Cour d'appel de Rennes, 7 mai 2013, n° 11/08647

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Sur la décision

Référence :
CA Rennes, 7 mai 2013, n° 11/08647
Juridiction : Cour d'appel de Rennes
Numéro(s) : 11/08647

Sur les parties

Texte intégral

7e Ch Prud’homale

ARRÊT N°232

R.G : 11/08647

M. H C

C/

Société BEAUPLET SAS

Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 07 MAI 2013

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Catherine ELLEOUET-GIUDICELLI, Président,

Madame Marie-Hélène MOY, Conseiller,

Monsieur Patrice LABEY, Conseiller,

GREFFIER :

Madame J K, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 19 Mars 2013

devant Madame Marie-Hélène MOY, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Mai 2013 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur H C

XXX

XXX

Comparant en personne, assisté de Me Pierre ABEGG, avocat au barreau de RENNES;

INTIMEE :

Société BEAUPLET SAS

XXX

XXX

XXX

représentée par Me JOURDAN Rudy, Avocat, de la SCP FROMONT BRIENS, avocats au barreau de LYON.


Faits-procédure

Monsieur C a été embauché par la SA Beauplet à l’agence de Montgermont en qualité de vendeur-magasinier échelon 1 catégorie 2 de la convention collective des commerces de quincaillerie à compter du 21 avril 1998.

Le 3 janvier 2007, le salarié se voit infliger un avertissement .

Le 10 juin 2010, un second avertissement lui est infligé pour 'comportement inacceptable'.

Le 8 septembre 2010, il est convoqué à un entretien préalable et mis à pied à la suite d’une altercation avec son supérieur .

Le 10 septembre 2010, Monsieur C dépose plainte pour harcèlement moral et prend acte de la rupture de son contrat de travail, et saisit le conseil de prud’hommes.

Par décision du 18 novembre 2011, le conseil a dit que le prise d’acte s’analyse en une démission, a débouté Monsieur C de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

Par déclaration postée le 16 décembre 2011 enregistrée le 19 décembre suivant, Monsieur C a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par conclusions visées au greffe le 15 février 2013, l’appelant demande à la cour de:

Infirmer la décision déférée

Annuler l’avertissement notifié le 10 juin 2010,

Dire et juger que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

En conséquence, condamner la société Beauplet à lui payer les sommes suivantes:

70 000€ à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

15 000€ en réparation du préjudice moral

3889€ à titre d’indemnité légale de licenciement

2800€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 280€ à titre de congés payés afférents

Fixer la moyenne des salaires à 1400€

Ordonner la remise sous astreinte journalière de 50 €, de l’attestation pôle emploi rectifiée

Condamner enfin la société Beauplet au paiement de la somme de 2000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions déposées à l’audience de plaidoirie du 19 mars 2013, la société Beauplet Languille intimée

Sollicite au contraire la confirmation de la décision, sauf en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande au titre du paiement du préavis et demande à la cour de condamner l’appelant à lui payer la somme de 1413€ de ce chef, ainsi que celle de 2000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux écritures sus-mentionnées, régulièrement notifiées et oralement soutenues lors de l’audience.

MOTIFS

Sur le harcèlement

Aux termes de l’article L 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L 1152 et suivants du code du travail, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces faits, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de ce que ces faits ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Monsieur C verse aux débats les éléments suivants:

— Le courrier adressé à l’inspection du travail le 6 juillet 2010 :

'Je tiens à préciser que depuis un an, je rencontre des difficultés à mon travail, je suis victime de harcèlement moral:

Insultes verbales, menaces physiques, remarques continuelles dévalorisantes, moqueries malsaines, méchantes, on dévalorise mon travail.

Madame F S du travail est informée de la situation, elle est venue en RV dans l’entreprise pour parler de ce problème…'

— Le certificat médical du docteur Emery en date du 8 septembre 2010 :

'Je viens de voir en urgence Monsieur C dans un état de tension extrême, avec anxiété majeure, suite à une situation conflictuelle au travail avec injures, harcèlement, l’ayant obligé à quitter son emploi en cours de journée'

— Le certificat médical du docteur G en date du 9 septembre 2010:

'Je soussigné avoir examiné ce jour Monsieur H C qui dit avoir subi une agression le mercredi 8 septembre 2010 vers 15 heures sur son lieu de travail. Il me dit avoir été violemment empoigné par un collègue de travail qui a tenté de le frapper.

J’ai fait les constatations suivantes :

Une ecchymose circulaire au niveau du bras gauche

deux ecchymoses circulaires au niveau du bras droit, ces lésions peuvent correspondre à des traces de doigts

Un état de stress réactionnel important avec anxiété, pleurs et insomnies.

Ces lésions entraînent une ITT de 8 jours sauf complications'

— L’avis d’arrêt de travail en date du 8 septembre 2010 mentionnant 'anxiété majeure suite situation conflictuelle -dépression'

— Les certificats postérieurs du docteur B psychiatre :

'Ce patient vient de présenter récemment une aggravation importante de son état de santé avec anxiété diffuse, troubles du sommeil et de l’appétit, perte de poids, appréhensions, pessimisme en rapport avec des conflits d’ordre professionnel…'

— Le compte rendu de la réunion du CHSCT du 30 juin 2010 au cours de laquelle le docteur F S du travail a évoqué le cas de deux salariés qui 'rencontrent des difficultés de communication'

Le compte rendu de la réunion du CHSCT en date du 8 octobre 2010 évoquant la réunion précédente en ces termes:

'Pas de second RV à prévoir(avec le docteur F) puisque le principal salarié concerné ne fait plus partie de l’entreprise'

— Copie de la plainte déposée auprès des services de police le 10 septembre 2010:

'… Je me fais insulter par deux collègues du service de réception dont un plus particulièrement depuis les derniers mois, Monsieur P D employé à la réception avec moi.

Depuis le mois de mai dernier M. D m’insulte quotidiennement et parfois deux fois par jour en ces termes:

'Ferme ta gueule, tu commences à nous faire chier, t’as rien à dire, si t’es pas content, on peut sortir dans la cour et on peut t’en mettre une, de toute façon je vais te pourrir la vie avant que je parte, … t’es un gros connard… tu pues d ela gueule, regarde comme t’es gros, gros lard…'

Une lettre d’avertissement m’a été adressée suite à une altercation avec Monsieur Z le vendredi 4 juin 2010.En effet, je dois préciser que je suis le tuteur de ma mère, et que j’ai eu besoin de m’absenter pour un rendez-vous chez un notaire. Je ne pouvais pas mettre en place le roll de mise à dispo le lendemain à 8H .Le lendemain, à 8H j’ai été pris à partie par Monsieur Z…

Le mercredi 7 septembre … j’ai fait deux palettes et je les ai filmées et scotchées … Quand j’ai voulu emmener les deux palettes à l’expédition, j’ai constaté que le film avait été coupé .Je l’ai fait constater à Monsieur Z qui m’a répondu agressivement: tu refais la palette… Je me suis absenté pour téléphoner à ma femme. Quand je suis revenu, j’ai constaté qu’il manquait un des trois colis, je l’ai retrouvé caché sous l’établi …

J’ai demandé où était le bon de livraison … D.Z m’a répondu j’en ai rien à foutre et il m’a fait un doigt d’honneur… Il m’a saisi fortement par les deux bras et m’a plaqué contre une table … un collègue est alors intervenu en paroles, nous demandant d’arrêter…'

Ces faits pris dans leur ensemble sont de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral.

L’employeur réplique en faisant valoir que :

Les certificats médicaux ne reprennent que les déclarations de monsieur C et les deux certificats successifs des 8 et 9 septembre comportent des contradictions.

Monsieur C ne rapporte pas la preuve des comportements décrits autrement que par ses propres déclarations.

Il a convoqué Monsieur Y en avril 2009 qui a donné une explication à son altercation avec Monsieur C:

'Je tiens à préciser que j’ai eu des échanges verbaux avec Monsieur C parce qu’il y avait de gros problèmes de compréhension entre nous, car Monsieur C est une personne qui ment comme il respire et n’est pas capable d’assumer ses erreurs au travail'

Monsieur C était à l’origine des échanges verbaux avec ses collègues de travail.

Il en veut pour preuve les témoignages de messieurs Y et D:

'Quotidiennement, il faut savoir que Monsieur H C me lançait des piques sur mon armée et sur mes problèmes pour esquiver les réflexions que je faisais sur son travail et ses mensonges…'

C’est Monsieur C qui a agressé Monsieur Z .Elle verse aux débats les attestations de monsieur Z et celle de Monsieur E , technicien SAV :

'Le 8 /9/2010 jour de l’incident, j’étais en train de régler un litige de réception avec Monsieur Z à proximité de monsieur C lorsque celui-ci a commencé à s’énerver parce qu’il ne trouvait plus un bon de préparation ..Enérvé, monsieur C a commencé à interpeller Monsieur Z fermement … Le ton a commencé à monter … Excédé par l’attente, Monsieur C a commencé à pousser Monsieur Z pour le faire réagir, en défense, monsieur Z a repoussé Monsieur C en arrière … puis ils ont commencé à vouloir se frapper…'

Monsieur X adjoint responsable logistique, confirme cette version, ajoutant :

'Monsieur C… venait souvent me voir pour me demander des choses qu’il était censé connaître car il les effectuait tous les jours.Il avait un peu de mal à assimiler certaines choses , d’où le fait que A son responsable était souvent obligé de le reprendre , vis à vis de son travail…'

La société verse également aux débats plusieurs attestations d’autres salariés qui corroborent l’impression donnée par Monsieur C sur son lieu de travail :

'… Non respect des tâches ordonnées par moi-même et surtout par mon adjoint réception. Et pourtant j’avais fait des efforts jusqu’à le changement de poste de préparateur pour la réception selon ses souhaits… pour moi, Monsieur C M une tension et une incompatibilité au sein de l’équipe de l’exploitation…'(attestation Lorandel)

Elle verse aussi le rapport des conseillers rapporteurs constatant que le CHSCT n’a pas été saisi des différends existant au sein du service .

Au vu de ces éléments, l’employeur ne rapporte pas la preuve de ce que les agissements dénoncés ont une cause objective. En effet, Monsieur C, employé dans la société depuis 1998 sans aucune difficulté s’est vu soudain reprocher à compter de 2009 des agissements envers ses collègues de travail, que l’employeur impute au seul Monsieur C, alors que la cour constate qu’il est le seul à avoir déposé plainte, à présenter un symptôme dépressif et des certificats médicaux attestant de blessures.

Pour justifier des tensions existantes, l’employeur invoque des erreurs dans le travail du salarié, alors qu’aucun reproche sur ce point ne lui a été notifié.

En conséquence, les faits de harcèlement répétés, portant atteinte à la santé et la dignité du salarié sont avérés, justifiant en raison de leur nature et de leurs conséquences, l’allocation d’une somme de 6 000€ à titre de dommages et intérêts.

Sur la rupture du contrat de travail

Monsieur C a pris acte de la rupture en ces termes:

'… Le fait de venir travailler m’est insupportable. En effet, en avril 2009 Monsieur N Y m’a pris à partie à plusieurs reprises. Il m’a menacé et menacé physiquement. J’ai par trois fois alerté mon supérieur hiérarchique Monsieur A Z afin qu’il intervienne , car je ne viens pas travailler pour me faire insulter .

La situation a encore empiré entre janvier et mai 2010, Monsieur D un collègue et ami de Monsieur Y a continué à m’insulter et me menacer physiquement… Je viens travailler avec la peur au ventre … Les collègues me traitent tout le temps de malade mental ou de déficient mental…'

Lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs invoqués à l’appui de cette rupture sont avérés et suffisamment graves, d’une démission dans le cas contraire.

En l’espèce, il résulte de ce qui précède, que quels que puissent être les éventuels griefs allégués par les collègues de Monsieur C à son encontre sur le plan du travail, l’employeur en imputant les difficultés relationnelles rencontrées au seul Monsieur C, en les qualifiant d’ enfantillages de maternelle’ a gravement failli à son obligation de sécurité de résultat, justifiant la prise d’acte de la rupture à ses torts, le jugement de première instance étant réformé sur ce point.

Sur l’avertissement du 10 juin 2010:

Il a été notifié au salarié en ces termes :

'A plusieurs reprises et encore début juin, nous avons été amenés à vous faire des observations verbales à propos de vos sautes d’humeur et manifestations intempestives de mécontentement lorsque nous vous demandons d’effectuer des tâches relevant de votre mission'

Compte tenu de ce qui précède, cet avertissement imputant au seul monsieur C la responsabilité des difficultés relationnelles, constitue une réponse inappropriée de l’employeur, et sera en conséquence annulé.

Sur les conséquences de la rupture

La rupture aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse .

En conséquence, il sera fait droit aux demandes relatives au préavis et à l’indemnité de licenciement, non autrement discutées.

Monsieur C, âgé de 52 ans lors de la rupture, a perdu le bénéfice d’une ancienneté de 12 années au sein de la société, d’un salaire de 1400€.

Il a bénéficié des prestations Pôle emploi à compter de juillet 2010 , et s’il a travaillé à quelques reprises, se trouve encore à ce jour en situation précaire. Cette situation affectera le montant de ses droits à la retraite.

Au vu de ces éléments, la cour estime à la somme de 30 000€ la juste réparation du préjudice subi.

Par ailleurs la cour fera application d’office des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail , en ordonnant le remboursement à Pôle Emploi des indemnités versées au salarié postérieurement à la rupture, dans la limite de six mois de prestations.

La remise d’une attestation Pôle Emploi conforme sera ordonnée, sans que le prononcé d’une astreinte ne soit nécessaire.

Sur les frais et dépens

Il est équitable d’allouer à Monsieur C la somme de 2000€ au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.

La société intimée succombant sera déboutée de sa demande de ce chef et supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

INFIRME la décision déférée et statuant à nouveau:

DIT que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Monsieur C aux torts de l’employeur est justifiée et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la société Beauplet à payer à Monsieur C les sommes suivantes:

2800€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 280€ au titre des congés payés afférents

3889€ au titre de l’indemnité de licenciement

30 000€ à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

5 000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

ORDONNE la remise des documents sociaux rectifiés conformément aux termes du présent arrêt

DIT n’y avoir lieu à prononcé d’une astreinte

ORDONNE le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées à Monsieur C suite à cette rupture, dans la limite de six mois de prestations

CONDAMNE la société Beauplet à payer à Monsieur C la somme de 2000€ au titre de ses frais irrépétibles

DEBOUTE la société Beauplet de sa demande de ce chef et LA CONDAMNE aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

G. K C. ELLEOUET-GIUDICELLI

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