Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 9 décembre 2021, n° 20/00089

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Caen, ch. soc. sect. 1, 9 déc. 2021, n° 20/00089
Juridiction : Cour d'appel de Caen
Numéro(s) : 20/00089
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Caen, 28 novembre 2019, N° 18/00364
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 20/00089

N° Portalis DBVC-V-B7E-GPEZ

Code Aff. :

ARRET N° C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Caen en date du 29 Novembre 2019 RG n° 18/00364

COUR D’APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRÊT DU 09 DECEMBRE 2021

APPELANT :

Association APF FRANCE HANDICAP, domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Mélanie LERICHEUX, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me HAUFRAY, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Madame E X

[…]

[…]

Représentée par Me Karine FAUTRAT, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme I-J, Présidente de chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

DÉBATS : A l’audience publique du 14 octobre 2021

GREFFIER : Mme G

ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 09 décembre 2021 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme I-J, présidente, et Mme G, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

Mme E X a été embauchée par l’APF (association des paralysés de France) France Handicap à compter du 21 novembre 2011 en qualité d’aide soignante et a travaillé au sein du foyer d’accueil médicalisé (FAM) de Douvres la Délivrande. Le 17 octobre 2014, elle a été élue déléguée du personnel suppléante.

Le 4 décembre 2015, elle a été placée en mise à pied conservatoire. Le 15 janvier 2016, l’association APF France Handicap a demandé à l’inspection du travail l’autorisation de la licencier pour faute grave. Cette autorisation a été refusée le 11 mars 2016. Le 22 mars 2016, l’association APF France Handicap l’a informée que, compte tenu de ce refus, elle la sanctionnait d’une mise à pied disciplinaire de 3 jours. Le 16 avril 2016, Mme X a repris le travail. Le 19 avril 2016, l’association APF France Handicap l’a à nouveau placée en mise à pied conservatoire jusqu’au 10 mai 2016 et lui a finalement adressé, le 13 mai 2016, une lettre de recadrage.

Le 6 février 2018, Mme X a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’APF France Handicap.

Le 13 juillet 2018, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Caen pour obtenir des dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination, pour voir dire que sa prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul, obtenir des indemnités de rupture, des dommages et intérêts à ce titre ainsi le versement de ses salaires jusqu’à la fin de la période de protection.

Par jugement du 29 novembre 2019, le conseil de prud’hommes a condamné l’APF France Handicap à verser à Mme X 30 000€ de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination, a dit que la prise d’acte s’analysait en un licenciement abusif, a condamné l’APF France Handicap à lui verser : 4 380€ (outre les congés payés afférents) d’indemnité de préavis, 3 040€ d’indemnité de licenciement, 15 000€ de dommages et intérêts à raison de la rupture de son contrat de travail, 1 200€ en application de l’article 700 du code de procédure civile, a débouté Mme X du surplus de ses demandes.

L’APF France Handicap a interjeté appel du jugement, Mme X a formé appel incident.

Vu le jugement rendu le 29 novembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Caen,

Vu les dernières conclusions de l’APF France Handicap, appelante, communiquées et déposées le 25 juin 2021, tendant à voir le jugement confirmé quant au débouté prononcé, à le voir réformé pour le surplus, à voir Mme X déboutée de toutes ses demandes, à voir ordonner la restitution de la somme de 6 242,56€ versée en exécution du jugement, subsidiairement, tendant à voir limiter : la somme accordée pour rupture abusive du contrat de travail à 11 282,14€, les indemnités de rupture aux sommes allouées par le conseil de prud’hommes, à voir dire que le préjudice subi au titre du harcèlement moral et de la discrimination est réparé par les dommages et intérêts alloués au titre de la prise d’acte, très subsidiairement, à en réduire le montant, tendant, reconventionnellement, à voir Mme X condamnée à lui verser 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions de Mme X, intimée et appelante incidente, communiquées et déposées le 25 mai 2021, tendant à voir confirmer le jugement en ce qu’il a 'requalifié la prise d’acte (…) en licenciement nul' et quant aux sommes allouées au titre des indemnités de rupture et de l’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile, tendant à le voir réformer pour le surplus et à voir l’APF France Handicap condamnée à lui verser 40 000€ de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination, 35 000€ de dommages et intérêts au titre de la rupture du contrat de travail, tendant en outre à voir l’APF France Handicap condamnée à lui verser 1 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais liés à l’instance d’appel,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 30 juin 2021,

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur l’exécution du contrat de travail

1-1) Sur le harcèlement moral

Il appartient à Mme X d’établir la matérialité d’éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. En même temps que les éléments apportés, à ce titre, par Mme X seront examinés ceux, contraires, apportés par l’APF France Handicap quant à la matérialité de ces faits. Si la matérialité de faits précis et concordants est établie et que ces faits laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral, il appartiendra à l’APF France Handicap de démontrer que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme X reproche à son employeur :

— la durée de sa mise à pied conservatoire, injustifiée décidée le 4 décembre 2015 la privant de salaire,

— le recours à une mise à pied disciplinaire le 22 mars 2016 hors des conditions le permettant,

— une nouvelle mise à pied conservatoire injustifiée décidée le 19 avril 2016 se concluant par un recadrage

— le fait de l’avoir, avant toute enquête, présentée comme maltraitante à ses collègues et aux familles des résidents et dénoncée auprès de l’ARS et du Parquet,

— d’avoir omis de l’accompagner lors de sa réintégration,

— de lui avoir refusé l’aménagement de ses horaires de travail qu’elle sollicitait pour des motifs familiaux impérieux et d’avoir, à cette occasion, aggravé sa situation.

Elle indique que ces agissements ont eu des répercussions graves sur sa santé (arrêts de travail et lourd traitement médicamenteux).

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Procédure disciplinaire entamée le 4 décembre 2015

Sa mise à pied a été décidée le 4 décembre 2015. Son entretien a été fixé plus d’un mois plus tard le 7 janvier 2016. Le projet de licenciement de Mme X a été soumis au comité d’entreprise le 13 janvier 2016 et la demande d’autorisation de licenciement effectuée le 15 janvier 2016.

Contrairement à ce qu’indique l’association APF France Handicap, le délai entre la mise à pied conservatoire et l’entretien préalable ne s’explique pas par l’enquête menée, l’APF France Handicap ne justifiant en effet d’aucune enquête. Quant au fait d’effectuer une capture d’écran du mur Facebook d’un salarié, à supposer qu’elle n’ait pas déjà été faite au moment de la mise à pied, elle n’explique pas ce délai.

L’APF France Handicap n’a pas non plus respecté le délai de 10 jours imposé par l’article R 2421-14 du code du travail entre le début d’une mise à pied conservatoire et la consultation du comité d’entreprise puisque 40 jours se sont écoulés entre ces deux dates.

En outre, le salaire de Mme X a été suspendu jusqu’au 26 janvier 2016 et son paiement n’a été repris qu’à la demande de l’avocat de Mme X. Mme Y qui a assisté Mme X lors de l’entretien du 4 décembre indique que lors de cet entretien ' Mme X pleure en disant à M. Z (directeur) qu’il ne s’imagine pas dans quelle galère financière elle va se trouver sans salaire seule avec deux enfants à charge'. Elle indique que M. Z a suggéré à Mme X de faire une demande d’avance sur salaire. Mme X indique avoir demandé une telle avance qui lui a été refusée. Ce point n’est pas contesté par l’APF France Handicap. Les bulletins de paie de décembre 2015 et de janvier 2016 ne mentionnent effectivement aucune avance.

Les parents de Mme X ont attesté qu’ils ont dû aider leur fille pendant cette période et qu’elle a dû aller au magasin solidaire pour pouvoir nourrir ses enfants.

L’autorisation de licenciement a été rejetée le 11 mars 2016 par l’inspection du travail qui a considéré que l’enquête qu’elle a menée n’a pas permis de caractériser :

— de manière certaine et incontestable des faits susceptibles de caractériser une faute d’une suffisante gravité ( manquement reproché consistant à s’être fait prendre en photo en train de caricaturer un résident),

— des faits suffisamment graves pour justifier un licenciement pour faute (manquement reproché consistant à prononcer des obscénités pour qu’un résident les répète).

L’inspection du travail a également indiqué que son enquête ne lui avait pas permis d’écarter tout lien entre ce projet de licenciement et le mandat de la salariée.

L’APF France Handicap n’a pas intenté de recours contre cette décision.

L’APF France Handicap a donc manqué de diligence pour mener la procédure de licenciement, ce licenciement était injustifié, comme en a décidé l’inspection du travail et l’APF France Handicap a retenu le salaire de Mme X pendant 52 jours alors qu’elle connaissait ses difficultés financières, sans lui accorder d’avance sur salaire.

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Sur la mise à pied disciplinaire du 22 mars 2016

L’APF France Handicap a décidé, sans entamer une nouvelle procédure disciplinaire, de sanctionner Mme X de 3 jours de mise à pied pour les faits visés dans la demande d’autorisation de licenciement et a décidé d’appliquer rétroactivement cette mise à pied les 7, 8 et 9 décembre 2015, journées pendant lesquelles Mme X était en mise à pied conservatoire.

Toutefois, en application de l’article R2121-14 du code du travail, la mesure de mise à pied est privée d’effet lorsque le licenciement est refusé par l’inspecteur du travail. En conséquence, même s’il est possible à l’employeur à la suite d’une procédure distincte de la précédente, de prononcer une mise à pied disciplinaire de l’intéressée, il ne peut, en revanche, s’exonérer du paiement des salaires perdus pendant la période de mise à pied conservatoire en la requalifiant de disciplinaire.

Mme X a signalé à l’APF France Handicap le 26 avril 2016 qu’elle ne pouvait procéder ainsi.

Le 3 juin 2016, l’association a admis avoir fait une erreur en imputant la mise à pied disciplinaire sur la mise à pied conservatoire déjà exécutée, elle a indiqué que le paiement de ces trois jours figurerait sur la paye de mai et que cette sanction s’appliquerait ultérieurement après la fin de son arrêt maladie. Mme X ne conteste pas que ce rappel ait été effectué.

L’APF France Handicap a manqué à ses obligations en retenant jusqu’au 31 mai 2016 au moins des salaires afférents au mois de décembre 2015 qui auraient dû être payés dès mars 2016. En revanche, aucune sanction n’ayant finalement été prononcée à l’issue de la procédure disciplinaire entamée le 4 décembre 2015, il ne s’agit pas d’une deuxième sanction pour les mêmes faits, comme le soutient

Mme X.

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Mise à pied conservatoire du 19 avril 2016

L’APF France Handicap a placé Mme X en mise à pied conservatoire du 19 avril au 10 mai 2016 (sans suspendre son salaire) et s’est finalement contentée de lui adresser, le 13 mai 2016, une lettre de 'recadrage’ en lui reprochant d’avoir interpellé sa collègue pour régler un différend avec elle au sien de l’établissement et sur son temps de travail et d’avoir fait grief à cette collègue d’avoir informé la direction de faits au lieu de lui en parler alors que selon l’association APF France Handicap, 'la situation imposait que la direction soit avertie sans délai'.

Cette mise à pied de 22 jours est intervenue, alors que Mme X venait de reprendre ses fonctions le 16 avril 2016, 3 jours auparavant, et ce, pour des faits que l’employeur n’a finalement pas considéré comme fautifs, ce qui établit le caractère excessif de cette mesure.

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Sur l’attitude de la direction en décembre 2015

Mme X reproche à l’association APF France Handicap, avant toute enquête, de l’avoir présentée comme maltraitante à ses collègues et aux familles des résidents et de l’avoir dénoncée auprès de l’ARS et du Parquet.

Il ressort de l’audition par la gendarmerie du père de M. A (le résident auquel selon la direction Mme X aurait dit des obscénités pour qu’il les répète) le 11 décembre 2015 qu’à cette date, celui-ci avait été informé par la direction de ces faits présentés comme avérés et avait également été informé que Mme X n’allait 'plus importuner (son) fils dans la mesure où le directeur a engagé une procédure de licenciement ; elle est en mise à pied'.

Les signalements ont été faites à l’ARS le 9 décembre 2015 et au Parquet le 11 décembre 2015. Aucune enquête n’avait été faite par l’APF France Handicap qui, pour autant, y présente les faits comme avérés.

Mme X ne produit aucun élément concernant l’information qui a pu être donnée à ses collègues. Il ressort des 13 attestations produites par Mme X que l’information qu’ils ont pu recevoir n’a pas entamé, en toute hypothèse, l’excellente opinion qu’ils avaient de Mme X et de ses qualités humaines et professionnelles.

L’association a informé le père d’un résident de faits présentés comme avérés, en lui donnant le nom de la salariée 'fautive', en l’informant que cette salariée était mise à pied, qu’une procédure de licenciement était en cours et que, par conséquent, son 'fils n’allait plus être importuné'. Sans avoir mené d’enquête ni même entendu Mme X, elle a fait un signalement à l’ARS et au Parquet en présentant les faits comme avérés, alors que l’inspection du travail, aux termes de son enquête, estimera qu’il y a un doute pour certains d’entre eux.

En agissant ainsi, l’association APF France Handicap a, à tout le moins, manqué de prudence.

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Défaut d’accompagnement lors de sa réintégration

L’APF France Handicap conteste l’absence d’accompagnement allégué par Mme X et fait valoir qu’elle a mis en place des cellules de traitement des risques psychosociaux, réalisé un audit RPS avec un cabinet externe, organisé une médiation entre Mme X et Mme B (la salariée l’ayant dénoncée et avec qui elle a eu une altercation le 19 avril 2016), a assuré le suivi de sa santé par le biais de la médecine du travail avec notamment un examen complémentaire par un psychosociologue, en ayant un entretien avec la salariée à chacune de ses reprises du travail.

Les cellules de traitement des risques psychosociaux n’ont pas, au vu des éléments produits, été mises en place à raison de la situation de Mme X. L’audit externe réalisé ne portait pas spécifiquement sur la situation de Mme X. La médiation mis en place s’est arrêtée le 5 juillet 2016, après l’audition individuelle des deux salariées, le psychosociologue indiquant que les conditions n’étaient pas réunies pour mener à bien une méditation. Il a écrit à l’employeur en lui conseillant d’organiser une rencontre entre elles quand elles auraient repris le travail et a conseillé de retravailler la gestion des conflits et les positionnements professionnels avec les salariés. Il n’est pas établi qu’il ait été donné suite à cette suggestion.

Il ressort des pièces produites par Mme X que celle-ci a effectivement été reçue en entretien le 4 novembre 2016 par la responsable régionale des ressources humaines avant la reprise du travail . En revanche, il n’est pas établi d’autres rendez-vous avant chaque reprise comme l’indique l’APF France Handicap. Mme C qui accompagnait Mme X lors de ce rendez-vous écrit qu’il avait été alors évoqué un rendez-vous et un accompagnement lors de la reprise du travail. Or, indique t’elle, cette reprise a eu lieu le 13 décembre sans ces mesures.

En outre, le médecin du travail a indiqué dans la fiche d’aptitude qu’il a établie le 13 décembre 2016 que Mme X était apte mais que son état de santé 'justifie la prise de mesures de réhabilitation par son employeur lors de sa réintégration'.

Mme Y, membre du comité d’entreprise atteste que la direction, suite à ces préconisations, a dit qu’elle ne 'ferait rien que c’est à Mme X de se réhabiliter seule, que les familles ne veulent plus d’elle', que la décision de l’inspection du travail ne l’avait pas blanchie et qu’il s’agissait d’une faute grave.

Le procès verbal de réunion de le cellule de traitement des RPS du 3 janvier 2017 réunie pour traiter des doléances de Mme X concernant l’atteinte à sa santé et à ses droits mentionne les propos de Mme D, directrice régionale, qui indique que 'le refus d’autorisation de licenciement par l’inspecteur du travail ne remet pas en question la réalité des faits à l’origine de la procédure disciplinaire'. Elle indique également que Mme X a une responsabilité dans les difficultés qu’elle a à reprendre son poste et que 14 familles ont demandé d’écarter Mme X de l’accompagnement de leurs enfants. En réponse au médecin du travail qui, à plusieurs reprises, insiste sur la nécessité d’une médiation collective entre Mme X et l’ensemble de ses collègues et la nécessité d’une réhabilitation par la direction, Mme D émet un avis négatif, indique que cela serait 'inéquitable' vis à vis des autres salariés et indique que Mme X n’ a 'toujours pas reconnu sa responsabilité dans les faits à l’origine de la procédure disciplinaire'. Elle s’oppose également à ce que l’employeur accompagne Mme X lors de sa reprise et indique que 'au nom de la souffrance d’une salariée qui n’est pas remise en question la médecine du travail fait des préconisations qui pourraient se révéler d’une grande violence collective. Elle mettrait potentiellement à mal tout le collectif de professionnels salariés'.

Il ressort de ces éléments que l’association APF France Handicap n’a pas mis en place les préconisations émises par le médecin du travail dans la fiche d’aptitude.

En outre, l’APF France Handicap n’explique pas en quoi le fait de réhabiliter Mme X mettrait à mal la collectivité de travail ni pourquoi elle n’a pas non plus effectué cette réhabilitation auprès des familles.

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Refus d’aménagement des horaires de travail et aggravation de sa situation

Mme X n’apporte aucun élément au soutien de cette allégation. Ce fait n’est donc pas établi.

L’ensemble des ces éléments laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. L’APF France Handicap, qui se contente de contester la matérialité des éléments de fait allégués par Mme X

— et dont les contestations ont été évoqués ci-dessus-, ne démontre pas que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’existence d’un harcèlement moral est donc établie.

1-2) Sur la discrimination

Mme X fait valoir que ses demandes d’aménagement de son temps de travail en septembre 2015 n’ont pas été accordées et que sa situation s’est en fait aggravée, que lorsque des réunions sont prévues elle sont annulées quand les titulaire sont absents pour l’empêcher de siéger, et qu’elle n’a pas été informée des nouvelles élections de délégués du personnel ce qui l’a empêchée de se présenter et même de voter.

Comme indiqué ci-dessus, le refus d’aménagement de ses horaires de travail et l’aggravation de sa situation après cette demande ne sont pas établis.

Mme X ne justifie pas non plus que les réunions auxquelles elle aurait été amenée à participer en tant que suppléante auraient été annulées.

Enfin, alors que l’association APF France Handicap fait valoir qu’en tant que syndiquée et élue elle connaissait la date des prochaines élections et que le matériel électoral lui a été envoyé comme à tous les salariés absents pour lui permettre de voter en octobre 2017, Mme X n’apporte aucun élément contraire.

En conséquence, faute d’éléments matériellement établis laissant supposer l’existence d’une discrimination, Mme X sera déboutée de cette demande.

1-3) Sur les dommages et intérêts

Mme X ne produit pas ses arrêts de travail. Il ressort des certificats médicaux et de ordonnances produits que Mme X a été suivie, à tout le moins du 8 au 21 décembre 2015, pour des troubles psychologiques. Le 22 mars 2016, le médecin du travail a fait état dans un courrier adressé à son médecin traitant de symptômes anxieux et suggère un traitement anxiolytique. Son médecin indique le 21 avril 2016 qu’elle suit un traitement antidépresseur et anxiolytique et qu’elle présente en outre des symptômes cutanés. Les ordonnances produites prescrivent un traitement médicamenteux les 8 et 21 décembre 2015, les 21 janvier, 5 février, 17 mars, 22 mars, 18 avril et 31 mai 2016.

Ses parents attestent qu’elle était 'au plus mal', avec perte de confiance en elle, cauchemars, baisse de tension, angoisse et stress et indiquent qu’au moment où ils établissent l’attestation ( novembre 2018) qu’elle n’est toujours pas épanouie, qu’elle se méfie des autres, manque de confiance en elle et pleure toujours.

Compte tenu de ces éléments qui établissent le retentissement que le harcèlement moral a eu sur sa santé, il y a lieu de lui allouer 7 000€ de dommages et intérêts.

2) Sur la rupture du contrat de travail

La prise d’acte de Mme X produira les effets d’un licenciement nul à raison du harcèlement moral subi, qui constitue un manquement grave justifiant la rupture du contrat de travail.

Les indemnités de rupture allouées par le conseil de prud’hommes et dont Mme X demande confirmation ne sont pas contestées dans leur montant par l’ APF France Handicap et seront donc confirmées.

Mme X peut prétendre à des dommages et intérêts au moins égaux au salaire de ses six derniers mois.

Elle justifie avoir retrouvé un emploi à compter du 12 février 2018 pour un salaire similaire.

Compte tenu de ce renseignement, des autres éléments connus : son âge (34 ans), son ancienneté (6 ans et 2 mois), son salaire (2 139,51€), il y a lieu de lui allouer 15 000€ de dommages et intérêts.

3) Sur les points annexes

Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2018, date de réception par l’APF France Handicap de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, à l’exception des sommes accordées à titre de dommages et intérêts qui produiront intérêts à compter de la date du 17 décembre 2019, date de notification du jugement confirmé sur ce point.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme X ses frais irrépétibles. De ce chef, l’association APF France Handicap sera condamnée à lui verser 2 500€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

— Confirme le jugement en ce qu’il condamné l’APF France Handicap à verser à Mme X 4 380€ outre 438€ au titre des congés payés afférents à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 3 040€ d’indemnité de licenciement, 15 000€ de dommages et intérêts au titre de la rupture du contrat de travail ;

— Y ajoutant ;

— Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2018 à l’exception de la somme de 15 000€ qui produira intérêts à compter du 17 décembre 2019 ;

— Réforme le jugement pour le surplus ;

— Condamne l’APF France Handicap à verser à Mme X 7 000€ de dommages et intérêts pour harcèlement moral avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt ;

— Dit que la prise d’acte de Mme X produit les effets d’un licenciement nul ;

— Déboute Mme X du surplus de ses demandes ;

— Condamne l’association APF France Handicap à verser à Mme X 2 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamne l’association APF France Handicap aux entiers dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. G R. I-J

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