Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 16 décembre 2016, n° 15/08285

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Lyon, ch. soc. c, 16 déc. 2016, n° 15/08285
Juridiction : Cour d'appel de Lyon
Numéro(s) : 15/08285
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Saint-Étienne, 29 septembre 2015, N° F14/00381
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 13 juin 2022
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Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 15/08285

[D]

C/

ASSOCIATION EHPAD [Établissement 1]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 30 Septembre 2015

RG : F 14/00381

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2016

APPELANT :

[R] [D]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

représenté par Me Ingrid GERAY, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE substitué par Me Laurène JOSSERAND, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMÉE :

EHPAD [Établissement 1]

[Adresse 3]

[Adresse 4]

représentée par Me Jean-pierre COCHET de la SELARL SEDOS CONTENTIEUX, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 28 Octobre 2016

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président

Chantal THEUREY-PARISOT, Conseiller

Marie-Christine DE LA SALLE, Conseiller

Assistés pendant les débats de Christine SENTIS, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 16 Décembre 2016, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président, et par Christine SENTIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Suivant contrat à durée indéterminée, l’EHPAD [Établissement 1], spécialisé dans le secteur de l’hébergement pour personnes âgées dépendantes, a engagé monsieur [R] [D] en qualité de directeur d’établissement à compter du 15 octobre 2012.

La convention collective hospitalisation privée à but non lucratif est applicable.

Au dernier état de la relation de travail, la rémunération mensuelle brute s’établissait à la somme de 3 825.64 €.

Par lettre remise en main propre le 24 janvier 2014, l’EHPAD [Établissement 1] a convoqué monsieur [R] [D] le 4 février 2014 à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement pour insuffisance professionnelle.

Reprochant à monsieur [D], un comportement perturbateur durant la procédure de licenciement, une nouvelle convocation lui est remise en mains propres le 4 février 2014, avec mise à pied conservatoire, pour un nouvel entretien préalable fixé au 14 février 2014 en vue d’un éventuel licenciement pour faute grave.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 février 2014, l’EHPAD [Établissement 1] a notifié à monsieur [R] [D] son licenciement pour faute grave à qui il était reproché :

* dans une première partie, notamment des insuffisances professionnelles telles qu’un mauvais positionnement vis-à-vis du personnel, la mauvaise gestion de l’agression d’une salariée, son comportement dans le cadre des réunions du conseil de la vie sociale, un manque d’implication, une méconnaissance de la résidence, un désintéressement progressif, une absence de préparation lors d’une visite du conseil général et enfin l’absence de préparation de la fête de Noël des résidents.

* puis dans une seconde partie, des agissements particulièrement graves dont l’EHPAD avait eu connaissance le 3 février 2014, et relatifs au fait que monsieur [D] avait voulu rencontrer des résidents pour les interroger sur la qualité des services de la résidence, sur leur avis sur certains des cadres de l’établissement, sans en informer le conseil d’administration, ni prévenir leur famille et même en demandant à la fille d’un couple de résidents de sortir lors de l’entretien, et ceci en abusant de la vulnérabilité des résidents.

Estimant son licenciement sans cause réelle et sérieuse, le 5 juin 2014, monsieur [R] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint Etienne qui par jugement rendu le 30 septembre 2015 a :

— requalifié le licenciement de monsieur [D] pour faute grave en licenciement relevant d’une cause réelle et sérieuse,

— condamné l’EHPAD à payer à monsieur [D] les sommes suivantes :

—  15 302.56 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents ;

-1 020.17 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

—  2 188.56 euros à titre de rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire.

-1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour est saisie de l’appel interjeté le 27 octobre 2015 par monsieur [D] [R] qui demande l’infirmation du jugement et la condamnation de l’EPHAD [Établissement 1] à lui payer :

— des dommages intérêts à hauteur de 46 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

— une indemnité compensatrice de préavis 15 302.56 € et les congés payés afférents,

— une indemnité de licenciement 1 020.17 €,

— la somme de 2 188.56 € à titre de rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire outre les congés payé.

— la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions, régulièrement communiquées et reprises oralement à l’audience, à l’appui de ses demandes, monsieur [D] [R] soutient que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse aux motifs :

— que les faits fautifs relatifs à l’insuffisance professionnelle mentionnés dans la lettre de licenciement sont prescrits, ou à tout le moins que l’employeur a tardé dans la mise en oeuvre de la procédure pour faute grave, qu’en tout état de cause les manquements professionnels sont injustifiées et que l’insuffisance professionnelle ne peut pas constituer une faute grave,

— que le grief reproché concernant la réalisation d’une enquête qu’il aurait réalisé sur la qualité des services de la résidence dans des conditions inadmissibles n’est pas établi, que cette enquête de satisfaction faisant suite à une décision du comité de pilotage, n’avait pour finalité que d’associer les résidents et leurs familles à l’amélioration de l’établissement, que le fait qu’il aurait tenté d’écarter la fille d’une résidente lors de l’entretien de l’évaluation, ne saurait caractériser un abus de faiblesse,

— que le licenciement pour faute grave est donc parfaitement injustifié et ne saurait être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse dans la mesure où la cour de cassation retient une sanction se caractérisant par une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans ses conclusions, régulièrement communiquées et reprises oralement à l’audience, L’HEPAD [Établissement 1] a fait appel incident et demande que monsieur [D] soit débouté de l’intégralité de ses demandes.

Elle fait valoir que la lettre de licenciement fait coexister le licenciement pour insuffisance professionnelle et le licenciement pour faute grave.

Elle soutient que cette faute consistant à recueillir des doléances sur le personnel, dans des conditions inadmissibles ainsi qu’en témoigne la fille de monsieur et madame [W], a été commise et révélée à l’employeur à l’intérieur du délai de 2 mois et n’est pas prescrite.

Elle rappelle que le préavis étant de 4 mois, si elle n’avait pas procédé immédiatement à la mise à pied conservatoire de monsieur [D], ce dernier aurait multiplié les visites chez les résidents au risque de les perturber gravement.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions écrites des parties qui ont été soutenues oralement lors de l’audience de plaidoiries.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Si c’est le cas, le juge ayant écarté la faute grave invoquée par l’employeur doit rechercher si les faits constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Si les faits invoqués, bien qu’établis ne sont pas fautifs, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, la lettre de licenciement qui fixe le périmètre du litige énonce notamment :

* dans une première partie, des insuffisances professionnelles telles que :

— un mauvais positionnement vis-à-vis du personnel révélé par la remise le 15 novembre 2013 d’un courrier signé par près de 40 salariés se plaignant de pression, d’intimidation, d’absence d’écoute et de reconnaissance de leurs efforts par monsieur [D] ,

— la mauvaise gestion de l’agression d’une salariée, survenue en date du 28 septembre 2013,

— son comportement dans le cadre des réunions du conseil de la vie sociale des 17 et 21 octobre 2013,

— un manque d’implication, une méconnaissance de la résidence et un désintéressement progressif

— une absence de préparation lors de la visite du conseil général du 12 décembre 2013

— l’absence de préparation de la fête de Noël des résidents.

* dans une seconde partie, une faute grave, dans les termes suivants :

'… Mais le 3 février 2014, il a été porté à notre connaissance le fait que vous ayez voulu rencontrer plusieurs de nos résidents et il s’est avéré que ces rencontres avaient comme but de les interroger sur la qualité des services de la résidence et de leur demander leur avis sur certains des cadres de l’établissement.

Vous n’avez pas jugé utile d’informer le conseil d’administration d’un tel projet, et avez sollicité des personnes âgées, pour certaines très vulnérables, dans des conditions inadmissibles, sans prévenir leur famille ou leur entourage et même en demandant à la fille d’un couple de résidents de sortir car ne vous vouliez pas qu’elle soit présente à cette occasion.

Elle nous a rapporté avoir dû s’imposer et avoir été très surprise de votre demande consistant à faire noter (entre 1 et 10) les services de l’établissement mais aussi plusieurs cadres à titre individuel.

Vous auriez eu des réflexions qui ont particulièrement choqué la personne en question (jugement sur les animatrices par exemple) sans parler du fait que par rapport à l’heure des rendez-vous fixés, vous aviez une heure de retard et que lorsque la remarque vous en a été faite, vous auriez répondu : « je n’ai pas de compte à rendre sur mon emploi du temps, c’est de la faute de la secrétaire ' .

Nous considérons qu’à l’inadaptation à votre poste, vos insuffisances professionnelles constatées, vous avez ajouté des agissements particulièrement graves, sans avoir informé qui que ce soit de ce projet, l’ayant mis en 'uvre dans des conditions inacceptables, abusant de la vulnérabilité des personnes qui vous sont confiées.

Pour les motifs exposés ci-dessus, nous vous notifions donc votre licenciement pour faute

grave. »

Ainsi l’employeur ayant choisi de licencier monsieur [D] pour faute grave, il est inopérant de statuer sur l’insuffisance professionnelle puisque celle-ci ne peut revêtir un caractère fautif.

Il appartient donc à l’EPHAD de démontrer la faute grave qu’aurait commise monsieur [D] justifiant l’impossibilité de le maintenir dans l’entreprise et donc de démontrer que la mise en oeuvre de cette enquête de satisfaction n’a été faite que dans le seul intérêt de monsieur [D] qui était en cours de licenciement pour insuffisance professionnelle, dans des conditions inacceptables et en abusant de la vulnérabilité des résidents.

A l’appui de la faute grave reprochée, l’EPHAD produit une lettre de [Z] et [M] [W], les deux filles des époux [W], en date du 15.02.14 qui se plaignent des services de la résidence, concernant la qualité de la nourriture et du manque de soins d’hygiène apporté à leur père et qui relatent notamment un rendez-vous du 27 janvier 2014 que monsieur [D] avait donné à madame [W] auquel il s’est rendu avec retard, sans s’excuser auprès de la résidente et de sa fille [Z] qui avait tenu à assister à l’entretien dont elle n’avait pas été avisée.

Or ce courrier qui ne décrit pas la teneur de l’entretien, ni le comportement de monsieur [D] lors de cette enquête de satisfaction, ne mentionne pas que monsieur [D] aurait demandé à la fille de madame [W] de sortir car il ne voulait pas’ qu’elle soit présente à cette occasion'.

Puis, il est également versé aux débats une lettre du 3 février 2014 de [D] [H] qui rapporte les propos de la fille de madame [W], [Z], qui a assisté à l’entretien pour remplir l’enquête de satisfaction et qui a été choquée par les critiques de monsieur [D] sur les animatrices.

Mais ce témoignage de [D] [H] du 3 février 2014 est inopérant dans la mesure où il est indirect et ne fait que rapporter des propos, sur la teneur de l’enquête de satisfaction et le comportement inadapté de monsieur [D], que lui aurait tenus [Z] [W] alors que celle-ci ne les a pas confirmés dans sa lettre du 15 février 2014 ;

Ainsi l’employeur, qui dans la lettre de licenciement, évoque que monsieur [D] aurait souhaité rencontrer de nombreux résidents, sans prévenir leur famille, afin de leur faire remplir une enquête de satisfaction dans des conditions de réalisations inacceptables en abusant de leur vulnérabilité, ne fait état que du cas de madame [W] qui a été entendue en présence de sa fille, sans qu’il soit établi que la teneur de l’enquête et les conditions de réalisation de celles-ci soient inacceptables.

Ainsi au vu de ces éléments, l’EHPAD n’ établit pas des faits qui suffisent à caractériser une faute grave, rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, ni même une simple faute fondant un licenciement pour cause réelle et sérieuse de monsieur [D].

Il convient donc d’infirmer la décision du conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, en visant un abus de faiblesse qui n’est pas établi, et en ce qu’il a débouté monsieur [D] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En raison de son ancienneté, de sa promotion, de son âge, de sa rémunération au moment du licenciement et aussi de sa situation professionnelle et matérielle postérieure à la rupture, monsieur [D], ayant retrouvé un emploi le 21 juillet 2014, il y a lieu de lui allouer la somme de 24'000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision du conseil de prud’hommes sera confirmée sur le surplus en ce qu’il a condamné l’EHPAD à payer à monsieur [R] [D] les sommes suivantes :

—  15 302.56 € à titre d’indemnité de préavis (4 mois de salaires selon l’article 4 de la convention collective nationale hospitalisation privée à but non lucratif) outre 1 530.26 € de congés payés,

—  1 020.17 € à titre d’indemnité légale de licenciement,

—  2 188.56 € à titre de rappel de salaire durant la mise à pied outre 218.86 € de congés payés,

—  1 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

L’équité commande d’allouer à monsieur [D] une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté monsieur [R] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau :

Condamne l’EPHAD [Établissement 1] à payer à monsieur [R] [D] la somme de 24 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

et y ajoutant,

Condamne l’EPHAD [Établissement 1] à payer à monsieur [R] [D] la somme de 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne l’EPHAD [Établissement 1] aux entiers dépens de l’instance d’appel.

LA GREFFIÈRELa PRESIDENTE

Christine SENTISElizabeth POLLE-SENANEUCH

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