Cour d'appel de Riom, Chambre commerciale, 3 juillet 2019, n° 18/00122

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Riom, ch. com., 3 juill. 2019, n° 18/00122
Juridiction : Cour d'appel de Riom
Numéro(s) : 18/00122
Décision précédente : Tribunal de grande instance d'Aurillac, 3 décembre 2017, N° 15/00482
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 03 Juillet 2019

N° RG 18/00122 – N° Portalis DBVU-V-B7C-E5KY

FK

Arrêt rendu le trois Juillet deux mille dix neuf

Sur APPEL d’une décision rendue le 4 décembre 2017 par le Tribunal de grande instance d’Aurillac (RG n° 15/00482)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M. B RIFFAUD, Président

M. B KHEITMI, Conseiller

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé

ENTRE :

Mme Z A épouse X

Fradasse

[…]

Représentants : la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et la SELARL INTER-BARREAUX MCM AVOCAT, avocats au barreau de BRIVE (plaidant)

M. B X

Fradasse

[…]

Représentants : la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et la SELARL INTER-BARREAUX MCM AVOCAT, avocats au barreau de BRIVE (plaidant)

APPELANTS

ET :

La société ACS P3

SARL immatriculée au RCS d’Aurillac sous le […]

[…]

[…]

nouvellement dénommée G & P CONSEILS, SARL dont le siège social est sis […]

Représentants : la SELARL LEXAVOUE, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et l’AARPI LAWINS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS (plaidant)

La société CNA INSURANCE COMPANY LIMITED

SA immatriculée au RCS de Paris sous le […]

[…]

[…]

Représentants : la SELARL LEXAVOUE, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et l’AARPI LAWINS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS (plaidant)

INTIMÉS

DEBATS : A l’audience publique du 29 Mai 2019 Monsieur KHEITMI a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 03 Juillet 2019.

ARRET :

Prononcé publiquement le 03 Juillet 2019, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par M. B RIFFAUD, Président, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure – demandes et moyens des parties :

M. B X et Mme Z A son épouse sont entrés en relation, au cours de l’année 2010, avec la SARL ACS P3, société de conseil en gestion de patrimoine.

Cette société a réalisé pour M. et Mme X un rapport, comportant une étude financière et fiscale de leur patrimoine datée du 12 août 2010, et diverses recommandations ; la SCI AVRELANT, représentée par M. et Mme X, a conclu le 12 août 2010 avec la SARL ACS P3 un contrat d’assistance en gestion de patrimoine. Dans le cadre de sa mission, la SARL ACS P3 a suggéré à M. et Mme X de s’intéresser entre autres à des placements en rapport avec l’art, et le 7 décembre 2010 elle les a mis en contact avec un commercial du réseau ARISTOPHIL.

Le 10 décembre 2010, M. et Mme X ont souscrit, avec la SAS ARISTOPHIL, un ensemble de documents contractuels comprenant : un bon de commande pour une somme de 105 000 euros pour

chacun d’eux, selon lequel « le client » procédait à l’acquisition d’une collection constituée en tout ou en partie de valeurs et d’oeuvres d’art ; une « Convention AMADEUS », selon laquelle ARISTOPHIL s’engageait à vendre à « l’acquéreur » une collection d''uvres d’art en cours de constitution ; et une Convention de « garde et de conservation », stipulant entre autres que M. et Mme X s’engageaient à confier la garde de leur collection à la société ARISTOPHIL pour une durée d’un an renouvelable, que cette société s’engageait à en garantir la valeur, et qu’elle pourrait racheter les collections à un prix majoré de 8,95 % par année de garde, à la condition que le dépôt ait duré pendant au moins cinq années.

La société ARISTOPHIL a fait connaître à M. et Mme X, par lettre du 21 avril 2011, la liste de la collection d''uvres acquises par chacun d’eux (comprenant notamment des autographes ou des éditions originales d’ouvrages d’écrivains connus).

M. et Mme X ont ensuite souscrit avec la société ARISTOPHIL, en mai 2011, de nouveaux documents contractuels sous la même forme, pour l’acquisition de 10 parts d’une « Indivision Coralys Prestige 100 ' Les Mémoires du Général de Gaulle 1940-1942 », au prix de 50 000 euros.

La SARL ACS P3, par une lettre à M. et Mme X du 15 février 2015, les a informés que la société ARISTOPHIL avait fait l’objet d’une enquête de la DGCCRF, et que l’inspecteur de cette administration avait conclu de son enquête que les pratiques de cette société consistant à annoncer des gains de plus de 8 % par an tombaient sous le coup des dispositions du code de la consommation prohibant les pratiques commerciales trompeuses. La SARL ACS P3 informait M. et Mme X que des scellés avaient été placés sur les chambres fortes contenant les collections acquises par des indivisions, et que la société ARISTOPHIL avait été placée en redressement judiciaire.

M. et Mme X ont déclaré leur créance au représentant des créanciers le 12 mars 2015 ; le 13 mai 2015, ils ont déposé une requête en revendication de leurs collections.

La société ARISTOPHIL a fait l’objet par la suite d’une liquidation judiciaire, prononcée le 5 août 2015 par le tribunal de commerce de Paris.

À la suite de la requête de M. et de Mme X, leurs collections leurs ont été remises (sauf un document), en décembre 2017 ; un expert a estimé leur valeur entre 25 800 et 31 300 euros.

Entre-temps, par un acte introductif d’instance délivré le 3 juillet 2015, M. et Mme X avaient fait assigner devant le tribunal de grande instance d’Aurillac la SARL ACS P3, et l’assureur de cette société CNA INSURANCE COMPANY LIMITED (CNA), aux fins d’obtenir la condamnation de la SARL ACS P3 à leur payer la somme principale de 375 850 en réparation de leur préjudice.

M. et Mme X fondaient leur demande sur la responsabilité contractuelle de la SARL ACS P3, ayant manqué selon eux à ses obligations d’information et de conseil.

Le tribunal de grande instance d’Aurillac, suivant jugement contradictoire du 4 décembre 2017, a débouté M. et Mme X de leurs demandes, et les a condamnés à payer à chacun des défendeurs une somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal a énoncé, dans les motifs du jugement, que la SARL ACS P3 avait agi en qualité de conseil en investissement financier, qu’elle était tenue en cette qualité d’une obligation de conseil et d’information, mais qu’il n’est pas démontré qu’il existait, en 2010, des doutes suffisants sur les activités d’ARISTOPHIL pour que la SARL ACS P3 soit tenue de renoncer à proposer à la clientèle les investissements offerts par cette société, et qu’au surplus M. et Mme X ne justifiaient pas de leur préjudice, la société ARISTOPHIL n’ayant pas garanti un rendement de 8,95 % par an, mais s’étant seulement engagée à conserver les collections objet du placement, collections dont il n’est pas

établi qu’elles aient disparu.

Par déclaration électronique reçue au greffe le 16 janvier 2018, M. et Mme X ont interjeté appel de ce jugement, dans toutes ses dispositions.

Les appelants demandent à la cour de réformer le jugement, et de condamner la SARL G & P CONSEILS, nouvelle raison sociale de la SARL ACS P3, solidairement avec CNA, à leur payer 256 325 euros de dommages et intérêts. Ils déclarent fonder leur action sur la responsabilité contractuelle de la SARL ACS P3, et ils approuvent le tribunal, en ce qu’il a reconnu à cette société la qualité de conseiller en investissement financier, tenu à ce titre aux règles de bonne conduite figurant dans le code monétaire et financier et dans le règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers. Ils invoquent, en outre, les obligations précontractuelles d’information et de conseil contenues dans l’article L. 111-1 du code de la consommation, et font valoir que la SARL ACS P3 a manqué à ses obligations, en omettant de souligner les risques propres au placement en cause : les actes contractuels que M. et Mme X ont souscrits avec la société ARISTOPHIL ne leur donnaient aucune garantie ni de rentabilité de l’opération – puisque la société co-contractante ne s’était pas engagée à leur racheter les collections – ni non plus de retrouver les liquidités qu’ils avaient versées.

M. et Mme X relèvent que la SARL ACS P3 s’est limitée à qualifier de faible le risque inhérent au placement en cause, qu’elle ne s’est livrée au préalable à aucune analyse de ce placement, alors que l’autorité des marchés financiers avait mis en garde le public, dès 2007, contre le montage créé par la société ARISTOPHIL, que diverses publications avaient critiqué les produits proposés par cette société, et que M. et Mme X étaient eux-mêmes profanes en la matière, s’agissant d’un domaine très particulier, soumis à divers aléas. Ils précisent que les documents historiques qui faisaient l’objet du second investissement (les brouillons manuscrits de 313 télégrammes du Général de Gaulle, établis de 1940 à 1942), ont été revendiqués par l’Etat et que cette revendication a prospéré, de sorte que ces documents considérés comme des archives publiques sont définitivement perdus pour eux. M. et Mme X soulignent le comportement anormal de la SARL ACS P3, qui a enfreint les dispositions du code monétaire et financier, qui interdisent à un démarcheur de signer un contrat pour le compte du mandant, et de recevoir des paiements. Ils estiment que leur préjudice, qui consiste en une perte de chance de retrouver les fonds qu’ils ont investis (d’un montant total de 260 000 euros), s’établit à 256 325 euros, somme calculée sur la base du montant qu’ils pouvaient retirer de leur investissement (environ 297 000 euros), diminué de la valeur réelle des collections qu’ils ont reprises, et du bénéfice fiscal de l’opération.

Ils contestent, par ailleurs, un plafond de garantie que leur oppose CNA, au visa de l’article L. 124-1-1 du code des assurances, ayant trait aux sinistres sériels. Ils soutiennent que cette disposition ne peut s’appliquer à l’ensemble des préjudices causes par les placements de la société ARISTOPHIL, qui ont porté non sur des choses de genre mais sur des corps certains.

La SARL G & P CONSEILS (nouvelle dénomination de la SARL ACS P3) et CNA concluent à la confirmation du jugement, et au rejet de toutes les demandes de M. et Mme X. Elles soulignent que les placements en cause ne constituent qu’une partie de ceux que leur a proposés la SARL ACS P3, et font valoir que celle-ci n’a pas manqué à ses obligations d’information et de conseil. Elles contestent que la SARL ACS P3 ait agi comme conseiller en investissements financiers, au sens de l’article L. 541-1 du code monétaire et financier, et contestent aussi l’application des règles relatives au démarchage financier, et l’existence d’une obligation de mise en garde. Elles admettent en revanche que la SARL ACS P3 était tenue, envers M. et Mme X, d’obligations de conseil et d’information, mais soutiennent qu’elle n’a pas manqué à ces obligations : la lecture des actes contractuels permettait aux souscripteurs de constater par eux-mêmes qu’ils retrouveraient, au terme de la convention de garde, la détention de leurs collections, mais sans leur garantir d’aucune manière qu’ils recouvreraient le prix qu’ils avaient payé, puisque l’option de rachat ouverte à la société ARSTOPHIL ne constituait pour celle-ci qu’une simple faculté.

Les sociétés intimées font valoir que l’acquisition de lettres et de manuscrits se trouvait soumise aux aléas du marché, comme d’autres biens, tels que des biens immobiliers, peuvent être soumis aux aléas du marché dont ils relèvent, et que les placements proposés par la société ARISTOPHIL ne comportaient pas de risque spécifique connu. Elles rappellent que l’obligation de conseil est une obligation de moyens, et relèvent qu’au moment de l’acquisition de 2011, il ne pouvait être prévu que les biens objet de cette opération seraient revendiqués par l’Etat, que d’ailleurs la société ARISTOPHIL jouissait d’appréciations élogieuses dans la presse spécialisée, et que la Banque de France qualifiait de forte sa capacité à honorer ses engagements dans les trois ans.

Elles contestent ensuite l’existence d’un préjudice réparable, au motif que la perte subie par M. et Mme X ne sera connue de manière certaine que lorsqu’ils auront revendu la totalité de leurs collections.

À titre subsidiaire, CNA fait valoir qu’elle ne garantit la responsabilité de la SARL G & P CONSEILS que dans les conditions et limites fixées par le contrat d’assurance, que celui-ci prévoit un plafond de garantie de 2 000 000 euros par période d’assurance, qu’il s’agisse ou non d’un sinistre sériel, et qu’elle a reçu, au titre du même contrat, des demandes d’indemnisation pour un montant global très supérieur au plafond. Elle demande à la cour de juger qu’elle ne pourrait être tenue de garantir la SARL ACS P3 qu’après déduction des sommes qu’elle a déjà versées en vertu du même contrat, ou à défaut de désigner un séquestre pour consigner les fonds, et pour les répartir au marc l’euro, dans l’attente des décisions définitives qui statueront sur les demandes d’indemnisations formées par des investisseurs ayant opéré des placements auprès de la SARL ACS P3.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 2 mai 2019.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions, déposées au greffe de part et d’autre le 26 avril 2019.

Motifs de la décision :

Sur l’application des règles particulières aux conseillers en investissement financier :

Selon l’article L. 541-1 I du code monétaire et financier, pris dans sa rédaction en vigueur à la date des contrats en cause, les conseillers en investissements financiers sont les personnes exerçant à titre de profession habituelle les activités suivantes :

1° Le conseil en investissement mentionné au 5 de l’article L. 321-1 ;

2° Le conseil portant sur la réalisation d’opérations de banque […] ;

3° Le conseil portant sur la fourniture de services d’investissement mentionnés à l’article L. 321-1 ;

4° Le conseil portant sur la réalisation d’opérations sur biens divers définis à l’article L. 550-1.

M. et Mme X font valoir que la SARL ACS P3 est un conseiller en investissement financier au sens de ce texte, dès lors qu’elle exerce de manière habituelle les opérations qu’il énumère, quand bien même les contrats qu’ils ont souscrits par son intermédiaire ne relèveraient pas de l’une de ces opérations.

La SARL ACS P3, qui ne conteste pas sa qualité de conseiller en investissement financier, soutient cependant qu’elle n’était pas soumise dans le cas particulier aux règles propres à cette profession, dès lors que les placements qu’ont souscrits M. et Mme X auprès de la société ARISTOPHIL échappaient par nature à ceux énumérés à l’article L. 541-11 du code susdit, et notamment à ceux prévus aux articles L. 321-1 et L. 550-1 du même code.

L’article L. 541-8-1 du code monétaire et financier fixe les règles de bonne conduite des conseillers en investissements financiers ; ainsi que le font valoir les appelants, cet article et les textes auxquels il renvoie s’appliquent sans restriction aux conseillers en investissement financier, et par suite à l’ensemble des opérations qu’ils réalisent, sans en exclure les opérations qui par nature ne relèvent pas de celles énumérées à l’article L. 541-1 I. Il n’y a pas lieu de créer une distinction ou une exception tenant au contenu de l’opération, là où ce dernier article de loi n’en crée aucune, le législateur ayant entendu instituer un ensemble de règles de bonne conduite s’imposant à la profession considérée, au regard de ses activités principales, mais s’étendant à la totalité des missions qu’il accomplit.

À supposer même que les règles de bonne conduite propres à cette profession doivent s’appliquer au cas par cas, distinctement pour chaque mission, il convient d’apprécier cette application au regard de la mission dans son ensemble, et non pour chacune des opérations réalisées. Dans le cas particulier, M. et de Mme X ont contracté avec la SARL ACS P3, au travers de la SCI AVRELANT, une convention d’assistance portant sur des biens d’une valeur de plus de 1 000 000 euros (cf. l’acte contractuel du 12 août 2010, et le document intitulé « Analyses et propositions d’optimisation des différents actifs qui composent votre patrimoine », établi sans date par cette société) ; or les propositions que leur a faites la SARL ACS P3, dans une lettre détaillée du 24 octobre 2010, comportaient de nombreuses recommandations relevant par nature, pour la plupart, de celles prévues à l’article L. 541-1 I ancien du code monétaire et financier : versements sur des comptes sur livret, sur des plans d’épargne en actions et, à concurrence de 800 000 euros, sur des contrats d’assurance vie fondés sur divers supports. La proposition de placement en objets d’arts n’était faite qu’à la fin de cette lettre, et de manière marginale : « ' à titre de diversification, vous pouvez vous intéresser à des supports investis sur l’art, tout en disposant à date régulière de l’intégralité de votre capital. Nous aurons l’occasion de développer cette nouvelle approche ».

La mission donnée à la SARL ACS P3 relevait ainsi, de manière prépondérante, d’une activité de conseiller en investissement financier telle que prévue à cet article.

La SARL ACS P3 était donc tenue, tant par sa qualité de conseiller en investissement financier que par le contenu de sa mission donnée par M. et Mme X, aux obligations propres à cette profession, et ce pour l’ensemble des prestations qu’elle leur a fournies dans le cadre de cette mission.

M. et Mme X ne sont pas fondés, en revanche, à invoquer les obligations applicables en cas de démarchage financier : l’article L. 341-1 du code monétaire et financier limite le démarchage financier à des cas de prises de contact non sollicitées, alors que M. et Mme X ont contracté à leur initiative avec la SARL ACS P3, en souscrivant le contrat d’assistance du 12 août 2010, de sorte que les règles du démarchage financier ne sont pas applicables, quand bien même cette société les a ensuite mis en relation avec un représentant de la SARL ACS P3 : cette mise en relation s’inscrivait dans l’exécution du contrat d’assistance, lequel n’avait pas été conclu en suite d’une démarche non sollicitée par M. et Mme X.

Sur les fautes reprochées à la SARL ACS P3 :

L’article L. 541-8-1 du code monétaire et financier dispose notamment que les conseillers en investissements financiers doivent :

1° Se comporter avec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêts de leurs clients ;

2° Exercer leur activité, dans les limites autorisées par leur statut, avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent au mieux des intérêts de leurs clients, afin de leur proposer une offre de services adaptée et proportionnée à leurs besoins et à leurs objectifs ; […]

4° S’enquérir auprès de leurs clients ou de leurs clients potentiels, avant de formuler un conseil, de

leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d’investissement, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments et services adaptés à leur situation.

La SARL ACS P3 reconnaît d’ailleurs à bon droit qu’elle était tenue envers M. et Mme X sinon d’une obligation de mise en garde, au moins d’une obligation de conseil et d’une obligation d’information. Le contrat d’assistance du 12 août 2010 stipulait à la charge de cette société l’obligation « d’analyser ' sans complaisance ' les formules de placement existantes », et celle de « souligner les risques inhérents aux opérations constatées ou suggérées ».

La SARL ACS P3, lorsqu’elle a proposé à M. et à Mme X d’acquérir des produits proposés par la société ARISTOPHIL, a souscrit avec chacun d’eux, le 10 décembre 2010, une « Fiche connaissance client », dans laquelle cette société qualifiait le risque du placement de « faible », en indiquant que le but du placement était de valoriser un capital, que la durée du placement était de cinq ans, qu’aucun revenu ne serait distribué dans le cours de vie du contrat, et que la part relative de l’investissement en objets d’art représentait moins de 10 % du patrimoine global du client.

Les documents contractuels signés le même jour 10 décembre 2010 entre M. X, Mme X d’une part et la SAS ARISTOPHIL d’autre part, comportaient, comme déjà énoncé : un bon de commande, stipulant la vente au prix de 105 000 euros pour chaque vente d’une collection dont les caractéristiques devaient être déterminées dans une annexe jointe ; une Convention AMADEUS, précisant que la société vendeuse s’engageait à proposer à chacun des acquéreurs une collection d''uvres encours de constitution, et ce dans un délai de 60 jours, avec faculté de refus pour l’acquéreur, auquel cas la société ARISTOPHIL ferait « ses meilleurs efforts pour lui faire une nouvelle proposition dans le délai de 30 jours » ; une Convention de garde et de conservation, stipulant notamment que la société vendeuse conditionnait, expertisait et gardait la collection pendant une année renouvelable, qu’elle en garantissait la valeur, que la collection serait déposée dans des coffres et assurée, puis remise à l’acquéreur « au terme de la convention ».

M. X et Mme X d’une part, et la SAS ARISTOPHIL d’autre part ont enfin souscrit le 10 décembre 2010 une 'Annexe convention de garde et de conservation', qui rappelait le prix de vente : 105 000 euros pour chacune des deux collections, et qui contenait le paragraphe suivant, sous l’intitulé « Promesse de vente en fin de convention » :

« Société et acquéreur sont convenus de la possibilité pour la Société d’acheter la collection au terme de la convention de garde et de dépôt. La durée de ce droit d’option est de 6 mois. La promesse de vente accordée par l’Acquéreur et acceptée en tant que promesse par la société se réalisera, au même prix que le prix de vente de la collection à l’Acquéreur. Ce prix sera néanmoins majoré de 8,95 % par année de garde et de conservation si le dépôt a une durée d’au moins 5 années pleines entière […] ».

M. X et Mme X ont ensuite souscrit ensemble, avec la SAS ARISTOPHIL, le 26 mai 2011, une convention d’acquisition de 10 parts dans une indivision dénommée CORALY’S PRESTIGE 100, propriétaire selon le contrat de vente de « Manuscrits secrets du Général de GAULLE à Londres 1940 – 1941 », d’une valeur de 7 500 000 euros. M. X et Mme X ont acquitté le prix de vente de ces parts, fixé à 50 000 euros ; cette convention comportait, comme leurs précédentes acquisitions, un « contrat de garde » et de conservation (article 1er de la convention), et une promesse de revente faite par les acquéreurs à la société ARISTOPHIL, au terme des cinq ans du contrat, (« Le Propriétaire promet unilatéralement de vendre à la société la collection dont il est propriétaire au terme des 5 ans … »), avec une majoration du prix minimum de 8,75 % par an.

M. X et Mme X reprochent à la SARL ACS P3 d’avoir manqué à ses obligations en s’abstenant de leur remettre, avant qu’ils ne s’engagent, un rapport écrit et circonstancié développant une information complète sur les produits proposés, leur permettant d’apprécier justement

l’opportunité et les risques du placement proposé ; ils lui reprochent de ne pas les avoir informés sur les produits achetés, leur valeur et leur mode d’estimation, ainsi que sur leur liquidité et sur la rentabilité envisagée de l’opération, et sur la structure particulière du contrat, comme elle aurait dû le faire si elle avait exercé sans complaisance son esprit d’analyse, comme elle s’y était engagée. Ils reprochent encore à la SARL ACS P3 d’avoir attendu la déconfiture de la société ARISTOPHIL, avant de solliciter l’avis du professeur DAIGRE afin de « mieux comprendre » le modèle juridique de l’activité de cette société.

Cependant sur ce dernier point : la note de synthèse du professeur DAIGRE, que la SARL ACS P3 n’a en effet communiquée à M. et à Mme X que par sa lettre du 15 février 2015 les informant de l’enquête diligentée auprès de la société ARISTOPHIL, se limite à définir les activités de la société ARISTOPHIL, en énonçant qu’elle achète et revend, à titre principal, des collections avec un bénéfice, en assurant leur conservation en vertu d’un contrat de dépôt, sans exercer une activité d’intermédiaire ou de gestion de portefeuille, et sans non plus accorder aux acquéreurs de garantie de rachat au prix revalorisé (pièce n° 13 produite par les appelants) ; cette note de synthèse datée du 5 novembre 2014 ne contient aucune appréciation sur le risque encouru par les souscripteurs, et aucune information de nature à les alerter sur ce risque.

L’indication que la société ARISTOPHIL ne garantissait pas aux acquéreurs le rachat de leurs collections au prix revalorisé, contenue dans la note susdite, ne constituait nullement une information nouvelle, puisque la simple lecture de l’ « Annexe à la convention de garde et conservation » du 10 décembre 2010, citée ci-avant, et de la convention d’acquisition du 26 mai 2011, suffisait à tout lecteur normalement attentif, même non juriste, pour constater que la société ARISTOPHIL se réservait la possibilité, mais en aucun cas ne prenait l’engagement, de leur racheter les biens vendus au terme des cinq ans. Les expressions : « Société et acquéreur sont convenus de la possibilité pour la Société d’acheter la collection », et : « promesse de vente accordée par l’Acquéreur », ne laissaient subsister aucune ambiguïté à cet égard : c’est l’acquéreur qui s’obligeait à revendre les biens qu’il avait acquis, l’obligation de la société vendeuse se limitant à réévaluer le prix, au cas où elle déciderait de racheter les collections.

Les autres obligations contractées par la société ARISTOPHIL se bornaient à transférer aux acquéreurs la propriété des collections vendues, et à les conserver en dépôt, obligations qui résultaient clairement des actes contractuels, de sorte que la SARL ACS P3 n’était pas tenue d’en expliciter plus avant le contenu auprès de M. et Mme X : ceux-ci avaient, à la simple lecture des actes contractuels, la certitude de retrouver matériellement les collections qu’ils avaient acquises, mais non celle d’en recouvrer le prix qu’ils avaient payé. La SARL ACS P3 n’était d’ailleurs pas tenue de leur remettre un rapport écrit circonstancié particulier sur ce produit, dès lors qu’elle avait déjà établi auparavant un tel rapport, sous la forme de l’étude financière et fiscale du 12 août 2010 (pièce n° 2 produite par la société intimée), qui portait sur l’ensemble des placements proposés.

Il n’apparaît donc pas que la SARL ACS P3 ait manqué à ses obligations, et notamment à celles d’information et de conseil, en ce qui concerne les modalités juridiques de l’opération conclue le 10 décembre 2010.

M. et Mme X reprochent aussi à la SARL ACS P3 d’avoir manqué à son devoir d’information et de conseil dans l’évaluation des collections proposées, lesquelles relevaient du domaine particulier des 'uvres d’art ; et il apparaît que cette société s’est limitée à qualifier le risque d’opération de faible, sans s’inquiéter de la valeur et du mode d’évaluation des collections vendues, valeur qui au surplus n’était pas encore connue, au jour où elle a donné cet avis dans la « Fiche connaissance client » qu’elle a établie le 10 décembre 2010.

La SARL ACS P3 souligne pour sa défense que les acquéreurs avaient la faculté, selon les termes des contrats conclus le 10 décembre 2010, de refuser les collections qui devaient leur être proposées par la société ARISTOPHIL dans un délai déterminé, que M. et Mme X ne prétendent pas avoir

exercé ce droit de refus, et qu’ils ne lui ont pas fait connaître le contenu des collections qu’ils avaient acquises, après qu’ils ont été eux-mêmes informés de ce contenu par la société ARISTOPHIL, le 21 avril 2011 : la SARL ACS P3 fait valoir qu’elle était dès lors dans l’impossibilité de leur proposer une évaluation de ces collections, faite par un expert.

La SARL ACS P3 s’était toutefois engagée à réaliser une analyse « sans complaisance » des formules de placement existantes, et à souligner les risques inhérents aux opérations qu’elle suggérait ; or les placements en litige présentaient la première particularité de porter sur des pièces de valeur littéraire ou artistique, soumises à un aléa tenant à la variation des cotes, certes comme d’autres domaines faisant l’objet de placements, mais qui présentaient un caractère spécifique, impliquant des estimations de valeur, faites par des personnes indépendantes et qualifiées.

Ces placements opérés le 10 décembre 2010 comportaient l’autre particularité de porter sur des collections qui n’étaient pas définies dès la souscription des actes contractuels, alors pourtant que l’article 1er des Conditions générales de vente du bon de commande énonçait que « les caractéristiques et le prix » des collections acquises étaient déterminés dans une annexe à ce document : le bon de commande n’était suivi d’aucune annexe, et celle de la « Convention de garde et de conservation » ne contenait aucune désignation des documents ou objets d’art vendus. Les collections objet des deux ventes étaient, selon les termes du bon de commande, « en cours de constitution ».

Le fait de proposer un contrat, sans informer le client au préalable de l’objet précis des ventes, avec le détail de chacun des objets acquis, et le prix unitaire de chacun d’eux, constitue une infraction à l’obligation d’information précontractuelle édictée à l’article L. 111-1 du code de la consommation, qui imposait dans le cas particulier, vu l’importance de l’acquisition en valeur, et la nature spécifique des biens concernés, que de tels renseignements soient donnés aux acquéreurs avant qu’il ne s’engagent.

La SARL ACS P3 est mal fondée à reprocher à M. et Mme X de ne pas lui avoir demandé conseil, lorsqu’ils ont été informés par la société ARISTOPHIL, le 21 avril 2011, de la liste des pièces vendues et du prix de chacune d’elles : c’est à la SARL ACS P3 qu’il appartenait, en sa qualité de professionnel s’adressant à des non professionnels, de veiller à ce que ceux-ci aient reçu, dès avant l’acquisition, toutes les informations nécessaires pour contracter en connaissance de cause, et notamment la désignation précise des biens vendus.

Par ailleurs, selon les termes de ces contrats conclus le 10 décembre 2010, la société ARISTOPHIL s’engageait à « expertiser » les collections vendues, et elle en garantissait la valeur (article 1er de la « Convention de garde et de conservation », paragraphes 2 et 3) ; or, indépendamment de la liste des pièces composant chacune des collections, et du prix de chacune de ces pièces mentionné dans la lettre d’information du 21 avril 2011, il n’apparaît pas que la valeur des collections vendues ait donné lieu à d’autre estimation que celle figurant dans deux certificats établis le 26 janvier 2011 par le Service Art et Collections de la société ARISTOPHIL elle-même, certificats qui se limitent à attester que chacun des acquéreurs était à cette date « propriétaire d’une collection d''uvres d’art d’une valeur de : 105 000 euros », sans précision ni de la valeur particulière de chacune des pièces, ni de l’auteur de leur estimation (pièces n° 5-5 et 6-4 produites par les société intimées).

Il résulte de ces éléments que la SARL ACS P3, en qualifiant le risque de l’opération de faible, en s’abstenant de veiller à ce que M. et Mme X reçoivent avant de s’engager les informations utiles, en s’abstenant d’attirer leur attention sur l’incertitude résultant de toute énumération préalable de toutes les pièces composant chacune des collections, et en s’abstenant surtout de s’assurer que celles-ci avaient fait l’objet d’une estimation de valeur réalisée par un expert qualifié et indépendant, ou, à défaut, d’attirer l’attention des acquéreurs sur l’absence d’une telle estimation, a manqué tant à ses obligations légales de conseil et d’information, qu’aux obligations contractuelles qu’elle avait spécialement souscrites, de souligner les risques encourus et d’analyser sans complaisance les

placements qu’elle proposait.

Cette société ne saurait se retrancher derrière les appréciations très favorables de la société ARISTOPHIL données dans la presse spécialisée, et d’une bonne cotation par la Banque de France, qui s’est maintenue jusqu’à l’année 2014 (cf. notamment les motifs d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er avril 2019 et d’un jugement du tribunal de grande instance de Saint-Etienne du 28 novembre 2018, produits aux débats par les sociétés intimées) : ces avis d’ordre général ne la dispensaient pas d’exercer son esprit critique, et de souligner les risques propres à l’opération, ainsi qu’elle s’y était engagée par contrat.

La SARL ACS P3, en proposant dans de telles circonstances à M. et à Mme X d’acquérir les collections mises en vente par la société ARISTOPHIL, a commis une faute, qui l’oblige à réparer les conséquences dommageables de ses abstentions fautives, liées aux ventes conclues le 10 décembre 2010.

D’autre part l’acquisition de parts dans l’Indivision CORALY’S PRESTIGE 100, propriétaire de divers objets et documents divers relatifs au 'Général de Gaulle et [à] la Trilogie des grands Destins’ ( 313 documents manuscrits), d’une valeur de 7 500 000 euros selon l’acte constitutif de cette indivision, n’a pas été non plus précédée d’une quelconque vérification par la SARL ACS P3 de l’origine et des modalités de cette évaluation, alors que la nature des documents et des autres biens concernés les exposait, à l’évidence, à être considérés comme des archives publiques, au sens de l’article L. 211-4 du code du patrimoine, et à faire l’objet d’une revendication de l’Etat par application de l’article L. 112-22 du même code. Un avis qualifié aurait permis de connaître l’existence de ce risque, et aussi de s’assurer de la valeur des biens concernés. L’absence de toute vérification, de la part de la SARL ACS P3, engage elle aussi sa responsabilité, pour les dommages qui seraient résultés de cette acquisition conclue le 26 mai 2011.

Sur les préjudices :

Le préjudice réparable, pour les différentes acquisitions en litige, consiste en la perte de chance de ne pas contracter, que M. et Mme X ont subie, par suite des manquements de la SARL ACS P3 à exécuter les obligations susdites, et en particulier de son abstention d’attirer spécialement l’attention des acquéreurs sur l’absence de valeur certifiée des biens qu’ils acquéraient.

Cette société conteste la réalité de pertes subies par les acquéreurs, au motif que celles-ci ne seront établies que lorsque la totalité de leurs collections aura été vendue.

Les Conventions de garde et de conservation souscrites le 10 décembre 2010 prévoyaient que la durée des contrats était d’une année, renouvelable d’année en année par tacite reconduction, sans terme explicite (article 1er paragraphe 6) ; l’Annexe à ces conventions stipulait que la promesse de revente se réaliserait avec augmentation du prix de 8,95 % par an, à condition que le dépôt ait duré « au moins 5 années pleines et entières », clauses qui permettaient à M. et à Mme X d’espérer la revente de leurs collections en décembre 2015.

M. et Mme X justifient que, selon une estimation donnée le 15 mars 2018 par la SAS C D, commissaire-priseur, la valeur totale de leurs deux collections acquises en décembre 2010 était comprise entre 25 800 et 31 300 euros (pièces n° 31 et 32) ; ce commissaire-priseur a décidé d’échelonner sur plusieurs années les ventes des nombreuses collections cédées par la société ARISTOPHIL, et de celles composant l’actif de celle-ci, ventes réalisées soit dans le cadre de la liquidation judiciaire de cette société, ou soit pour le compte des acquéreurs, cet échelonnement étant décidé afin de ne pas provoquer de baisse des prix (pièce n° 19 produite par M. et Mme X).

Les appelants justifient qu’ils ont mis en vente, en avril 2019 par le ministère de la SAS C D, cinq pièces sur les onze que comportent au total leurs deux collections ; l’une de ces

pièces, pourtant évaluée 48 000 euros par la société ARISTOPHIL, n’a été évaluée qu’à 3 000 euros par le commissaire-priseur (des notes manuscrites de Jules et d’Edmond de CONCOURT sur « Madame Y »), et n’a pas trouvé d’acquéreur à ce prix ; les quatre autres ont été vendues à des prix globalement peu différents de ceux estimés par la SAS C D (un « tapuscrit » de E F a été adjugé 9 000 euros, alors qu’il avait été estimé entre 10 et 12 000 euros par le commissaire-priseur, et acheté au prix de 45 000 euros ; un autre « tapuscrit », de E G, a été vendu 500 euros, soit l’estimation haute donnée par la SAS C D, alors qu’il avait été acquis par Mme X au prix de 4 000 euros : pièces n° 55 à 58 produites par les appelants).

Les ventes ainsi réalisées permettent de confirmer les estimations faites par la SAS C D. En avril 2019, soit plus de trois années après le terme de décembre 2015, seule une partie de leurs collections a été revendue, avec une perte importante ainsi qu’il a été dit ; les sociétés intimées n’apportent aucun avis de valeur, qui permettrait de considérer que les pièces restant propriété de M. et Mme X soient susceptibles d’être vendues à des prix plus élevés que ceux estimés par le commissaire-priseur. Les acquéreurs pouvaient toutefois légitimement espérer, vu la qualification de risque faible apportée par la SARL ACS P3, recouvrer au moins, au terme du contrat, les capitaux qu’ils avaient investis dans leur acquisition.

Ces éléments permettent de considérer comme certaine la perte finale subie par M. et Mme X, égale à la différence entre le prix qu’ils ont payé lors de leurs acquisitions de décembre 2010, et la valeur réelle des collections, telle qu’établie par les ventes déjà réalisées, et pour le surplus par les estimations données par la SAS C D.

Les quatre documents, ou ensembles de documents déjà vendus, ont rapporté à M. et à Mme X une somme totale de 9 000 + 1 300 + 500 + 2 200 = 13 000 euros ; il convient pour le surplus de retenir le prix de retrait du document resté invendu (3 000 euros), et la valeur médiane des cinq autres pièces non encore cédées, telle qu’estimée par le commissaire-priseur (moyenne entre l’estimation basse et l’estimation haute) : 5 500, 1 250, 350, 1 100 et 1 900 euros, soit un total de 13 000 + 3 000 + 5 500 + 1 250 + 350 + 1 100 + 1 900 = 26 100 euros. La perte finale subie par les acquéreurs s’établit ainsi, par la différence avec le prix d’acquisition, à 210 000 – 26 100 = 183 900 euros, avant soustraction de l’économie faite au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune.

M. et Mme X ne sont pas fondés, par ailleurs, à demander réparation pour la perte de gains qui serait résultée des acquisitions en cause : les stipulations contractuelles ne leur donnaient aucune garantie à cet égard, et ces acquisitions avaient pour objet principal de diversifier leurs placements, avec un but secondaire d’économie fiscale.

La perte de chance de ne pas contracter, subie par M. et Mme X en raison du manquement de la SARL ACS P3 à ses obligations de conseil et d’information, sera elle-même évaluée, au vu des circonstances, et notamment de la carence de cette société à attirer leur attention sur les risques de l’opération, en l’absence de garantie de la valeur des biens acquis, à la moitié du préjudice final. Il convient enfin de tenir compte de l’économie d’impôt susdite, justifiée par les appelants à hauteur de 14 575 euros. La SARL ACS P3 sera condamnée à leur payer, à titre de dommages et intérêts pour les acquisitions du 10 décembre 2010, une somme de (183 900 : 2) – 14 575 = 77 375 euros.

Sur l’acquisition de parts dans l’Indivision CORALY’S PRESTIGE 100 : M. et Mme X font valoir que les sommes investies dans cette opération sont définitivement perdues, par l’effet de la revendication poursuivie par l’Etat sur les pièces acquises par cette indivision. Ils justifient que cette revendication a prospéré, le Conseil d’Etat ayant rejeté le 13 avril 2018 un pourvoi formé contre un jugement du tribunal administratif de Paris, qui avait prononcé le 12 mai 2017 que les brouillons et les autres documents acquis par l’indivision étaient des archives nationales.

La SARL ACS P3 ne conteste pas la perte de ces documents par l’indivision, et l’absence de toute

indemnisation à ce titre pour M. et Mme X. Le préjudice de ce chef doit être fixé au montant total de la somme investie, soit 50 000 euros ; la perte de chance de ne pas contracter sera fixée elle aussi, vu les éléments d’appréciation présentés, à la moitié du préjudice final.

Le montant total des dommages et intérêts dûs par la SARL G & P CONSEILS, nouvelle dénomination de la SARL ACS P3, s’établit donc à 77 375 + 25 000 = 102 375 euros. Il sera fait droit dans cette limite à la demande de condamnation présentée par M. et Mme X contre cette société.

Sur les demandes formées contre l’assureur :

M. et Mme X demandent à titre principal que CNA soit condamnée à réparation, 'solidairement’ avec la SARL ACS P3, à les indemniser de leur préjudice.

CNA, qui ne conteste pas sa qualité d’assureur responsabilité de la SARL ACS P3, oppose aux demandes adverses les limites fixées par l’article 11 des Conditions particulières de la police n° FN 1925, souscrite le 10 décembre 2008 par un assuré dénommé ART COURTAGE, 44 rue de la République à Lyon, Conditions particulières qui ont modifiées par un avenant du 22 mai 2012 (pièce n° 20 produite aux débats par les sociétés intimées). En vertu de l’avenant, la garantie responsabilité civile professionnelle est accordée sous réserve d’une franchise de 3 000 euros par sinistre, et dans la limite de 2 000 000 euros par période d’assurance, nouvelles limites qui se sont substituées à celles du contrat initial.

Selon les articles 5 et 6 des Conditions particulières, la police était contactée au bénéfice du souscripteur ART COURTAGE, et des agents commerciaux ayant reçu mandat exprès de celui-ci, 'dans le cadre de la commercialisation des produits ARISTOPHIL uniquement'.

L’article 4 des Conditions spéciales précise : « Le montant des garanties est indiqué à l’article 11 des Conditions particulières et constitue l’indemnité maximum à laquelle est tenu l’assureur pour l’ensemble des réclamations introduites à l’encontre des assurés pendant la période d’assurance et entrant dans le cadre des garanties du présent contrat ».

Les sociétés intimées sont bien fondées à soutenir que, en l’absence de disposition légale contraire, les limitations prévues au contrat d’assurance peuvent être opposées par l’assureur aux tiers victimes. Il appartient cependant à l’assureur de rapporter la preuve que les conditions d’application de ces limites se trouvent réunies.

Les limitations de garantie étant désormais fixées par l’avenant, conclu avant le sinistre en litige, et ces limitations ne prévoyant de limite maximum que « par période d’assurance », et non plus par sinistre ; cette limite globale s’applique, selon l’article 4 des Conditions spéciales, à « l’ensemble des réclamations introduites à l’encontre des assurés pendant la période d’assurance », il donc est inutile de rechercher si le sinistre en cause a la nature d’un sinistre sériel, au sens de l’article L. 124-1-1 du code des assurances : la seule limite fixée par le contrat est celle de 2 000 000 euros, pour l’ensemble des réclamations introduites pendant la période d’assurance, dans le cadre des garanties du contrat, portant sur les activités de la société ARISTOPHIL.

La période d’assurance, au cours de la vie du contrat, était définie par l’article 1.12 des Conditions spéciales : la période comprise entre deux échéances annuelles, alors que le contrat était renouvelable chaque année par tacite reconduction, à compter du 31 décembre 2009 (article 9 des Conditions particulières).

Il en résulte que CNA est fondée à se prévaloir de la franchise de 3 000 euros, et aussi du plafond de 2 000 000 euros applicable à l’ensemble des réclamations introduites par les assurés pendant la période d’assurance.

M. et Mme X ont formé leur réclamation, tant contre l’assuré que contre l’assureur, par l’assignation qu’ils leur ont fait délivrer le 3 juillet 2015, après avoir envoyé à la SARL ACS P3, le 20 mai 2015, une lettre de mise en demeure restée sans réponse ; CNA est donc fondée à opposer, à cette réclamation formée en 2015, le plafond d’indemnisation de 2 000 000 euros applicable à l’ensemble des réclamations présentées contre elles au titre de la même garantie, pendant la période d’assurance constituée de l’année civile 2015, et seulement pendant cette période.

CNA, pour justifier que les réclamations reçues pour les préjudices subis à la suite de l’achat de biens commercialisés par la société ARISTOPHIL excèdent le plafond de garantie, verse aux débats un tableau des réclamations, ni daté ni signé, qui détaille les diverses demandes présentées à ce titre, et indique que le montant total de ces réclamations s’élève à 10 400 534,58 euros, dont un « total procédure » de 7 312 769,58 euros (pièce n° 59) ; cependant les montants totaux de réclamations qu’indique ce tableau, certes supérieurs au maximum de 2 000 000 euros, portent sur l’ensemble de ces réclamations, sans distinction de période, alors que la limite maximum s’applique par période d’assurance ; en revanche le détail des réclamations, figurant dans le corps du tableau avec mention de la date de chacune d’elles, laisse apparaître que le montant total des « mises en cause » et des « procédures » effectuées au cours de l’année 2015, seul à prendre en compte, s’est établi à 1 341 500 euros, somme inférieure au plafond de 2 000 000 euros. Il résulte donc de ce tableau, produit par CNA elle-même, que le plafond qui pourrait être opposé à M. et à Mme X n’a pas été atteint.

CNA produit d’autre part une assignation qui lui a été délivrée le 22 juin 2018 par 70 personnes physiques et par l’Association ADC LORRAINE, déclarant représenter plus de 600 consommateurs ayant acquis des biens vendus par la société ARISTOPHIL ; or la date même de cette assignation atteste d’une demande contentieuse faite contre l’assureur au cours de l’année 2018, et l’assignation fait état, en page 27, d’une lettre de réclamation adressée par les consommateurs victimes à CNA le 3 mai 2018, de sorte que les demandes ainsi faites ne l’ont pas été au cours de l’année 2015, période d’assurance où s’applique le plafond opposable à Mme et Mme X.

Faute de présenter d’autre élément sur ce point, CNA ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que la limite maximum de la garantie ait été atteinte pour l’année 2015, ou qu’elle soit susceptible d’être atteinte, par suite des réclamations faites au cours de cette année ; elle ne justifie donc pas que cette limite de garantie s’applique effectivement aux demandes faites par M. et Mme X, qui dès lors sont bien fondés en leur demande de condamnation formée à son encontre, sous la seule déduction de la franchise de 3 000 euros. CNA sera condamnée à garantir la SARL ACS P3 sous déduction de cette somme, sans qu’il y ait lieu de dire que cette condamnation n’est prononcée que dans la limite de 2 000 000 euros, ou de désigner un séquestre comme le demande CNA à titre subsidiaire.

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Infirme le jugement déféré ;

Condamne la SARL G & P CONSEILS à payer à M. B X ou à Mme Z A épouse X une somme de 102 375 euros à titre de dommages et intérêts pour les causes ci-dessus ;

Condamne la société CNA INSURANCE COMPANY LIMITED à garantir la SARL G & P CONSEILS, dans la limite de 99 375 euros, de la condamnation ci-dessus prononcée ;

Condamne in solidum la société CNA INSURANCE COMPANY LIMITED et la SARL G & P CONSEILS à payer à M. ou à Mme X une somme de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la société CNA INSURANCE COMPANY LIMITED et la SARL G & P CONSEILS aux dépens d’appel, et accorde à Me Jean-Michel de ROCQUIGNY, avocat, le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes.

Le Greffier, Le Président,

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Cour d'appel de Riom, Chambre commerciale, 3 juillet 2019, n° 18/00122