Cour d'appel de Paris, 8 novembre 2013, n° 12/08752

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 8 nov. 2013, n° 12/08752
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 12/08752
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Créteil, 2 avril 2012, N° 11/02266

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 2

ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2013

(n° 2013- , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 12/08752

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Avril 2012 -Tribunal de Grande Instance de Créteil – RG n° 11/02266

APPELANTE:

S.A. COVEA RISKS

XXX

XXX

représentée et assistée par Maître Isabelle ALLEMAND, avocat au barreau de PARIS, toque : P0267

INTIMES:

Monsieur G H

XXX

XXX

représenté par Maître Sabine LIEGES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0184

assisté de Maître José Manuel CASTELLOTE, avocat au barreau de BEAUVAIS

Monsieur I X

XXX

XXX

représenté par Maître Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653

assisté de Maître Adeline MOUGEOT, avocat au barreau de PARIS, toque : P72

C.P.A.M. DU VAL DE MARNE

prise en la personne de ses représentants légaux

XXX

XXX

représentée par Maître Maher NEMER, avocat au barreau de PARIS, toque : R295

assistée de Maître Clothilde CHALUT-NATAL, avocat au barreau de PARIS, toque : R295

Madame E Y

XXX

XXX

assignée et défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame C D ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l’article 785 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Septembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Anne VIDAL, Présidente de chambre

C D, Conseillère

Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Guillaume LE FORESTIER

ARRÊT :

— réputé contradictoire

— rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Anne VIDAL, Présidente de chambre et par Guénaëlle PRIGENT, Greffier.

***

M. B, alors âgé de 56 ans, a consulté le docteur Y, chirurgien-dentiste, pour procéder à une réhabilitation de l’arcade dentaire supérieure. Un devis d’un montant total de 7 800 euros a été établi le 6 mai 2008, comportant, dans un premier temps, l’extraction des dents restantes, la pose de quatre implants et la mise en place des piliers sur les implants et d’une prothèse totale immédiate en résine et, dans un second temps, la réalisation et la pose d’un bridge complet définitif vissé sur les implants.

Les travaux ont été réalisés au cabinet du docteur Y, qui a fait intervenir à cette occasion le docteur X, chirurgien-dentiste, aux termes d’un contrat conclu le 6 septembre 2008 entre les deux praticiens. L’édentation associée à l’implantation des quatre implants a été effectuée à cette même date. Lors de la seconde séquence ayant eu lieu le 31 octobre 2008, l’implant 15 qui n’était pas ostéo-intégré a migré dans le sinus maxillaire droit. Deux interventions ont été nécessaires pour l’extraire. Un autre implant (25) a perforé le pôle antéro-inférieur du sinus maxillaire gauche. Un troisième implant (12) a été perdu.

En mars 2010, M. B a sollicité en référé une expertise confiée le 19 mai 2010 au professeur Couly, expert en stomatologie et chirurgie maxillo-faciale, qui a déposé son rapport le 29 novembre 2011.

Par jugement du 3 avril 2012, le tribunal de grande instance de Créteil a rejeté la demande d’annulation de l’expertise soutenue par le docteur X, a dit que les docteurs Y et X étaient responsables de l’entier dommage causé à M. B du fait des soins et actes de chirurgie dentaire pratiqués sur lui à compter de septembre 2008, les a condamnés in solidum à lui verser la somme de 64 800 euros à titre de provision à valoir sur son indemnisation définitive avec intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2010 outre celle de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à verser à la Caisse primaire d’assurance maladie du Val de Marne celle de 1 575,55 euros en remboursement de ses débours outre celle de 700 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, a condamné la société Covea risks à garantir intégralement le docteur Y du versement de ces sommes et a dit que l’assureur serait tenu in solidum envers M. B.

La société Covea risks a relevé appel de ce jugement et demande, dans ses dernières conclusions signifiées le 1er août 2012, d’infirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité du docteur Y et la garantie de son assureur. Elle entend faire constater qu’elle ne garantit pas l’activité implantaire du docteur Y, qu’elle n’est donc redevable d’aucune garantie au titre des conséquences de la migration de l’implant dans le sinus maxillaire, lequel est le fait exclusif du docteur X, et qu’aucune demande au titre de la pose d’implants et de ses conséquences ne peut prospérer à son encontre. Elle ajoute qu’en tout état de cause le docteur Y n’a réalisé aucun soin sur M. B, qu’il n’a pas posé d’implant et n’est pas à l’origine de la migration de l’implant dans le sinus maxillaire. En conséquence, elle demande de juger que le docteur X est seul responsable de la migration de l’implant et de ses conséquences et qu’il n’y a pas lieu à condamnation in solidum.

Subsidiairement, elle sollicite l’infirmation de la décision sur le quantum de la provision allouée. Elle demande de constater que M. B ne verse aux débats qu’un protocole thérapeutique chiffré par le docteur Z, praticien de recours, et que l’expert judiciaire ne s’est prononcé ni sur le protocole de soins ni sur le quantum, de sorte que M. B doit être débouté de sa demande à ce titre. A défaut, elle entend faire juger que la prise en charge des honoraires et des conséquences de la migration de l’implant dans le sinus maxillaire doit être supportée par le docteur X, que la demande provisionnelle doit être ramenée à de plus justes proportions, et que la responsabilité du docteur Y est très limitée. En tout état de cause, elle demande de condamner le docteur X à la relever et garantir ainsi que le docteur Y de toutes les condamnations qui seraient prononcées à leur encontre.

Formant appel incident, le docteur X demande aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 2 octobre 2012 d’infirmer le jugement, d’écarter des débats le rapport de l’expert dont il critique le manque d’impartialité, d’objectivité et de respect du contradictoire, et de désigner un collège d’experts. A titre subsidiaire, il entend faire constater que seuls le défaut d’ostéo intégration et la migration de l’implant dans le sinus pourraient faire l’objet d’une indemnisation de sa part, et offre à ce titre une provision de 5 000 euros représentant les honoraires réglés (2 000 euros) et le remboursement des dépenses de santé actuellement engagées (3 000 euros). Il souligne que M. B a choisi de lui-même de mettre fin au contrat de soins alors que l’édentation maxillaire et temporaire devait être suivie d’une réhabilitation totale par un bridge complet.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 26 mars 2013, M. B demande de confirmer en toutes ses dispositions la décision frappée d’appel et, à titre subsidiaire, si la cour estimait devoir ordonner une nouvelle expertise, de la confier à un collège d’experts dont ferait partie le professeur Couly aux frais du docteur X. Il demande également de porter à 4 000 euros l’indemnité allouée au titre des frais non compris dans les dépens, lesquels incluront ceux de la procédure de référé et les frais d’expertise.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 3 décembre 2012, la Caisse primaire d’assurance maladie du Val de Marne demande de confirmer le jugement sauf à actualiser sa créance et de condamner solidairement les docteurs Y et X à lui verser la somme de 8 809 euros à due concurrence de l’indemnité réparant le préjudice corporel de la victime, représentant les frais d’hospitalisation, médicaux et pharmaceutiques ainsi que les frais futurs de prothèse capitalisés, outre les intérêts au taux légal à compter de la demande et une indemnité de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La déclaration d’appel et les conclusions de l’appelant et de la Cpam ont été signifiées les 8 août et 17 décembre 2012 au docteur Y, qui n’a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité

L’expert désigné en référé a mené ses opérations dans le respect du principe de contradiction et apporté des réponses claires, précises et argumentées aux questions de la mission ainsi qu’aux dires des parties de façon à permettre à la juridiction saisie de statuer sur les responsabilités encourues. M. X ne saurait lui faire grief d’avoir pris en compte des éléments de fait prétendument erronés fournis par M. B après s’être personnellement abstenu de participer à la réunion d’expertise à laquelle il était convoqué. L’expert a bien pris connaissance et répondu aux observations du docteur A contenues dans une note du 15 novembre 2010 que le docteur X lui a communiquée. Aucune manifestation de partialité ne peut se déduire des appréciations critiques portées par l’expert sur la qualité des soins précisément soumise à son analyse. C’est donc à juste titre que le tribunal a rejeté la demande de nullité de l’expertise qui lui était présentée.

L’expert a mis en évidence que l’orthopantomogramme réalisé le 10 juillet 2008 à la demande du docteur Y, constitutif de l’état antérieur du patient, était insuffisant pour faire une évaluation pré-implantaire. Il a observé à la lecture de ce document une parodontopathie évoluée et une perte osseuse de 60% de l’os alvéolaire dans le secteur supérieur droit comportant encore les dents 11, 12, 13 avec obturation canalaire, et 15. En situation de la dent 15, il a relevé que le bas fond sinusien venait en distal de la racine de cette dent au contact de la muqueuse buccale et que l’alvéole de cette même dent était aussi dépourvue d’os basal maxillaire, basi-sinusien. Dans le secteur supérieur gauche, il a noté la présence des dents 21, 22 à l’état de racine avec obturation canalaire, 23 atteinte de carie avec obturation canalaire, 24 avec fracture coronaire et obturation de deux canaux, 25, 26 avec trois obturations canalaires et réhabilitation par céramo métal, 27 avec obturation coronaire et 28 avec une grande inclusion dans la tubérosité maxillaire. Il a souligné qu’en 2008, s’agissant de mise d’implants extemporanément lors de la séance d’extraction, comme ce fut le cas du traitement appliqué, il convenait impérativement d’avoir un scanner dentaire afin de connaître l’importance des poches parodontales, l’état apical des racines, l’existence de granulomes, et surtout l’importance de l’os résiduel avant extraction et les rapports de l’os basal avec les sinus maxillaires dans leur bas fond, ceci d’autant qu’il existait un récessus inférieur contournant le bord distal de la racine de 15 et une parodontopathie ancienne avec alvéolyse en cupule.

Retenant une série de négligences et défaillances fautives des praticiens, l’expert a pu conclure que les actes et soins dispensés par eux n’avaient été ni diligents, ni attentifs, ni conformes aux données acquises de la science odontologique implantaire. Il a précisé que les dents 15, 25, 26 et 27 auraient pu être conservées et que la mise en place de quatre implants sans examen préalable permettant d’identifier de manière précise l’os résiduel et ses rapports avec le sinus maxillaire exposait le patient à un risque d’échec thérapeutique. La migration de l’implant 15 dans le sinus droit, l’implantation partielle de l’implant 25 dans le sinus gauche et la perte d’un troisième implant traduisent la réalisation de cet échec.

Sur la base de ces éléments, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le grief tiré du défaut d’information dès lors que les erreurs commises dans l’indication et la réalisation du traitement permettent une indemnisation intégrale du préjudice, la cour confirmera le jugement ayant exactement retenu que la responsabilité des deux praticiens était engagée. La société Covea risks soutient en vain que le docteur Y n’a réalisé aucun soin et que le docteur X est seul responsable de la pose des implants alors que le docteur Y a proposé le traitement et choisi de faire intervenir le docteur X suivant la convention établie entre eux le 6 septembre 2008, que ces travaux ont fait l’objet le 6 mai 2008 d’un devis conjoint revêtu de la signature des deux praticiens, et que l’analyse qui précède montre qu’au-delà de la réalisation des actes d’extraction et de pose d’implants pour lesquels le docteur Y s’est assuré le concours de son confrère les conditions dans lesquelles le traitement a été préparé, conçu et mis en oeuvre à son initiative ont directement concouru au dommage. Compte tenu de leurs interventions respectives, il sera précisé que dans leurs rapports réciproques chacun supporte une part égale de la responsabilité engagée.

Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a retenu que la garantie de la société Covea risks était acquise au docteur Y. L’assureur prétend en vain n’avoir garanti l’activité implantaire du praticien que dans le cadre d’une formation suivie à ce titre, alors qu’il résulte des termes clairs d’une attestation d’assurance du 22 janvier 2009 qu’indépendamment de l’extension de garantie accordée au titre de la participation à cette formation du 26 au 30 janvier 2009 le contrat assurant la responsabilité civile professionnelle du docteur Y pour la période du 8 mars 2008 au 7 mars 2009 s’appliquait bien à « ses activités de chirurgien dentiste avec pose d’implants ». Les courriers échangés en février 2011 avec le docteur Y évoquant une garantie souscrite seulement le 25 novembre 2008 pour la pratique implantaire sont en contradiction avec les termes clairs de cette attestation. Le défaut de production de la police et de ses éventuels avenants ne permet pas une autre lecture.

Sur la réparation du préjudice

L’expert a considéré qu’il ne pouvait fixer de date de consolidation au jour de l’expertise, qu’il devait revoir M. B en expertise après réhabilitation totale de son maxillaire, et qu’il évaluerait alors en fonction de l’état antérieur et de la possibilité de conservation dentaire initiale les effets des diverses séquences thérapeutiques réalisées par les docteurs Y et X. Il a précisé que M. B avait des difficultés à porter la prothèse provisoire actuelle en raison de la douleur provoquée notamment par l’implant 25 intra sinusien, et que l’édentation avait entraîné des pertes osseuses qui nécessiteraient une supplémentation de rattrapage avant l’implantologie.

Dans ces conditions, le tribunal ne pouvait se fonder exclusivement sur une expertise amiable non contradictoire du docteur Z pour accorder une indemnisation, même à titre provisionnel, équivalente au coût prévisionnel de la réhabilitation complète qui était déjà l’objectif recherché avant l’intervention des docteurs Y et X, sans tenir aucun compte de l’état antérieur qui motivait cette démarche.

La victime devant être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit, il importe que l’expert qui sera saisi après consolidation de l’intéressé se prononce sur les dommages en relation de causalité directe et certaine avec cette intervention pour permettre au tribunal de statuer sur l’indemnisation définitive du préjudice de M. B ainsi que sur la créance de l’organisme social dont le recours s’exercera poste par poste sur les seules indemnités réparant des préjudices qu’il a pris en charge.

Jusque là, les éléments dont dispose la cour, tels que fournis par le professeur Couly permettent de chiffrer à 40 000 euros l’indemnité provisionnelle devant revenir à M. B. Les intérêts sont dus sur cette somme à compter du jugement ayant reconnu la créance de dommage.

Il est équitable de compenser à hauteur de 2 000 euros les frais non compris dans les dépens que M. B a été contraint d’exposer en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation de l’expertise, a dit que les docteurs Y et X étaient responsables de l’entier dommage causé à M. B du fait des soins et actes de chirurgie dentaire pratiqués sur lui à compter de septembre 2008, les a condamnés in solidum à indemniser M. B de son préjudice ainsi qu’au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens, et a dit que la société Covea risks était tenue de garantir le docteur Y des condamnations prononcées et tenue in solidum au même paiement envers M. B,

L’infirme quant à la provision allouée à M. B et la condamnation prononcée au profit de la Caisse primaire d’assurance maladie du Val de Marne,

Et statuant à nouveau,

Condamne in solidum le docteur Y, celui-ci avec son assureur la société Covea risks, et le docteur X à payer à M. B une indemnité provisionnelle de 40 000 euros à valoir sur l’indemnisation définitive de son préjudice, avec intérêts calculés au taux légal à compter du jugement,

Dit que le recours de la CPAM du Val de Marne ne pourra s’exercer que poste par poste sur les indemnités définitives allouées à M. B,

Y ajoutant,

Dit que dans leurs rapports réciproques, la responsabilité des docteurs Y et X est partagée par moitié,

Condamne le docteur X à relever et garantir dans cette proportion la société Covea risks des condamnations prononcées,

Condamne in solidum le docteur Y, celui-ci avec son assureur la société Covea risks, et le docteur X aux dépens d’appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, et à verser à M. B la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du même code,

Déboute les parties de leurs autres demandes.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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