Cour d'appel de Poitiers, 2ème chambre, 20 octobre 2020, n° 19/02259

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Poitiers, 2e ch., 20 oct. 2020, n° 19/02259
Juridiction : Cour d'appel de Poitiers
Numéro(s) : 19/02259
Décision précédente : Tribunal de commerce de Saintes, 15 mai 2019
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRET N°372

CA/KP

N° RG 19/02259 – N° Portalis DBV5-V-B7D-FZDX

Y

C/

NOIRAUD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

2e Chambre Civile

ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2020

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/02259 – N° Portalis DBV5-V-B7D-FZDX

Décision déférée à la Cour : jugement du 16 mai 2019 rendu(e) par le Tribunal de Commerce de SAINTES.

APPELANT :

Monsieur A Y

né le […] à […]

[…]

[…]

A y a n t p o u r a v o c a t p o s t u l a n t M e J é r ô m e C L E R C d e l a S E L A R L L E X A V O U E POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Luc-Pierre BARRIÈRE, avocat au barreau de LA ROCHELLE.

INTIME :

Monsieur C X

né le […] à SAINTES

[…]

[…]

Ayant pour avocat plaidant Me Anne-Laure LANGLOIS de la SELARL GAIRE – LANGLOIS, avocat au barreau de SAINTES

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président

Madame Sophie BRIEU, Conseiller

Madame Claude ANTONI, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

—  CONTRADICTOIRE

— Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

— Signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

OBJET DU LITIGE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par acte sous seing privé du 23 décembre 2014, M. A Y et M. C X ont constitué la société SAS TOP HOE, dont le siège social est à Pons, ayant pour objet social la conception, fabrication et commercialisation de machines et d’engins de chantier, ainsi que l’activité de bureau d’études et de conseil en entreprise.

M. Y détenait 49 % du capital et assumait les fonctions de Président, M. C X détenant pour sa part 51 % du capital.

Les pièces des machines étaient essentiellement fabriquées avec de l’acier polonais et assemblées en Pologne, où vivait M. X et où il dirigeait la société GASTROPOLAND -elle-même sous traitante de la SAS TOP HOE- les engins, une fois montés, étant ensuite expédiés en France.

Compte tenu de cet éclatement géographique, M. A Y devait prendre en charge le développement commercial ainsi que la gestion administrative courante de la société, tandis que M. C X était à la fois l’apporteur de fonds et investi sur le terrain en Pologne pour coordonner les opérations et faire le lien localement avec les partenaires.

Des difficultés sont survenues au bout de la première année d’exploitation et par lettre recommandée avec avis de réception du 13 janvier 2016, M. C X a saisi le président de la SAS TOP HOE aux fins de convocation d’une assemblée générale extraordinaire ayant pour ordre du jour de faire le point sur la gestion de la SAS et de se prononcer sur la révocation de M. A Y en qualité de Président ; il n’a pas été donné suite à cette demande.

Par jugement du 19 mai 2016, le tribunal de commerce de Saintes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la SAS TOP HOE .

Par ordonnance de référé du 28 novembre 2016, cette même juridiction désignait un expert ayant en

substance pour mission de faire le point sur la gestion ayant conduit cette société à la liquidation, sur les éventuelles violations des obligations légales et statutaires imputables au Président, et sur les actes de gestion de M. X.

Le rapport d’expertise a été déposé le 13 juin 2017 ; il en résulte que les relations entre les associés ont été normales jusqu’au 2 novembre 2015 et qu’après cette date, les différends (techniques, commerciaux, financiers, administratifs, relatifs au personnel,…) se sont installés et n’ont fait que s’amplifier; que le mandat de Président ne donne pas lieu à rémunération, Monsieur Y ne percevant un salaire qu’en qualité de directeur commercial et administratif ; que le bilan au 31 décembre 2015 affiche un résultat négatif de 169 628 Euros et des capitaux propres négatifs à hauteur de 159 628 Euros, pour un chiffre d’affaires de 272 904 KE ; qu’il n’y a pas de trésorerie ; qu’enfin, le bilan au 31 décembre 2015 ne traduit pas la valorisation des plans effectués par le bureau d’études.

Par acte du 3 avril 2018, Monsieur C X a fait assigner Monsieur A Y devant le tribunal de commerce de Saintes aux fins d’obtenir sa condamnation, à raison des fautes de gestion dans l’exercice de son mandat de président de la SAS TOP HOE, à lui payer la somme de 19.860 € de dommages et intérêts, outre 2000 € de remboursement de frais d’expertise.

Par jugement du 16 mai 2019, le tribunal de commerce de Saintes, a statué ainsi :

Condamne monsieur A Y à verser à monsieur C X la somme de 19.860 Euros à litre de dommages intérêts,

Condamne monsieur A Y à verser à monsieur C X la somme de 2000 Euros en remboursement des frais d’expertise avancés par lui,

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

Condamne monsieur A Y à payer à monsieur C X la somme de 1.500 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne monsieur A Y aux entiers frais et dépens de l’instance et frais de greffe, liquidés à la somme totale de 143.78 Euros dont 23.97 Euros de TVA, mais dit que ceux-ci seront avancés par monsieur C X.

Au soutien de cette décision, le tribunal a relevé en substance que M. Y, ne prouve pas la gestion de fait de la société par MonsieurNouraud, alors qu’il est établi que lui-même a commis des fautes dans la gestion et l’administration de l’entreprise en ce qu’il a omis, en violation des statuts, de convoquer l’assemblée générale extraordinaire réclamée par Monsieur X ; s’est abstenu, au prétexte d’un accord verbal entre associés, de payer les factures Gastropoland pour un montant global de 175'342,62 € en vue de financer le fonds de roulement de la SAS ; et a de surcroît omis de dresser des documents comptables prévisionnels et de gestion, sachant qu’avant la clôture du premier exercice il ne subsistait aucune trésorerie, le passif atteignant alors 263'054,78 €. Le tribunal a en conséquence alloué une indemnité du montant du compte courant d’associé de Monsieur Y (19'060 €).

Monsieur A Y a interjeté appel par acte du 1er juillet 2019.

Par conclusions d’appel numéro 2 notifiées le 31 juillet 2020, il demande à la cour de :

Déclarer Monsieur A Y bien fondé en son appel diligenté à l’encontre de la décision rendue par le tribunal de commerce de Saintes en date du 19 mai 2019.

Réformer la décision dont s’agit et statuant à nouveau

Dire et juger que Monsieur A Y n’a commis aucune faute de gestion, et débouter Monsieur C X de toute demande à ce titre.

Accueillir Monsieur A Y en sa demande reconventionnelle.

Condamner Monsieur C X au paiement de la somme de 5 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

Débouter Monsieur X de toutes demandes, fins et conclusions,

Condamner Monsieur X au paiement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens dont les frais d’expertise.

Par conclusions notifiées par RPVA le 31 juillet 2020, l’intimé demande à la Cour de :

CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de SAINTES en date du 16 mai 2019 ; DEBOUTER Monsieur A Y de l’intégralité de ses demandes reconventionnelles ; En conséquence,

CONDAMNER Monsieur A Y à lui payer la somme de 3.500,00 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Monsieur A Y aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 août 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il doit être souligné que M. X précise exercer son action en responsabilité à l’encontre de Monsieur Y à titre individuel à raison du préjudice subi personnellement et non pas dans le cadre de l’action sociale prévue par l’article L 225-252 du code de commerce.

Sur la violation des statuts

—  Le bénéfice d’un contrat de travail salarié en cumul des fonctions de Président :

Monsieur X reproche à Monsieur Y de s’être alloué une rémunération (3306 € bruts mensuels/2500 € nets) en s’accordant, sans information de son associé, un contrat de travail comme directeur commercial et administratif ne correspondant pas à des fonctions distinctes de celles exercées en tant que Président et ne pouvant le placer, compte tenu de cette qualité, dans un lien de subordination avec la société TOP HOE ; ce salaire constitue en réalité une rémunération occulte de son mandat social alors que l’article 26 des statuts prévoit que la rémunération du Président est fixée par décision collective des associés.

En toute hpothèse le contrat de travail en cumul avec un mandat social relève des conventions réglementées nécessitant l’approbation de l’assemblée.

Il en résulte selonl’intimé qu’en s’octroyant le bénéfice de ce contrat de travail, Monsieur Y a agi à l’encontre de l’intérêt social, sachant qu’il ne pouvait ignorer que la société ne serait pas en mesure de supporter la charge de son salaire.

L’appelant objecte que les articles 26 et 31 des statuts imposant une décision collective des associés

ne visent que la rémunération du Président ; que les salaires qu’il a perçus de la SAS en vertu de son contrat de travail comme directeur commercial et administratif, rémunèrent exclusivement le travail effectué en cette qualité. Enfin, Monsieur X ne pouvait ignorer l’existence du contrat de travail litigieux qui a été décidé en sa présence lors de la rédaction des statuts au sein d’un cabinet d’avocats, et rédigé par un professionnel du droit sous le contrôle de l’expert-comptable de la société.Il conteste, exemples à l’appui, le caractère excessif de la rémunération.

Il est de principe que le cumul, dans les Sociétés par actions simplifiées, entre mandat social et contrat de travail, n’est pas par principe prohibé, le contrat de travail étant valide s’il correspond à un travail effectif, donne lieu à une rémunération distincte de la rémunération du mandat et qu’enfin le dirigeant, dans le cadre de ses fonctions salariées, se trouve effectivement en situation de subordination envers la société.

S’il est conclu postérieurement au mandat social, le contrat de travail au profit d’un associé ou d’un organe dirigeant relève des conventions réglementées devant être autorisées par l’Assemblée Générale des actionnaires, ainsi qu’imposé par les dispositions de l’article L 227-10 du code de commerce :

'Le commissaire aux comptes ou, s’il n’en a pas été désigné, le président de la société présente aux associés un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son président, l’un de ses dirigeants, l’un de ses actionnaires disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s’il s’agit d’une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l’article L. 233-3.Les associés statuent sur ce rapport.Les conventions non approuvées, produisent néanmoins leurs effets, à charge pour la personne intéressée et éventuellement pour le président et les autres dirigeants d’en supporter les conséquences dommageables pour la société'.

Aux termes de l’article L 227-6 du code de commerce 'La société est représentée à l’égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social.

Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.

Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article.

Les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers.'

Ainsi dans les SAS, le Président, sous réserve des limitations ou extensions statutaires, est le représentant légal de la société à l’égard des tiers et détient la direction interne de celle-ci ; il a donc pouvoir de réaliser les actes de gestion pour le compte de la SAS, notamment conclure des contrats, déterminer les orientations de la société en termes d’investissements et de politiques de toute nature (ressources humaines, commerciale…).

En l’occurrence, il était prévu aux statuts de la société Top Hoe (article 26) que 'le Président dirige la société et la représente à l’égard des tiers. A ce titre, il est investi de tous les pouvoirs nécessaires pour agir en toute circonstance au nom de la société, dans la limite de l’objet social et des pouvoirs expressément dévolus par les dispositions de la loi et les présents statuts, aux décisions collectives des associés.

Toutefois à titre de règlement intérieur non opposable aux tiers, le President ne pourra prendre les décisions suivantes qu’après autorisation péralable de la collectivité des associés: décider de tous investissements ou engagements excédant 50.000 €; céder des éléments d’actifs; procéder à des créations de filiales; prendre toutes participations.Le président peut, sous sa responsabilité, consentir toutes délégations à des tiers pour un ou plusieurs objets déterminés.'

De prime abord, le contrat de travail en date du 6 mars 2015, en ce qu’il confèrait à Monsieur Y les fonctions de directeur commercial et administratif moyennant un salaire mensuel brut de 3600 € (2500 € net), en cumul avec le mandat social de Président de TOP HOE (et d’actionnaire), entre dans le champ des conventions réglementées visées par l’article L 227-10 du code de commerce précité.

A ce titre, il devait être soumis à l’approbation de l’Assemblée générale sans qu’il puisse être fait reproche à M. Y de n’y avoir pas procédé, sachant que le contrat a été conclu le 6 mars 2015 et que les comptes 2015 ont été établis le 8 avril 2016 ; en sorte que le Président n’a pas été en mesure de convoquer cette Assemblée avant ouverture de la liquidation judiciaire de la société Top Hoe, par jugement du 17 Mai 2016.

Pour autant, et même s’il est incontestable, au vu des courriels échangés avec son co associé, le personnel de Top Hoe et tous les partenaires de la société, que M. Y s’est effectivement impliqué
- à la mesure de la marge de manoeuvre laissée par son co-associé- dans l’exploitation et le développement commercial de la société, ainsi que dans l’organisation de sa gestion quotidienne, il reste que ses fonctions de directeur commercial et administratif se confondaient en réalité avec celles découlant de son mandat social telles que fixées par les statuts.

Le contrat de travail litigieux est donc en réalité fictif, voire frauduleux, sachant qu’il a permis à M. Y, sous couvert de rémunérer une activité salariée en réalité 'doublon’ du mandat social, de bénéficier d’un salaire alors que la rémunération du mandat aurait dû être décidée et fixée par l’Assemblée générale des actionnaires.

Dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin de verifier de surcroit si M Y se trouvait bien, dans l’exercice de ses fonctions de directeur commercial et administratif, en lien de subordination envers la société, il y a lieu de considérer que la conclusion de ce contrat de travail, en cumul irrégulier avec son mandat social, constitue -peu important le caractère excessif ou non du salaire fixé, en l’occurrence parfaitement raisonnable- un acte de gestion contraire à l’intérêt de la société.

Cependant, M. X ne démontre pas que cette faute , qui préjudicie clairement à la société à laquelle elle impose une charge financière injustifiée, lui aurait causé un préjudice à titre personnel et direct.

—  les engagements financiers de Monsieur Y au delà du seuil statutaire:

Monsieur X dénonce également la passation directe par le Président, de commandes dépassant 50'000 €, ce, en violation de l’article 6 des statuts soumettant la faculté pour le Président de souscrire au nom de la société des engagements excédant ce montant, à l’autorisation préalable de la collectivité des associés.

Monsieur Y objecte qu’il n’a jamais souscrit d’engagement au nom de la SAS mais s’est contenté de signer des partenariats commerciaux, autrement dit des engagements annuels sur des conditions financières intéressantes, avec l’aval de Monsieur X, les commandes stricto sensu étant en réalité directement passées par Gastropoland.

La Cour observe d’abord que le dépassement de seuil nécessitant l’autorisation préalable de l’assemblée générale s’entend évidemment engagement par engagement ; ainsi, ne peuvent être retenues comme preuve d’un engagement souscrit en violation de l’article 6 des statuts, les créances

déclarées par les fournisseurs dans le cadre de la liquidation pour un montant supérieur à 50.000 €, créances dont on ne sait ni qui a engagé la dépense au nom de TOP HOE, ni si elles correspondent à un engagement unique, dépassant le seuil critique, ou englobe au contraire plusieurs commandes de montants moindres – donc hors champ de l’autorisation.

Seule la facture en date du 14 janvier 2015 établie par les établissements Unidro-Contarini à l’attention de M. Y et signée de sa main, portant commande de matériel pour un montant dépassant le seuil sus dit, relève de l’article 6 des statuts (pièce intimée 13).

L’engagement de cette dépense au delà du seuil autorisé est contraire à l’intérêt social.

Toutefois, M. X ne démontre pas le préjudice personnel direct en ayant résulté pour lui.

Sur le défaut de convocation de l’assemblée générale extraordinaire

Monsieur X soutient ici que le Président aurait violé l’article 34 des statuts en refusant de donner suite à sa demande écrite du 13 janvier 2016 aux fins de convocation d’une assemblée générale extraordinaire dont il suggérait l’ordre du jour suivant : état sur la situation financière, comptable, juridique et commerciale de la société ; révocation de Monsieur Y de son mandat de président ; nomination de Monsieur X en qualité de président ; cession des parts sociales de Monsieur Y ; formalités afférentes et questions diverses ; il observe qu’il n’avait pas à être plus précis quant au texte des résolutions à mettre aux voix et qu’il ne lui appartenait pas de convoquer lui-même cette assemblée.

Monsieur Y réplique que dans la foulée de cette demande de convocation, a eu lieu une tentative de règlement amiable par l’intermédiaire de leurs avocats, l’accord à intervenir devant se concrétiser à la faveur d’une assemblée générale extraordinaire ; les négociations expliquent selon lui le retard pris à convoquer une assemblée générale qui s’avérera en définitive inutile compte tenu de la déclaration de cessation des paiements du 28 avril 2016, suivie du jugement de liquidation judiciaire.

En vertu de l’article 34 des statuts, 'Les associés se réunissent en assemblée sur convocation du Président au siège social ou en tout autre lieu mentionné dans la convocation. Toutefois tout associé disposant de plus de 25 % du capital peut demander la convocation d’une assemblée … La convocation est faite par tout moyen de communication écrite 15 jours au moins avant la date de la réunion. Elle indique l’ordre du jour.'.

Par ailleurs l’article 23 prévoit que l’exclusion d’un associé peut notamment être prononcée au cas de violation des statuts ou de révocation du mandat social dont est titulaire un associé, étant précisé que 'les associés sont consultés sur l’exclusion à l’initiative du Président; si le Président est lui-même susceptible d’être exclu, les associés seront consultés à l’initiative de l’associé le plus diligent'.

Il est constant que les relations entre les associés se sont fortement dégradées sur le dernier trimestre 2015 et que par courrier du 13 janvier 2016, M. X a saisi sle Président d’une demande de convocation de l’Assemblée dans les termes rappelés ci dessus ; M. Y, par courrier du 28 janvier 2016, a dans un premier temps prétendu différer la tenue de l’assemblée au prétexte que le requérant devait formuler expressément le texte des résolutions et les motiver; puis il est exact que des échanges s’en sont suivis, par l’entremise des avocats, le conseil de M. Y tentant de négocier les modalités du 'départ’ de ce dernier.

De fait, l’Assemblée n’a au final jamais été convoquée puisque s’en est suivi la déclaration de cessation des paiements le 28 avril 2016, suivie de l’ouverture de la liquidation en mai 2016.

M. Y, dont on comprend parfaitement qu’il redoutait une exclusion sans contrepartie, s’est en réalité fait juge de l’opportunité de la tenue de l’assemblée – et l’argument des négociations via les

conseils est en réalité fallacieux, sachant que son avocat a fait sa première proposition de négociation par courrier du 18 mars 2016, soit plus de deux mois après la demande de convocation de M. X ; ce faisant le Président a donc ouvertement contrevenu aux statuts qui lui imposaient de convoquer l’Assemblée dans la foulée de la demande, quitte à la programmer avec un délai (raisonnable), ménageant la possibilité de négocier.

Ce manquement a incontestablement préjudicié à M. X qui n’a pu faire révoquer le Président au plus vite et se trouver en situation juridique -que ne lui conférait pas la gestion de fait (cf infra)- de prendre en mains la direction de la société Top Hoe et procéder en particulier aux actes rendus indispensables par l’état de déconfiture (notamment la déclaration de cessation des paiements, et peut-être des licenciements).

Etant observé que la possibilité, face à l’inertie du Président, de provoquer, au visa de l’article 23 des statuts, une consultation sur l’exclusion du Président, ou encore de saisir le Président du Tribunal de Commerce en vue de désigner un administrateur ad hoc chargé de convoquer l’assemblée, ne fait pas obstacle au constat d’un préjudice direct et personnel : il est incontestable que le droit premier de tout associé est de faire valoir ses droits en qualité d’associé, au sein de l’assemblée générale ; de sorte que toute obstruction d’accès à celle-ci lui est préjudiciable, nonobstant les procédures parallèles auxquelles il peut avoir recours pour faire convoquer l’Assemblée, au prix de démarches qui peuvent s’avérer dissuasives.

— le défaut de communication des documents sociaux et de possibilité de consultation au siège social :

M. X prétend n’avoir pas eu communication des documents comptables dont il aurait sollicité la communication fin décembre 2015, hormis un bilan prévisionnel datant de 6 mois et que l’accès aux dits documents lui aurait été refusé lorsqu’il s’est présenté, courant janvier 2016, au siège social.

M. Y soutient que le bilan prévisionnel de l’année 2015 a bien été communiqué à Monsieur X, le bilan définitif n’ayant été dressé qu’en mai 2016 ; il dénie le refus d’accès aux pièces comptables, l’intimé ne l’établissant du reste pas ; il observe enfin que son associé était parfaitement au courant de la gestion de la société, à laquelle il était partie prenante.

L’article 36 des statuts prévoyait que « les associés peuvent, à toute époque, sous réserve de ne pas entraver la bonne marche de la société, consulter au siège social et le cas échéant prendre copie pour les trois derniers exercices, des registres sociaux, de l’inventaire, des comptes annuels, du tableau de résultats des cinq derniers exercices, des comptes consolidés' ».

La preuve du refus d’accès pour consultation des documents comptables au siège de Top Hoe n’est pas rapportée.

Par ailleurs, M. X ne peut déplorer avoir simplement eu communication d’un bilan 2015 provisoire alors qu’à la date où il déclare en avoir fait la demande (décembre 2015),le bilan et le compte de résultat et leurs annexes pour cet exercice tout juste clôturé, n’avaient évidement pas encore été établis par l’expert-comptable.

Au demeurant, les griefs de M. X sont fragilisés dès lors que dans son courrier du 13 janvier 2016, il a pointé de manière particulièrement circonstanciée, les éléments comptables lui paraissant établir l’état sinistré de la société ; ce qui établit qu’il avait bien eu connaissance d’éléments pertinents, lui permettant de se faire une idée sur la situation de la SAS.

La violation des statuts n’est ici pas caractérisée.

Sur les fautes de gestion imputées à Monsieur Y

A titre liminaire la Cour observe que l’intimé n’a pas repris devant la Cour, le grief relevé par le tribunal, tiré de ce que les éléments comptables examinés par l’expert ne comportaient, selon le rapport du 13 juin 2017, 'aucune information chiffrée, ni tableaux de bord servant au pilotage de l’entreprise'.

Ces motifs sont en réalité impuissants à étayer la démonstration de la faute de gestion, rien ne démontrant, à la lecture du rapport, que l’expert ait invité le représentant de la société Top Hoe à produire les éléments en question ; au demeurant, il n’existe aucun motif de douter de la régularité des documents comptables produits, dont tout laisse à penser que l’expert comptable les ayant dressés, a disposé des documents nécessaires pour ce faire.

- le retard pris à déclarer la cessation des paiements

M. X soutient que la Président de Top Hoe a tardé à déclarer la cessation des paiements.

M. Y objecte que les associés avaient convenu que Gastropoland préfinancerait les achats de matériel pour permettre à Top Hoe de commercialiser les machines, les commandes n’ayant concrètement démarré qu’en octobre 2015; il était nécessaire d’avoir un recul de quelques mois (sans trésorerie) pour que les retombées (positives) des premières commandes se fassent sentir.

Il résulte des comptes annuels de la SAS au 31 décembre 2015, que sur la première année d’exploitation (exactement 11 mois), la société , malgré un chiffre d’affaires de 272.904 €, a enregistré une perte de 169.628 €, l’expert comptable soulignant en annexe l’existence d’une dette fournisseur en litige de 123.893 € ; il est par ailleurs constant qu’après établissement des comptes annuels le 8 avril 2016, M. Y a fait la démarche, le 28 avril 2016, de saisir le Tribunal de Commerce de Saintes qui a ouvert une procédure de liquidation par jugement du 19 Mai 2016, avec fixation provisoire de la cessation des paiements, sur indication du débiteur, au 1er janvier 2016.

Même s’il est avéré, au vu des échanges de mails, qu’entre le dernier trimestre 2015 et le premier trimestre 2016, M. Y s’est évertué à chercher des débouchés pour la SAS Top Hoe, notamment par le recrutement de distributeurs et agents, le démarchage de clients et la conclusion de commandes, le délai mis à effectuer cette déclaration, qu’il était seul, en qualité de représentant légal de la société, à pouvoir initier, est anormal : de fait, privé de trésorerie dès le 1er janvier 2016, il a attendu près de quatre mois avant de faire la déclaration idoine.

Ce manque de diligence a inévitablement aggravé la situation de la société – ne serait ce qu’à raison des dépenses de personnel exposées durant cette période – de manière nécessairement préjudiciable à l’associé apporteur de fonds, celui-ci ayant perdu toute chance de récupérer a minima son compte courant d’associé.

- le défaut de valorisation des plans

Il est reproché à l’appelant d’avoir omis de faire inscrire au bilan des plans d’engins élévateurs établis par le bureau d’études de la société Top Hoe, lesquels plans auraient été en définitive exploités, après mise en liquidation de la SAS, par une société Fairnix, créée par d’anciens salariés de Top Hoe – parmi lesquels le salarié ayant à l’origine réalisé ces plans, ainsi que la fille de M. Y ; ces agissements seraient constitutifs d’une concurrence déloyale.

Il doit être d’abord observé que la présente instance n’a pas pour objet de juger d’éventuels actes de concurrence déloyale et qu’aucun élément ne vient établir les soupçons induits au moyen, d’un éventuel détournement frauduleux des plans en question, la plainte initiée de ce chef ayant du reste été classée sans suite.

Par ailleurs et en toute hypothèse, il ne ressort pas du dossier que les plans litigieux auraient été

brevetés ; et l’on ne sait même pas quel était leur niveau de finition à la date de la liquidation, de sorte qu’il est hypothétique de postuler qu’ils étaient valorisables et auraient dû être inscrits à l’actif du bilan -éventuellement en 'valeurs de liquidation', ainsi que suggéré par l’expert tout en concédant dans le même temps qu’ils auraient constitué une 'non valeur’ (sic).

Aucune faute ne peut donc être retenue de ce chef à l’encontre de M. Y.

—  l’aggravation des dettes fournisseurs malgré l’absence de trésorerie

Monsieur X reproche à M. Y d’avoir passé des commandes malgré l’absence de trésorerie, de sorte que certains fournisseurs sont demeurés impayés et ont dû déclarer leurs créances pour un montant global de 46'269 € (ERG Hydraulique et Hydromag Doo), Gastropoland ayant pour sa part déclaré à la liquidation des factures TOP HOE pour un montant de 175'342,62 € ; selon lui l’accord « moral » de Gastropoland ne portait pas sur la prise en charge définitive du règlement des factures fournisseurs, mais sur l’octroi de délais de paiement à la SAS.

Monsieur Y E qu’il avait été convenu, pour assurer la viabilité de Top Hoe, que les factures des fournisseurs seraient réglées par Gastropoland qui devait en refacturer le coût à la SAS, avec une marge de 10 %; il précise que son associé aurait bloqué des commandes clients (aggravant du même coup le découvert de trésorerie).

En substance, la faute résulterait ici de ce que M Z aurait aggravé la déconfiture en continuant de passer des commandes qu’il savait ne pas pouvoir honorer.

Ce moyen en réalité, ne permet pas de caractériser une faute distincte de celle retenue à charge de M. Y pour avoir tardé à déclarer la cessation des paiements ; il n’y a donc pas lieu de statuer spécialement de ce chef, ayant précédemment été démontré que le dirigeant avait conduit à la liquidation de la société par la poursuite de l’activité déficitaire au delà de la cessation des paiements.

- L’erreur dans l’appréciation de la masse salariale

Monsieur X dénonce l’erreur de gestion de son associé en ce que

les salaires et appointements des salariés de la SAS sur le premier exercice (147'726,74 €) représentaient 54,13 % du chiffre d’affaires.

Monsieur Y objecte que les décisions en matière de ressources humaines étaient prises par son associé.

Si le ratio masse salariale/chiffre d’affaires apparaît de prime abord élevé, il reste que les choix de politique salariale sont éminemment complexes et fonction de paramètres multiples, variant d’une entreprise à l’autre selon leur taille, la nature de leur activité… ; dès lors la Cour ne peut se fonder sur ce seul élément pour y voir, sans autre éclairage, un indicateur parfaitement fiable d’une erreur de gestion imputable à M. Y.

En toute hypothèse, la Cour observe que le M. Y n’avait à l’évidence pas le recul nécessaire pour prendre la mesure de cette anomalie éventuelle pendant la première année de démarrage de la société Top Hoe, en toute logique période test.

Aucune faute ne sera donc retenue à ce titre;

Au demeurant, M. X n’établit pas le préjudice personnel et direct qui en aurait résulté pour lui.

Sur la gestion de fait imputée à Monsieur X

Pour se défausser de toute responsabilité au titre des fautes de gestion, Monsieur Y soutient que Monsieur X était gérant de fait de la SAS ; ce que ce dernier conteste catégoriquement.

Cependant la Cour, à l’examen des volumineux échanges entre les associés par courriels, courriers et retranscriptions de conversations via Skype, ainsi que de leurs échanges avec les partenaires de Top Hoe et Gastropoland, clients comme fournisseurs, a pu se convaincre de ce que M. X était effectivement impliqué au quotidien dans la gestion de Top Hoe, aux côtés de M. Y, et sur un pied a minima d’égalité avec celui-ci, voire, en position parfois de manager.Il est notable ainsi qu’avant la dégradation de leurs relations, M. Y consultait très régulièrement son associé sur les changements de fournisseur, la négociation des tarifs, les conditions des nouveaux marchés…, ce dernier lui donnant en retour des conseils sur la stratégie commerciale ou les choix financiers.

Et il apparaît même que M. X est allé parfois jusqu’à user de sa qualité de dirigeant de Gastropoland, pourtant sous traitante de Top Hoe, pour interférer dans la gestion des commandes, les annuler sans même informer Top Hoe, négocier directement des tarifs …; d’ailleurs, selon les propres termes de M. X: 'les commandes sont passées par Gastropoland, l’acompte a été passé par Gastropoland, donc c’est Gastropoland qui gère'.

Ainsi, M. X s’est effectivement immiscé de fait dans la gestion de Top Hoe ; au départ certainement, avec l’assentiment du Président de la société ; mais cela ne disqualifie pas l’ingérence de son associé.

Celle-ci en retour ne fait pas disparaître la responsabilité encourue par M. Y à raison de ses fautes de gestion, mais est de nature à en atténuer les .conséquences.

Sur la demande de dommages et intérêts de Monsieur X

Il résulte des développements qui précèdent que M. Y, en sa qualité de Président de la société Top Hoe, a commis une violation des statuts ayant personnellement préjudicié à son co associé, en ce qu’il s’est abstenu de donner suite à la demande de convocation de l’Assemblée générale formulée par ce dernier .

Par ailleurs, il a commis une faute de gestion qui a également préjudicié au co associé, en ce qu’il a tardé à déposer le bilan de la SAS Top Hoe ; néanmoins, dès lors qu’il était associé de fait à la gestion, ce dernier a contribué à la déconfiture de la société, et partant à son propre préjudice ; ce qui conduit à en diminuer la réparation.

En considération de l’ensemble de ces paramètres, la Cour estime justifié de fixer le montant de la réparation due par M. Y à son ex associé à la somme de 5000 €.

Sur la demande de dommages et intérêts présentée par M. Y pour procédure abusive:

M. Y sollicite 5000 € pour procédure abusive et vexatoire sans cependant justifier cette demande dans ses motifs; il y a donc lieu de la rejeter sans autre examen – étant à titre surabondant noté que M. Y succombant, elle serait en toute hypothèse vouée à l’échec .

Sur les demandes au titre de l’article 700 du

Code de Procédure Civile et les dépens.

Il y a lieu, au titre des frais irrépétibles d’appel, de condamner l’appelant à payer à M. X la somme de 2000 Euros en sus de la condamnation prononcée sur ce fondement en première instance ; sa demande au même titre sera rejetée.

Il supportera en outre les dépens d’appel en plus des dépens mis à sa charge par le premier juge.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement du Tribunal de Commerce de Saintes sauf en ce qu’il :

—  condamne M. Y à verser à M. X la somme de 2000 € en remboursement des frais d’expertise versés par lui;

-Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

-Condamne monsieur A Y à payer à monsieur C X la somme de 1.500 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-Condamne monsieur A Y aux entiers frais et dépens de l’instance et frais de greffe, liquidés à la somme totale de 143.78 Euros dont 23.97 Euros de TVA, mais dit que ceux-ci seront avancés par monsieur C X

STATUANT A NOUVEAU,

CONDAMNE M. A Y à payer à M. C X la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts ;

Y AJOUTANT

DEBOUTE M. A Y de sa demande de réparation pour procédure absusive et vexatoire ;

CONDAMNE M. A Y à payer à M. C X la somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles d’appel;

CONDAMNE M. A Y aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Poitiers, 2ème chambre, 20 octobre 2020, n° 19/02259