Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 20 décembre 2018, n° 17/03375

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Rouen, ch. soc., 20 déc. 2018, n° 17/03375
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro(s) : 17/03375
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Coutances, 20 mai 2013
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

N° RG 17/03375 – N° Portalis DBV2-V-B7B-HRT5

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 20 DECEMBRE 2018

RENVOI APRES CASSATION

DÉCISION

DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE COUTANCES du 21 Mai 2013

APPELANTE :

Madame A Z

[…]

[…]

représentée par M. Nazih CHOUFANI , délégué syndical, muni d’un pouvoir

INTIMEE :

SAS MER ET TERROIR

[…]

[…]

représentée par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré :

Madame ROGER-MINNE, Conseiller, en remplacement du président empêché

Monsieur TERRADE, Conseiller

Monsieur DUPRAY, Conseiller Honoraire

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame HOURNON, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 07 Novembre 2018, où l’affaire a été mise en délibéré au 20 Décembre 2018

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 20 Décembre 2018, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ROGER-MINNE, Conseiller, en remplacement du président empêché et par Madame HOURNON, Greffier présent à cette audience.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 02 avril 2008, Mme A Z a été engagée par la société Mer et Terroirs à temps complet à compter du 14 avril 2008 en qualité de commerciale export, statut cadre dans le cadre de la convention collective des industries de la conservation numéro 3127 moyennant un salaire brut annuel sur 13 mois de 35.000 euros .

Le 06 octobre 2010, Mme A Z a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour faute, fixé au 19 octobre 2010. Par lettre recommandée en date du 25 octobre 2010, elle a été licenciée pour faute grave en ces termes :

'Pour faire suite à l’entretien préalable que nous avons eu le 19 Octobre 2010, nous avons le regret de vous notifier votre licenciement.

Ainsi que nous vous l’avons exposé, les motifs de votre licenciement sont les suivants ;

Le 8 septembre courant, vers 11 heures, vous m’avez (Yvan WILBAL) insulté sur le parking de l’usine dans des termes parfaitement inadmissibles. Pour mémoire, vous avez proféré quelques uns des mots suivants : « enculé », « gros con », « tu as déjà les deux genoux par terre, tu vas bientôt crevé avec ton usine »….

Dans le même temps, nous avons découvert que vous avez dénigré l’entreprise sur Facebook alors que certains de vos amis font partis de nos plus gros clients. Nous vous citons : « voilà la politique de l’entreprise X que je ne citerai pas tellement son directeur et sa comptable me dégoûtent ! Tout finit par se savoir » ; « Oui, en effet, après mon patron ! Dés fois je me dis que j’aurai mieux fait de rester à la Société Générale plutôt que de venir dans une boite de ploucs !!!», « ta voulu joué on a joué, ta gagné je suis out mais je vais tout faire sauter !!!!»< Ces propos, en plus de leur caractère diffamatoire, représentent une atteinte profonde à notre entreprise, particulièrement lorsqu’ils sont portés à l’attention de salariés appartenant à des entreprises clientes.

Vous avez également dénigré tant auprès de la direction que de plusieurs membres de l’entreprise le travail de Madame X, notre comptable.

Face à cette situation, nous avons alors espéré que vous présenteriez des excuses pour ces propos inadmissibles. Malheureusement, tel n’a pas été le cas. Et pire encore, vous avez confirmé par téléphone à la déléguée du personnel, Madame Ys Joen, la nature de vos propos et lui avez indiqué que vous ne regrettiez en rien les qualificatifs que vous aviez employés, avez enfin ajouté que cette entreprise était une « boite de con ».

Nous vous avons alors, convoquée à un entretien préalable au licenciement par courrier en date du 6 octobre 2010, entretien fixé le 19 octobre suivant.

Durant cette période, nous avons utilisé le poste informatique sur lequel vous travaillez habituellement afin de pouvoir avancer sur vos dossiers durant votre arrêt maladie. Nous avons alors découvert par inadvertance en consultant l’historique des sites internet consultés au cours des dernières semaines que vous passiez la plupart de votre temps sur des

sites qui n’ont aucun caractère professionnel.

Ainsi, vous étiez dés le matin, alors que c’est à cette heure que l’activité bat son plein, et quasi continuellement, connectée à des sites tels que : « entrecoquins.com, photos, voyage-prive.com, clubmed.fr, look-voyages.fr, adopteunmec.com, photos.meetic.fr, enjoy50.fr, guidedenuit.com, facebook.com…..». Ces éléments ont fait l’objet d’un constat d’huissier pour la période du 17 Août 2010 jusqu’à la date de votre départ.

Lors de l’entretien, vous avez reconnu ces faits, estimant que ces connexions étaient sans importance. Cependant, il est apparu qu’au quotidien, vous transmettiez une grande partie de votre travail à votre collègue directe qui se trouve en face de vous dans le bureau (et ne pouvait donc voir ce que vous faisiez sur votre ordinateur) et que pendant qu’elle se trouvait débordée par son activité, vous ne l’avez jamais aidé pour la soulager.

Par ailleurs, nous avons constaté que depuis plusieurs mois, les chiffres « commerce » se dégradent de façon plus que significatives, conséquence très certainement directe de votre comportement évoqué ci-dessus.

Enfin, nous avons relevé plusieurs erreurs professionnelles, certaines ayant des incidences très importantes, particulièrement dans la transmission des stocks à nos clients. Ainsi et par exemple, pour le groupe Pomona, vous avez transmis des stocks erronés en prenant en compte des valeurs fictives et non réelles.

Pour toutes ces raisons, nous considérons que votre comportement constitue une faute grave rendant impossible la poursuite de votre contrat de travail ainsi que votre maintien, même temporaire, dans l’entreprise.

La présente lettre de licenciement marque donc la fin de votre contrat et nous vous demandons de bien vouloir nous remettre en mains propres, les clés de l’entreprise et des différents bureaux qui sont en votre possession. Vos documents de fin de contrat seront tenus à votre disposition.

Pour votre parfaite information, nous vous précisons enfin que dans le cadre de la portabilité du droit individuel à la formation, vous avez acquis un crédit d’heures de 50 (cinquante) heures.

Regrettant de devoir prendre cette décision.'

Contestant son licenciement, Mme A Z a saisi le 08 avril 2011, le conseil de prud’hommes de Coutances qui , par jugement en date du 21 mai 2013, a dit que le licenciement de la salariée pour faute grave était justifié par des causes réelles et sérieuses, a débouté Mme A Z de l’ensemble de ses demandes.

Mme A Z a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt en date du 23 octobre 2015, la cour d’appel de CAEN a infirmé le jugement et statuant à nouveau,

— a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour faute réelle et sérieuse,

— a condamné la société Mer et Terroirs à verser à Mme A Z :

• 22.886,44 euros outre 2.288,64 euros au titre des congés payés afférents, pour rappel de salaire pour heures supplémentaires

• 9.000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 900 euros au titre des congés payés afférents

• 1.500 euros au titre de l’indemnité de licenciement

• 18.000 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé

avec intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2011

— a débouté Mme A Z du surplus de ses demandes,

— a condamné la société Mer et Terroirs aux dépens de première instance et d’appel,

— a condamné la société Mer et Terroirs à verser à Mme A Z la somme de 1.200 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt en date du 27 avril 2017, sur le pourvoi formé par la société Mer et Terroirs la Cour de cassation a :

— cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il a condamné la société Mer et Terroirs à payer à Mme A Z les sommes de 9.000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 900 euros de congés payés, 1.500 euros d’indemnité de licenciement, l’arrêt rendu le 23 octobre 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ; remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Rouen ;

— condamné Mme A Z aux dépens ;

— vu l’article 700 du Code de procédure civile, rejeté les demandes.

Par conclusions écrites déposées au greffe de la cour, le 22 juin 2017, soutenues oralement à l’audience du 07 novembre 2018 et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, Mme A Z demande à la Cour de confirmer la décision de la cour d’appel de Caen en ce qu’elle a requalifié son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Elle demande la condamnation de la société Mer et Terroirs à lui payer :

• 9.000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 900 euros au titre des congés payés afférents

• 1.500 euros au titre de l’indemnité de licenciement

• 2.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle demande en outre que soit ordonnée l’édition d’une nouvelle fiche destinée à Pôle Emploi conforme à l’arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15e jour qui suivra la notification de l’arrêt.

Par conclusions écrites déposées au greffe de la cour, le 04 octobre 2017, soutenues oralement à l’audience du 07 novembre 2018 et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la société Mer et Terroirs demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement de Mme Z reposait sur une faute grave, en conséquence de débouter Mme Z de ses demandes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de congés payés afférente et au titre de l’indemnité de licenciement.

A titre subsidiaire, elle demande de réduire les indemnités aux sommes suivantes :

• 8.460 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 846 euros au titre des congés payés afférents,

• 1.384,88 euros au titre de l’indemnité de licenciement.

Elle demande en outre de déclarer irrecevables les demandes de Mme Z tendant à la rectification des bulletins de paie et de l’attestation Pôle Emploi, ou de la déclarer mal fondée, de condamner Mme Z au paiement de la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

L’arrêt sus-visé en date du 27 avril 2017 a été cassé en ce qu’il ne résultait ni de l’arrêt ni des pièces de la procédure que la salariée ait soutenu devant les juges du fond que l’employeur n’avait pas mis en oeuvre la procédure de licenciement dans un délai restreint après qu’il avait eu connaissance des faits invoqués, qu’en relevant d’office ce moyen sans avoir invité préalablement les parties à présenter leurs observations, la cour d’appel avait violé les dispositions de l’article 16 du code de procédure civile.

Devant la présente juridiction, Mme A Z prétend que la requalification par la cour d’appel de Caen de son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse en écartant cinq griefs sur sept est une décision équilibrée et juste et suffisamment motivée, que le fait que l’employeur n’avait pas mis en oeuvre la procédure de licenciement dans un délai restreint après qu’il avait eu connaissance des faits invoqués permet désormais à la salariée de reprendre à son compte ce grief qui n’est qu’une des irrégularités commises par l’employeur quand bien même le juge d’appel n’avait pas invité les parties à formuler leurs observations sur ce point, qu’il est constant que l’employeur n’a pris aucune mesure conservatoire éloignant la salariée de l’entreprise au vu de la gravité des faits reprochés.

La société Mer et Terroirs réplique que le licenciement pour faute grave était justifié en raison tant du cumul des faits que des faits eux-mêmes ainsi que de la situation de cadre (représentant la direction auprès du personnel et de la clientèle) nécessitant par essence un comportement exemplaire et à tout le moins empreint d’un devoir de réserve, faute grave d’autant plus avérée que Mme Z n’avait que peu d’ancienneté.

Il n’est pas contesté par la société Mer et Terroirs qu’en dépit des griefs reprochés à Mme Z ayant justifié son licenciement pour faute grave, l’employeur n’a diligenté la procédure de licenciement que le 06 octobre 2010 alors que les insultes à son égard de surcroît dans un lieu où la salariée a été entendue par d’autres salariés, ont été proférées le 08 septembre 2010 sans que l’employeur ne procède à une mise à pied conservatoire ni ne s’explique sur le délai de mise en oeuvre de la procédure de licenciement. Il s’en déduit que les fautes reprochées ne présentaient pas aux yeux de l’employeur un caractère de gravité justifiant une rupture immédiate du contrat de travail.

Dès lors que Mme A Z a justement considéré que deux des sept griefs reprochés aux termes de la lettre de licenciement à savoir les injures envers son employeur sur le parking de l’usine et la fréquence des connexions internet excédant l’usage privé de l’ordinateur professionnel qu’un employeur peut tolérer, avaient été exactement appréciés par la juridiction d’appel comme constitutifs d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse, il se déduit de ce qui précède que le licenciement de Mme Z pour faute grave doit être requalifié en licenciement pour faute réelle et sérieuse.

Par infirmation du jugement du conseil de prud’hommes, Mme A Z peut en conséquence prétendre aux indemnités de rupture, soit compte tenu d’un salaire mensuel brut de 2.820 euros :

• 8.460 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

• 846 euros au titre des congés payés afférents,

• 1.384,88 euros au titre de l’indemnité de licenciement compte tenu d’une ancienneté de 2 ans

et 5 mois,

sommes auxquelles la société Mer et Terroirs doit être condamnée.

Il convient en outre d’ordonner à la société Mer et Terroirs de remettre à Mme A Z l’attestation Pôle emploi rectifiée conformément à cet arrêt sans qu’il soit utile de prononcer une astreinte.

L’équité justifie d’allouer à Mme A Z, en appel la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant sur renvoi après cassation et dans les limites de la cassation,

Vu l’arrêt de la cour de cassation, chambre sociale, en date du 27 avril 2017,

Infirmant le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Requalifie le licenciement de Mme A Z pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Mer et Terroirs à payer à Mme A Z les sommes suivantes :

• 8.460 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

• 846 euros au titre des congés payés afférents,

• 1.384,88 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

Ordonne à la société Mer et Terroirs de remettre à Mme A Z l’attestation Pôle emploi rectifiée conformément à cet arrêt sans qu’il soit utile de prononcer une astreinte,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Ajoutant,

Condamne la société Mer et Terroirs à payer à Mme A Z la somme de 1.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Mer et Terroirs aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le conseiller en remplacement

du président empêché

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