Cour d'appel de Paris, 23 octobre 2018, n° 17/22211, Avis du Ministère public

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 23 oct. 2018, n° 17/22211
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/22211

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE PARIS

PARQUET GÉNÉRAL

DIVISION DES AFFAIRES CIVILES, SOCIALES, DES MINEURS, DE LA FAMILLE, DES DROITS DE L’HOMME ET DES PROFESSIONS

SERVICE CIVIL

AVIS DU MINISTÈRE PUBLIC APPEL D’UNE ORDONNANCE SUR REQUÊTE

(REFUS DE DÉLIVRANCE DE COPIES DE JUGEMENTS : ART. 1440 ET 1441 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE)

AFFAIRE CIVILE : N°2018 /02088 / CIVPG/AS

Pôle 2 – Chambre 1

RG n° 17/22211

Monsieur Antoine DUSSÉAUX

Ayant pour avocat Maître Jean-Sébastien BODA, Avocat au Barreau de PARIS, Toque: E1690

APPELANT

EN PRÉSENCE DU MINISTERE PUBLIC REPRÉSENTÉ PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL

FAITS ET PROCÉDURE

Par requête réceptionnée au greffe le 16 juin 2017, faisant suite à plusieurs démarches informelles infructueuses, M. Antoine DUSSEAUX a saisi le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir enjoindre à la directrice de greffe de cette juridiction de lui délivrer copie des minutes civiles des jugements prononcés publiquement par ce tribunal, au format papier ou au format numérique, et de se voir reconnaître le droit de réutiliser les informations publiques contenues dans ces décisions, ce au même titre que d’autres éditeurs.

Par ordonnance du 6 octobre 2017, le magistrat délégué par le président de ce tribunal a rejeté l’ensemble des demandes du requérant et, le 20 octobre suivant, sur déclaration d’appel de l’intéressé enregistrée le 18 octobre, n’a pas rétracté sa décision, le dossier étant dès lors transmis à votre Cour conformément aux dispositions de l’article 952 du Code de procédure civile.

Par conclusions en date du 20 mars 2018, M. DUSSEAUX demande qu’il plaise à votre Cour de constater l’illégalité des dispositions de l’article 1441 du code de procédure civile, d’élever l’affaire au contentieux et de la renvoyer devant une formation collégiale indépendante.

À titre subsidiaire, il sollicite que l’exception d’illégalité soit accueillie au regard du droit de l’Union européenne.

En tout état de cause, il demande l’annulation de l’ordonnance rendue le 6 octobre 2017 et l’infirmation du refus de se rétracter.

Il sollicite que soit ordonnée la communication de l’intégralité du répertoire des affaires civiles du tribunal au format numérique ou, à tout le moins, la communication de l’intégralité des jugements correspondants au format papier, ainsi que la garantie d’un accès physique égalitaire à ces jugements vis-à-vis des tiers institutionnels.

Il soutient que l’article 1441 du code de procédure civile ne respecte pas les garanties du procès équitable, notamment les principes d’indépendance et d’impartialité du juge et de la juridiction. II précise à titre subsidiaire que ces exigences s’appliquent en matière gracieuse. Il estime que le contentieux du refus de communication des jugements ne relève pas de la matière gracieuse, en première instance comme en appel. Il soutient que cette procédure ne permet pas de garantir le droit à un recours effectif.

L’appelant estime que la décision attaquée est entachée par une illégalité de forme en ce que la « défenderesse » est signataire de l’ordonnance et que le jugement fait état d’une « ordonnance contradictoire » ce qui induirait son caractère contentieux. Il reproche également à la procédure d’être entachée d’une nullité de forme en ce que le juge n’a pas respecté la communication prévue par l’alinéa trois de l’article 952 du code de procédure civile. Enfin, il reproche à l’ordonnance d’avoir considéré qu’il ne maintenait pas ses demandes initiales de mise à disposition des décisions.

Sur le bien fondé de la demande de communication, il estime que la publicité des débats judiciaires est un principe général du droit quelque soit le support des décisions communiquées. Il précise que la réutilisation des données publiques issues des décisions de justice est libre sous condition de leur anonymisation, règle à laquelle il entend se conformer. Enfin, il estime qu’il est illégal d’accorder l’exclusivité de l’accès aux décisions publiques à certains acteurs de l’édition juridique et d’en exclure d’autres.

Par une note en délibéré du 13 avril 2018, le parquet général a sollicité la réouverture des débats en raison de l’absence de communication au service compétent suite à une erreur d’orientation du dossier.

La Cour d’appel de Paris par arrêt du 12 juin 2018 a ordonné la réouverture des débats à l’audience du 06 novembre 2018.

DISCUSSION

Sur l’exception d’illégalité de l’article 1441 du code de procédure civile

L’exception d’illégalité soulevée par l’appelant porte sur l’article 1441 du code de procédure civile dont la rédaction est issue de l’article 5 du décret n°81-500 du 12 mai 19 que : « En cas de refus ou de silence, le président du tribunal de grande instance ou, si le refus émane d’un greffier, le président de la juridiction auprès de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, saisi par requête, statue, le demandeur et le greffier ou le dépositaire entendus ou appelés. L’appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse. »

À l’occasion d’un recours devant le juge judiciaire compétent au fond, le juge administratif peut être saisi par un recours en appréciation de validité (T. confl. 16 juin 1923, Septfonds, Rec. CE, p. 498, DP 1924.3.41, concl. Matter, S. 1923.3.49, note Hauriou). Mais le juge judiciaire peut écarter l’acte administratif contesté si une jurisprudence établie permet de statuer en ce sens (T. confl. 17 octobre 2011, SCEA du Chéneau : «en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d’un acte administratif, les tribunaux de l’ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu’à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal »). La notion de « jurisprudence établie » peut désigner une jurisprudence incontestée qui aurait reconnu l’illégalité de l’acte en cause ou bien une répétition d’espèces sur un même type de questions pour lesquelles, à chaque fois qu’un cas similaire se présente, l’illégalité s’impose (MINET Alice, « La jurisprudence établie : les ambiguïtés d’une notion », AJDA 2015 p. 279).

Par application du principe d’effectivité du droit européen, le juge judiciaire peut également se prononcer sur la validité d’un acte au regard du droit communautaire (Décision précitée : « Considérant, d’autre part, que, s’agissant du cas particulier du droit de l’Union européenne, dont le respect constitue une obligation, tant en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’en application de l’article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe d’effectivité issu des dispositions de ces traités, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que le juge national chargé d’appliquer les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu’à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d’interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu’il s’estime en état de le faire, appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte administratif au droit de l’Union européenne »). Enfin, le juge national peut effectuer un contrôle de conventionnalité au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (Par exemple CE, ass., 14 févr. 1996, Maubleu, req. n° 132369).

En l’espèce, les principes d’impartialité et d’indépendance de la juridiction ainsi que le droit à un recours effectif sont reconnus par la loi et la jurisprudence nationales.

Néanmoins, il n’apparaît pas qu’une jurisprudence établie sanctionne une procédure similaire à celle prévue l’article 1441 du code de procédure civile. Dès lors qu’il ne semble pas évident que cet article soit illégal au regard d’une jurisprudence établie, il ne ressort pas de la compétence du juge judiciaire de statuer sur la légalité de cet acte règlementaire.

Le ministère public s’en remet donc à la sagesse de la Cour quant à l’opportunité de transmettre une question préjudicielle au juge administratif sur ce point.

Concernant l’application du droit de l’Union européenne, l’article 1441 du code de procédure civile n’induit pas en lui même une discrimination entre les personnes ayant accès aux décisions publiques, bien que son application au regard des faits de l’espèce puisse laisser croire que les services du greffe de ce tribunal cantonnent l’accès aux décisions de justice à certains éditeurs. Le texte lui-même ne paraît donc pas contraire au droit de l’Union européenne.

Concernant l’application de la Convention européenne des droits de l’homme et la conventionnalité des dispositions litigieuses, les garanties prévues au titre de l’indépendance de la juridiction et de son impartialité semblent respectées en ce que le greffier n’est pas partie à la procédure, s’agissant d’une procédure gracieuse (Article 1441 alinéa 3 du code de procédure civile). De surcroît, le magistrat peut toujours être récusé par le biais de la procédure prévue par l’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire ou l’affaire dépaysée en vertu de l’article 47 du code de procédure civile. Enfin, l’existence d’un recours, même gracieux, paraît de nature à satisfaire les exigences du droit à un recours effectif.

Sur les irrégularités de forme alléguées

L’appelant ne démontre pas en vertu de quel texte les mentions « en la forme des référés », « contradictoire » ainsi que « défenderesse » entraînerait l’annulation de la décision quelconque préjudice de ce fait. Il ne précise pas non plus quel texte sanctionnerait d’une nullité le défaut de la communication prévue par l’alinéa trois de l’article 952 du code de procédure civile.

Concernant la mention contestée de l’abandon par le requérant de ses demandes au fond, l’article 455 alinéa premier du code de procédure civile prévoit que le jugement doit exposer les prétentions respectives des parties et leurs moyens, tandis que l’article 458 du même code sanctionne cette exigence par la nullité.

Or, en l’espèce, l’ordonnance entreprise énonce que « M. DUSSÉAUX ne maintient plus l’objet de sa requête » et « qu’il n’a pas entendu maintenir même au titre le plus subsidiaire, ses demandes initiales (…) ayant pour fondements juridiques les articles 1440 et 1441 du code de procédure civile précités », alors que les notes du greffier d’audience, M. BEAUVAL (Pièce M. DUSSEAUX n°9), corroborées par celles du requérant (Pièce M. DUSSEAUX n°10), ne font aucunement mention du désistement du demandeur de ses demandes principales de communication des décisions.

Le ministère public est donc d’avis que le jugement entrepris est entaché d’une irrégularité quant à la mention des prétentions des parties et qu’il encourt de ce fait l’annulation, une telle omission faisant manifestement grief à l’intéressé.

Sur la demande au fond de communication des décisions

L’article 11-3 de la loi du 5 juillet 1972 dispose que « Les tiers sont en droit de se faire délivrer copie des jugements prononcés publiquement »

L’article 21 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique prévoit que « Le chapitre unique du titre ler du livre ler du code de l’organisation judiciaire est complété par un article L. 111-13 ainsi rédigé :

« Art. L. 111-13. – Sans préjudice des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public (Nous soulignons) à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées.

« Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes.

« Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du code des relations entre le public et l’administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces décisions.

« Un décret en Conseil d’Etat fixe, pour les décisions de premier ressort, d’appel ou de cassation, les conditions d’application du présent article. »

L’article 1440 du code de procédure civile dispose que « Les greffiers et dépositaires de registres ou répertoires publics sont tenus d’en délivrer copie ou extrait à tous requérants, à charge de leurs droits. »

Enfin, concernant les ressortissants étrangers d’Etats parties à de la convention de la Haye du 25 octobre 1980, tendant à faciliter l’accès international à la justice, en vigueur depuis le 1er mai 1988 aux termes des dispositions du décret n°88-979 du 11 octobre 1988, l’article 18 de o international dispose qu'« En matière civile ou commerciale, les ressortissants d’un Etat contractant, ainsi que les personnes ayant leur résidence habituelle dans un Etat contractant, peuvent dans les mêmes conditions que les nationaux, se faire délivrer et, le cas échéant, faire légaliser des copies ou des extraits de registres publics ou de décisions de justice dans un autre Etat contractant. »

Par ailleurs, aux termes d’un avis n°20171247 du 07 septembre 2017, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) émettait un avis favorable à la réutilisation des minutes civiles sollicitées dans le respect des règles relatives à la réutilisation des données à caractère personnel et attirait l’attention du ministre de la justice « sur la nécessité de permettre le libre accès à ces minutes par le demandeur, sur le fondement de l’article 11-3 de la loi 5 juillet 1972. » (Pièce M. DUSSEAUX n°7)

Par courrier en date du 11 septembre 2017 adressé à la CADA, la garde des sceaux attirait « l’attention des greffes des juridictions sur le contexte normatif actuel et sur les précautions à prendre, dans l’attente de la publication des décrets d’application, lorsqu’il s’agit de délivrer des minutes à des tiers sollicitant la communication d’une grande masse de décisions ». Elle rappelait en outre « la nécessité de mettre en place un traitement égalitaire des tiers concernés, le cas échéant en remettant en cause des pratiques qui avaient pu être anciennement établies. (Pièce M. DUSSEAUX n°6) »

Par avis n°20174865 du 14 décembre 2017, la CADA précisait que « compte tenu [du] caractère relativement peu sensible (des décisions concernées), de la démarche professionnelle du demandeur de sa connaissance de la réglementation et de ses obligations en matière de réutilisation et de respect de l’anonymat, la commission émet également un avis favorable pour l’accès par dérogation aux documents et données sollicitées, considérant en outre que l’export des jugements depuis l’application Winci TGI constitue une tâche facilement réalisable pour l’administration. (Pièce M. DUSSEAUX n°8) »

Toutefois, en l’espèce, le greffe du tribunal de grande instance de Paris s’est borné à opposer au requérant des difficultés d’ordre pratique concernant la diffusion des décisions de justice publiques.

Ce refus de communication ne semble pas s’appuyer sur une quelconque argumentation juridique et est d’autant plus surprenant qu’il n’est pas contesté que d’autres organismes tels que l’INPI, ou des éditeurs privés, ont un accès régulier aux décisions de justice auprès du même greffe. Enfin, l’appelant propose de nombreuses solutions techniques permettant une diffusion rapide et anonymisée des décisions sollicitées.

Dès lors, au de l’ensemble de ces éléments et, en particulier, des principes de publicité des décisions judiciaires et d’égalité, le ministère public est d’avis que le greffe du tribunal ne peut refuser à M. DUSSÉAUX la copie des décisions ou jugements publics sollicitée.

EN CONSEQUENCE,

Le ministère public est d’avis qu’il plaise à votre Cour de :

— se déclarer incompétente concernant la légalité de l’article 1441 du code de procédure civile au regard du droit interne et de rejeter les demandes y afférentes au regard du droit international et européen,

— d’annuler l’ordonnance entreprise en application des dispositions des articles 455 et suivants du code de procédure civile,

— et d’enjoindre au greffe du tribunal de grande instance de Paris de communiquer au requérant les décisions rendues publiquement.

Fait au parquet général le 23 octobre 2018,

Antoine STEFF

Substitut général

Rédaction en collaboration avec Elise Luciani, assistante de justice.

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