Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 9, 23 novembre 2023, n° 22/18352

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 ch. 9, 23 nov. 2023, n° 22/18352
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 22/18352
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 17 octobre 2022, N° 2019065570
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 28 novembre 2023
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Texte intégral

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/18352 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGTRG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 octobre 2022 -Tribunal de commerce de Paris – RG n° 2019065570

APPELANT

Monsieur [L] [P]

Né le [Date naissance 4] 1960 à [Localité 8] ( ALGERIE)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Benoît HENRY de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

Assisté de Me Alexandre DE PLATER de la SELASU PDPAVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E395,

INTIMÉS

S.E.L.A.R.L. ASTEREN, prise en la personne de Maître [R] [F], en remplacement de la SELAFA MJA en la personne de Maître [R] [F], en qualité de liquidateur judiciaire de la société UNION EUROPEENNE DE L’OR,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de DIJON sous le numéro 808 344 071,

Dont le siège social est situé [Adresse 1]

[Localité 3]

Assistée de Me Valerie DUTREUILH, avocat au barreau de PARIS, toque : C0479,

Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 5]

[Localité 7]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 septembre 2023, en audience publique, devant la cour, composée de :

Madame Sophie MOLLAT, présidente de chambre,

Madame Isabelle ROHART, conseillère,

Madame Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL.

MINISTERE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame Anne-France SARZIER, substitute générale, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

— Contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Sophie MOLLAT, et par Madame Saoussen HAKIRI, greffière, présent lors de la mise à disposition.

**************

La société Union européenne de l’or a été créée en septembre 2011, avec pour activité la bijouterie, l’achat et la vente de métaux précieux.

Elle avait pour associé unique et dirigeant depuis 2013 la société de droit suisse Fermet GmbH, elle-même représentée par M. [L] [P].

Par jugement du 6 juillet 2017, sur déclaration de cessation des paiements, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société Union européenne de l’or.

La SELAFA MJA a été nommée en qualité de liquidateur judiciaire et la date de cessation des paiements a été fixée au 6 janvier 2016 par le tribunal, soit 18 mois avant la liquidation de la société.

Par jugement du 18 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris a prononcé une interdiction de gérer d’une durée de 7 ans à l’encontre de M. [L] [P], en sa qualité de dirigeant de la société Union européenne de l’or. Le tribunal a retenu une tardiveté dans la déclaration de cessation des paiements ayant engendré une augmentation de l’insuffisance d’actif.

Par acte du 21 novembre 2019, la SELAFA MJA, ès qualités, a assigné la société de droit suisse Fermet GmbH et M. [L] [P], en leurs qualités respectives de président et de représentant permanent de la personne morale dirigeante de la société Union européenne de l’or, afin qu’ils comparaissent et soient entendus sur l’application à leur encontre de l’article L. 651-2 du code de commerce.

Par jugement du 18 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

Jugé que la société de droit suisse Fermet GmbH et M. [L] [P] ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société,

Condamné solidairement la société de droit suisse Fermet GmbH et M. [P] à payer à la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [R] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, la somme de 38 782 euros, la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la somme de 119,11 euros TTC au titre des dépens de l’instance liquidés,

Ordonné l’exécution provisoire du jugement.

Le 26 octobre 2022, M. [L] [P] a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 26 juin 2023, le Président du tribunal de commerce de Paris a ordonné la désignation de la SELARL Asteren, prise en la personne de Me [R] [F], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, remplaçant la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [F], à effet du 1er juillet 2023.

*****

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 27 septembre 2023, M. [L] [P] demande à la cour de :

Le recevoir en son appel interjeté à l’encontre du jugement rendu le 18 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Paris,

Débouter la SELARL ASTEREN en la personne de Me Charles-Axel Chuine, désignée par ordonnance en date du 26 juin 2023 en remplacement de la SELAFA MJA en la personne de Me [R] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, de son appel incident,

En conséquence :

Infirmer le jugement entrepris rendu le 18 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

À titre principal,

Débouter la SELARL ASTEREN en la personne de Me Charles-Axel Chuine, désignée par ordonnance en date du 26 juin 2023 en remplacement de la SELAFA MJA en la personne de Me [R] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, de l’intégralité de ses prétentions liées à la condamnation de M. [L] [P] au comblement de l’insuffisance d’actifs de cette dernière en l’absence de faute de gestion pouvant lui être imputée comme dirigeant ayant contribué à une telle insuffisance d’actifs ;

À titre subsidiaire,

Débouter la SELARL ASTEREN en la personne de Me Charles-Axel Chuine, désignée par ordonnance en date du 26 juin 2023 en remplacement de la SELAFA MJA en la personne de Me [R] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, de l’intégralité de ses prétentions liées à la condamnation de M. [L] [P] au comblement de l’insuffisance d’actifs de cette dernière en considération de son comportement et de sa situation personnelle ;

En tout état de cause,

Condamner la SELARL ASTEREN en la personne de Me [R] [F], désignée par ordonnance en date du 26 juin 2023 en remplacement de la SELAFA MJA en la personne de Me [R] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, à verser à M. [L] [P] la somme de 8 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la SELARL ASTEREN en la personne de Me Charles-Axel Chuine, désignée par ordonnance en date du 26 juin 2023 en remplacement de la SELAFA MJA en la personne de Me [R] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, aux entiers dépens de la présente instance jusqu’en cause d’appel.

*****

Dans ses conclusions d’intervenante volontaire valant constitution, notifiées par voie électronique le 29 août 2023, la SELARL Asteren, prise en la personne de Me [R] [F], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, demande à la cour de :

Recevoir la SELARL Asteren, prise en la personne de Me [J] [S], désignée en remplacement de la SELAFA MJA, en la personne de Me [J] [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, en son intervention volontaire,

Prononcer la mise hors de cause de la SELAFA MJA,

Et la disant bien fondée,

Débouter M. [L] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Confirmer le jugement querellé, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de condamnation au titre de l’inobservation des obligations fiscales et sociales et au titre de la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements,

Infirmer le jugement querellé en ce qu’il a rejeté les demandes de condamnation au titre de l’inobservation des obligations fiscales et sociales et au titre de la tardiveté de la déclaration des cessations des paiements,

En conséquence,

Condamner M. [L] [P], en sa qualité de dirigeant de la société Union européenne de l’or, à tout ou partie des dettes de la personne morale, dans la limite du montant de l’insuffisance d’actif, en raison des fautes de gestion commises au titre de l’inobservation des obligations fiscales et sociales et au titre de la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements,

Y ajoutant,

Condamner M. [L] [P] à payer à la Selarl Asteren, ès qualités, la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [L] [P] aux dépens d’instance.

*****

Dans son avis notifié par voie électronique le 18 janvier 2023, le ministère public demande à la cour d’infirmer la décision du 18 octobre 2022 rendue par le tribunal de commerce de Paris, de retenir les trois fautes de gestion à l’encontre de M. [P] et de le condamner en conséquence à contribuer à l’insuffisance d’actif de la société Union européenne de l’or à hauteur de 100 000 euros.

*****

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d’intervention volontaire

La SELARL Asteren, en la personne de Me [F], fait valoir qu’elle a été désignée par le président du tribunal de commerce de Paris le 26 juin 2023 en remplacement de la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or. Elle sollicite dès lors la mise hors de cause de la SELAFA MJA.

La cour, constatant cette intervention volontaire en lieu et place de la SELAFA MJA, en qualité d’intimée, aux fins de reprendre l’ensemble de ses moyens et prétentions en vertu des articles 325 et suivants du code de procédure civile, mettra en conséquence hors de cause la SELAFA MJA.

Sur la qualité de dirigeant

La SELARL Asteren, prise en la personne de Me [R] [F], ès qualités, fait valoir que la faute de gestion peut être caractérisée indifféremment à l’encontre du dirigeant personne morale comme de son représentant permanent, le représentant permanent du dirigeant personne morale étant alors tenu solidairement avec ce dernier de l’éventuelle condamnation au paiement de l’insuffisance d’actif. Elle énonce que M. [L] [P] est le dirigeant personne physique de la société de droit suisse Fermet GmbH, dont il est le représentant permanent auprès de la société Union européenne de l’or.

M. [P] fait toutefois valoir que la société Fermet GmbH a été radiée le 7 novembre 2019.

Le ministère public, par avis du 18 janvier 2023, indique que la société de droit suisse Fermet GmbH et M. [P] étant tous deux dirigeants de la société liquidée, leur responsabilité solidaire a été recherchée. Toutefois, il souligne que la société Fermet GmbH a fait l’objet d’une dissolution-liquidation le 4 juillet 2019, suivie d’une radiation le 7 novembre 2019.

Sur ce,

Il résulte de l’article L. 651-1 du code de commerce que les dispositions relatives à la responsabilité pour insuffisance d’actif sont applicables aux dirigeants d’une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective, ainsi qu’aux personnes physiques représentants permanents de ces dirigeants personnes morales.

En l’espèce, M. [L] [P] était le dirigeant personne physique de la société de droit suisse Fermet GmbH, dont il était le représentant permanent auprès de la société Union européenne de l’or.

La faute de gestion pouvant être caractérisée indifféremment à l’encontre du dirigeant personne morale comme de son représentant permanent, il y lieu de considérer que les dispositions de l’article L. 651-1 du code de commerce sont applicables à M. [L] [P], peu important que la société Fermet GmbH qu’il représentait ait été radiée le 7 novembre 2019.

Sur la responsabilité de M. [P] pour insuffisance d’actif

L’article L. 651-2, alinéas 1 et 2, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 9 décembre 2010, dispose :

« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté.»

Sont également applicables, immédiatement, les dispositions ajoutées par la loi du 9 décembre 2016 au premier alinéa précité, qui énoncent : « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée ».

Il s’ensuit que la condamnation de M. [P] suppose l’existence d’une insuffisance d’actif, la commission de fautes de gestion ne relevant pas d’une simple négligence et la contribution de ces fautes à l’insuffisance d’actif.

Sur l’existence d’une insuffisance d’actif

La SELARL Asteren, prise en la personne de Me [R] [F], ès qualités, indique que le montant du passif déclaré dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire s’élève à 833 687 euros, comprenant des créances déclarées à titre provisionnel par l’administration fiscale, d’un montant de 340 745 euros, qui ont ensuite été intégralement abandonnées, de sorte que le passif définitivement admis s’élève à 258 552 euros, correspondant au passif privilégié. S’agissant du montant des actifs réalisés par le liquidateur judiciaire, elle expose qu’il s’élève à 24 327 euros et conclut que l’insuffisance d’actif s’élève à ce jour à 441 064 euros.

M. [L] [P] expose que le liquidateur fait état d’un montant erroné d’insuffisance d’actif, plusieurs erreurs affectant l’établissement de l’actif et du passif de la société Union européenne de l’or par la SELAFA MJA. En premier lieu, il fait valoir que les dettes fiscales n’auraient pas dû être retenues, le juge-commissaire ayant réduit à zéro la créance de l’administration fiscale. Il ajoute que s’agissant des dettes fiscales correspondant à la proposition de rehaussement d’un montant de 156 215 euros, celles-ci sont forcloses, à défaut d’avoir pu être établies définitivement sur la base d’un titre exécutoire dans le délai fixé par le tribunal. En second lieu, M. [P] indique qu’il n’a pas été tenu compte par le liquidateur ou le tribunal de la somme de certaines sommes entrant pourtant dans l’actif de la société.

Sur ce,

Le montant du passif déclaré dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société Union européenne de l’or s’élève à 833 687 euros. Ce passif comprenait des créances déclarées à titre provisionnel par l’administration fiscale d’un montant de 340 745 euros qui ont ensuite été intégralement abandonnées.

Le passif définitivement admis s’élève à 258 552 euros, lequel correspond au passif privilégié.

Le montant des actifs réalisés par le liquidateur judiciaire s’élève à 24 327 euros dont :

—  3 780 euros au titre d’une cession des stocks ;

—  5 547 euros au titre du CICE ;

—  15 000 euros au titre du compte CARPA.

L’insuffisance d’actif s’élève donc à ce jour à 234 225 euros.

Sur les fautes

Sur l’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements

M. [L] [P] énonce qu’en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. Il fait valoir qu’en l’espèce, les difficultés de l’entreprise provenaient de la survenance de circonstances extérieures, imprévisibles et irrésistibles à savoir la baisse du cours de l’or, l’interdiction depuis 2014 des règlements en espèce ainsi que les effets d’un contrôle fiscal, à hauteur de 96 000 euros, qui a fait l’objet d’une contestation. Il indique que la date de déclaration de cessation des paiements a été fixée au regard de privilèges inscrits à l’époque mais se sont par la suite révélés injustifiés. Il ajoute qu’il a été victime d’une conjoncture défavorable et qu’il a tenté de prendre les mesures adaptées pour y faire face, notamment en réduisant son personnel et en fermant un point de vente. Il expose enfin que ces mesures n’ont pas eu l’effet escompté et que la cession des boutiques s’est avérée difficile en présence d’arriérés locatifs constitués à partir de l’exercice 2016 et des travaux de remise en état nécessaires.

La SELARL Asteren réplique que la date de cessation, fixée au 6 janvier 2016 par le tribunal, correspond aux premières inscriptions de privilèges, est désormais définitive et s’impose dans le cadre de la présente procédure. La déclaration de cessation des paiements n’ayant été régularisée que le 23 juin 2017, elle soutient qu’une telle tardiveté ne saurait être le résultat d’une simple négligence de la part du dirigeant de la société Union européenne de l’or. Enfin, elle fait valoir que l’état du passif actualisé mentionne des déclarations de créance de bailleurs pour près de 40 000 euros. Elle conclut que la poursuite de l’activité est à l’origine de la création d’un passif supplémentaire de 305 706 euros.

Par avis du 18 janvier 2023, le ministère public invite la cour à retenir le grief tiré de la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements. Il expose que le dirigeant ne pouvait ignorer l’état de cessation des paiements, compte tenu du nombre et de l’ancienneté des privilèges inscrits par les organismes sociaux, qu’il s’agissait donc d’une volonté délibérée de M. [P]. Il relève que ce retard a engendré, d’après le liquidateur, une aggravation de l’insuffisance d’actif durant la période suspecte de 305 706 euros comprenant notamment les créances des bailleurs.

Sur ce,

Il est constant que la date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal de commerce au 6 janvier 2016, soit 18 mois avant le jugement d’ouverture en date du 6 juillet 2017, ce jugement étant désormais définitif en l’absence d’appel formé à son encontre.

Il est observé que la date de cessation des paiements ainsi retenue correspond aux premières inscriptions de privilèges, l’état des privilèges et nantissement faisant mention de 16 inscriptions des organismes sociaux dont l’URSSAF et Malakoff médéric, lesquels ont déclaré leur créance au passif, respectivement à hauteur de 28 109 euros et de 21 706 euros.

Or, il n’est pas contesté que la déclaration de cessation des paiements n’a été régularisée que le 23 juin 2017.

Cette tardiveté d’environ 18 mois dont la gravité excède la simple négligence au regard des conséquences sur l’augmentation du passif en période suspecte, ne peut se justifier par la survenance de circonstances extérieures indépendantes de la volonté du dirigeant ou d’une conjoncture défavorable, ce dernier exposant lui-même avoir tenté une mesure de restructuration par la vente des fonds de commerce qui s’est avérée insuffisante et impossible du fait des arriérés locatifs constitués à compter de l’exercice 2016.

L’état du passif actualisé fait d’ailleurs mention des déclarations de créance de bailleurs, dont la société Azur pastourelle, pour la somme de 20 761 euros, et la SCI Drouot investissement, pour la somme de 15 023 euros.

Il s’en déduit que la poursuite de l’activité déficitaire est à l’origine de la création d’un passif supplémentaire d’un montant de 305 706 euros, alors que l’article L. 631-4 du code de commerce commande au débiteur de solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s’il n’a pas dans ce délai demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.

C’est donc à tort que le tribunal a considéré que la tardiveté de la déclaration de créance n’était pas constitutive d’une faute du dirigeant ayant contribué à l’insuffisance d’actif.

Sur le défaut de comptabilité régulière et le défaut de déclaration des taxes dues par la société

M. [P] fait valoir que la caractérisation de la faute de gestion implique que soit démontrée l’absence de comptabilité ou la tenue d’une comptabilité irrégulière ou suffisamment incomplète pour empêcher de suivre l’évolution financière de la société. Il indique que l’inspecteur des finances publiques a constaté que la société Union européenne de l’or présentait une comptabilité régulière en la forme. Il précise que chacun des quatre magasins disposait de son propre livre de police et de quatre facturiers permettant à l’administration fiscale de reconstituer les achats de marchandises, et ce malgré l’absence de lien direct entre la comptabilité et les pièces justificatives du fait de la méthode utilisée par son expert-comptable. Il conclut enfin que les omissions de comptabilité étaient en tout état de cause minoritaires.

S’agissant plus particulièrement du défaut de déclaration des taxes dues par la société, il expose qu’il a contesté depuis le début l’applicabilité de la TVA et de la taxe sur les métaux précieux à certaines de ses transactions. Il fait valoir qu’en tout état de cause, la requête à fin d’abandon de créance déposée au greffe le 29 septembre 2020 par le pôle de recouvrement fiscal parisien exclut que toute faute de gestion puisse être retenue s’agissant des créances fiscales alléguées.

La SELARL Asteren réplique qu’il ressort de la proposition de rectification fiscale en date du 31 mars 2017 que la comptabilité de la société Union européenne de l’or était affectée d’irrégularités intrinsèques et d’un manque de justifications suffisantes au regard de la nature et du montant des opérations réalisées. Elle ajoute que l’administration fiscale a fait état d’une comptabilité devant être considérée comme non probante, bien que régulière en la forme. Elle relève enfin une dissimulation ou un détournement des stocks, exposant que l’absence de stocks relevée à l’ouverture de la procédure collective en juillet 2017 est incohérente avec le chiffre d’affaires déclaré au 31 décembre 2016 et avec les achats de marchandises intervenus au cours de l’exercice 2016.

S’agissant plus particulièrement du défaut de déclaration des taxes dues par la société, la SELARL Asteren réplique que la procédure de vérification de la comptabilité a conduit à un redressement au titre de la TVA et de la taxe forfaitaire sur les métaux précieux, ce redressement résultant d’une absence de déclaration constitutive d’une faute de gestion des dirigeants de la société Union européenne de l’or, laquelle s’est traduite par une augmentation de son passif. Elle ajoute que la créance déclarée à titre définitif par le pôle de recouvrement, hors créances provisionnelles, lesquelles ont été abandonnées, s’élève à 165 168 euros.

Le ministère public considère que c’est à tort que le tribunal a considéré que la comptabilité irrégulière n’avait pas contribué à l’insuffisance d’actif, dès lors que c’est bien l’absence d’une comptabilité probante qui a engendré des redressements fiscaux et donc une aggravation du passif. Il sollicite par ailleurs la confirmation du jugement entrepris en qu’il a retenu l’existence d’une faute de gestion tirée du défaut de déclaration des taxes, au motif que les manquements relevés dans la comptabilité se sont traduits par un redressement fiscal, ayant nécessairement entraîné une augmentation de l’insuffisance d’actif.

Sur ce,

* S’agissant tout d’abord du défaut de comptabilité régulière, la société Union européenne de l’or a fait l’objet d’une vérification de sa comptabilité. Il ressort de la lecture de la proposition de rectification en date du 31 mars 2017 qu’il existe une rupture dans la numérotation des factures émises, que les enregistrements comptables ne renvoient pas aux bons justificatifs, que les livres de police ne permettent pas de suivre les transferts des matières précieuses d’une boutique à l’autre, que les achats d’or ne sont pas distingués malgré un traitement fiscal différent, que les achats auprès des particuliers et des professionnels ne sont pas distingués malgré un traitement fiscal différent, que les ventes d’or d’investissement n’ont pas été distinguées malgré un traitement fiscal différent, que les factures d’achat auprès de fournisseurs professionnels n’ont pas été présentées et, enfin, que toutes les ventes n’ont pas été enregistrées.

L’inspecteur des finances publiques a ainsi conclu que, en raison de ses irrégularités intrinsèques et du manque de justification suffisante au regard de la nature et du montant des opérations réalisées, la comptabilité ne donne pas une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Il ajoute que « bien que régulière en la forme, cette comptabilité doit être considérée comme non probante ».

Or, l’absence de tenue d’une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables constitue une faute au sens de l’article L. 653-5 6° du code de commerce.

Les carences ainsi mises en lumière dans la comptabilité de la société Union européenne de l’or, qui ne sauraient être qualifiées de mineures, traduisent un manque manifeste de compétence dans l’administration et la gestion de l’entreprise.

Il est en outre observé qu’à la suite de la proposition de rectification du 31 mars 2017, une réclamation a été présentée devant l’administration fiscale, laquelle a confirmé l’insuffisance de la comptabilité, par courrier du 29 janvier 2021.

Bien qu’une nouvelle réclamation ait été régularisée par lettre du 18 mars 2021, celle-ci a été rejetée par la DGFIP le 27 août 2021 comme étant tardive, et donc irrecevable.

Sur le fond, les éléments et explications apportés par la société Union européenne de l’or se sont ainsi avérés insuffisants pour justifier les achats et ventes de marchandises.

De même, il ressort des éléments produits dans le cadre de la vérification de sa comptabilité qu’il n’a été opéré aucune distinction entre les recettes alors qu’elles n’étaient pas toutes exonérées de TVA.

Il est en outre justement relevé par le liquidateur que, malgré un chiffre d’affaires déclaré de plus de 2,3 millions d’euros au 31 décembre 2016, la société Union européenne de l’or ne disposait d’aucun stock significatif à l’ouverture de la procédure collective, le 6 juillet 2017, alors que les achats de marchandises se sont élevés à 1 284 099 euros au cours de l’exercice 2016, les achats de matière première s’élevant sur la même période à 737 261 euros.

Il en résulte que les carences observées dans la tenue de la comptabilité se sont accompagnées d’une dissimulation ou d’un détournement des stocks.

Par conséquent, l’absence de comptabilité probante constitue une faute de gestion d’une particulière gravité et a ainsi contribué à l’insuffisance d’actif de la société Union européenne de l’or.

Aussi, en l’état de ces constatations et appréciations, c’est à tort que le tribunal a considéré que bien qu’aucun compte annuel n’ait été déposé au greffe depuis 2014 et que la comptabilité n’avait pas été intégralement remise aux organes de la procédure le tribunal, il n’était pas démontré que la carence de comptabilité ait contribué à l’insuffisance d’actif.

* S’agissant ensuite du défaut de déclaration des taxes dues par la société, il ressort des pièces versées aux débats que les manquements relevés dans la tenue de la comptabilité se sont traduits par un redressement fiscal au préjudice de la société et que l’importance de cette dette fiscale a conduit à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, compte tenu de l’impossibilité d’envisager un plan de continuation.

La procédure de vérification de la comptabilité a notamment entraîné un redressement au titre de la TVA de 16 026 euros et de la taxe forfaitaire sur les métaux précieux de 139 450 euros, ce redressement résultant de l’absence de déclaration. L’administration fiscale a confirmé le bien fondé des rappels de TVA et de taxe forfaitaire sur les métaux précieux par lettre du 29 janvier 2021.

Le dirigeant a ainsi commis une faute de gestion d’une particulière gravité au regard des taxes dont la société était redevable, qui s’est traduite par une augmentation de son passif dès lors que la créance déclarée à titre définitif par le pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 9], hors créances provisionnelles, qui ont été abandonnées, s’élève à un montant total de 165 168 euros compte tenu de la pénalité de 10%.

Par conséquent, c’est à juste titre que le tribunal a considéré que la faute de gestion au regard des obligations fiscales était constituée.

Sur la condamnation au paiement de tout ou partie de l’insuffisance d’actif

M. [P] sollicite à titre subsidiaire que sa situation personnelle soit prise en compte. Il fait ainsi état de l’exemplarité de son comportement et du principe de proportionnalité de la condamnation à sa situation personnelle, alors qu’il est aujourd’hui âgé de 62 ans et n’est propriétaire d’aucun bien en nom propre, et qu’il ne détient que 50% des parts d’une SCI possédant un studio vide de 11m2 à Paris, évalué à 150 000 euros.

La SELARL Asteren fait valoir que l’article L. 651-2 du code de commerce fait référence à une simple contribution de la faute de gestion à l’insuffisance d’actif. Elle ajoute qu’une faute à l’origine d’une partie seulement du passif peut justifier la condamnation du dirigeant à supporter l’intégralité de l’insuffisance d’actif.

Le ministère public formule des observations conformes à celles de l’intimée et invite la cour à prononcer à l’encontre de M. [P] une condamnation à l’insuffisance d’actif à hauteur de 100 000 euros, eu égard aux trois fautes de gestion commises.

Sur ce,

Il est observé qu’aucun avis d’imposition ou, le cas échéant, certificat de non-imposition à l’impôt sur le revenu permettant de justifier de manière exhaustive des revenus perçus n’est versé aux débats, de même qu’aucune pièce ne vient étayer l’état du patrimoine de l’appelant.

Par conséquent, en vertu du principe de la proportionnalité qui doit exister entre l’ insuffisance d’ actif , les fautes de gestion, leur importance et la capacité contributive du dirigeant d’une part, et au regard de la gravité de l’ensemble des fautes de gestion examinées supra d’autre part, il y a lieu de fixer à 100 000 euros la contribution de M. [P] à l’insuffisance d’actif.

Aussi, convient-il de confirmer le jugement sur le principe de la condamnation de M. [P], pour ces seuls motifs substitués à ceux des premiers juges en ce que la cour retient l’inobservation des obligations fiscales et sociales, la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements et la tenue d’une comptabilité irrégulière, et de l’infirmer sur le quantum de la condamnation.

Il est enfin précisé que la condamnation de la société de droit suisse Fermet GmbH – prononcée solidairement avec celle de M. [P] – à payer au liquidateur la somme de 38 782 euros est devenue définitive pour ne pas avoir été frappée d’appel.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement s’agissant des dépens et frais non compris dans les dépens.

M. [P], partie succombante, sera condamné aux dépens d’appel.

Il conviendra en outre de condamner M. [P] à payer la somme de 4 000 euros au liquidateur au titre des frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile, les demandes plus amples ou contraires fondées sur ce texte étant rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Met hors de cause la SELAFA MJA ;

Confirme le jugement, sauf s’agissant du quantum de la condamnation prononcée à l’encontre de M. [L] [P] ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne M. [L] [P] à payer à la SELARL Asteren, prise en la personne de Me [R] [F], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, la somme de 100 000 euros en application de l’article L. 651-2 du code de commerce ;

Condamne M. [L] [P] à payer à la SELARL Asteren, prise en la personne de Me [R] [F], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Union européenne de l’or, la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les autres demandes fondées sur l’article 700 du code précité ;

Condamne M. [L] [P] aux dépens d’appel.

Le Greffier La Présidente

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 9, 23 novembre 2023, n° 22/18352