Cour d'appel de Nancy, 2ème chambre, 5 novembre 2020, n° 19/01280

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Chronologie de l’affaire

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www.exprime-avocat.fr · 14 avril 2023

Le devoir de vigilance du banquier lui impose de veiller à la bonne tenue du compte bancaire et de détecter les anomalies liées à son fonctionnement. Il vise notamment à protéger les clients victimes d'une fraude ou de tout autre opération bancaire effectuée par erreur. La vigilance du banquier sur les opérations effectuées par son client relève de ses obligations en tant que banquier et donc de sa responsabilité. Toutefois, le devoir de vigilance se heurte souvent au principe de non-ingérence souvent utilisé par les banquiers pour s'exonérer de toute responsabilité. En effet, le client …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Nancy, 2e ch., 5 nov. 2020, n° 19/01280
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Numéro(s) : 19/01280
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nancy, 16 décembre 2018, N° 16/02112
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D’APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° /20 DU 05 NOVEMBRE 2020

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/01280 – N° Portalis DBVR-V-B7D-ELQZ

Décision déférée à la Cour :

jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY, R.G. n° 16/02112, en date du 17 décembre 2018,

APPELANTE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LIVERDUN prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège, […] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Nancy sous le numéro 783 299 159

Représentée par Me Sandrine AUBRY de la SCP AUBRUN-FRANCOIS AUBRY, avocat au barreau de NANCY

Avocat plaidant Me Serge PAULUS, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMÉS :

Madame B D I X

née le […] à […], demeurant […]

Représentée par Me Marjorie TAILLON, avocat au barreau de NANCY

Monsieur Z X es qualité d’héritier de Monsieur Y X

né le […] à […], demeurant […]

Représenté par Me Marjorie TAILLON, avocat au barreau de NANCY

Madame A X I J es qualité d’héritier de Monsieur Y X

née le […] à […], demeurant […]

Représentée par Me Marjorie TAILLON, avocat au barreau de NANCY

Madame E X es qualité d’héritier de Monsieur Y X

née le […] à […], demeurant […]

Représentée par Me Marjorie TAILLON, avocat au barreau de NANCY

Pour l’ensemble des parties intimées : avocat plaidant Me Hélène FERON POLONI, avocat au barreau de PARIS.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 08 Octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Olivier BEAUDIER, et Conseiller et Monsieur Francis MARTIN Président de chambre, chargé du rapport,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Francis MARTIN, Président de chambre,

Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,

Madame Nathalie CUNIN WEBER Président de chambre,

Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.

A l’issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 05 Novembre 2020, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 05 Novembre 2020, par Monsieur Ali ADJAL, greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur Francis MARTIN, Président de la deuxième chambre civile, Président de chambre, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;


Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à


EXPOSE DU LITIGE :

Le 17 septembre 2014, M. Y X et son I, Madame B D, ont ouvert dans les livres de la Caisse du Crédit Mutuel de Liverdun (ci-après 'la CCM') un compte joint sous le n°10278 04661 202792 01.

Ce compte joint est celui par lequel ont transité les opérations contestées suivantes qui ont toutes eu lieu au cours de l’année 2015 :

1. Le 14janvier 2015 :

Virement de 500 euros libellé « VIR SEPA F FINANCIAL ''

Destinataire : « SEPTEMBER INVESTMENTS LIMITED '' ;

2. Le 28 janvier 2015 :

Virement de 10 000 euros libellé « VIR SEPA F FINANCAL ''

Destinataire : « F FINANCAL ''

Rejeté pour des motifs techniques par la banque du bénéficiaire le 5 février 2015 ;

3. Le 6 février 2015 :

Virement de 10 000 euros libellé « VIR SEPA SEPTEMBER |NVESTMENTS''

Destinataire : « VIR SEPTEMBER INVESTMENTS LIMITED, […], 1421 SOFIA '' ;

4. Le 28 avril 2015 :

Virement de 26 495 euros libellé « VIR SEPA TRANSCOMM GLOBAL LTD»

Destinataire : « TRANSCOMM GLOBAL LTD''

Rejeté pour des motifs techniques par la banque du bénéficiaire le 5 mai 2015 ;

5. Le 6 mai 2015 :

Virement de 26 495 euros libellé « VIR SEPA AL GLOBAL IMPEX LTD»

Destinataire : «AL GLOBAL IMPEX LTD» ;

6. Le 13 mai 2015 :

Virement de 41 849 euros libellé « VIR SEPA AL GLOBAL IMPEX LTD»

Destinataire : «AL GLOBAL IMPEX LTD» ;

7. Le 15 juillet 2015 :

Virement de 76 000 euros libellé « VIR SEPA GLOBAL SECURE LTD»

Destinataire : «GLOBAL SECURE LTD» ;

8. Le 26 août 2015 :

Virement de 50 893,23 euros libellé « VIR SEPA X Y >>

Destinataire : «YJ CONCEPT» ;

9. Le 28 août 2015 :

Virement de 20 000 euros libellé « VIR SEPA X Y»

Destinataire : «YJ CONCEPT» ;

10. Le 01 septembre 2015 :

Virement de 141 242, 10 euros libellé « VIR YJ CONCEPT ''

Destinataire : « YJ CONCEPT '' ;

11. Le 8 septembre 2015 :

Virement de 354 000 euros libellé « VIR SOFTANA ''

Destinataire : « SOFTANA S.R.O '' ;

12. Le 10 septembre 2015 :

Virement de 354 000 euros libellé « VIR SOFTANA ''

Destinataire : « SOFTANA S.R.O ''

13. Le 17 Septembre 2015 :

Virement de 425 500 euros libellé « VIR SOFTANA R.S.O''

Destinataire : « SOFTANA S.R.O ''

Opération suspendue en attente de communication de justificatifs et réalisée le 18 septembre 2015 ;

14. Le 17 septembre 2015 :

Virement de 300 700 euros libellé « VIR SOFTANA R.S.O''

Destinataire : « SOFTANA S.R.O ''

Opération suspendue en attente de communication de justificatifs et réalisée le 18 septembre 2015.

15. Le 18 septembre 2015 :

Virement de 136 394 euros libellé « VIR ULTRA SECURE GROUP»

Destinataire : « ULTRA SECURE GROUP LTD '' ;

16. Le 24 septembre 2015 :

Virement de 200 000 euros libellé « VIR ULTRA SECURE GROUP LTD ''

Destinataire : « ULTRA SECURE GROUPE LTD '' ;

17. Le 30 septembre 2015 :

Virement de 323 400 euros libellé « VIR SEPA SOFTANA S.R.O ''

Destinataire : « SOFTANA S.R.O '' ;

18. Le 30 septembre 2015 :

Virement de 347 400 euros libellé « VIR SEPA SOFTANA S.R.O ''

Destinataire : « SOFTANA S.R.O '' ;

19. Le 5 novembre 2015 :

Virement de 95 000 euros libellé « VIR CAPITAL STREET INVESTMENT ''

Destinataire 2 CAPITAL STREET INVESTMENT LTD

(Virement annulé sur l’initiative de la CCM).

Les virements effectués à compter du 17 septembre 2015 l’ont été après mise en garde formulée par la CCM et après décharge de responsabilité délivrée par Y X.

Y X n’ayant jamais pu se faire rembourser les sommes ainsi virées a déposé plainte contre X le 30 octobre 2015 pour escroquerie, tentative d’escroquerie et faux et usage de faux commis en bande organisée.

Par acte d’huissier de justice en date du 2 juin 2016, les époux Y et B X ont fait assigner la CCM devant le tribunal de grande instance de Nancy afin de la voir condamner à les indemniser de la perte des sommes engagées.

Y X est décédé le […]. Ses enfants Z, A et E X sont intervenus volontairement à l’audience en qualité d’ayants-droit.

M. Z X, Mmes B, A et E X (ci-après 'les consorts X') ont sollicité la condamnation de la CCM à leur payer les sommes de 2 874 868,33 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte des sommes investies et de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La CCM a conclu au rejet des demandes et à la condamnation des consorts X à lui payer les sommes de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 17 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Nancy a condamné la CCM à verser aux consorts X la somme de 143 087,33 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des fautes commises par elle et celle de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. Le tribunal a rejeté les autres demandes.

Le tribunal a motivé sa décision en considérant que la CCM avait commis une faute en n’effectuant pas dès avant les virements du 17 septembre 2015 toutes les vérifications utiles, ce qui a occasionné une perte de chance aux époux X de ne pas effectuer ces investissements. Mais le tribunal a retenu un taux de perte de chance de 10% seulement compte-tenu des derniers investissements effectués par M. X malgré les mises en garde.

Par déclaration enregistrée le 19 avril 2019, la CCM a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions déposées le 30 juin 2020, la CCM demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

'Condamné la Caisse de Crédit Mutuel de Liverdun à verser à Mme B D veuve X, M. Z X, Mesdames A et E X, en leur qualité d’ayants droit de Y X la somme de 143 087,33 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des fautes commises par elle'

'Débouté la Caisse de Crédit Mutuel de Liverdun de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive'

'Condamné la Caisse de Crédit Mutuel au paiement de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile'

'Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement'

'Condamné la Caisse de Crédit Mutuel aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Taillon, avocats aux offres de droit'

'Débouté la Caisse de Crédit Mutuel de Liverdun de ses demandes à savoir celles tendant à la condamnation des intimés solidairement au paiement des dépens et d’une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.'

La CCM demande à la cour de statuer à nouveau et :

* A titre principal,

— de dire que les époux X, en l’absence de production du dossier pénal n’apportent la preuve ni de la fraude, ni des détournements allégués, ni du quantum de leur préjudice en l’absence de

justification que les montants investis n’ont effectivement pas été restitués sur d’autres comptes, les époux X étant 'multibancarisés';

— de dire que la Caisse de Crédit Mutuel de Liverdun, qui a un devoir de non immixtion, a respecté ses obligations lors de l’exécution de virements ;

— dire en tout état de cause que la contestation des opérations de virements est tardive ;

En conséquence :

— dire que la demande des consorts X est forclose ;

— débouter les consorts X de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de Caisse de Crédit Mutuel de Liverdun ;

* A titre subsidiaire,

— dire que les consorts X ne sont ni recevables, ni fondés à invoquer le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux édicté par le Code monétaire et financier pour engager la responsabilité de la CCM afin de fonder leur action en responsabilité ; subsidiairement, dire que la CCM a respecté l’ensemble de ses obligations de vigilance telles que prévues par le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux édicté par le Code monétaire et financier ;

* A titre encore plus subsidiaire, si par extraordinaire la cour retenait que la CCM a commis une faute,

— dire, en tout état de cause, qu’en l’absence de production de l’intégralité des pièces du dossier pénal, la réalité de la fraude alléguée n’est pas démontrée ;

— dire que les consorts X ne rapportent pas dès lors la preuve de leur préjudice ;

— dire que 'les consorts X le lien de causalité lien direct entre le préjudice allégué et de la prétendue faute de la Caisse de Crédit Mutuel de Liverdun' (sic) ;

En conséquence,

— débouter les consorts X de l’ensemble de leur demande à l’encontre de Caisse de Crédit Mutuel de Liverdun,

*En tout état de cause,

— condamner solidairement les consorts X à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de Liverdun la somme de 5.000 Euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de la procédure de première instance et d’appel.

Par conclusions déposées le 26 juin 2020, les consorts X demandent à la cour :

* sur le recours :

— de juger que la CCM a violé son obligation de conseil et d’information au préjudice des intimés,

— de juger que la CCM a violé son obligation de vigilance au préjudice des intimés,

— en conséquence, juger que la CCM est mal fondée en son recours et l’en débouter et confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu la responsabilité de la CCM,

* sur l’appel incident,

— d’infirmer le jugement uniquement sur le montant de la condamnation et, statuant à nouveau, condamner la CCM à leur payer la somme de 2 838 873,33 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte des sommes détournées,

— à titre subsidiaire, de confirmer le jugement sur le montant des dommages et intérêts,

— de condamner la CCM à leur payer sur les condamnations au principal des intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2016, date de l’acte introductif d’instance, avec capitalisation desdits intérêts,

— de condamner la CCM à leur payer la somme de 2 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral,

— condamner la CCM à payer aux consorts X la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

A l’appui de leur appel, les consorts X exposent notamment :

— que Y X a été démarché en janvier 2015 pour effectuer des investissements sur le FOREX et qu’il avait, entre le 14 janvier et le 30 septembre 2015 effectué 18 virements d’un montant total de 2 838 873,33 euros définitivement débités de son compte bancaire détenu par la CCM, mais qu’il n’a jamais pu récupérer ces sommes investies via les plate-formes 77Options et BrokerCapitalInvest, l’accès à ces plate-formes étant même devenu impossible à la fin du mois de novembre 2015,

— qu’il s’est avéré que ces plate-formes étaient fausses et s’inscrivaient dans une vaste escroquerie internationale,

— que la CCM, teneur du compte bancaire des époux X, ne pouvait ignorer les opérations d’investissement liées à ce compte, ni ignorer les alertes de l’AMF émises depuis 2011 sur ce type 'd’investissements', d’autant que la plate-forme de trading 77Options était inscrite sur la liste noire de l’AMF depuis le 23 septembre 2014 et la plate-forme BokerCapitalIvest depuis le 13 mai 2015, et que la banque TBI Bank de Bulgarie était régulièrement mise en cause dans des escroqueries commises sur le FOREX,

— que la CCM aurait également dû informer Mme X, co-titulaire du compte, de l’existence de ces opérations et des risques d’escroquerie qui y étaient liés,

— que ce n’est qu’à compter de septembre 2015 que la CCM a fait signer à Y X des décharges de responsabilité et seulement à compter de novembre 2015 qu’elle a bloqué les virements litigieux,

— que la banque disposait de nombreux éléments pour détecter cette escroquerie :

*les anomalies matérielles et intellectuelles affectant les avis d’opérés,

*les montants des virements qui étaient anormaux et inhabituels,

*les bénéficiaires des virements qui étaient des sociétés dont les noms sont à consonance anglophone,

*les banques ayant reçu les fonds et les comptes des bénéficiaires des virements qui étaient régulièrement mis en cause dans les escroqueries aux investissements sur le FOREX et les options binaires,

*l’objet sur les factures des virements qui était 'achat de valeurs mobilières',

* les commentaires de la banque elle-même sur ces factures : 'pas de descriptif du type d’opération
-faute dans la facture – pas de concordance dans l’adresse',

*les alertes de l’AMF ct de l’ACPR sur la recrudescence des escroqueries sur le FOREX et les options binaires,

— que même les informations données à Y X par la banque en septembre 2015 étaient insuffisantes au regard de son obligation d’information.

MOTIFS DE LA DECISION :

Bien que sollicitant l’infirmation du jugement en qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, la CCM ne forme aucune demande de condamnation sur ce fondement à hauteur d’appel. Elle est donc réputée avoir abandonné ce chef de demande.

Sur l’obligation d’information et de conseil de la banque

En l’espèce, les époux X ont ouvert un compte joint dans les livres de la CCM et se sont bornés à effectuer des opérations de crédit et de débit sur ce compte, sans avoir jamais sollicité cette banque en sa qualité de prestataire des services d’investissements à l’occasion de ces opérations de débit et de crédit. La CCM n’a eu à agir qu’en simple prestataire de services de paiement, puisqu’elle n’a contracté avec les époux X qu’en cette seule qualité et à cette seule fin. L’obligation d’information de la CCM n’a donc pu porter que sur les obligations réciproques des parties en matière d’instruments de paiement, telles qu’elles résultent des articles L133-15 et suivants du code monétaire et financier. Les consorts X ne démontrent, ni même ne soutiennent, que la CCM n’aurait pas rempli son obligation d’information ainsi circonscrite.

Les consorts X reprochent à la CCM ne pas avoir informé les époux X, dès le stade du premier ordre de virement, des risques associés aux investissements sur le FOREX et aux options

binaires et particulièrement sur la plate-forme de trading 77Options. Mais un tel devoir d’information ne pèse pas sur le simple prestataire de services de paiement ; au surplus, le libellé des virements litigieux ne faisait nullement apparaître qu’ils étaient destinés au financement d’opérations spéculatives sur le FOREX (et à plus forte raison à alimenter un investissement via les plate-formes 77Options ou BrokerCapitalInvest). Bien au contraire, lorsque Y X a communiqué à la CCM les 'factures’ correspondant aux virements effectués, celles-ci désignaient l’opération comme étant l’achat de valeurs mobilières. Quant à alerter Y X sur le fait que le compte à créditer était domicilié à la TBI Bank, régulièrement mise en cause dans des escroqueries aux investissements sur le FOREX (ce qui n’est pas démontré), une telle mise en garde dépasse le cadre du devoir d’information de la banque simple prestataire de services de paiement.

Les consorts X ne démontrent donc aucun manquement de la CCM à son devoir d’information.

En outre, le banquier prestataire de services de paiement n’est tenu d’aucun devoir de conseil à l’égard de ses clients.

Sur l’obligation de vigilance et de prudence de la banque

Hormis la vigilance particulière dont doivent faire preuve les établissements de crédit dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, la vigilance et la prudence auxquelles le banquier est tenu doivent s’exercer en combinaison avec son devoir de non-immixtion, ce qui explique qu’elles trouvent seulement à s’appliquer :

— soit en cas d’anomalies apparentes, notamment intellectuelles, décelables par un banquier normalement diligent et manifestées par le caractère inhabituel d’une opération (mais il faut une évidence particulière pour que le comportement du banquier soit jugé fautif),

— soit en cas d’irrégularités apparentes.

En l’occurrence, les consorts X invoquent plusieurs anomalies qui auraient dû, selon eux, pousser la CCM à exercer son devoir de vigilance.

Tout d’abord, ils invoquent le fait que les 1er et 3e virements ont été faits au bénéfice de 'September Investments Limited’ qui avait le même compte bancaire que 'F-Financial', bénéficiaire du 2e virement. Toutefois, il ne peut être demandé au prestataire de services de paiement d’effectuer des rapprochements entre les différents bénéficiaires de virements pour vérifier si deux d’entre eux n’auraient pas le même compte bancaire, d’autant plus que cette identité ne fait présumer aucune anomalie ni aucune fraude.

Ils invoquent ensuite le fait que deux virements avaient été rejetés par la banque bénéficiaire et ont dû être renouvelés par Y X. Mais, comme l’explique la CCM, ces rejets effectués par la banque bénéficiaire pour des raisons techniques sont courants et ne revêtent aucun caractère d’anomalie. Le fait que les virements rejetés aient pu être réitérés avec succès quelques jours après la première tentative démontre en outre que ces rejets n’avaient aucune cause sérieuse.

Ils font également valoir que les avis d’opéré étaient incomplets. Mais cette critique est inexacte : chaque avis d’opéré comporte le nom du donneur d’ordre et le nom du bénéficiaire, ainsi que leurs

coordonnées bancaires, seules informations nécessaires dans le cadre de simples opérations de paiement.

Concernant les anomalies intellectuelles, qui impliquent le caractère inhabituel d’une opération, rien ne permet d’incriminer la vigilance de la CCM. En effet, les montants des virements effectués ne sont pas en eux-mêmes constitutifs d’anomalies dès lors que le compte bancaire CCM des époux X était préalablement approvisionné par eux afin d’éviter tout solde débiteur (leur compte est d’ailleurs toujours resté créditeur). En outre, le montant des virements effectués, tant en crédit qu’en débit, doit être mis en rapport avec la situation patrimoniale des époux X (M. X a déclaré aux services d’enquête, suite à sa plainte pénale, qu’il était détenteur d’un capital de quatre millions d’euros). Au vu des documents produits et dont la CCM avait connaissance, les époux X vendaient des titres boursiers pour procéder à 'l’achat de valeurs mobilières’ via des sociétés financières européennes ayant leurs comptes domiciliés en Bulgarie, à Malte, en Roumanie, en Pologne, en république tchèque ou en Géorgie. Les consorts X n’expliquent pas en quoi ces opérations devaient être considérées par la CCM comme constitutives d’anomalies manifestes ou auraient pu apparaître comme irrégulières (à plus forte raison constituer des escroqueries).

Les consorts X reprochent également à la CCM que l’un de ses préposés aient adressé le 10 septembre 2015 le RIB des époux X à M. G H, 'l’un des escrocs'. Il ne ressort toutefois d’aucun des éléments du dossier que cette transmission ait servi à quelque détournement ou escroquerie que ce soit, les seuls virements effectués étant ceux qui avaient été ordonnés par Y X.

Enfin, le fait que la CCM ait fait preuve, à compter de septembre 2015, d’une vigilance dépassant le cadre légal de ses obligations en effectuant des recherches sur l’identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par Y X ne saurait être retenu contre cette banque au motif qu’elle aurait dû faire ces vérifications plus tôt. D’autant plus, que même informé de certaines anomalies découvertes par la CCM aux termes de recherches auxquelles elle n’était pas tenue, Y X a persisté dans sa volonté de poursuivre ce type d’opérations en signant une décharge de responsabilité circonstanciée au bénéfice de la banque.

Par conséquent, aucun manquement ne peut être reproché à la CCM dans le cadre de son obligation contractuelle de vigilance et de prudence.

Sur la surveillance effectuée par la banque en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme

L’obligation de vigilance imposée aux organismes financiers en application des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier n’a pour seule finalité que la détection de transactions portant sur des sommes en provenance du trafic de stupéfiants ou d’activités criminelles organisées. La méconnaissance de l’obligation de l’examen particulier de certaines opérations importantes est sanctionnée disciplinairement ou administrativement par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire. Il en résulte que la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l’inobservation d’obligations résultant de ces textes pour réclamer des dommages-intérêts à l’établissement financier.

En l’espèce, les consorts X ne peuvent se prévaloir d’un défaut de surveillance et de déclaration à raison de la réglementation TRACFIN pour voir engager la responsabilité de la CCM et solliciter des

dommages et intérêts sur ce fondement.

Aussi le jugement déféré sera-t-il infirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité de la CCM sur le fondement de l’article L.561-10-2 du code monétaire et financier, puisque cette disposition régit l’obligation de vigilance de la banque dans le cadre de ses obligations légales relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

La responsabilité de la CCM ne pouvant être engagée sur aucun des fondements allégués par les consorts X, ceux-ci seront déboutés de leur demande d’indemnités tant au titre de la perte des sommes engagées par Y X qu’au titre d’un prétendu préjudice moral.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les consorts X, qui sont les parties perdantes, supporteront les dépens de première instance et d’appel et ils seront déboutés de leur demande de remboursement de leurs frais de justice irrépétibles (le jugement déféré sera réformé sur ce point). En outre, il est équitable qu’ils soient condamnés à payer à la CCM la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

DEBOUTE les consorts X de leurs demandes de dommages et intérêts,

DEBOUTE les consorts X de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum les consorts X à payer à la CCM la somme de 1 000 € (mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum les consorts X aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, Président de Chambre à la Cour d’Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Minute en onze pages.

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