Cour administrative d'appel de Bordeaux, 20 novembre 2013, 13BX01140, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 20 nov. 2013, n° 13BX01140
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 13BX01140
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Martinique, 4 avril 2013, N° 1200938
Identifiant Légifrance : CETATEXT000028247647

Sur les parties

Texte intégral

Vu la requête, enregistrée le 23 avril 2013 sous forme de télécopie et régularisée par courrier le 26 avril 2013, présentée par Me C… pour M. B… A… détenu, selon ses dires, au centre pénitentiaire de Ducos, quartier Champigny à Ducos (97224) ;

M. A… demande au juge d’appel des référés :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 1200938 du 5 avril 2013 par laquelle le président du tribunal administratif de Fort-de-France, statuant en référé, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’État au versement d’une provision de 10 000 euros en vue de la réparation des préjudices résultant de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Ducos du 24 mars 2010 au 22 février 2013 ;

2°) de condamner l’État à lui verser, à titre provisionnel, la provision sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l’État le paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. A… soutient :

— que l’obligation de l’État n’est pas sérieusement contestable, dès lors que ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Baie-Mahault sont attentatoires à la dignité humaine et sont constitutives d’un traitement inhumain et dégradant au sens des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que l’obligation de l’État repose également sur la méconnaissance des articles 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, D. 349, D. 350 et D. 351 du code de procédure pénale ;

 – que la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales considère que le manque durable d’espace vital en cellule est constitutif d’un traitement inhumain et dégradant ;

 – que la sur-occupation des cellules du centre pénitentiaire de Ducos est établie par le contrôleur général des lieux de privation de liberté qui a visité les lieux en novembre 2009 ;

 – que, compte tenu de la surpopulation carcérale, il n’y a pas de séparation effective entre les prévenus et les condamnés ;

 – que l’aménagement des cellules et leur vétusté portent atteinte à sa dignité, dès lors que la fenêtre et la porte n’empêchent pas l’intrusion d’animaux nuisibles ; que les sanitaires, situés à proximité des lieux de vie et de prise des repas, ne sont que partiellement séparés du reste de la cellule et n’ont pas de porte, ne garantissant aucune intimité ou isolement ;

 – que la promiscuité, dans des conditions de détention dégradées, est à l’origine de tensions et de violence ; qu’il a développé en détention un état dépressif ;

 – que l’administration pénitentiaire, en refusant ses demandes de travail et d’aménagement de peines, a contribué à son indigence matérielle ;

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 août 2013 présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que les prétentions indemnitaires du requérant soient ramenées à de plus justes proportions ;

La garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir :

— que son obligation à l’égard de M. A… se heurte à une contestation sérieuse, dès lors que les allégations du requérant ne sont corroborées par aucun élément pertinent ; qu’il se borne à produire le rapport de visite établi par le contrôleur général des lieux de privation de liberté en novembre 2009 ; que l’administration pénitentiaire a apporté, depuis ce rapport, des améliorations aux conditions de vie des détenus, notamment en faisant des travaux sur les équipements collectifs et des travaux de maintenance ; qu’un marché de dératisation et de désinsectisation a été conclu ; que des travaux de rénovation des cellules ont été lancés à partir de janvier 2013 ;

 – que des dérogations au principe de l’encellulement individuel en maison d’arrêt sont admises en cas de surpopulation, comme le permet l’article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; que la séparation des prévenus et des condamnés est effective depuis 2011 ;

 – que si la taille de la cellule est un élément de nature à caractériser un traitement dégradant, elle ne constitue pas, à elle seule, une violation de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que M. A… avait la possibilité de quitter sa cellule en journée et bénéficiait d’une heure 45 de promenade deux fois par jour ;

 – qu’un manquement aux règles d’hygiène et de salubrité n’est pas établi ; que la responsabilité de la propreté des locaux incombe aussi aux détenus ;

 – qu’aucune disposition n’impose un dispositif d’aération mécanique dans les cellules ;

 – que le requérant a eu accès régulièrement à l’unité de consultations et de soins ambulatoires ;

 – que les refus opposés aux demandes de travail de M. A… par l’administration pénitentiaire lui sont exclusivement imputables ; que M. A… ne peut se prévaloir utilement des refus opposés à ses demandes d’aménagement de peines qui relèvent du juge d’application des peines ;

 – que le préjudice moral invoqué n’est pas établi ;

Vu la décision en date du 1er septembre 2013 par laquelle le président de la Cour a désigné Mme Mireille Marraco, président de chambre, comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;

Sur la demande de provision :

1. Considérant d’une part, qu’aux termes des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie » ;

2. Considérant d’autre part, qu’aux termes des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants. » ; qu’aux termes de l’article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. » ; qu’aux termes de l’article D. 349 du code de procédure pénale : « L’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien des bâtiments (…) que l’application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques. » ; qu’aux termes de l’article D. 350 du même code : « Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération. » et qu’aux termes de son article D. 351 : « Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L’agencement de ces fenêtres doit permettre l’entrée d’air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d’une façon convenable et leur nombre proportionné à l’effectif des détenus. » ;

3. Considérant qu’il résulte de l’instruction que, durant son incarcération au centre pénitentiaire de Ducos, M. A… a occupé successivement plusieurs cellules qu’il a partagés avec un ou deux autres détenus pour certaines et deux ou trois détenus pour d’autres ; que les cellules, dont les parois étaient le plus souvent très sales, n’étaient équipées pour la plupart que d’une seule fenêtre barreaudée ne permettant pas d’assurer un renouvellement satisfaisant de l’air ambiant dans une région qui connaît un climat chaud et humide toute l’année ; que le cloisonnement partiel des toilettes ne garantissait pas un minimum d’intimité aux détenus amenés à vivre en cohabitation dans la même cellule ; que ces lieux d’aisance, démunis d’un système d’aération spécifique, étaient situés à proximité immédiate du lieu de vie et de prise des repas ; que si la garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir que l’intrusion régulière d’animaux nuisibles dans les cellules dont se plaint le requérant est imputable à un défaut d’entretien des détenus ou à leur incurie et que l’administration pénitentiaire a engagé des opérations ponctuelles de dératisation et de désinsectisation, elle ne conteste pas que ces travaux n’ont pas modifié les caractéristiques sus-décrites des cellules ; que la circonstance qu’il est permis aux détenus de bénéficier d'1 heure 45 de promenade deux fois par jour n’a que peu d’incidence sur le confinement des détenus et les conditions d’hygiène qu’ils supportent ; qu’ainsi, la conception et l’insalubrité de ces locaux, aggravées par la promiscuité résultant de leur sur-occupation, suffisent à caractériser la méconnaissance par l’administration pénitentiaire des stipulations précitées de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que des dispositions précitées de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et du code de procédure pénale et à révéler une atteinte à la dignité humaine ; qu’ainsi, l’obligation dont M. A… se prévaut à l’encontre de l’État peut être regardée comme présentant, en raison du cumul des manquements susmentionnés, le caractère d’une obligation non sérieusement contestable exigé par les dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative ;

4. Considérant que si l’existence d’un lien de causalité direct entre les conditions de détention de M. A… et le dommage physique qu’il invoque n’est pas établie , les conditions de vie imposées à M. A… au cours de son séjour au centre pénitentiaire de Ducos du 24 mars 2010 au 22 février 2013 ont nécessairement entraîné un préjudice moral ouvrant droit à réparation ; que, compte tenu de la durée de l’incarcération de M. A…, qui doit être prise en compte pour apprécier le préjudice moral subi, le montant de la provision à valoir sur la réparation de ce préjudice doit être fixé à 2000 euros ;

5. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler l’ordonnance attaquée et de condamner l’État à verser à M. A… une provision de 2000 euros ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’État à verser à M. A… la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

ORDONNE


Article 1er : L’ordonnance n° 1200938 du 5 avril 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France est annulée.

Article 2 : L’État est condamné à verser à M. A… une provision de 2000 euros en réparation de son préjudice.

Article 3 : L’État versera une somme de 1 500 euros à M. A… en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A… est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B… A… et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Fait à Bordeaux, le 20 novembre 2013.


Le président de la 2e chambre, juge d’appel des référés

Mireille MARRACO

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N°13BX01140

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