Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 20 juillet 2018, n° 16/06988

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Chronologie de l’affaire

Commentaires2

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Une Information Lexbase · Actualités du Droit · 26 juillet 2018
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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 20 juill. 2018, n° 16/06988
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 16/06988
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Versailles, 19 septembre 2016, N° 14/10321
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

1re chambre

1re section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 JUILLET 2018

N° RG 16/06988

AFFAIRE :

Société Civile ALL SUITES E F

C/

C X

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Septembre 2016 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 1

N° RG : 14/10321

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON

SELARL INTER-BARREAUX LEPORT & ASSOCIES

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE VINGT JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant après prorogation les 25 mai et 22 juin 2018 les

parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Société Civile ALL SUITES E F, prise en la personne de son gérant la société PALEDORA SUISSE SA représentée par Monsieur I-J K

N° SIRET : 799 548 243

[…]

[…]

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 – N° du dossier 20160366 – Représentant : Me I-Marie JOB substitué par Me Mathieu ROGER-CAREL de la SELARL JTBB AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Maître C X, avocat au barreau de PARIS

né le […] à NANTES

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentant : Me Antoine DE LA FERTE de la SELARL INTER-BARREAUX LEPORT & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 283 – Représentant : Me I-Pierre CHIFFAUT MOLIARD, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 mars 2018 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Alain PALAU, président, et Madame Anne LELIEVRE, conseiller, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Alain PALAU, président,

Madame Anne LELIEVRE, conseiller,

Madame Nathalie LAUER, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,

Vu le jugement rendu le 20 septembre 2016 par le tribunal de grande instance de Versailles qui a :

— déclaré la société All Suites E F recevable à agir dans la limite de 100 000 euros,

— rejeté la demande de la société All Suites E F,

— rejeté également la demande de M. C X au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné All Suites E F aux dépens ;

Vu l’appel relevé le 26 septembre 2016 par la société All Suites E F qui, dans ses dernières conclusions notifiées le 7 novembre 2017, demande à la cour de :

— infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Versailles du 20 septembre 2016,

Et, statuant à nouveau :

— constater les manquements de Maître C X aux devoirs de conseil et de diligence qui lui incombaient en sa qualité de rédacteur du contrat de prêt,

— dire et juger que ces manquements constituent des fautes engageant sa responsabilité civile professionnelle,

— condamner Maître C X au paiement de la somme de 400 000 euros à la société All Suites E F en réparation du préjudice subi de son fait, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation, à savoir à compter du 25 novembre 2014,

— condamner Maître C X au paiement de la somme de 15 000 euros à la société All Suites E F au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 12 janvier 2017 par lesquelles M. X demande à la cour de :

— confirmer le jugement rendu le 20 septembre 2016 par le tribunal de grande instance de Versailles en ce qu’il a rejeté la demande de la société All Suites E F et l’a condamnée aux dépens de première instance,

Et y ajoutant,

— condamner la société All Suites E F aux entiers dépens de la procédure d’appel,

— la condamner en outre à payer à Me C X la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE, LA COUR

Au cours de l’année 2013, la société All Suites E F (la société ASSA), société française spécialisée dans la promotion immobilière, filiale de la société Paledora Suisse SA, de droit étranger et gérée par celle-ci, poursuivait le développement d’un projet de construction d’une résidence hôtelière à E F.

M. G, gérant de la société ASSA lors des faits, a mandaté, la société Carte Financement, société française de courtage, pour rechercher un investisseur prêt à financer le projet susvisé dont le coût était estimé à 20 millions d’euros.

En janvier 2014, la société Carte financement a été contactée par M. I-L Y se présentant comme le président de la société Y Asset Capital, fonds d’investissement ayant son siège au Liechtenstein.

A la suite d’entretiens et de négociations lors d’une réunion à Rome entre les protagonistes du projet de financement, le 7 février 2014 la société Y Asset Capital a fait une offre de financement à la société ASSA, selon laquelle elle s’engageait à mettre à sa disposition une somme de 20 millions d’euros tout en prévoyant que la mise en place financière serait établie à travers la société Z inscrite au registre italien des agences financières.

M. G a confié la rédaction de l’acte de financement comportant prêt assorti, à la demande du prêteur, d’une clause prévoyant le versement d’une somme de la part de l’emprunteur sur un compte séquestre ouvert par la société Z auprès de la banque italienne Unicredit.

Le contrat de prêt a été conclu le 24 février 2014 entre les sociétés :

— Y Asset Capital, prêteur,

— ASSA, en qualité d’emprunteur,

— Paledora Suisse SA, en qualité de garant des sommes dues au prêteur par l’emprunteur,

— Z, en qualité de séquestre.

Aux termes du contrat, la société Y a consenti à la société ASSA, un prêt d’un montant de 20 000 000 euros pour une durée de 20 ans remboursable en 80 périodes trimestrielles et libéré en trois versements répartis comme suit :

— une première tranche d’un montant de 4 000 000 euros versée dans les cinq jours suivant le versement d’un dépôt de garantie de 400 000 euros par la société ASSA,

— une deuxième tranche d’un montant de 8 000 000 euros versée dans les cinq jours suivant le versement d’un dépôt de garantie de 800 000 euros par la société ASSA,

— une troisième tranche d’un montant de 8 000 000 euros versée dans les cinq jours suivant le versement d’un dépôt de garantie de 800 000 euros par la société ASSA, et, au plus tard dans les deux cents jours suivant le versement de la première tranche.

Le versement des sommes venant en garantie de la part de l’emprunteur devait être déposé sur le compte séquestre ouvert par la société Z à la banque Unicrédit.

Le 25 février 2014, en application des dispositions contractuelles , la société ASSA a procédé au virement de la somme de 400 000 euros correspondant au dépôt de garantie de la première tranche de financement.

La société Y Asset Capital n’a jamais par la suite procédé à aucun transfert de fonds et ses dirigeants, comme ceux d’Assafinanza, ont disparu tandis que la somme de 400 000 euros déposée en séquestre sur le compte d’Assafinanza a été retirée et transférée le 27 février 2014. M. G a déposé plainte pour escroquerie au nom et pour le compte de la société ASSA le 17 mars 2014.

Parallèlement, par acte d’huissier délivré le 25 novembre 2014, la société ASSA a fait assigner M. C X sur le fondement de sa responsabilité professionnelle afin de le voir condamner à lui payer la somme de 400 000 euros en réparation de son préjudice.

Le tribunal a débouté la société ASSA de ses demandes au motif que l’absence de vérification de l’agrément de la société Y Asset Capital est sans incidence sur l’escroquerie invoquée ; qu’un manquement de M. X à son obligation de conseil ne pouvait être retenu alors que M. G n’ignorait pas l’existence d’un risque qu’il était prêt à prendre pour conclure l’opération à tout prix.

***

Considérant que c’est à juste titre que la société ASSA fait valoir que le versement partiel de M. G à la société ASSA n’a aucune incidence sur la recevabilité de ses demandes ;

Que ce versement ne peut influer, le cas échéant que sur l’évaluation de son préjudice, lequel ne sera examiné que si nécessaire ;

Que le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a déclaré la société ASSA recevable à agir dans la limite de 100 000 euros ;

Sur les manquements allégués à l’encontre de M. X

* Sur le manquement au devoir de diligence

Considérant que la société ASSA reproche en premier lieu à M. X d’avoir manqué à son devoir de diligence pour n’avoir pas vérifié l’agrément de la société Y lui permettant de réaliser l’opération de financement projetée ; qu’elle souligne que cette simple vérification aurait permis d’éviter l’escroquerie dont elle a été victime en mettant en lumière le fait que cette opération contrevenait en tout état de cause à la réglementation bancaire ; qu’elle précise que la vérification de l’agrément de la société Y « aurait permis de découvrir qu’elle n’en possédait certainement pas et aurait mis en lumière l’usurpation d’identité au coeur des faits d’escroquerie » ; qu’elle considère qu’en l’absence d’agrément, M. X aurait dû lui conseiller de ne pas traiter avec cette société ;

Qu’elle lui reproche également de ne pas avoir effectué toutes diligences pour s’assurer de l’identité et de la qualité des parties en recueillant divers documents légaux relatifs aux sociétés Y et Z et à leurs représentants ; que de nombreux éléments auraient dû éveiller les soupçons de M. X devant le conduire à douter de la sincérité et de la véracité des renseignements fournis par la société Y, comme la prise de contact par cette dernière via internet, hors de tout cadre officiel, le montant élevé de l’opération financière, l’existence d’un fonds d’investissement opaque enregistré au Liechtenstein inconnu de lui, les contradictions de M. Y concernant la présence d’avocats à ses côtés, les adresses emails suspectes utilisées tant par la société Y Asset Capital que par Z et les nombreuses fautes de syntaxe et d’orthographe contenues dans les correspondances de la société Y ; que ces éléments auraient dû amener M. X à procéder à des vérifications approfondies concernant les sociétés Y et Z et leurs dirigeants alors qu’il s’est limité à recueillir de fausses pièces d’identité et les statuts envoyés par lesdites sociétés ; qu’elle ajoute que les recherches effectuées par un avocat au Liechtenstein ont permis de mettre en évidence que le nom de la société Y Asset Capital devenu par la suite Cardinal Asset est manifestement utilisé de manière frauduleuse par un individu se présentant comme I-L Y offrant des financements au public au nom de la société en demandant le versement anticipé d’une somme en séquestre ; qu’elle prétend qu’il incombait à M. X de faire toutes diligences en vue de s’assurer de la solvabilité des parties ; que sur ce point M. X n’a procédé à aucune vérification et ne s’est fait communiquer aucun document comptable ou financier ; que s’agissant de Z, M. X s’est fait remettre un relevé

bancaire du compte ouvert dans les livres de la banque Unicrédit, destiné à recevoir le dépôt de garantie lequel faisait apparaître un solde créditeur de plus de 4 000 000 euros, sans toutefois solliciter d’attestation d’authenticité ou d’exactitude de ce relevé qui s’est par la suite révélé être un faux ; que l’absence de diligences de M. X est flagrante et illustrée au surplus par son refus d’accompagner M. G à Rome pour rencontrer le représentant d’Z ;

Qu’elle soutient que la négligence et la légèreté de M. X sont à l’origine de la réalisation de l’opération frauduleuse dont elle a été victime et qu’un minimum de diligences aurait permis de mettre à jour ;

Que M. X réplique que les vérifications qu’il lui est reproché de ne pas avoir faites, comme l’existence d’un agrément de la société Y Asset Capital et l’identité des parties et leur qualité, ne s’imposaient qu’en présence d’éléments de nature à éveiller ses soupçons ; qu’il ajoute qu’à supposer que de tels éléments aient été observés, ils ne pouvaient être ignorés de la société ASSA qui avait le devoir de se renseigner par elle-même sur les garanties offertes par des partenaires qu’elle avait choisis sans son intervention et ce d’autant que son représentant avait parfaitement conscience du caractère pour le moins inhabituel de la proposition qui lui était faite ainsi que cela ressort de l’un des courriels de M. G en date du 14 février 2014 au terme duquel il lui indique : « je suis en train de négocier le prêt dont je t’ai parlé avec un fonds et un montage … bizarre » ;

Qu’il ajoute que le défaut de vérification d’ agrément prétendument requis n’est pas pertinent, les dispositions du code monétaire et financier évoquées par la société ASSA qui visent les personnes effectuant en France des opérations de crédit à titre habituel, n’étant pas applicables à la situation de l’espèce ;

Que s’agissant de la vérification de l’identité et de la qualité des parties, il affirme que la demande de communication à son dossier des pièces d’identité des signataires des actes et des statuts d’Z ainsi que la vérification par un avocat italien inscrit au barreau de Rome de la signature du représentant de cette société constituaient des vérifications suffisantes requises par la prudence ordinaire dès lors qu’il n’existait aucune raison apparente de douter de l’authenticité des documents fournis ;

Que la vérification de la réputation et de la solvabilité des partenaires financiers choisis par la société ASSA n’entrait pas dans le cadre de sa mission ; qu’il ne disposait pas d’informations ignorées de son client susceptibles de déjouer la fraude ; que la vérification de la solvabilité d’un partenaire est en outre plutôt d’usage à l’égard de l’emprunteur que du prêteur ; que la société ASSA est seule responsable des négligences et de la légèreté de son mandataire et qu’aucun manquement à son devoir de vigilance ne peut lui être imputé ;

***

Considérant que si les articles L 511-10 et suivants du code monétaire et financier prévoient la nécessité pour les établissements de crédit d’obtenir un agrément, celui-ci n’est délivré qu’aux personnes morales ayant leur siège en France ou à des succursales établies sur le territoire français d’établissements de crédit ayant leur siège social dans un Etat qui n’est ni membre de l’Union européenne ni partie à l’accord sur l’espace économique européen ; que selon l’article L 511-1 du même code, les sociétés de financement auxquelles s’applique la règle de l’agrément délivré par l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution, sont des personnes morales, autres que les établissement de crédit, qui effectuent à titre de profession habituelle et pour leur propre compte des opérations de crédit dans les conditions et limites définies par leur agrément ;

Qu’en l’espèce, l’appelante indique de manière dubitative en page 14 de ses conclusions que « la vérification de l’existence de l’agrément de la société Y aurait permis de découvrir qu’elle n’en possédait certainement pas » ; qu’il ne peut qu’être relevé qu’elle ne fournit aucune pièce relative

à la société Y Asset Capital, avec laquelle elle était présumée conclure l’acte litigieux, de nature à justifier que l’objet de cette société était de pratiquer à titre habituel des opérations de crédit, alors qu’elle était présentée par M. G comme une société de fonds d’investissement ; qu’en outre son siège étant au Liechtenstein et celle-ci étant dépourvue de toutes succursales en France, les textes invoqués ne lui étaient pas applicables pour ce double motif ; qu’à titre surabondant, il n’est pas précisé en quoi la révélation de l’absence d’agrément, si celui-ci avait fait l’objet d’une recherche, aurait mis en lumière l’usurpation d’identité se trouvant au coeur de l’escroquerie, étant rappelé que les personnes se présentant sous le patronyme de Y ont utilisé leur homonymie avec la société Y Asset Capital, d’après ce qu’indique la société appelante ;

Que M. X était chargé de la rédaction de l’acte de prêt entre la société Y Asset Capital prêteur et la société ASSA, dans lequel intervenaient la société Paledora Suisse SA, en qualité de garant des sommes empruntées et Z, en qualité de séquestre ;

Qu’il justifie avoir demandé et obtenu un extrait de l’inscription de la société Y Asset Capital au registre des entreprises du Liechtenstein certifiée conforme par son dirigeant, un relevé de compte bancaire ouvert dans la banque italienne Unicrédit par Z, la copie du passeport de M. H Y, ainsi que le pouvoir, donné par son frère, M. I-L Y, par lequel celui-ci était habilité à signer le contrat de prêt ; qu’il avait également recueilli la copie de la pièce d’identité de M. A, dont la qualité de gérant d’Z a été vérifiée par ses correspondants avocats au barreau de Paris et Milan ;

Considérant cependant que le 21 février 2014 à 15 heures 54, M. I-L Y envoyait par courriel le contrat signé « avec authentification des signatures » par son avocat et précisait qu’il attendait en retour le contrat signé par la société ASSA afin de procéder à la mise en oeuvre du crédit ; qu’à 16 heures 28, M. X demandait à M. I-L Y de lui transmettre les statuts de la société Y Asset Capital démontrant qu’il en est le président et l’intégralité des pages du contrat avec la date de signature ;

Que suite à une demande de vérifications par l’intermédiaire de Me Bain à un cabinet d’avocats inscrits notamment au barreau de Milan, il était répondu par Me B à 18 heures 51 que M. A était bien le gérant d’Z, ce qui apparaissait de l’équivalent d’un Kbis de la société et que Me Pietro Cerasaro chargé de certifier sa signature, était bien inscrit au barreau de Rome ; qu’elle précisait cependant qu’elle n’était pas en mesure de se prononcer sur la capacité des signataires intervenus au nom de la société Y Asset Capital qui ne lui paraissait pas être une société de droit italien ;

Que cette information était retransmise à M. X puisque la vérification était faite à sa demande ; que M. X ne justifie pas avoir reçu de M. I-L Y se disant représenter la société Y Asset Capital, les statuts de celle-ci ; qu’en leur absence, il ne lui était pas possible de s’assurer de la capacité du signataire du contrat à représenter cette société ; que néanmoins, il a établi l’acte de prêt au nom de cette société qu’il a mentionné être représentée par M. I-L Y, dont il n’a pas eu de pièce d’identité ; que M. G n’avait pas rencontré M. I-L Y à Rome lors d’une réunion préparatoire puisque celui-ci y était représenté par une personne présentée comme étant son frère ; que pour autant le contrat sera signé par la société ASSA le 24 février 2014 ;

Qu’il s’avère à ce stade, compte tenu de l’importance du financement sollicité et de l’exigence par les prêteurs d’une clause de séquestre dont l’analyse ne pouvait qu’éveiller un doute sur la loyauté des cocontractants de sa cliente que M. X n’a pas poussé les investigations envisagées à leur terme puisqu’il ne produit pas les statuts de la société Y Asset Capital qui seuls auraient pu lui permettre de vérifier la capacité de M. I-L Y à représenter la société prêteuse, alors qu’il s’est avéré par la suite que M. I-L Y non seulement ne faisait pas partie du conseil d’administration de cette société, mais n’avait aucun lien avec elle ;

Que M. X en ne s’assurant pas préalablement à l’établissement de l’acte de prêt de la capacité de M. I-L Y, interlocuteur de M. G, à représenter la société prêteuse, a ainsi manqué à son obligation de diligences propres à assurer l’efficacité de l’acte rédigé par ses soins ;

Considérant qu’il résulte des courriels échangés les 14 et 16 février 2014 entre M. G et M. X (pièce 18 de l’appelante) que ce dernier n’a été chargé que de la rédaction du contrat de prêt ; que ce fait n’est pas sérieusement contesté ; que d’autre part la société ASSA mentionne elle-même que la recherche d’un investisseur avait été confiée à la société Carte financement et que c’est par l’intermédiaire de celle-ci que son représentant, M. G, est entré en contact avec prétendument la société Y Asset Capital représentée par M. Y ;

Que dans ces conditions, il n’entrait pas dans la mission de M. X de se préoccuper de la réputation du partenaire de la société ASSA ou de sa solvabilité ;

* Sur le manquement à l’obligation d’information et de conseil

Considérant que la société ASSA fait valoir sur le fondement de l’article 9 du décret n°2005-790 relatif aux règles de la déontologie de la profession d’avocat que M. X se devait d’assurer la validité et la pleine efficacité de l’acte dont il était le rédacteur et était tenu à une obligation de résultat de proposer un acte permettant la réception du financement sans perte des sommes déposées à titre de garantie ; qu’elle lui reproche d’avoir mis en oeuvre un mécanisme défectueux ne protégeant pas ses intérêts alors que le premier but poursuivi était qu’elle ne perde pas les fonds déposés ; que le séquestre a été intégré au contrat à la demande de M. Y et que l’imperfection du mécanisme était d’autant plus évidente que la banque séquestre n’était pas partie au contrat alors que son rôle crucial aurait pleinement justifié son intervention à l’acte ; que cependant M. X ne l’a pas mise en garde du risque de perte du dépôt de garantie ; que sa faute est dommageable en ce qu’il na pas prévu la prise d’une garantie sur la société Y ; qu’il n’a pas amendé le mécanisme proposé par le prêteur alors qu’il n’avait pas qu’une simple mission de mise en forme mais bien une mission de rédaction de l’acte, de conseil et d’alerte des parties ; que le tribunal a eu tort de ne pas retenir un manquement de M. X à ses obligations alors qu’il était tenu à une obligation d’information et de conseil complète destinée à l’éclairer notamment sur les risques encourus ;

Que M. X réplique que si le rédacteur de l’acte est tenu d’en assurer la validité et l’efficacité, celle-ci ne concerne que l’efficacité juridique ; qu’il n’était pas tenu de garantir le succès économique de l’opération mise en oeuvre ; qu’il appartenait à la société ASSA de vérifier par elle-même qu’elle pouvait faire confiance aux personnes avec lesquelles elle avait décidé de contracter ; qu’il soutient avoir mis en garde M. G contre le risque d’une dissociation entre la constitution du dépôt de garantie et le déblocage du prêt ; qu’en l’espèce il était prévu que la somme devait être séquestrée entre les mains d’un tiers et qu’aucune autre sûreté n’avait lieu d’être ; qu’outre son inutilité, on peut douter de l’efficacité d’une garantie complémentaire constituée sur le patrimoine d’un professionnel de l’escroquerie ; qu’il ajoute que M. G a conduit seul les négociations, que c’est à sa demande expresse que la clause exigée par M. Y, qui constitue le support de l’escroquerie, a été insérée à l’acte dans une seconde version du contrat de prêt ; qu’il a précisé à M. G qu’il avait fait au mieux pour tenir compte de sa volonté de conclure et qu’il l’avait ainsi mis en garde mais que celui-ci était déterminé à conclure pour éviter la déconfiture de son entreprise ; que M. G avait parfaitement conscience du risque encouru et a accepté la clause en toute connaissance de cause ainsi que de verser la somme de 400 000 euros sans avoir reçu de réponse aux demandes de confirmation concernant l’intervention à l’acte de la banque Unicrédit ;

***

Considérant que le contrat a finalement été signé des parties le 24 février 2014, dont M. X ne conteste pas la rédaction, quand bien même la clause litigieuse a été insérée à la demande de M.

I-L Y ;

Qu’en substance, le financement du projet de la société ASSA était prévu en trois tranches, la première de 4 000 000 euros et les deux suivantes de 8 000 000 euros chacune ; que la libération de ces tranches était subordonnée au versement par l’emprunteur d’un dépôt de garantie qui pour la première tranche s’élevait à 400 000 euros ; que l’emprunteur devait en effectuer le versement dans les cinq jours ouvrés de la date de signature du contrat, entre les mains d’Z sur un compte ouvert à la banque Unicrédit ; qu’il était précisé – article 10 paragraphes XIII et XIV – qu’en cas de sommes dues par l’emprunteur, à quelque titre que ce soit, Z, agissant pour le compte du prêteur, pourra procéder à la réalisation de la garantie et après une simple notification faite à l’emprunteur, pourra affecter les montants constitutifs des dépôts au paiement des sommes dues par l’emprunteur ; qu’en l’absence de versement de la tranche 1, 2 ou 3, l’emprunteur pourra retirer l’intégralité des sommes qu’il a déposées dans les trois jours ouvrables suivant sa demande par écrit, qui seront envoyées par virement bancaire sur le compte bancaire ayant émis le dépôt ;

Qu’il n’est pas contesté que l’insertion de cette clause a été imposée par la société de financement ; que c’est cependant ce mécanisme qui a permis l’escroquerie dont la société ASSA a été victime, puisque les fonds promis n’ont jamais suivi le dépôt de garantie opéré par la société ASSA, qui a été retiré très rapidement pas ses cocontractants ;

Que le danger du mécanisme était évident dès lors qu’il existait un décalage entre le versement du dépôt et le versement des tranches du prêt que ce dépôt était censé garantir et dès lors qu’il était prévu que le prêteur, par l’intermédiaire d’Z pouvait procéder au retrait du dépôt, sans aucun contrôle d’un tiers extérieur à l’opération, ce que ne pouvait prétendre être la société Z, en réalité complice des faits ;

Que s’il est avéré au travers des échanges de mails que M. G avait une certaine conscience de l’existence d’un risque, M. X savait selon quelles modalités il était entré en contact avec la société Y Asset Capital, qu’il ne connaissait pas, pas plus qu’Z ; que M. G n’est pas un juriste et qu’il s’est adressé à un avocat spécialisé dans la finance, notamment en matière d’opérations complexes françaises ou transfrontalières, comme l’indique la pièce 17 de l’appelante ; que M. X aurait dû exposer à sa cliente, les risques évidents de perte du prétendu dépôt de garantie, d’autant plus qu’il n’y avait aucune possibilité, compte tenu des exigences du prêteur et pour cause, de garantir, postérieurement au dépôt réclamé, le versement du prêt, qui était le but principal poursuivi par sa cliente, sans risque de perte du dépôt qui lui était imposé ; que le simple fait d’annoncer « qu’il a fait au mieux » mais que la clause n’est pas satisfaisante et reste confuse, ne suffit pas à considérer qu’il a rempli son obligation de conseil et d’information ; qu’il apporte une réponse évasive à M. G lorsqu’il lui répond le 19 février 2014 « qu’il demeure sans opinion sur l’impact juridique de l’intervention à l’acte d’Z » alors que celui-ci lui a fait part de son incompréhension face à la clause litigieuse et de ses craintes relatives à la possibilité de récupérer un dépôt qui aura été retiré par Y ; qu’en réalité l’analyse de la clause révèle qu’en l’absence de constitution d’un séquestre officiel digne de confiance, il existait un risque important de déperdition du dépôt sans exécution de sa contrepartie par le prêteur en raison de l’absence de concomitance entre le dépôt de garantie par l’emprunteur et de la libération des fonds par le prêteur ;

Que ce risque se trouvait amplifié par le fait que la signature a été soumise à la société ASSA bien que M. X n’ait pas été en possession des statuts de la société Y Asset Capital justifiant de la capacité de l’interlocuteur de M. G à engager cette société ;

Que dans ces circonstances, quelle que soit la situation d’urgence dans laquelle se trouvait la société ASSA nécessitant l’obtention d’un financement, il résulte de ce qui précède qu’elle n’a pas été suffisamment informée des risques réels entachant le montage financier dont la rédaction est l’oeuvre de M. X ; que les termes du contrat se sont révélés totalement inefficaces puisque le

financement escompté n’a jamais été fourni et que la société ASSA a perdu son dépôt de garantie ;

Que le montant du financement demandé était particulièrement élevé, ce qui aurait dû inciter M. X à une obligation de vigilance, d’information et de conseil accrue en termes de protection des intérêts de sa cliente ; qu’en réalité les risques étaient si réels que M. X aurait dû déconseiller à sa cliente de conclure le contrat aux conditions imposées par le cocontractant et qu’il ne suffit pas d’avoir évoqué l’insertion « d’un paragraphe pourri » demandé par ce dernier pour justifier avoir rempli son obligation ;

Considérant que M. X a ainsi manqué tant à son obligation de diligence qu’à son obligation de conseil ;

Sur le lien de causalité et le préjudice

Considérant que le préjudice subi par la société ASSA ne résulte pas, comme le prétend M. X de l’erreur de M. G ayant consisté à effectuer le versement de 400 000 euros alors que ce faisant, il n’a fait qu’exécuter le contrat rédigé par les soins de son conseil, dans le but d’obtenir le financement escompté ; que les manquements de M. X ont eu pour conséquence de ne pas permettre à la société ASSA de refuser de signer le contrat en raison du degré d’insécurité qu’il présentait pour elle exclusivement ; que si M. X avait indiqué à sa cliente qu’il n’avait pas les statuts de la société Y Asset Capital justifiant de la qualité de représentant légal de M. I-L Y ou exposé à la société ASSA l’existence d’une probabilité importante de réalisation du risque de perte du dépôt de garantie, la société ASSA, mieux à même de peser l’opportunité de s’engager dans de telles conditions, n’aurait peut être pas signé le contrat litigieux ; que mal conseillée et quoique désireuse de trouver un financement recherché depuis de long mois, elle a perdu une chance qui sera évaluée à 40 % de ne pas s’engager dans une relation contractuelle particulièrement hasardeuse ;

Considérant que l’assiette du préjudice de la société ASSA ne saurait être limité à la somme de 100 000 euros, comme le soutient M. X au motif que M. G a versé à la société ASSA la somme de 300 000 euros pour combler le déficit résultant pour elle de l’escroquerie dont elle a été victime ; qu’en effet, elle n’est pas démentie par M. X lorsqu’elle affirme que le remboursement opéré par M. G a pris la forme d’un apport en compte courant d’associé qui n’avait vocation qu’à renflouer temporairement la trésorerie de la société dans l’attente du recouvrement d’une somme équivalente suite à la plainte pénale déposée ou du fait de la présente action ;

Que c’est à juste titre qu’elle fait valoir que l’apport en compte courant de M. G constitue une dette qu’elle devra lui rembourser ; qu’ainsi son préjudice n’est pas diminué par ce versement ;

Que l’assiette de son préjudice est donc bien de 400 000 euros, montant du dépôt de garantie perdu ; que la perte de chance de ne pas conclure et de ne pas subir cette perte étant estimée à 40 %, M. X sera condamné à payer à la société ASSA la somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts ; que cette somme ne fera courir d’intérêts qu’à compter du présent arrêt ;

Considérant que M. X, partie perdante, doit être condamné aux dépens de première instance ainsi qu’à ceux d’appel ;

Qu’il convient d’allouer à la société ASSA la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,

Déclare la société All Suites E F recevable à agir,

Condamne M. X à payer à la société All Suites E F la somme de 160 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne M. X à payer à la société All Suites E F la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,

Condamne M. X aux dépens de première instance ainsi qu’à ceux d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Alain PALAU, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,

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Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 20 juillet 2018, n° 16/06988