Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 12 juin 2019, n° 17/11167

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 6, 12 juin 2019, n° 17/11167
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/11167
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Melun, 7 avril 2014, N° 12/00917
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FIANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 12 JUIN 2019

(n° 2019/338, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 17/11167 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B3OTX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 8 Avril 2014 -Tribunal de Grande Instance de MELUN – RG n° 12/00917

APPELANTE

DEMANDERESSE A LA RÉINSCRIPTION AU RÔLE

Société ATTIJARIWAFA BANK, société de droit marocain, prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

assistée de Me Philippe CLEMENT, avocat au barreau de Paris, toque G 157

INTIMÉS

DÉFENDEURS A LA RÉINSCRIPTION AU RÔLE

Madame A Y

née le […] à […]

[…]

[…]

Monsieur N K D

né le […] à […]

[…]

[…]

Madame E Q Z

née le […]

[…]

[…]

Représentée par Me Anne lise M, avocat au barreau de MELUN

INTIMÉ ET APPELANT INCIDENT

DÉFENDEUR A LA RÉINSCRIPTION AU RÔLE

Monsieur S K D

né le […] à […]

[…]

[…]

Représenté et assisté de Me M’hammed ZAHIRI, avocat au barreau d’ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 8 Avril 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Françoise CHANDELON, Présidente de chambre

Monsieur Marc BAILLY, Conseiller

Madame Pascale LIEGEOIS, Conseillère

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 785 du Code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Véronique COUVET

ARRÊT :

— contradictoire

— rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Françoise CHANDELON, Présidente de chambre et par Mme A CRUZ, Greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire

****

M. T K D, francisé sous le nom de M. C D, de nationalité française et marocaine, est décédé à son domicile en France, situé à Seine-Port (77240), le 25 septembre 2010.

Il a reconnu à leur naissance trois enfants, nés hors mariage, Mme A Y, M. N K D et E Z.

M. T K D avait ouvert deux comptes bancaires, un compte de dépôt et un compte titres, dans les livres de la société de droit marocain Attijariwafa Bank, à l’agence Meknès Hassan II au Maroc.

Le 4 novembre 2011, la société Attijariwafa Bank a viré le solde du compte titres du défunt pour un montant de 1 133 640,71 dirhams sur le compte de M. S K D, père du défunt, lequel s’est présenté auprès d’elle en qualité d’héritier.

Par acte d’huissier de justice en date du 6 mars 2012, Mme A Y, M. N K D et E Z, mineure représentée par sa mère Mme AC AD AE Z, ont assigné la société Attijariwafa Bank devant le tribunal de grande instance de Melun afin de faire condamner la banque à leur payer la somme de 201 360,20 euros augmentée des intérêts au taux conventionnel, la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts à chacun d’eux au titre du préjudice moral, et la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par acte d’huissier de justice en date du 12 février 2013, la société Attijariwafa Bank a assigné en intervention forcée et en garantie M. S K D devant cette même juridiction afin de voir joindre les instances et le voir condamner à la relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.

Par jugement en date du 8 avril 2014, le tribunal de grande instance de Melun a :

— condamné la société de droit marocain Attijariwafa Bank à payer conjointement à Mme A Y, M. N K D et E Z, mineure représentée par Mme AC AD AF Z, sa mère et représentant légal, la somme totale de 126 076,12 euros augmentée des intérêts au taux légal, à compter du 6 mars 2012,

— condamné M. S K D à payer à la société de droit marocain Attijariwafa Bank la somme de 101 006,20 euros, augmentée des intérêts au taux légal, à compter du 12 février 2013,

— condamné la société de droit marocain Attijariwafa Bank à payer conjointement à Mme A Y, M. N K D et E Z, mineure représentée par Madame AC AD AE Z, sa mère et représentant légal, la somme totale de 1 700 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté les parties de leurs autres demandes,

— condamné in solidum la société de droit marocain Attijariwafa Bank et M. S K D aux entiers dépens de l’instance, avec recouvrement direct par Maître F G de ceux qu’elle a avancés, au sens de l’article 699 du code de procédure civile,

— dit que, dans ses dispositions qui précédent, la présente décision est exécutoire par provision.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 27 octobre 2014, la société de droit marocain Attijariwafa Bank a fait appel de ce jugement.

Par ordonnance du conseiller chargé de la mise en état en date du 23 juillet 2015, l’affaire a été radiée du rôle pour inexécution de la décision rendue le 8 avril 2014.

Par saisine en date du 31 mai 2017, l’affaire a été réintroduite sous le numéro de RG 17/11167.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 juillet 2015, la société Attijariwafa demande à la cour de :

A titre principal,

— Infirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a fait droit a l’action dirigée contre elle,

et, statuant a nouveau,

— Dire et Juger que la dévolution successorale de feu T K D est régie par la loi marocaine,

— Dire et Juger que monsieur S K D, père du défunt, a remis à la société Attijariwafa Bank un acte d’hérédité adoulaire en date du 3 décembre 2010 aux termes duquel il apparaissait comme seul héritier, à l’exclusion de toute autre personne,

— Dire et Juger qu’en exécutant cet acte d’hérédité adoulaire la société Attijariwafa Bank n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité civile délictuelle,

— Dire et Juger Mademoiselle A Y, Monsieur N K D et Mademoiselle E Z mal fondés en toutes leurs demandes et les en débouter,

A titre subsidiaire, pour le cas ou la cour d’appel de céans ne ferait pas droit à la demande d’infirmation du jugement en ce qu’il a fait droit à l’action dirigée contre la Société Attijariwafa Bank alors,

— Infirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a fixé à la somme de 126 067,12 € (soit la contre-valeur de 1 414 962,44 dirhams) le montant de la condamnation,

et, statuant a nouveau,

— Dire et Juger que le compte de dépôt de feu T K D était seulement créditeur de la somme de 259 190,39 dirhams, représentant la contre-valeur de 23 400 euros,

— Dire et Juger que le compte titres de feu T K D était créditeur non pas de la somme de 1 155 772,05 dirhams (solde arrêté au 10 avril 2011) mais de celle de 1 133 640,71 dirhams (69 298,45 dirhams représentant des dividendes crédités le 31 mai 2011 + 1 065 308,79 dirhams représentant le prix de vente d’actions créditées le 24 juin 2011) représentant la contre-valeur de 102 462 euros,

— Donner acte à la société Attijariwafa Bank de ce qu’elle a payé à monsieur S K D, père du défunt ' qui en se prévalant de l’acte d’hérédité adoulaire du 3 décembre 2010 s’est présenté à elle en qualité de seul héritier à l’exclusion de toute autre personne – cette somme de 1 133 640,71 dirhams, représentant la contre-valeur de 102 462 euros,

dans tous les cas,

— Confirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a débouté Mademoiselle A Y, Monsieur N K D et Mademoiselle E Z de leurs demandes tendant à obtenir sa condamnation à leur payer, d’une part, la somme de 800 000 dirhams (sic) représentant le montant d’un chèque impayé et, d’autre part, la somme, à chacun d’eux, de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice moral allégué,

— Dire et juger Mademoiselle A Y, Monsieur N K D et Mademoiselle E Z mal fondées en toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires et les en débouter,

— Confirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a déclaré la Société Attijariwafa Bank recevable et bien fondée dans son action récursoire dirigée contre Monsieur S K D,

— Infirmer ce même jugement frappé d’appel en ce qu’il a limité la condamnation de Monsieur S K D au paiement de la seule somme de 101 006,20 €,

et, statuant a nouveau,

— Condamner Monsieur S K D à relever et garantir la Société Attijariwafa Bank de toute éventuelle condamnation en principal, intérêts, frais et accessoires susceptible d’être mis à sa charge,

— Dire et Juger Monsieur S K D mal fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions contraires et l’en débouter,

en toute hypothèse,

— Condamner in solidum Mademoiselle A Y, Monsieur N K D et Mademoiselle E Z ainsi que Monsieur S K D à payer à la société Attijariwafa Bank la somme de 9 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— Condamner in solidum mademoiselle A Y, Monsieur N K D et Mademoiselle E Z ainsi que Monsieur S K D aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maître Olivier Bernabe, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions la société Attijariwafa Bank fait valoir que :

— elle ne conteste pas la compétence du juge français mais demande l’application du droit marocain étant donné que M. T K D était de nationalité franco-marocaine et que le compte bancaire était ouvert dans les livres de la banque marocaine Attijariwafa bank à Casablanca au Maroc, la dévolution successorale du défunt étant régie par la loi marocaine, notamment dans les articles 347, 349, 353 et 354 du Code marocain de la famille,

— M. S K D, père du défunt, s’est présenté auprès d’elle en qualité de seul héritier sur le fondement d’un acte d’hérédité établi le 3 décembre 2010 par deux témoins adoulaires, notaires spécialisés en statut personnel, accompagné d’un extrait d’acte de décès délivré par le consulat du Maroc à Orly le 2 novembre 2010, acte d’hérédité adoulaire parfaitement valable, comme l’atteste le certificat de coutume établi par Maître Mohamed Kadiri, avocat près la Cour de cassation sur la base duquel elle lui a versé les fonds déposés sur les comptes du défunt,

— les enfants du défunt n’ont engagé que le 27 mars 2013, soit postérieurement à la date de délivrance de l’assignation devant le tribunal de grande instance de Melun qui remonte au 6 mars 2012, une procédure judiciaire au Maroc contre M. S K D aux fins d’obtenir l’exequatur de l’acte de notoriété de Maître X, notaire, et par jugement en date du 11 juin 2013, le tribunal de première instance de Temara au Maroc a validé cet acte d’hérédité adoulaire du 3 décembre 2010 et les a déboutés de leurs demandes,

— elle n’a pas commis de faute en se libérant des fonds entre les mains de M S K D, père du défunt, au vu d’un acte d’hérédité adoulaire parfaitement valable qui le désigne comme seul héritier à l’exclusion de toute autre personne,

— les enfants du défunt ne se sont manifestés pour la première fois auprès d’elle pour faire valoir leur qualité d’héritiers que le 28 septembre 2011, soit plus d’un an après le décès qui date du 25 septembre

2010 et elle n’est en rien responsable de leur inaction,

— c’est à tort que les enfants ont dirigé leur action contre la banque alors que celle-ci aurait dû l’être contre M. S K D,

— à titre subsidiaire, concernant le compte titres du défunt, sa valeur finale n’est pas de 1 155 772,05 dirhams, solde au 10 avril 2011, mais de 1 133 640,71 dirhams qui a été versé à M. S K D et si la cour l’estime nécessaire, elle pourra ordonner une expertise judiciaire aux fins de déterminer le montant exact des avoirs détenus par le défunt sur son compte de dépôt et son compte titres ouverts dans les livres de la banque,

— la somme de 800 000 dirhams provenant du chèque tiré par Mme I J au bénéfice de M. T K D remis à l’encaissement sur son compte bancaire, est revenu impayé et le chèque a été restitué à M. S K D, en main propre, contre décharge de sorte que l’appel incident formé par les consorts Y, K D et Z demandant le montant de 800 000 dirhams correspondant au montant de ce chèque ne saurait prospérer sauf à les faire bénéficier d’un enrichissement sans cause,

— la banque ne peut être tenue pour responsable de l’attitude du grand-père à l’égard de ses petits enfants lesquels ne démontrent pas avoir subi un quelconque préjudice moral susceptible d’être imputé à la banque,

— si M. S K D ne se voit pas reconnaître la qualité de seul héritier du défunt alors, dans cette hypothèse, il devra restituer aux héritiers reconnus les fonds qu’il a indûment reçus et il sera tenu de relever et garantir la banque de toute éventuelle condamnation mise à sa charge au delà de la seule somme de 101 006,20 euros.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 18 mai 2015, Mme A Y, M. N K D et E Z représentée par sa mère AC AD AH Z demandent à la cour de :

— Confirmer le jugement du 8 avril 2014 sauf relativement au montant du chèque impayé non restitué et aux dommages et intérêts

et, statuant a nouveau,

— Condamner la société Attijariwafa bank à leur restituer la somme de 800.000 dirhams représentant le montant du chèque impayé restitué à M. S K D,

— La condamner à leur verser chacun la somme de 30.000 € au titre de la réparation de leur préjudice moral, soit pour 90.000 € pour les trois ,

— La condamner à leur verser la somme de 9.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,

— La condamner aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître L M, au sens de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que :

— conformément à l’article 14 du code civil, les juridictions française sont compétentes et la banque a déclaré ne pas contester cette compétence,

— en application de l’article 3 du même code, la loi applicable à la dévolution successorale mobilière

est celle du dernier domicile du défunt, à savoir la loi française, sans que la banque ne démontre que la loi marocaine serait applicable aux avoirs détenus par leur père sur ses comptes bancaires au Maroc,

— en application de l’article 1937 du code civil et l’alinéa 1er de l’article 724 du code civil, la banque engage sa responsabilité en cas de remise des fonds à toute autre personne que le client, sans l’autorisation exprès de ce dernier et comme rappelé par les premiers juges, les héritiers se sont manifestés pour la première fois dès le 16 décembre 2010 et le 28 janvier 2011 en transmettant à la banque l’acte de notoriété du 14 décembre 2010,

— la banque était valablement informée de l’existence des héritiers et donc de celle d’un litige successoral un an avant la remise des fonds à M. S K D intervenue le 4 novembre 2011, et sa direction juridique a reçu le 25 septembre 2011, soit deux mois avant le transfert des avoirs sur le compte de M. S K D, un courrier d’avocat lui transmettant les livrets de famille et leurs actes de naissance,

— en présence de deux actes de notoriété, la banque ne pouvait pas ignorer l’existence d’un litige successoral devant la conduire à geler les fonds et à ne privilégier aucun des prétendants, or elle a tranché elle-même ce litige en faveur de M. S K D et tente de se prévaloir de l’application de la loi marocaine à la succession alors que, quand bien même cette loi serait applicable, il ne lui appartient pas d’en juger,

— la banque ne démontre pas avoir satisfait à son obligation de vigilance en procédant aux vérifications nécessaires commandées par la présence d’une multitude d’éléments d’extranéité dans le dossier et devait apprécier l’acte de notoriété marocain qui lui était présenté au regard de l’acte de notoriété établi en France, en sa possession, du lieu de résidence habituelle et de décès du défunt situés en France, de l’absence dans ses livres de toute adresse au Maroc de son client, outre sa nationalité ainsi que la résidence habituelle en France tant du père que des enfants du défunt,

— conformément à l’alinéa 2 de l’article 3 du code civil et à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la succession mobilière est soumise à la loi du dernier domicile du défunt de sorte que les actifs appartenant au défunt, détenus par elle, sont par nature des biens mobiliers et sont, par conséquent, compris dans l’actif successoral régi par la loi française par application de la règle de conflit,

— le défunt n’ayant pas effectué de libéralités sur les biens lui appartenant, les héritiers sont désignés selon les dispositions de l’article 734 du code civil, à savoir ses trois enfants A V Y, N AI K D, E Q Z lesquels ont droit à la succession de la totalité des biens appartenant au défunt à parts égales,

— en vertu de l’article 6 du Règlement (UE) du 17 juin 2008, le contrat de consommation est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle si le professionnel dirige son activité par tout moyen vers ce pays, or le défunt, était titulaire d’un compte courant et d’un compte titres alimenté depuis la France, pays de résidence et de nationalité du défunt, auprès de la banque Attijariwafa bank qui a un important réseau européen d’agences bancaires et gère les comptes de milliers de marocains ou bi-nationaux résidant en Europe, de sorte que loi française est applicable à la convention de comptes,

— la banque n’ignorait ni l’existence des enfants du défunt, ni celle d’un litige successoral et a délibérément exclu les enfants de la succession par application de la loi marocaine qui en matière successorale, impose une discrimination préjudiciable à l’enfant né en dehors du mariage qui ne peut succéder à son père ni accéder à un statut familial protecteur,

— la banque ne pouvait ignorer le caractère suspect de l’acte d’hérédité adoulaire établi à Meknès, à

peine deux mois après le décès de son client qui résidait depuis 40 ans, tout comme son père, en région parisienne où il est décédé, le père et le fils étant inconnus au Maroc et personne ne pouvant affirmer avec certitude connaître parfaitement le défunt pour certifier qu’il n’a laissé ni testament, ni héritiers autre que son père, l’acte présentant en outre des irrégularités pour ne pas mentionner l’état civil du défunt mais uniquement la date et le lieu de son décès, ni sa nationalité, ni le lieu de sa résidence ni l’état civil de son père et prétendu héritier ce qui ne permettait de s’assurer si la mère du défunt était également vivante et successible, ni la qualité ni le degré de parenté de M. S K D avec le défunt,

— au jour du décès du client, le compte courant présentait un solde créditeur de 259 190,39 dirhams (au 31 octobre 2010) et le compte « titres » était valorisé de 1 155 772,05 dirhams au 10 avril 2011, liquidé le 4 novembre 2011, à hauteur de la somme de 1 133 600,71 dirhams remise à M. S K D,

— le chèque de 800 000 dirhams, environ 80 000 euros, déposé par M. S K D sur le compte du défunt dès le 5 octobre 2010 représentait une garantie de paiement d’un prêt consenti par le défunt à sa belle soeur, I J et dès le décès de celui-ci, M. S K D a subtilisé ledit chèque au même titre que les documents d’identité marocaine de son fils,

— la banque est tenue à la restitution de cette somme aux véritables héritiers dès lors qu’en rendant le chèque impayé pour un motif fallacieux d’opposition elle a privé les héritiers de tout recours en recouvrement de cette somme contre l’émettrice du chèque qui n’est autre que la belle fille de M. S K D,

— ils ont subi chacun un préjudice moral à hauteur de 30 000 euros,

— la responsabilité de la banque est distincte de celle de M. S K D étant donné que si le grand-père a commis un recel de succession, cela n’exonère pas la banque de ses obligations de vigilance et de diligences dès lors qu’elle était valablement informée de l’existence des descendants de son client et que tous les éléments du dossier laissaient apparaître un litige successoral.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 5 juin 2015, M. S K D demande à la cour de :

— Infirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a fait droit à l’action récursoire dirigée par la société Attijariwafa bank contre lui,

— Constater que l’ouverture au Maroc de la succession du défunt T K D a été réglée sous l’empire de la loi marocaine,

— Constater que la société Attijariwafa Bank admet s’être valablement libérée des fonds par elle détenus, entre les mains de M. S K D, postérieurement à sa saisine par les enfants naturels de feu T K D,

et, statuant a nouveau,

— Dire et Juger qu’il sera mis hors de cause.

— Dire et Juger la société Attijariwafa Bank mal fondée en toutes ses demandes et l’en débouter,

— Condamner la société Attijariwafa Bank à lui payer la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— Condamner la société Attijariwafa Bank aux entiers dépens de la présente instance dont distraction

au profit de Maître M’hammed Zahiri, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions Monsieur W K D fait valoir que :

— la banque disposait de tous les éléments lui permettant de débloquer les fonds composant la succession litigieuse entre les mains du successeur légitime quel qu’il soit et c’est en sa qualité de professionnelle qu’elle a clairement pris position,

— il est mensonger et opportuniste de prétendre qu’il se serait manifestement présenté abusivement auprès de la société Attijariwafa Bank, comme étant le seul héritier alors que le défunt avait des descendants en la personne des trois demandeurs,

— l’action récursoire engagée par la banque ne saurait occulter la volonté de celle-ci de faire application de la règle marocaine du droit des successions qu’elle continue paradoxalement à invoquer, tout en suggérant sans conviction aucune, qu’elle aurait été trompée par le concluant,

— le juge marocain du tribunal de première instance de Temara au Maroc a rejeté la demande des enfants du défunt M. T K D qui avaient sollicité l’exequatur de l’acte de notoriété, par un jugement en date du 11 juin 2013,

— la banque ne saurait lui imputer d’une manière ou d’une autre, une quelconque responsabilité, dans le choix qu’elle a, elle-même fait, d’appliquer immédiatement la loi marocaine, dont elle relève également en tant qu’institution bancaire.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 février 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Comme retenu par les premiers juges, la dévolution successorale mobilière est régie par la loi du dernier domicile du défunt en application de l’article 3 du code civil de sorte que la loi applicable aux avoirs déposés par M. T K D auprès de la banque marocaine Attijariwafa bank est la loi française sans que, ni la banque ni M. S K D, ne justifient en cause d’appel, comme en première instance, d’une application par le juge français de la loi marocaine à ces actifs alors même que M. AA K D est décédé en France, à Seine-Port, où il avait son domicile depuis de nombreuses années et qu’il avait acquis la nationalité française.

A ce titre, le fait qu’il soit également de nationalité marocaine et que les comptes aient été ouverts et tenus par une banque de droit marocain dans son agence de Meknès au Maroc n’établit pas que la loi marocaine serait applicable aux actifs successoraux détenus par celle-ci pour le compte du défunt.

Par ailleurs, la société Attijariwafa Bank n’apporte aucune critique au jugement entrepris en ce qu’il retient que la loi applicable aux relations contractuelles entre cet établissement bancaire et M. T K D est également la loi française, en application de l’article 6 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, s’agissant de conventions de compte conclues entre un consommateur dont la résidence habituelle est en France et un professionnel dirigeant ses activités vers cet Etat membre, même si le contrat comporte des éléments d’extranéité relatifs à un Etat non membre, le Règlement ayant un caractère universel en ce qu’il permet l’application d’une loi qui ne serait pas celle d’un Etat membre.

Dès lors que la loi successorale française est applicable, force est de constater que l’article 734 du code civil désigne comme héritiers, en l’absence de conjoint successible, les enfants du défunt à l’exclusion d’autres parents et qu’en application de l’article 724 du même code, les héritiers désignés

par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt.

Or, il est établi que par télécopie reçue le 16 décembre 2010, M. N K D a adressé à la société Attijariwafa Bank une copie de l’acte de notoriété dressé le 14 décembre 2010 par Maître X, notaire associé à Melun, le désignant avec Mme A Y et E Z, en l’absence de conjoint survivant et de testament, comme seuls héritiers pour 1/3 chacun de M. T K D ou C D pour être ses enfants reconnus chacun à leur naissance par leur père.

De plus, par télécopie du 28 janvier 2011, M. N K D a expressément demandé à la banque «'le blocage de la procédure de succession'» jusqu’à sa venue au Maroc dans son agence de Meknès Hassan II et par deux courriers du 28 septembre 2011 et du 1er octobre 2011, le conseil des enfants de M. T K D lui a demandé de maintenir les avoirs du défunt tels qu’il apparaissaient à la date du décès au profit de ces héritiers.

Si le père du défunt M. S K D s’est prévalu auprès de la banque de la qualité de seul héritier de M. T K D et en a justifié auprès d’elle par la production d’un acte d’hérédité adoulaire établi le 3 décembre 2010, homologué par un juge notaire de Meknès, la société Attijariwafa Bank avait donc parfaitement connaissance de la revendication de la qualité d’héritiers des enfants du défunt, dès le 16 décembre 2010, et en tout état de cause antérieurement à la libération des fonds au profit de M. S K D opérée pour un montant de 1 133 640,71 dirhams le 4 novembre 2011.

En outre, la société Attijariwafa Bank ne peut se prévaloir de la décision rendue le 11 juin 2013 par le tribunal de première instance de Temara, saisi par Mme A Y, M. N K D et E Z d’une demande d’exequatur de l’acte de notoriété établi par Maître X le 14 décembre 2010, laquelle a été rejetée aux motifs que cet acte était contraire à l’ordre public marocain pour reconnaître une filiation illégitime vis à vis du père marocain musulman, l’article 148 du code de la famille marocain disposant que la filiation illégitime, c’est à dire établie en dehors du mariage, ne produit aucun des effets de la filiation parentale légitime vis à vis du père.

En effet, outre que cette décision ne porte que sur un refus d’exéquatur d’un acte de notoriété, sans se prononcer sur la loi applicable à la succession de M. T K D, ressortissant français et marocain, décédé en France, elle est intervenue plus d’un an après que la banque se soit libérée des fonds du défunt entre les mains de M. S K D.

Dès lors, en remettant les avoirs bancaires du défunt au père de celui-ci, lequel n’est pas un héritier au regard de la loi française applicable à la dévolution successorale mobilière de M. T K D et ne pouvait donc venir aux droits du titulaire des comptes ouverts dans ses livres, alors même qu’elle avait connaissance d’un litige successoral, les prétendants à la succession lui ayant présenté des actes de notoriété et d’hérédité contradictoires et ce, sans qu’une décision de justice marocaine ou française n’ait définitivement tranché sur la loi applicable à cette succession, la société Attijariwafa Bank a engagé sa responsabilité civile en sa qualité de dépositaire des fonds.

C’est donc à bon droit que les premiers juges l’ont condamnée à verser à Mme A Y, M. N K D et E Z le montant des avoirs du défunt tels qu’ils figurent sur son compte de dépôt et sur son compte titres au jour le plus proche du décès, soit au 31 mars 2011 et le 10 avril 2011, pour des montants de 259 190,39 dirhams et 1 155 772,05 dirhams, convertis en euros au taux de change le plus proche du prononcé de la décision de condamnation, soit un montant total de 126 076,12 euros.

Le jugement entrepris est donc confirmé de ce chef.

Il est également confirmé en ce qu’il rejette la demande de paiement de la somme de 800 000 dirhams formée par Mme A Y, M. N K D et E Z à l’encontre de la

banque, cette somme portée au crédit puis au débit du compte du défunt en raison du dépôt d’un chèque revenu impayé suite à une opposition du tireur, la société Attijariwafa Bank n’ayant pas été dépositaire de ces fonds.

En effet, dès lors que la remise d’un chèque n’opère pas paiement en l’absence de transfert de la provision correspondante et la banque ne peut donc être tenue de les restituer aux héritiers.

Il n’est pas plus démontré par ces derniers, comme retenu par les premiers juges, que la banque leur a fait perdre une chance de recouvrer ces fonds en restituant à tort le chèque litigieux à M. S K D s’agissant d’un chèque qui aurait été établi au profit du défunt par sa belle-soeur en garantie d’un prêt que celui-ci lui aurait consenti, aucun élément n’étant au demeurant produit sur ce point.

Enfin, Mme A Y, M. N K D et E Z ne justifient pas plus en cause d’appel qu’en première instance d’un préjudice moral découlant directement la faute imputée à la banque tenant à la non restitution des avoirs bancaires du défunt.

A ce titre, ils ne démontrent pas qu’elle aurait agi avec mépris et arrogance à leur encontre, attitude venant s’ajouter à la souffrance liée au décès de leur père, la société Attijariwafa Bank s’étant bornée à appliquer, certes à tort, la loi successorale marocaine qui ne reconnait aucun droit de succéder à leur père aux enfants nés hors mariage.

Par ailleurs, la société Attijariwafa Bank, professionnelle qui a reconnu la qualité d’héritier à M. AB K D au vu d’un acte d’hérédité adoulaire, par application erronée de la loi successorale marocaine aux avoirs bancaires de son client décédé, ne rapporte la preuve d’une faute imputable à M. AB K D de nature à l’exonérer de sa propre responsabilité civile en sa qualité de dépositaire des fonds du défunt justifiant qu’il soit condamné à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre à ce titre.

En revanche, M. S K D, qui ne justifie pas de sa qualité de successible au regard de la loi française applicable à la dévolution successorale mobilière de son fils, a néanmoins indument perçu de la banque la somme de 101 006,20 euros virée à son profit le 4 novembre 2011 de sorte que les premiers juges l’ont à bon droit condamné à rembourser à la société Attijariwafa Bank cette somme correspondant à la contre valeur de la somme de 1 133 640,71 dirhams après application du taux de change le plus proche de la décision rendue.

Le jugement entrepris est donc également confirmé de ce chef ainsi qu’en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

La société Attijariwafa Bank, qui succombe en appel, supportera les dépens d’appel et ses frais irrépétibles.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il est inéquitable de laisser à la charge de Mme A Y, M. N K D et E Z les frais non compris dans les dépens exposés en appel et il convient de condamner la société Attijariwafa Bank à leur payer la somme de 4 500 euros à ce titre.

Les mêmes considérations tirées de l’équité conduisent à rejeter la demande formée à ce titre par M. S K D.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Attijariwafa Bank aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Attijariwafa Bank à payer à Mme A Y, M. N K D et E Z la somme de 4 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de M. S K D fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 12 juin 2019, n° 17/11167