Cour d'appel de Versailles, du 25 septembre 1997, 1994-2026

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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Lorsqu’il résulte des constatations énoncées dans un arrêt de renvoi devant la cour d’assises que les faits reprochés à l’accusé, acquitté du chef de ces faits par la juridiction pénale, sont à l’origine du dommage dont la victime poursuit la réparation et que ces mêmes faits revêtent un caractère non intentionnel de faute d’imprudence, l’assureur de l’auteur du dommage ne peut se prévaloir d’une clause d’exclusion de garantie à raison des dommages intentionnellement causés par son assuré

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 25 sept. 1997, n° 94/02026
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 1994-2026
Importance : Inédit
Dispositif : other
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
Identifiant Légifrance : JURITEXT000006934554
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Texte intégral

Il est constant que le 27 février 1990, Monsieur X…, second adjoint au maire de la commune de LA GAUDAINE, a été grièvement blessé par deux coups de feu tirés en direction de lui-même et de Monsieur Y…, maire de ladite commune alors que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils tenaient une permanence en mairie.

L’auteur de ces coups de feu, Monsieur Z…, a été poursuivi pour tentative d’assassinat sur la personne de Monsieur Y… et pour tentative d’homicide volontaire sur la personne de Monsieur X… et a comparu devant la cour d’assises d’EURE et LOIR qui l’a acquitté le 23 octobre 1992.

Il n’a pas été demandé à la cour d’assises de se prononcer sur les intérêts civils.

Monsieur X… a, en suite de l’arrêt d’acquittement, assigné Monsieur Z… et son assureur le GROUPAMA, ainsi que l’assureur de la commune devant le tribunal de grande instance de CHARTRES en réparation du préjudice subi.

La CPAM d’EURE ET LOIR est intervenue à l’instance pour solliciter le remboursement des sommes de 832.965,55 francs et de 131.078,95 francs, outre les intérêts.

Par un jugement du 11 octobre 1993, le tribunal de grande instance de CHARTRES a reconnu la responsabilité civile de Monsieur Z… et l’a condamné solidairement avec le GROUPAMA et la SAMDA au paiement de 1.555.119,40 francs dont 591.074,95 francs reviennent à Monsieur X… et le solde à la CPAM. A cette somme, le tribunal a ajouté une somme de 50.000 francs pour préjudice non soumis à recours et 4.681,40 francs pour préjudice matériel, soit au total avec déduction de 133.000 francs déjà versés, à 512.756,35 francs. En outre, il a ajouté 30.961,20 francs au titre du préjudice personnel à Madame X… et 10.000 francs à chacun des deux enfants de Monsieur et Madame X… ainsi qu’une indemnité de procédure de 40.000 francs.

Appelante de cette décision, la société C.R.R.M. A.E.L. (GROUPAMA), fait valoir que le tribunal soulève l’existence d’une faute civile et non d’une faute intentionnelle par une confusion avec la faute pénale non retenue, alors que la faute intentionnelle recouvre « non seulement l’action génératrice du dommage, mais encore la réalisation du dommage lui-même » (cass.civ.1er 10/12/91). Elle estime que si Monsieur Z… n’a pas eu l’intention de tuer, il a eu celle de causer des dommages. En conséquence, elle demande l’infirmation du jugement en ce qu’il admet la garantie de GROUPAMA qui ne peut couvrir une faute intentionnelle.

Monsieur Z…, intimé, conclut à l’absence de volonté de commettre, donc d’intention, défaut d’intention pour lequel il a été acquitté ; Il souligne que la demande de réparation doit s’apprécier dans les termes de l’article 372 du code de procédure pénale. Il fait valoir qu’une jurisprudence constante admet la condamnation à des dommages et intérêts envers la partie civile « du même fait dégagé de tout caractère de crime et réduit aux proportions d’un quasi-délit ». Il demande confirmation du jugement.

La CRAM du CENTRE demande à la cour de recevoir son intervention volontaire justifiée par la créance future correspondant au montant de majorations des droits à la retraite. Sur le fond, elle fait siens les arguments de Monsieur Z… pour que soit admise l’indemnisation du préjudice sur le fondement des articles 1382 et suivant du code civil.

En conséquence, elle demande le paiement d’une somme de 650.416,28 francs au titre des majorations tierce personne et 5.000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

La CPAM demande confirmation du jugement et la condamnation de la C.R.R.M. A.E.L. et de Monsieur Z… au paiement de 90.101,60 francs outre intérêts (en sus des sommes déjà accordées) et 7.000 francs sur

le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par un appel incident, la famille X… conclut à l’absence d’intention de causer le préjudice. En outre, le tribunal aurait mal évalué certains postes de préjudice de Monsieur X…, notamment l’I.P.P. et le préjudice non soumis au recours des organismes sociaux ainsi que le préjudice moral de Madame X…, elle conclut au paiement de 2.021.246,80 francs au titre des préjudices soumis à recours sociaux, de 494.681,40 francs au titre des préjudices non soumis à recours sociaux, ainsi que 270.961,20 francs à Madame X…. L’ensemble des sommes devront porter intérêts à compter du 11 octobre 1993. En outre, ils demandent 50.000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Monsieur Z… conteste cette évaluation du préjudice et demande sur ce point la confirmation du jugement entrepris.

La CRAM du CENTRE actualise sa créance à 674.742,45 francs.

La CPAM actualise sa créance à 1.104.352,11 francs.

L’appelante soulève en ce qui concerne l’évaluation de la créance de la CRAM que la prévisibilité d’un versement d’une telle somme est nulle à ce jour, car la majoration de la pension d’invalidité n’est pas automatique (l’aide éventuelle d’une tierce personne).

Concernant le décompte de la CPAM, l’appelante conteste la somme de 170.059,43 francs qui ne peut lui être opposable.

Concernant le préjudice soumis à recours, l’appelante, à titre subsidiaire, estime que le préjudice devrait être fixé comme suit :

I.T.T. =

159.186,24 francs

I.T.P. à 66 % =

78.797,16 francs

I.P.P. à 60 % =

900.000,00 francs.

Ce qui revient à un total de 1.353.151,92 francs duquel devront être déduites la créance de la CPAM et la créance de l’employeur, soit un total de 1.129.353,51 francs.

Le montant du préjudice complémentaire devrait être fixé à 223.798,41 francs.

Concernant le préjudice personnel de Monsieur X…, elle estime qu’il convient de le ramener à 29.681,40 francs.

Elle demande donc la restitution du trop-perçu de 392.276,54 francs. La CRAM du CENTRE justifie le bien fondé de sa créance en soulignant que même si le préjudice n’est pas actuel, il est prévisible et demande à la cour d’ordonner la mise en réserve du capital représentatif de la majoration pour tierce personne.

La famille X… actualise la créance qui se monte à 2.161.186,33 francs. SUR CE LA COUR

Sur la responsabilité de Monsieur Z… dans la survenance du dommage occasionné à Monsieur X…, et sur la garantie due par LA C.R.R.M. A.E.L. en sa qualité d’assureur de Monsieur Z…,

Attendu qu’il est définitivement jugé par l’arrêt de la cour d’assises d’EURE ET LOIR en date du 23 octobre 1992 acquittant Monsieur Z… que celui-ci n’est pas coupable du crime de tentative d’homicide volontaire sur la personne de Monsieur X… ; Attendu que ce dernier est cependant recevable à demander réparation du dommage qu’il a subi et résultant de la faute de l’accusé telle qu’elle résultait des faits qui étaient l’objet de l’accusation, comme il aurait, par application de l’article 372 du code de procédure pénale, pu le faire devant la cour d’assises statuant sur l’action civile ;

Attendu à cet égard que la cour d’assises n’a été interrogée sur

aucune question subsidiaire ;

Attendu que Monsieur Z… reconnait expressément être l’auteur du coup de feu qui a blessé Monsieur X… ;

Attendu que ces faits résultent en outre des constatations de l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de VERSAILLES en date du 27 mai 1992 ;

Attendu qu’il résulte de ces constatations, examinées à la lumière de l’arrêt d’acquittement de la cour d’assises d’EURE ET LOIR en date du 23 octobre 1992, que Monsieur Z… (après avoir tiré un premier coup de feu qui a atteint Monsieur Y…, dans des circonstances qui sont étrangères à la présente instance, dans la mesure où cette victime n’y est pas partie) a, par imprudence, tiré un second coup de feu qui a atteint Monsieur X… lui occasionnant les blessures dont il demande réparation ;

Attendu en effet que la chambre d’accusation a relevé que Monsieur Z… avait « ajusté » Monsieur X… « avec son fusil » et que « le second coup de feu claquait avec un intervalle de 5 à 6 secondes, atteignant Monsieur X… qui s’était pourtant écarté » ; que la chambre d’accusation ajoute qu’en ce qui le concerne Monsieur Z… a déclaré « qu’il aurait immédiatement éjecté les deux étuis » (de cartouche) « percutés, ce qui laisse entendre que les deux cartouches auraient été tirées simultanément en une seule pression de détente » ; Attendu qu’il résulte de ces éléments que lorsqu’il a ajusté Monsieur X…, Monsieur Z… croyait que son fusil n’était plus chargé ; que dès lors les blessures qu’il a occasionnées à Monsieur X… l’ont été à la suite d’une simple faute d’imprudence, le fait -gravement imprudent et, partant, constitutif d’une faute civile- d’ajuster une personne avec un fusil que l’on croit non chargé ne révélant aucune volonté de causer un dommage ;

Attendu dès lors que la faute de Monsieur Z… qui résulte des faits qui étaient l’objet de l’accusation, n’était pas volontaire ; que dès lors l’assureur de Monsieur Z… ne saurait exciper des dispositions de l’article 6 du contrat qui excluent de la garantie les dommages intentionnellement causés et doit celle-ci ;

Sur le quantum du dommage subi par Monsieur X…,

Attendu que pour les motifs exactement retenus par les premiers juges, le préjudice résultant de l’ITT subie par Monsieur X… doit être évalué à la somme de 439.950,95 francs ;

Attendu que la CPAM d’EURE et LOIR justifie d’une créance d’un montant de 1.054.352,11 francs ; qu’eu égard à l’ensemble des demandes, il y a lieu d’évaluer sa créance à ce montant et de le prendre en considération pour évaluer le préjudice global subi par Monsieur X… ;

Attendu que la CRAM du Centre intervient volontairement à l’instance ; que son intervention est recevable dès lors qu’elle n’avait pas été appelée en déclaration de jugement commun devant les premiers juges et que la décision ainsi irrégulièrement rendue ayant été frappée d’appel, elle a intérêt à intervenir devant la cour ; qu’elle justifie d’une créance de 674.742,45 francs ; qu’eu égard à l’ensemble des demandes, il y a lieu d’évaluer sa créance à ce montant et de le prendre en considération pour évaluer le préjudice global de Monsieur X… ;

Attendu que les premiers juges ont a bon droit relevé que le rapport d’expertise des docteurs S. BRION et B. ESTENNE, régulièrement produit aux débats dans la présente instance et que les parties ont été en mesure de le discuter, leur est en conséquence « opposable » ;

Attendu que, comme l’ont relevé les premiers juges, il résulte tant de ce rapport que de celui du docteur Y.-M. A… que Monsieur X… a reçu de face une décharge de chevrotines tirée à environ 5 mètres de

distance lui occasionnant un poly-criblage (53 impacts) atteignant le visage, le cou, le thorax, le flan gauche, les membres supérieur et inférieur gauches ainsi que le pli fessier gauche ; qu’un des plombs a traversé la boîte crânienne ; que la victime, après un intervalle libre, a perdu connaissance ;

Attendu que compte tenu des séquelles dont reste atteint Monsieur X…, tel que cela résulte de ces rapports, il apparait qu’il a subi une IPP de 70% ; qu’eu égard à l’âge de la victime (41 ans au moment des faits) ainsi notamment que de l’incidence professionnelle de cette incapacité, qui ne lui permet plus d’exercer une profession quelconque, il y a lieu de lui attribuer la somme de 1.120.000 francs ;

Attendu que les souffrances résultant des blessures qui ont été occasionnées, sont qualifiées par les docteurs BRION et ESTENNE de modérées ; que cependant il y a lieu, compte tenu de leur nature, de retenir l’importance de moyenne estimée par le docteur A… et de lui allouer de ce chef la somme de 60.000 francs ;

Attendu que la réparation du préjudice esthétique, exactement appréciée par les premiers juges à la somme de 10.000 francs sera confirmée ;

Attendu que le préjudice d’agrément subi par Monsieur X… est important ; qu’il souffre de problèmes amnésiques, ce dont il est conscient ; qu’il ne peut plus se livrer aux différentes occupations, tel le bricolage, auxquelles il se livrait volontiers avant les faits ; qu’il lui sera alloué de ce chef la somme de 70.000 francs ;

Attendu qu’aucune pièce versée aux débats ne justifie de l’existence d’un préjudice sexuel spécifique, distinct des préjudices d’ores et déjà réparés ;

Sur le dommage subi par Madame X…,

Attendu que Madame X… subit un préjudice moral important du fait

des blessures occasionnées à son mari, des circonstances violentes dans lesquelles elles sont intervenues -inexactement qualifiées par elle, dans ses conclusions, « d’agression », puisque les blessures ont été causées involontairement même si, dans un premier temps, les faits qui sont à leur origine ont pu apparaître comme étant de nature criminelle et conduire leur auteur à comparaître devant la cour d’assises-, de l’incertitude dans laquelle elle a été sur leurs suites -Monsieur X… étant demeuré dans le coma- et des séquelles que conserve l’homme avec lequel elle partage sa vie ; que ce préjudice a été inexactement apprécié par les premiers juges et doit être évalué à la somme de 50.000 francs ;

Attendu que les sommes précédemment énoncées sont évaluées, hormis les créances des organismes sociaux précisées comme il sera indiqué au dispositif et l’ITT, à la date du présent arrêt ;

Attendu que l’équité conduit à condamnations sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile dans les termes du dispositif ; PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,

— Confirme le jugement déféré en ce qu’il a dit que la C.R.R.M. A.E.L., devenue GROUPAMA D’EURE ET LOIR, devait garantir Monsieur Roger Z… des condamnations prononcées contre lui et en ce qu’il les a condamnés in solidum avec la Société d’Assurance Moderne des Agriculteurs « SAMDA », devenue GROUPAMA D’EURE ET LOIR, à payer à Monsieur Francis X… la somme de 4.681,40 francs de préjudice matériel, à Mademoiselle Laùtitia X… la somme de 10.000 francs et à Monsieur Cédric X… la somme de 10.000 francs avec intérêts au taux légal à compter de sa date,

— L’émendant, l’infirmant ou statuant plus avant, fixe le préjudice soumis au recours des organismes sociaux à la somme de 3.289.045,51

francs (ITT = 439.950,95 francs + créance de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’EURE ET LOIR « CPAM d’Eure et Loir » =

1.054.352,11 francs + créance de la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MALADIE DU CENTRE « CRAM du Centre » = 674.742,45 francs + IPP =

1.120.000 francs), fixe le pretium doloris à la somme de 60.000 francs, le préjudice esthétique à celle de 10.000 francs et le préjudice d’agrément à la somme de 70.000 francs, fixe le préjudice subi par Madame Jeanine X… née B… à la somme de 50.000 francs,

— Condamne in solidum Monsieur Roger Z… et la GROUPAMA D’EURE ET LOIR à payer, sous déduction des sommes déjà versées :

— à Monsieur Francis X… les sommes de 1.559.950,95 francs dont 439.950,95 francs avec intérêts au taux légal à compter du 11 octobre 1993 et anatocisme, de 60.000 francs, de 10.000 francs et de 70.000 francs,

— à Madame Jeanine X… née B… la somme de 50.000 francs,

— à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE d’EURE ET LOIR « CPAM d’EURE et LOIR » la somme de 1.054.352,11 francs avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 1993 et sur la somme de 832.965,55 francs à compter du 5 juillet 1991, sur la somme de 131.078,95 francs, avec anatocisme,

— à la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MALADIE DU CENTRE « CRAM du Centre » la somme de 674.742,45 francs,

— déboute Monsieur Francis X… de sa demande en réparation d’un préjudice sexuel,

— condamne in solidum Monsieur Roger Z… et la GROUPAMA D’EURE ET LOIR à payer à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’EURE ET LOIR « CPAM d’EURE ET LOIR » la somme de 4.000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, à la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MALADIE DU CENTRE « CRAM du Centre » la somme de

4.000 francs, à Monsieur Francis X… la somme de 50.000 francs pour frais irrépétibles d’appel,

— les condamne aux dépens,

— admet les SCP GAS et KEIME-GUTTIN au bénéfice des dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR MARON, CONSEILLER ET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE

LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL

F. ASSIÉ

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