure administrative soit 3.141,16 €.

En s’abstenant d’informer et d’éclairer les époux Z, de manière complète et circonstanciée, sur les incidences fiscales de l’acte auquel il prêtait son concours, et en omettant de les aviser d’une autre modalité de transmission du patrimoine dont l’efficacité était pourtant reconnue et permettait d’éviter le paiement des droits très élevés qu’ils ont dû par la suite acquittés,

Maître A leur a fait perdre une chance très forte de transmettre leur bien dans les conditions qu’ils souhaitaient, tout en évitant le paiement de ces impositions.

Compte tenu de l’avantage considérable présenté par le recours aux dispositions de l’article 151 septies du code général des impôts, cette perte de chance est très importante.

Le préjudice subi par les époux Z au titre de la taxation sur la plus-value et des intérêts de retard postérieurs à la notification du redressement, lesquels n’auraient pas été appliqués en l’absence de taxation, doit être réparé à concurrence de 33.000 € et 5.700 €, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les intérêts échus avant ou après le jugement du Tribunal administratif de Caen.

La faute commise par Maître A est à l’origine d’importants tracas et soucis pour les époux Z, lesquels ont dû subir un redressement fiscal, diligenter une procédure administrative longue et régler des droits très élevés sans avoir pu en anticiper les modalités de règlement.

La SCP Mauduit-E sera condamnée à leur payer la somme de 4.000 € en réparation de leur préjudice moral.

La SCP Mauduit-E qui succombe supportera les dépens d’appel.

En équité, elle sera condamnée à payer aux époux Z la somme de 4.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

— Infirme le jugement rendu le 16 janvier 2008 par le Tribunal de grande instance de Caen ;

Statuant à nouveau,

— Condamne la SCP Alain Mauduit, R-D E et L E à payer à M. et Mme Z la somme de 49.877,66 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel et celle de 4.000 € en réparation de leur préjudice moral ;

— Condamne la SCP Alain Mauduit, R-D E et L E à payer aux époux Z la somme de 4.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamne la SCP Alain Mauduit, R-D E et L E aux dépens de première instance et d’appel et dit que les dépens d’appel seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

C. GALAND J. BOYER

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