Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 2, 9 juillet 2021, n° 19/03602

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 4e ch. sect. 2, 9 juill. 2021, n° 19/03602
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 19/03602
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Toulouse, 10 juillet 2019, N° 17/01696
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

09/07/2021

ARRÊT N° 2021/498

N° RG 19/03602 – N° Portalis DBVI-V-B7D-ND5Z

APB/VM

Décision déférée du 11 Juillet 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( 17/01696)

G H, juge départiteur

I J X

C/

SAS CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES

INFIRMATION TOTALE

Grosse délivrée le

à :

— Me WULVERYCK

— Me DUBET

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4e Chambre Section 2

***

ARRÊT DU NEUF JUILLET DEUX MILLE VINGT ET UN

***

APPELANT

Monsieur I J X

[…]

[…]

Représenté par Me Aurélien WULVERYCK de l’AARPI OMNES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

SAS CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES

[…]

[…]

[…]

Représentée par Me Laure DUBET, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat postulant et par Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Juin 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant F. CROISILLE-CABROL, A. PIERRE-BLANCHARD, conseillères chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. N, présidente

A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffière, lors des débats : A. RAVEANE

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par C. N, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Capgemini exerce son activité dans le domaine notamment du conseil en technologie de l’information, transformation de systèmes d’information et architecture réseaux.

M. I-J X a été embauché suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 septembre 2006 par la société Cap Gemini Technology Services (TS) en qualité de directeur des ressources humaines, statut cadre dirigeant, grade F, position 3-3, coefficient 270 de la convention collective dite Syntec.

Ce salarié, à la suite d’un accident en 2002, a obtenu une reconnaissance d’invalidité à compter du mois avril 2004.

Il n’en avait toutefois pas fait part à son employeur avant l’année 2012.

Le 3 janvier 2012, M. X a envoyé sa carte d’invalidité justifiant de son statut de travailleur handicapé à son employeur, par courrier rédigé en ces termes 'comme je te l’ai annoncé, et suite à mon EDP de fin d’année avec Y, je devais maintenant lui annoncer ma situation qui ne s’améliore pas et qui m’oblige à rester très prudent pour toute proposition de nouvelles affectations que je ne pourrais pas supporter. Je sentais venir une mobilité géographique, mais je ne pense pas que Y a bien compris mon état, et je reste donc à mon poste à Toulouse'.

En mars 2012, un poste de directeur des ressources humaines a été proposé à M. X.

M. X a refusé le poste au motif qu’il serait localisé à Paris, en indiquant 'comme tu le sais, mon état de santé m’oblige à beaucoup d’attention et les derniers résultats de mes analyses biologiques ne sont vraiment pas bons'.

Il a de nouveau refusé une proposition de poste à Paris le 15 octobre 2012.

Lors de son entretien d’évaluation en mars 2013, M. X a réitéré sa volonté de conserver son poste actuel basé à Toulouse mais a précisé 'en fonction des conditions, je suis prêt à étudier une proposition avec une mission centrale (2 jours/semaine à Paris ou sur d’autres sites) tout en gardant mon rattachement contractuel sur Toulouse et si possible la responsabilité des relations avec les IRP et la gestion des conventions individuels sur la division AD.'.

Le 22 mars 2013, M. X a accepté le poste de directeur des affaires sociales pour la division aérospatiale et défense, rattaché à l’établissement de Toulouse, avec un salaire annuel fixé à 70 008 ' et un variable annuel de 10 000 '.

Avant la signature de l’avenant du 26 juin 2013, M. X a toutefois énoncé le 8 mai 2013 qu’il souhaitait conserver a minima sa rémunération fixe pour éviter de le mettre en situation difficile s’il devait perdre 30 % de sa rémunération, qualifiant cette situation après réflexion de 'pas supportable'. Il a également exprimé un sentiment d’injustice et a qualifié ce point de rétrogradation.

Suivant courrier du 19 février 2014, le médecin du travail a alerté l’employeur sur le fait que 'vu les antécédents médicaux de Mr X, de son état de santé actuel (crises d’épilepsie fréquentes) dû principalement à sa situation professionnelle qui ne lui précise pas clairement son poste de travail et le laisse sans aucune responsabilité, je sollicite qu’une affectation précise lui soit précisée rapidement. Mr X, malgré son statut de travailleur handicapé avait trouvé un équilibre indispensable à son état de santé. Maintenant, la décision prise de le remplacer sur son poste de DRH ne doit pas le fragiliser et une nouvelle activité professionnelle devra lui permettre sans délais de pouvoir rentabiliser sa situation'.

M. X a été déclaré apte le 19 février 2014 'avec une définition de son poste et de sa fonction'.

Suivant avenants au contrat de travail du 24 juin 2013 et 8 octobre 2014, M. X a été autorisé à effectuer sa prestation de travail sous forme de télétravail une, puis deux journées par semaine.

Par avenant du 8 octobre 2014, M. X a été nommé directeur de la mission handicap.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. X a occupé les fonctions de directeur des ressources humaines en charge de la gestion de l’accord handicap en vigueur au sein de l’UES Capgemini.

M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 29 septembre 2017 afin de voir juger qu’il a été victime de discrimination en raison de son état de santé et de son statut de travailleur handicapé et de harcèlement moral et de condamner la société Capgemini à diverses sommes.

Par jugement de départition du 11 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Toulouse a :

— débouté M. X de l’intégralité de ses demandes,

— dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné M. X aux entiers dépens.

M. X a relevé appel de ce jugement le 23 juillet 2019 dans des conditions de régularité non discutées.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 mai 2021, auxquelles il est expressément fait référence, M. X demande à la cour de :

— juger que M. X a été victime de discrimination en raison de son état de santé et de son statut de travailleur handicapé et de harcèlement moral,

En conséquence,

— infirmer le jugement entrepris,

— condamner la société Capgemini Technology Services aux sommes suivantes :

* 256 550 ' bruts à titre de rappel de salaire,

* 25 655 ' bruts de congés payés y afférents,

*250 00 ' à titre de dommages et intérêts pour discrimination en raison du handicap et de l’état de santé,

* 100 000 ' de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 8 000 ' sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonner la fixation d’un salaire annuel de 135 000 ' bruts

— ordonner la remise d’un bulletin de paie conforme sous astreinte de 50 ' par jour de retard,

— condamner la Société Capgemini Technology Services aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mai 2021 auxquelles il est expressément fait référence, la société Capgemini Technology services demande à la cour de :

A titre principal,

— constater l’absence de discrimination à l’encontre de M. X,

En conséquence :

— confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire,

— limiter toute condamnation à de plus justes proportions,

En tout état de cause,

— condamner M. X au versement de la somme de 1 000 ' sur le fondement de l’article 700 du

code de procédure civile,

— condamner M. X aux entiers dépens d’instance.

MOTIFS :

Sur la discrimination liée à l’état de santé :

Par application de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Et l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 définit comme suit les différentes formes de discrimination :

— constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non appartenance , vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre, ne l’est, ne l’a été, ou ne l’aura été, dans une situation comparable,

— constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique, neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires ou appropriés,

— la discrimination inclut tout agissement lié à l’un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

L’article L 1134 – 1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 .

Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, M. X rappelle l’excellence de ses résultats depuis son embauche en 2006, ainsi que les diverses augmentations de salaire dont il a bénéficié jusqu’à l’annonce à la société de son handicap le 3 janvier 2012, handicap se manifestant notamment par de nombreuses crises d’épilepsie.

Il indique qu’à compter de cette date, alors qu’il occupait le poste de DRH de la division A&D

(aérospatiale et défense), il a subi une discrimination caractérisée par :

1) une proposition de mutation en mars 2012 sur un poste essentiellement basé à Paris alors que son supérieur, M. A, n’ignorait pas ses contraintes de déplacement liées à son état de santé :

M. X produit plusieurs pièces démontrant qu’effectivement il s’agit d’un poste de DRH localisé en région parisienne, puisque la SSII Sogeti occupant 2300 salariés a son siège à Issy les Moulineaux, que l’ancien DRH comme le nouveau (M. Coenen et M. Retif) sont localisés à Paris, et qu’il ne s’agit pas d’une promotion contrairement à ce qu’indique l’employeur mais d’un poste de même niveau que celui qu’il occupait.

Le salarié justifie du refus qu’il a opposé à cette proposition le 4 avril 2012, expliquant à son supérieur qu’il ne pouvait y donner suite en raison de son état de santé.

M. X produit par ailleurs des pièces médicales sur les contre-indications à ses déplacements : une attestation de son neurologue du 9 janvier 2017 et un avis du médecin du travail le 17 septembre 2019, la cour constate cependant qu’il s’agit de pièces non contemporaines mais très postérieures à cette proposition de mutation ;

2) une deuxième proposition de mutation, toujours à Paris, le 15 octobre 2012, qu’il a refusée par mail du même jour pour les mêmes raisons que précédemment ;

3) des pressions pour qu’il accepte une mutation et un avenant qu’il a été contraint de signer le 26 juin 2013, prévoyant une baisse de rémunération de 20 % , induisant la perte du grade F et donc du statut de cadre dirigeant pour être rétrogradé au grade E, et la nomination de sa remplaçante dès juillet 2013 :

sur ce point, il est produit l’entretien annuel d’évaluation du 25 mars 2013 dans lequel le supérieur de M. X note que celui-ci a donné toute satisfaction dans son poste mais que 'le moment est sans doute venu de passer à une autre étape de sa carrière en intégrant une fonction support’ malgré les doléances du salarié rappelant que son poste occupé lui procurait un équilibre, indiquant qu’il souhaitait avant tout conserver ce poste, et qu’il étudierait 'en fonction des conditions une proposition pouvant lui permettre de conserver cette stabilité', avec une mission impliquant éventuellement des déplacements de courte durée.

M. X a également écrit à son supérieur le 22 mars 2013 qu’il acceptait le poste de directeur des affaires sociales pour la division A&D en précisant : 'maintenant ma situation personnelle que tu connais n’est pas facile, mais elle est telle que je n’ai pas le choix'.

Lors de son entretien de fin d’année de 2013, M. X mentionnait dans les commentaires généraux : 'j’étais véritablement dans l’obligation de signer mon avenant en date du 26 juin sous peine de perdre mon emploi’ ; à ce commentaire il n’est opposé aucune dénégation de l’évaluateur qui se contente d’indiquer 'dans un contexte personnel difficile, I-J a su rebondir à travers les missions qui lui ont été confiées'.

En parallèle M. X informait le service administration/ paie par mail du 2 juillet 2013 de la perte de son poste et de son statut de cadre dirigeant, demandant la réattribution de jours de RTT. La comparaison des bulletins de paie antérieurs et postérieurs à ce changement de poste montre une suppression de la mention de cadre dirigeant et le passage du grade F au grade E. Ces grades résultent d’une organisation interne de l’UES Capgemini et non de la classification conventionnelle, le grade E étant inférieur au grade F.

La rétrogradation est donc objectivée et n’est que partiellement contractualisée par l’avenant qui ne fait pas mention de la perte du statut de cadre dirigeant.

4) une mission sans aucun enjeu stratégique, confiée à lui après son éviction (préparer et travailler à l’intégration de la société Euriware rachetée par la société Capgemini au groupe Areva) : il indique que la société Capgemini T.S ne produit aucun élément sur les fruits de ce travail parce qu’en réalité on ne lui a donné pratiquement rien à faire mis à part le recolement de statistiques, tâche à la portée d’un stagiaire ;

sur ce point, M. X produit en pièce n°52 un document de 11 pages, consistant essentiellement en un travail statistique, comme seul produit de sa 'mission’ ayant pourtant duré plus d’un an ; la société Capgemini TS ne fournit aucun élément pour démontrer qu’il s’agissait au contraire d’une mission dont le contenu et les enjeux correspondaient au profil de M. X, cadre DRH, les deux documents produits en pièces n°20 et 21 sont des présentations powerpoint ne faisant pas cette démonstration, et il n’est pas soutenu que M. X en serait l’auteur.

5) une ' placardisation’ sur cette 'mission’ durant 17 mois (août 2013 à décembre 2014), alors qu’il n’a même pas pu présenter le dossier devant les instances représentatives du personnel ni participer aux réunions sur le sujet ; la non-convocation de M. X aux réunions importantes n’est pas discutée par l’employeur ;

6) un isolement physique à compter du 2 septembre 2013 : son bureau a été déménagé dans un bâtiment (établissement Minolta) éloigné du site Capgemini où il restait pourtant de nombreux bureaux libres ; le bureau était isolé, il y était entreposé du mobilier et du matériel informatique détérioré et il était localisé entre les salles de formation, une cantine une salle de machines ;

à ce sujet M. X produit les échanges de mails confirmant son déménagement imposé sur un site isolé des autres collaborateurs, ainsi que des photographies des lieux, confirmant les dires du salarié sur la localisation de son bureau. Il est également produit les mails de ses collègues et délégués du personnel s’étonnant de ce changement de bureau alors que M. X devait accompagner son successeur dans ses nouvelles fonctions et devait garder le contact avec les représentants du personnel compte tenu de ses missions.

7) une baisse de sa rémunération notifiée le 23 juillet 2014 :

la lettre de rémunération variable 2014 mentionne un fixe de 70 008 ' et une part variable maximale de 10 000 ', conformément à l’avenant signé le 26 juin 2013, alors que son contrat de travail de 2006 prévoyait pour son poste précédemment occupé, un salaire fixe de 76 000 ' et une part variable de 19 000 '.

M. X produit les différents mails par lesquels il déplorait cette baisse de rémunération, en particulier celui du 30 juillet 2014 dans lequel il rappelait à son supérieur M. A : 'soit je signais cet avenant qui me faisait perdre mon rôle de DRH de la division accompagné d’une baisse de plus de 20% de mon salaire annuel, soit une procédure de licenciement était engagée à mon encontre. Ma situation personnelle (travailleur handicapé, âgé de 50 ans) ne me laissait véritablement pas le choix et je me suis donc résolu à accepter en juin 2013 cette proposition, dans l’espoir qu’elle ne soit que temporaire, ce qui était d’ailleurs précisé dans l’avenant que tu m’as proposé'.

8) Sa nomination comme directeur de la mission handicap à compter du 1er janvier 2015 avec une augmentation des jours de présence requis à Paris (trois jours par semaine) alors que son prédécesseur assurait le même poste depuis son domicile de Nice avec des déplacements occasionnels :

M. X verse aux débats ses échanges de mails des 11et 22 septembre 2014 avec Mme B, directrice responsabilité sociale et environnementale, dont il ressort qu’il doit s’organiser pour venir trois jours par semaine à Paris alors que son prédécesseur M. C assurait ses missions depuis son domicile avec des déplacements ponctuels ; il justifie également du refus par l’employeur de lui

accorder un 3e jour de télétravail dans la semaine, alors que l’accord d’UES sur le handicap préconise de favoriser ce télétravail au maximum.

9) Le refus de la société de prendre en compte la situation du salarié alors que depuis début 2015 le poste de DRH à Toulouse est de nouveau ouvert :

un mail du 6 février 2015 de M. A démontre que Mme D (remplaçante de M. X) était sur le départ, et qu’on lui recherchait un successeur alors que M. X affirme qu’il souhaitait réintégrer ce poste. Cependant, force est de constater que le salarié ne produit aucune demande précise en ce sens en 2015, lorsque le poste a été annoncé prochainement vacant. Ce fait n’est donc pas établi.

10) Le refus de l’employeur de lui accorder la délégation de signature pour toutes les actions engagées dans le cadre de l’accord handicap alors que son prédécesseur en disposait :

les échanges de mails entre M. X, Mme B et M. A confirment qu’il n’a pas reçu cette délégation malgré ses demandes alors que, de l’aveu même de M. A, M. C (prédécesseur de M. X sur le poste) avait cette délégation pour signer les conventions handicap avec les différents partenaires.

11) L’absence d’évolution de carrière depuis la révélation de son statut de travailleur handicapé :

M. X justifie de son absence d’évolution salariale entre 2012 et 2017, ainsi que de son absence d’évolution de classification ou de grade interne, alors que sa rémunération avait augmenté de 2009 à 2012.

Il se compare à 5 autres salariés occupant des postes de DRH généralistes seniors comme lui, et d’un niveau de diplôme inférieur ou égal au sien (bac+5) afin de démontrer que leur salaire moyen annuel est de 139 434 ' (135 817 ' en l’incluant) en 2018 tandis que le sien est de 101 900 ' à cette date, de sorte qu’il sollicite un rappel de salaire de 35 000 ' par an entre 2012 et 2019.

12) l’absence de formation dans le cadre du plan de formation 2012 avec uniquement quelques formations obligatoires en e-learning, et l’absence de suivi médical spécifique aux travailleurs handicapés.

Sur son état de santé, M. X produit :

— le mail du 19 février 2014 par lequel le médecin du travail a alerté l’employeur pour qu’une affectation précise soit proposée au salarié, ainsi que l’avis d’aptitude du même jour mentionnant la nécessité de cette affectation précise ;

— ses mails du 3 janvier 2012, 22 mars 2013, 4 avril 2012, 30 juillet 2014, 11et 22 septembre 2014, par lesquels il était rappelé à la société ses difficultés quant à son changement de poste et ses déplacements au regard de son état de santé;

— un certificat du 9 janvier 2017 du neurologue de M. X, indiquant que l’épilepsie de son patient devait le conduire à limiter au maximum les déplacements dans le cadre de son travail, et un certificat du 30 septembre 2019 confirmant que les 'crises persistantes sont rares et liées à des circonstances déclenchantes. Il s’agit essentiellement des transports en commun’ ;

— l’avis du médecin du travail du 17 septembre 2019 selon lequel 'il est nécessaire de limiter au maximum les déplacements en avion. Ceux-ci générant une grande fatigabilité provoquée par l’aggravation de sa pathologie. Le rythme actuel de son activité professionnelle n’est pas préjudiciable sur sa santé'.

La cour estime que les éléments retenus comme établis, tous postérieurs à l’annonce par M. X de l’existence de son handicap, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, fondée sur ce handicap.

Au vu de ces éléments, il incombe à la société Capgemini TS de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Sur les propositions de mutation visées en points 1) et 2), ainsi que la mutation faisant l’objet d’un avenant visé en point 3) , la société Capgemini TS explique que la mobilité des DRH au sein de l’UES est la pratique courante, que nul n’est 'propriétaire de son emploi', et que la première proposition de mutation était une promotion au motif qu’il s’agissait de prendre la RH d’une entité plus importante que celle de Toulouse.

Or, il a été vu précédemment que le poste proposé, s’il visait une entité comptant davantage de salariés, n’était pas classé différemment du sien au niveau conventionnel et au niveau du grade interne à l’entreprise.

Sur la localisation du poste, la société Capgemini TS ne peut sérieusement prétendre qu’il pouvait exercer ses fonctions de DRH à distance pour une telle entité depuis Toulouse, alors qu’il a été ultérieurement exigé de lui des déplacements à Paris lorsqu’il a occupé les fonctions de DRH basées à Toulouse pour la mission handicap.

Par ailleurs, la pratique selon laquelle les DRH de l’UES doivent 'évoluer’ vers d’autres postes régulièrement pour favoriser leur carrière n’autorise pas de manière objective un employeur, avisé préalablement des difficultés médicales de son salarié entravant ses déplacements, à user de pressions à son égard pour qu’il accepte un poste éloigné de son domicile et préjudiciable à sa santé, alors même que ce salarié donnait toute satisfaction dans le poste occupé, ainsi qu’en témoignent les entretiens d’évaluation produits.

Pour exemple, le compte-rendu de l’entretien annuel de 2011 mentionnait : 'objectifs très largement dépassés', 'bonne gestion de l’attrition’ (sic), 'excellentes relations avec les IRP’ et 'I-J est bien dans son poste. Il est un pilier de l’équipe RH AS France. On compte sur lui pour accompagner le développement de la division A&D sur Toulouse comme il a su très bien le faire cette année'.

L’entretien annuel de 2012 est de même niveau, l’évaluateur mentionnant que M. X 'a effectivement donné toute satisfaction dans son rôle de DRH de la division A&D ces dernières années, les résultats 2012 restent très satisfaisants'.

La cour note par ailleurs qu’il est contradictoire pour la société Capgemini TS de conduire le salarié, pour favoriser son évolution de carrière, à signer un avenant qui revient à acter une rétrogradation induisant la perte du statut de cadre dirigeant et baisse importante de rémunération alors qu’il n’avait jamais démérité ; sur ce point précis l’employeur ne fournit aucune explication objective et ne produit aucune réponse de nature à contredire les mails du salarié rappelant avoir été menacé de licenciement s’il n’acceptait pas le poste, et revendiquant l’application à son profit de son niveau de rémunération antérieur. Au surplus, l’avenant entérine la nouvelle rémunération mais non la perte du statut de cadre dirigeant, intervenue de fait, perte que ne conteste pas la société.

Les propositions de mutation ont été formulées immédiatement après que M. X a signalé son statut de travailleur handicapé, tout comme la signature de l’avenant litigieux.

Sur la mission de peu d’intérêt confiée 'temporairement’ au salarié durant 17 mois et son isolement physique (points 4 à 6), force est de constater que la société Capgemini TS ne verse aux débats aucun élément permettant d’objectiver une situation étrangère à toute discrimination ; l’argument selon

lequel le prédécesseur de M. X sur la mission handicap, M. C, devait partir en retraite, est inopérant sur ce point, et la cour relève que l’employeur n’a pas tenu compte des observations pourtant claires du médecin du travail formulées le 19 février 2014 : le salarié était apte mais devait voir ses fonctions précisément définies, au regard de 'sa situation professionnelle qui ne lui précise pas clairement son poste de travail et le laisse sans aucune responsabilité'.

Sur la baisse de rémunération visée en point 7), la société Capgemini TS objective cette baisse par la signature de l’avenant du 26 juin 2013 par M. X, néanmoins il ressort clairement des échanges de mails entre les parties que M. X a été conduit à signer cet avenant dans des circonstances ne lui laissant que peu d’alternatives hormis un licenciement.

S’agissant des points 8) , 10) et 12), la société Capgemini TS ne fournit aucun élément ni explication pour objectiver le refus de télétravail partiel et le refus de délégation de signature dont disposait son prédécesseur sur le poste, pas plus qu’elle ne fournit d’élément sur l’absence de formations autre que du e-learning et l’absence de suivi médical spécifique du salarié handicapé alors qu’elle se prévaut du fait que M. X n’a pas été déclaré inapte à son poste et pouvait donc se déplacer à Paris.

Enfin, sur l’absence d’évolution de carrière et de rémunération visée en point 11) , la société Capgemini TS critique le panel de salariés produit par M. X au motif que la date d’embauche serait inexacte, or M. X a repris à bon droit l’embauche dans l’entité employeur et non dans l’UES comme le fait l’employeur car la politique salariale n’est pas la même dans toutes les entités de l’UES ; au demeurant cet élément n’interfère pas sur la fiabilité du panel car M. X a retenu des embauches postérieures à celles invoquées par l’employeur, et pourtant la rémunération des salariés auxquels il se compare est supérieure à la sienne.

La société Capgemini TS soutient également que les salariés de ce panel sont de grade F alors que M. X est de grade E, or il a été vu précédemment qu’avant 2012 M. X avait le grade F, sa rétrogradation intervenue dans les conditions précédemment décrites ne permet pas d’invalider le panel de salariés occupant comme lui des fonctions de DRH seniors, auxquels il était légitime que M. X se compare.

La société Capgemini TS produit son propre panel dont la composition n’est pas pertinente car 8 salariés sur 24 ne sont pas rattachés à la même entité que M. X; sur les 16 salariés de son entité, 10 ne sont pas DRH mais salariés de la filière RH ayant, en raison de leurs focntions, des niveaux de rémunération inférieurs aux DRH.

Sur les 6 véritables DRH du panel employeur appartenant à la même entité que M. X, 3 sont DRH juniors, seuls 3 dont M. X (sur 24 salariés au total du panel) sont DRH seniors : ses deux homologues (M. E et Mme F) ont des niveaux de rémunération supérieurs au sien (123 604 ' et 135 000 ').

Ainsi, la mise en perspective des panels produits par le salarié et par l’employeur confirme que M. X a un niveau de rémunération nettement inférieur aux autres salariés occupant un poste similaire en 2018, et la société Capgemini TS n’objective pas cette différence de traitement.

La cour estime donc, par infirmation du jugement déféré, que la discrimination de M. X par la société Capgemini TS à raison du handicap et de l’état de santé de ce salarié est établie.

M. X présente une demande de rappel de salaire sur la période de janvier 2012 à avril 2019, ainsi qu’une demande indemnitaire pour discrimination.

Sa rémunération globale (fixe et variable) annuelle a évolué de la façon suivante :

-2009 : 94 999 '

-2010 : 96 999 '

-2011 : 99 900 '

-2012 : 101 900 '

-2013 : 80 008 '

-2014 : 80 008 '

-2015 : 101 900 '

-2016 : 101 900 '

-2017 : 100 588 '

-2018 : 104 000 '

-2019 : 105 672 '

-2020 : 107 754,95 '

Les pièces fournies par les parties ne permettent pas de calculer la rémunération moyenne des salariés occupant dans l’entreprise un poste similaire à celui de M. X sur la période antérieure à 2018, mais permettent d’objectiver la perte de salaire dont a été victime M. X à raison de la discrimination subie à compter de 2012, lorsqu’il a annoncé son handicap et a été abusivement conduit, à la suite de cette annonce, à signer l’avenant au contrat de travail portant baisse de sa rémunération.

Ainsi, M. X, dont le salaire annuel était de 101 900 ' en 2012, a subi une perte de salaire due à la discrimination de 21892 ' en 2013, 21892 ' en 2014, et 1312 ' en 2017, soit un total de 45 096 ' brut.

Par ailleurs, le panel produit par M. X fait apparaître, sur ses 5 homologues, un salaire moyen annuel uniquement sur l’année 2018, ce salaire moyen est de 142 600'.

Dans le panel produit par l’employeur, seuls deux salariés peuvent être comparés de manière pertinente à M. X : Mme F (incluse également dans le panel de M. X) et Mme E ; en incluant cette dernière dans le panel de M. X l’on obtient une moyenne de rémunération sur 6 salariés (hormis M. X), de 139 434' pour l’année 2018, alors que M. X perçoit sur cette même année 104 000 '.

M. X est ainsi fondé à obtenir un rappel de salaire pour l’année 2018 de 35 434'.

En conservant cette moyenne de 139 434 ' pour 2019, comparée au salaire de M. X de 105 672 ', la cour fera droit à la demande de rappel de salaire formulée par M. X pour la période de 4 mois de janvier à avril 2019 de la façon suivante :

139 434/12 =11 619,50 '

105 672/12 = 8806 '

rappel dû : (11 619,50 – 8806) x 4 = 11254 '.

Il sera donc alloué au salarié la somme de 46 688 ' brut à titre de rappel de salaire sur la période du 1er janvier 2018 au 30 avril 2019.

Au total, la cour allouera donc à M. X la somme de 91 784 ' brut à titre de rappel de salaire sur la période de janvier 2012 à avril 2019, outre 9178,40 ' brut à titre de congés payés y afférents.

M. X demande la fixation à son profit d’une rémunération de 135 000 ' pour l’avenir, sans préciser dans le dispositif de ses conclusions le point de départ de sa demande, de sorte que la cour fera droit à cette demande, fondée en son principe et son quantum compte tenu des éléments précédemment évoqués, à compter de la mise à disposition de la présente décision.

Par ailleurs, le préjudice moral de M. X issu de la discrimination subie depuis 2012, sera réparé par l’allocation de la somme de 50 000 '.

Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur le harcèlement moral :

En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l’article L 1152 – 1 du code du travail le salarié établit, conformément à l’article L 1154 – 1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, des éléments de fait laissant présumer l’existence d’un harcèlement ; et il présente conformément à l’article L 1154 – 1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi du 8 août 2016, des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ;

au vu de ces éléments, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

M. X invoque les mêmes faits que ceux dont il fait état à l’appui de sa demande indemnitaire au titre de la discrimination, énoncés précédemment en points 1) à 12).

Il a été vu que seuls les faits visés en point 9) n’étaient pas établis ; la cour estime que les autres faits établis par M. X, pris dans leur ensemble, illustrent la dégradation des conditions de travail alléguée, susceptible de porter atteinte à l’état de santé du salarié, et sont des agissements faisant présumer et laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral ; les explications opposées à ces éléments par la société Capgemini TS, examinés dans les développements précédents auxquels la cour renvoie, ne permettent pas de retenir que les décisions et agissements de l’employeur sont des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence, la cour juge par infirmation du jugement déféré que M. X a été victime de harcèlement moral de la part de la société Capgemini TS depuis 2012 ; l’appelant est bien fondé à voir son préjudice moral, distinct de celui résultant de la discrimination, réparé par l’allocation de la somme de 20 000 ' à titre de dommages-intérêts.

Sur le surplus des demandes :

Il sera fait droit à la demande de M. X de remise d’un bulletin de salaire portant mention des condamnations salariales prononcées.

La société Capgemini TS, succombante, sera condamnée aux dépens de première instance par infirmation du jugement déféré, ainsi qu’aux dépens d’appel, et à payer à M. X la somme de 5000 ' au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Dit et juge que M. X a été victime de discrimination au sein de la société Capgemini TS à raison de son handicap et son état de santé, ainsi que de harcèlement moral,

Condamne la société Capgemini TS à payer à M. X les sommes suivantes :

—  91 784 ' brut à titre de rappel de salaire sur la période de janvier 2012 à avril 2019,

—  9178,40 ' brut à titre de congés payés y afférents,

—  50 000 ' à titre de dommages-intérêts pour discrimination,

—  20 000 ' à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

—  5000 ' au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Fixe la rémunération annuelle de M. X à la somme de 135 000 ' à compter de la mise à disposition du présent arrêt,

Ordonne à la société Capgemini TS de délivrer à M. X un bulletin de paie récapitulatif portant mention des condamnations salariales prononcées par la présente décision,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Capgemini TS aux entiers dépens.

Le présent arrêt a été signé par M N, présidente, et par K L, greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

K L M N

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Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 2, 9 juillet 2021, n° 19/03602