Cour d'appel de Reims, 19 février 2013, n° 12/03150

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Reims, 19 févr. 2013, n° 12/03150
Juridiction : Cour d'appel de Reims
Numéro(s) : 12/03150
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Reims, 15 novembre 2012

Sur les parties

Texte intégral

ARRET N°

du 19 février 2013

R.G : 12/03150

SARL LE BOULINGRIN BRASSERIE DU BOULINGRIN

c/

XXX

Formule exécutoire le :

à :

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 19 FEVRIER 2013

APPELANTE :

d’un jugement rendu le 16 novembre 2012 par le tribunal de grande instance de REIMS,

SARL LE BOULINGRIN BRASSERIE DU BOULINGRIN

XXX

XXX

XXX

COMPARANT, concluant par SCP DELVINCOURT-CAULIER RICHARD, avocats au barreau de REIMS, et ayant pour conseil Maître BAUD Emmanuel, avocat.

INTIMEE :

XXX

XXX

XXX

COMPARANT, concluant par la SCP ACG & ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame MAILLARD, président de chambre

Monsieur WACHTER, conseiller, entendu en son rapport

Monsieur SOIN, conseiller

GREFFIER :

Madame THOMAS, greffier lors des débats et du prononcé.

DEBATS :

A l’audience publique du 05 février 2013, où l’affaire a été mise en délibéré au 19 février 2013,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 19 février 2013 et signé par Madame MAILLARD, président de chambre, et madame THOMAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * *

La société Etablissements Y Père & Fils a exploité pendant de longues années un fonds de commerce de restauration dans des locaux sis à XXX.

En I, cette société a fait réaliser par le peintre A B deux peintures à l’huile sur toile représentant respectivement une scène de vendanges et une scène de marché aux poissons, qui ont été collées sur deux murs de la salle de restaurant qu’elle exploitait.

Dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire de la société Etablissements Y Père & Fils, la société SEPRI a formulé, en juin 1989, auprès de Me X, mandataire liquidateur de la société Etablissements Y Père & Fils une offre de rachat global de l’ensemble des éléments mobiliers et immobiliers avec faculté de substitution. Cette offre, présentée par requête de Me X le 27 juin 1989, a été retenue et acceptée par ordonnance du tribunal de commerce de REIMS le 27 juillet 1989.

XXX est devenue propriétaire le XXX des éléments immobiliers, à savoir les locaux commerciaux situés XXX, qu’elle a, par acte du même jour, donné à bail à la SARL Le Boulingrin.

La SARL Le Boulingrin est quant à elle devenue propriétaire des éléments mobiliers par acte du 3 octobre 1989, lequel visait nommément les peintures sur toile, dont le prix était évalué à 30.000 Francs.

Pendant plus de 20 ans, la SARL Le Boulingrin a exploité dans les locaux du XXX un fonds de commerce de restauration sous le nom Brasserie Le Boulingrin.

En 2006, la SCI XXX a décidé de mettre un terme au bail

commercial.

Un conflit judiciaire s’est alors élevé entre les deux sociétés.

La SARL Le Boulingrin devant quitter les lieux au plus tard le 24 octobre 2012, la SCI XXX a sollicité et obtenu du président du tribunal de grande instance de REIMS la désignation d’ un huissier de justice aux fins de procéder à l’état des lieux de l’immeuble.

Le 17 octobre 2012, Me WITASSE, huissier de justice, s’est présenté à la Brasserie du Boulingrin et a constaté que la SARL Le Boulingrin avait commencé des travaux de décollage des toiles.

Le 17 octobre 2012, la SCI XXX a fait assigner d’heure à heure la SARL Le Boulingrin devant le juge des référés du tribunal de grande instance de REIMS aux fins de voir suspendre les travaux et fixer une date pour le débat au fond.

Par ordonnance du 19 octobre 2012, le juge des référés a ordonné à la SARL Le Boulingrin de suspendre l’enlèvement des fresques dans l’attente de la décision au fond devant intervenir sur la nature du bien et a renvoyé l’affaire au fond à l’audience du 23.10.2012.

Par jugement du 16 novembre 2012, le tribunal de grande instance :

— a jugé que la grande huile sur toile, collée, représentant une scène de vendange et une scène de marché aux poissons signée A B I, sise eu XXX à REIMS, constituait un immeuble par destination ;

En conséquence,

— a jugé que la SCI XXX était propriétaire de la fresque en sa qualité de propriétaire de l’immeuble sur les murs duquel l’oeuvre était collée ;

— a ordonné à la SARL Le Boulingrin de laisser la fresque dans les lieux ;

— a débouté la SARL Le Boulingrin de l’ensemble de ses demandes ;

— a rejeté la demande de la SCI XXX fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

— a condamné la SARL Le Boulingrin aux dépens ;

— a ordonné l’exécution provisoire de la décision.

La SARL Le Boulingrin a interjeté appel de cette décision le 28 décembre 2012.

Par requête entrée au greffe le 2 janvier 2013, la SARL Le Boulingrin a saisi le premier président de la cour d’appel de REIMS aux fins d’être autorisée à procéder à jour fixe sur son appel.

Par ordonnance du 11 janvier 2013, le premier président a fait droit à cette requête, et a fixé l’audience au mardi 5 février 2013 à 14 heures.

Le 18 janvier 2013 la SARL Le Boulingrin a fait assigner la SCI XXX à jour fixe pour l’audience du 5 février 2013.

Dans ses conclusions notifiées le 4 février 2013, la SARL Le Boulingrin demande à la cour :

A titre principal :

— de mettre à néant le jugement du 16 novembre 2012 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a refusé la demande de condamnation formée par la SCI XXX au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

— de constater que la volonté du propriétaire de l’immeuble et du fonds de commerce sis au 48, rue de Mars à Reims, la société Etablissements Y Père & Fils, en 1989, a été de dissocier les éléments mobiliers et immobiliers par la cession distincte de ces éléments, par deux contrats séparés, à deux entités distinctes ;

— de constater que la société Le Boulingrin est propriétaire, aux termes de l’acte de vente en date du 3 octobre 1989, des deux peintures sur toile signées A B, datées de I et représentant respectivement une scène de vendanges et un marché aux poissons ;

— de constater, à titre subsidiaire, que l’enlèvement des peintures sur toile signées A B, datées de I et représentant respectivement une scène de vendanges et le marché aux poissons objet du présent contentieux, peut être effectué sans détérioration ni des peintures sur toile, ni de leur support ;

En conséquence,

— de dire et juger que la société Le Boulingrin est, en vertu de l’acte de vente du 3 octobre 1989, propriétaire des deux peintures sur toile signées A B, datées de I et représentant respectivement une scène de vendanges et un marché aux poissons ;

— de dire et juger que lesdites peintures sur toile constituent des biens meubles ;

— de débouter la société SCI XXX de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

— d’autoriser la société Le Boulingrin, ainsi que tout expert, ouvrier, restaurateur ou prestataire de la société Le Boulingrin à accéder dans les locaux situés XXX, XXX, entre 8 heures du matin et 19 heures le soir, dans lesquels sont localisées lesdites peintures sur toile, pendant la durée nécessaire à l’enlèvement des peintures sur toile et ce passé un délai de 8 jours après la signification de l’arrêt à intervenir ;

— de condamner d’ores et déjà la société SCI XXX à permettre cet accès sous astreinte de 1.000 € par jour de retard ;

A titre reconventionnel :

— de dire et juger que l’introduction et le maintien par la société SCI XXX de la présente procédure ont excédé le stade de la loyauté en matière commerciale et, eu égard notamment à la parfaite connaissance par la société SCI XXX du caractère illégitime de ses demandes et de la qualité de propriétaire de la société Le Boulingrin des peintures sur toile, revêtent un caractère abusif ;

En conséquence,

— de condamner la société SCI XXX à payer à la société Le Boulingrin la somme de 35.000 € à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause :

— de dire et juger qu’en l’état de l’arrêt à intervenir consacrant la propriété des peintures sur toile à la société Le Boulingrin, l’ordonnance de référé prononçant des mesures conservatoires est devenue sans cause ni objet ;

— de condamner la société SCI XXX au paiement, au profit de la société Le Boulingrin, de la somme de 30.000 € au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées le 5 février 2013, la SCI XXX demande à la cour :

— de confirmer le jugement ;

— de confirmer que les fresques en cause constituent des immeubles par destination ;

— de confirmer que la SCI XXX est propriétaire des fresques en sa qualité de propriétaire de l’immeuble auquel elles sont liées ;

Subsidiairement,

— de dire et juger que les fresques constituent des immeubles par nature incorporées à l’immeuble

sur lequel elles sont collées ;

— de dire et juger que la SCI XXX est propriétaire des fresques en sa qualité de

propriétaire de l’immeuble auquel elles sont liées ;

En tout état de cause,

— d’ordonner à la SARL Le Boulingrin de les remettre en état ;

— de débouter la SARL Le Boulingrin de ses réclamations ;

— de condamner la SARL Le Boulingrin à payer à la SCI XXX une somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— de la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel avec faculté de recouvrement direct au profit de Me CHEMLA, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Les parties s’opposent sur la qualification juridique des peintures litigieuses, l’appelante soutenant qu’il s’agit de meubles, et l’intimée estimant qu’il s’agit d’immeubles.

L’article 516 du code civil dispose que tous les biens sont meubles ou immeubles.

L’article 517 du même code énonce que les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent.

A titre liminaire, il convient d’écarter le qualificatif de 'fresque’ improprement employé par la SCI XXX, ainsi que par le premier juge pour désigner les oeuvres litigieuses, compte tenu de la confusion qui peut en résulter quant à la qualification juridique de celles-ci.

Il sera en effet rappelé que la fresque se définit comme une méthode de peinture consistant à appliquer des pigments minéraux détrempés dans de l’eau de chaux sur un enduit frais auquel ces pigments s’incorporent.

Par ce processus, l’enduit une fois sec devient de manière indissociable à la fois le support et la matière de la peinture, de telle sorte que la fresque doit s’analyser en un immeuble par nature.

Le cas soumis à la cour est tout différent, puisqu’il n’est contesté par aucune des parties que les oeuvres en cause sont peintes à l’huile sur un support constitué d’un assemblage de plusieurs toiles, lesquelles sont collées sur le mur des locaux appartenant à la SCI XXX.

Ce procédé, qui suppose nécessairement que les murs et leurs enduits existaient antérieurement à la mise en place des toiles, exclut que les oeuvres puissent être qualifiées d’immeubles par nature, comme il est pourtant sollicité par la SCI XXX à titre subsidiaire, et ce d’autant plus que les locaux, dont il n’est pas contesté qu’ils n’appartenaient pas originellement au commanditaire des tableaux, n’avaient pas été spécialement créés pour recevoir ceux-ci.

Dès lors ainsi que les tableaux litigieux ne peuvent pas être qualifiés d’immeubles par nature, ils doivent être considérés comme des meubles, dont il convient alors d’examiner s’ils ont pu faire l’objet d’une immobilisation par destination.

L’article 524 du code civil énonce que les animaux et les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination, et que sont aussi immeubles par destination, tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure.

L’article 525 précise que le propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou lorsqu’ils ne peuvent être détachés sans être fracturés et détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés, que les glaces d’un appartement sont censées mises à perpétuelle demeure, lorsque le parquet sur lequel elles sont attachées fait corps avec la boiserie, et qu’il en est de même des tableaux et autres ornements.

Ces textes exigent en premier lieu que l’immeuble par nature et le meuble qui y est affecté ou attaché appartiennent à la même personne.

En l’espèce, il n’est pas contesté, et il ressort en tout état de cause des énonciations de l’acte de vente intervenu le XXX entre la société Etablissements Y Père & Fils et la SCI XXX que l’immeuble abritant la brasserie n’a été acquis par la société Etablissements Y Père & Fils que le 4 avril 1952, et qu’il était antérieurement la propriété des époux Z.

Dans la mesure où il est constant que les tableaux avaient quant à eux été commandés par la société Y, il ne peut qu’être constaté qu’aucune immobilisation n’a pu intervenir antérieurement à 1952, faute d’identité entre le propriétaire des murs et celui des tableaux.

Il doit ensuite être examiné si une immobilisation par destination a pu intervenir à compter de 1952.

Compte tenu du caractère exclusivement ornemental des oeuvres litigieuses, l’immobilisation par destination ne peut en l’espèce se concevoir pour le service et l’exploitation du fonds, et il convient donc d’examiner la question sous l’angle de l’attachement à perpétuelle demeure.

L’élément déterminant de l’attachement à perpétuelle demeure doit être recherché dans l’intention du propriétaire, étant observé que l’article 525 du code civil n’énumère pas les conditions sans lesquelles un tel attachement serait impossible, mais énonce des circonstances matérielles qui permettent de le présumer.

En l’espèce, comme l’a à juste titre relevé le premier juge, les tableaux sont, par leur thématique, intimement liés à l’histoire familiale de leur commanditaire et à son activité commerciale, et ils ont manifestement été exécutés spécialement pour l’endroit où ils sont collés, ainsi que le démontrent suffisamment leurs dimensions adaptées à celles des murs ou encore les découpes spécifiques respectant les particularités du local, notamment s’agissant des passages de portes.

Il sera relevé que les parties restent en désaccord sur la méthode exacte de réalisation de ces oeuvres, la SARL Le Boulingrin soutenant qu’elles ont été exécutées dans l’atelier du peintre avant d’être transportées et collées sur les murs du restaurant, alors que la SCI XXX affirme qu’elles ont été peintes directement dans les locaux après que les toiles aient été préalablement collées en place.

En l’état des éléments versés aux débats, rien ne permet de trancher de manière certaine entre l’une ou l’autre de ces hypothèses.

La SARL Le Boulingrin produit certes les notes émanant de deux spécialistes en restauration et conservation d’oeuvres d’art qu’elles a mandatés pour examiner les tableaux et confirmer la possibilité de les détacher des murs, et qui toutes les deux évoquent une mise en peinture des toiles suivie d’un collage en place.

Toutefois, aucune analyse technique ne vient au soutien de cette considération, qui n’était pas l’objet de la consultation, de telle sorte qu’il est parfaitement envisageable que sur ce point les deux techniciens n’aient fait que rappeler sans la vérifier de manière spécifique la chronologie qui leur a été présentée par la SARL Le Boulingrin.

En tout état de cause, cet élément ne présente pas de caractère déterminant dès lors que, dans un cas comme dans l’autre, les tableaux constituent une oeuvre spécifique destinée à habiller un local précis.

Il sera ensuite observé que les toiles adhèrent au mur sur la totalité de leur surface par un procédé qui, s’il ne fait pas appel à l’usage de plâtre, de chaux ou de ciment, assure néanmoins une fixation indéniablement solide et durable, qui les amène à faire corps avec leur support.

D’ailleurs, si la réversibilité de ce collage n’apparaît pas impossible au vu des notes techniques produites aux débats par la SARL LE BOULINGRIN, il n’en demeure pas moins que le décollage n’est envisageable qu’au prix de la mise en oeuvre de techniques spécifiques, et qu’il est présenté comme étant une opération délicate, ce que confirme au besoin le temps que les Etablissements KROUGLY estiment nécessaire pour mener à bien l’opération, à savoir au minimum 10 jours, et l’affectation de deux spécialistes pour y procéder.

La combinaison de ces divers éléments établit sans ambiguïté que le commanditaire des tableaux avait la volonté d’attacher ceux-ci de façon permanente au lieu où il exploitait son commerce.

Or, si cette volonté ne pouvait avoir aucun effet sur la qualification juridique des tableaux tant que leur propriétaire n’était que simple locataire de l’immeuble auquel ils étaient attachés, il en va différemment à partir du moment où ce propriétaire a également acquis la propriété de l’immeuble, et qu’il a poursuivi son activité dans les mêmes conditions qu’antérieurement, en maintenant les tableaux en place, confirmant en cela la persistance de sa volonté de les attacher au lieu de manière perpétuelle.

Ainsi, il doit être considéré qu’à compter du 4 avril 1952, date à laquelle l’immeuble abritant la brasserie a intégré le patrimoine de la société Etablissements Y Père & Fils, déjà propriétaire des tableaux, ceux-ci ont changé de qualification juridique, et sont devenus des immeubles par destination.

Reste alors à déterminer si les tableaux ont conservé cette qualification jusqu’à ce jour, où s’ils ont pu retrouver leur qualification originelle de meubles.

Il est en effet constant qu’à la différence de l’immobilisation par nature, l’immobilisation par destination reste réversible dès lors que le propriétaire d’un bien immobilier par destination a la possibilité de restituer à ce bien sa qualification originelle de meuble en le séparant juridiquement du bien immeubles par nature auquel il est attaché, notamment en les vendant séparément à deux acquéreurs différents.

En l’espèce, dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire dont elle a fait l’objet, la société Etablissements Y Père & Fils a procédé le XXX à la vente de ses biens immeuble au profit de la SCI XXX, et le 3 octobre 1989 à la vente de ses biens mobiliers au profit de la SARL Le Boulingrin.

Or, ce dernier acte mentionne de manière expresse parmi les biens meubles vendus '1 grande huile sur toile, collée, représentant les vendanges et l’autre le marché aux poissons signée A B I", portée pour un prix de 30.000 Francs.

XXX fait d’abord valoir que la SARL Le Boulingrin n’a pas pu acquérir les toiles le 3 octobre 1989 dans la mesure où à cette date la société Etablissements Y Père & Fils n’en était plus propriétaire, pour les avoir nécessairement cédées le 29 septembre précédent, s’agissant d’immeubles par destination.

Il doit d’abord être relevé que l’acte du XXX ne fait pas la moindre allusion aux tableaux dans la description qui est faite des immeubles vendus.

Ensuite, pour apprécier la valeur de l’argumentation de l’intimée sur ce point, il convient de rappeler les circonstances dans lesquelles s’est fait le rachat des différents biens composant le patrimoine des Etablissements Y.

Il résulte ainsi des pièces versées aux débats, en particulier de l’ordonnance du tribunal de commerce, des extraits K-bis et des statuts des diverses sociétés, que le tribunal de commerce a retenu une offre d’achat formulée avec faculté de substitution par une société SEPRI, dont l’un des cogérants était M. E F, et dont le siège se trouvait à l’époque au XXX

Cette société s’est alors substituée la SCI XXX, dont M. E F était à cette époque également le gérant, ainsi que la SARL Le Boulingrin, dont le capital était détenu à 49 % par la société SEPRI, et dont le siège social se trouvait aussi au XXX.

XXX a par ailleurs donné à bail à la SARL Le Boulingrin les locaux qu’elle avait elle-même rachetés.

Au vu des liens particulièrement étroits qui unissaient donc à l’époque les trois acteurs du rachat des actifs de la société Etablissements Y Père & Fils, les divers actes intervenus doivent en réalité être considérés à l’égard des acquéreurs comme étant les composantes d’une même opération, pensée et organisée de manière globale et concertée.

L’argument tenant à une prétendue contrariété entre les ventes des XXX et 3 octobre 1989 se heurte ainsi au fait que ces actes ont au contraire été spécifiquement élaborés pour être complémentaires l’un de l’autre, de telle sorte qu’au moment où elle procédait au rachat des immeubles, la SCI Rue Ponsardin avait nécessairement connaissance du fait que les tableaux étaient dissociés des immeubles et vendus séparément en qualités de meubles au profit de la SARL Le Boulingrin.

Dès lors, cet argument ne pourra qu’être rejeté.

XXX soutient ensuite que ces deux ventes ne peuvent avoir entraîné la séparation des immeubles par destination de l’immeuble par nature dans la mesure où elle ne résulterait pas de la volonté de leur propriétaire, mais de celle de la société SEPRI, qui s’était portée seule acquéreur du tout, et qui s’était ensuite, de sa seule initiative, substituée deux sociétés distinctes.

Cet argument demeure cependant sans emport, dans la mesure où il reste constant que c’est bien la société Etablissements Y Père & Fils qui a procédé aux deux ventes des XXX et 3 octobre 1989, ce qui suffit à établir sa volonté de dissocier juridiquement les biens dont elle était propriétaire.

Ainsi, il doit au final être considéré qu’à compter du 3 octobre 1989 les tableaux sont entrés dans le patrimoine de la SARL Le Boulingrin en tant que biens meubles.

Le fait qu’ils aient, depuis, été maintenus sur place n’a pas pu avoir pour conséquence de leur faire retrouver une qualification d’immeubles par destination, puisque la SARL Le Boulingrin n’est que locataire des lieux, et qu’en somme elle se trouve au regard des tableaux très exactement dans la situation qui était celle des établissements Y antérieurement à 1952.

XXX fait alors valoir un dernier argument, à savoir qu’ayant continué d’affecter les tableaux à l’exploitation de son restaurant, la SARL Le Boulingrin avait apporté une amélioration qui était devenue la propriété du bailleur par application des stipulations du contrat de bail.

Les charges et conditions du contrat de bail conclu le XXX entre les parties prévoient sous le paragraphe II – Entretien-travaux-réparations 8° que le preneur accepte expressément 'de laisser en fin de bail, sans indemnité, tous changements ou améliorations que le preneur aurait pu apporter aux biens loués'.

Cette stipulation vise de manière exclusive les améliorations auxquelles le preneur aurait procédé en cours de bail, et qui auraient eu pour effet de modifier entre le début et la fin du bail l’aspect ou la consistance des lieux loués.

Sauf à la dénaturer, cette stipulation ne s’applique donc manifestement pas aux tableaux litigieux, qui étaient préexistants au bail et qui, tout au long de celui-ci, n’ont pas subi la moindre modification de la part du preneur.

Au surplus, compte tenu des conditions dans lesquelles s’est déroulé le rachat des actifs de la société Etablissements Y Père & Fils, tel qu’elles ont été rappelées précédemment, il est manifeste que c’est en toute connaissance de cause que, dès l’origine du bail, la SCI XXX a consenti au transfert de propriété des tableaux à son locataire, de telle sorte qu’elle est désormais mal fondée à se prévaloir d’une prétendue amélioration apportée aux locaux pour revenir sur cette attribution.

En définitive, il sera constaté que les tableaux sont à ce jour des biens meubles et qu’ils sont la propriété de la SARL Le Boulingrin.

Il y a donc lieu d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, par ailleurs, de dire qu’en conséquence de cette infirmation l’ordonnance de référé du 19 octobre 2012 ordonnant la suspension de l’enlèvement des tableaux est devenue sans cause ni objet.

Compte tenu de l’obligation s’imposant à la SARL Le Boulingrin de libérer à bref délai les lieux, et du droit qui est le sien aux termes du présent arrêt d’emporter les tableaux, il sera fait droit à sa demande d’accéder aux locaux de la SCI XXX pour procéder à l’enlèvement des oeuvres, selon les modalités qu’elle sollicite.

Afin de garantir la bonne exécution de cette mesure, il convient de condamner la SCI XXX de permettre cet accès sous astreinte provisoire de 1.000 € par jour de retard.

La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la SARL Le Boulingrin sera rejetée, faute de caractérisation suffisante du caractère abusif au regard de la complexité de la situation juridique, laquelle est d’autant moins contestable qu’elle a abouti à des décisions judiciaires contraires.

L’équité commande la condamnation de la SCI XXX au paiement au profit de la SARL Le Boulingrin d’une somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

XXX sera enfin condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS,

Statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le16 novembre 2012 par le tribunal de grande instance de REIMS ;

Statuant à nouveau :

Dit que les deux peintures sur toile signées A B, datées de I, et représentant respectivement une scène de vendanges et un marché aux poissons constituent des biens meubles ;

Dit que ces tableaux sont la propriété de la SARL Le Boulingrin ;

Dit que l’ordonnance rendue par le juge des référé du tribunal de grande instance de REIMS le 19 octobre 2012 ordonnant la suspension de l’enlèvement de ces tableaux est devenue sans cause ni objet ;

Condamne, sous astreinte provisoire de 1.000 € par jour de retard passé un délai de 8 jours suivant la signification de l’arrêt, la SCI XXX à permettre à la SARL Le Boulingrin, ainsi qu’à tout expert, ouvrier, restaurateur ou prestataire qu’elle désignera, à accéder aux locaux situés XXX, XXX, entre 8 heures du matin et 19 heures le soir, pendant la durée strictement nécessaire à l’enlèvement des peintures sur toile ;

Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la SARL Le Boulingrin ;

Condamne la SCI XXX à payer à la SARL Le Boulingrin la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI XXX aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

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