CAA de BORDEAUX, 5ème chambre - formation à 3, 20 novembre 2018, 16BX02095, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 5e ch. - formation à 3, 20 nov. 2018, n° 16BX02095
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 16BX02095
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Martinique, 13 avril 2016, N° 1400454
Identifiant Légifrance : CETATEXT000037631659

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Domaines Thieubert a demandé au tribunal administratif de la Martinique d’annuler l’arrêté du 24 mars 2014 par lequel le préfet de la région Martinique a, d’une part, déclaré d’utilité publique, au bénéfice du syndicat des communes de la côte nord-ouest (SCCNO), le prélèvement d’eau et les ouvrages du champ captant de Pécoul ainsi que les périmètres de protection immédiate, rapprochée et éloignée du champ captant de Pécoul et a, d’autre part, autorisé au bénéfice du même syndicat le traitement de l’eau brute provenant des forages du champ captant de Pécoul aux fins de consommation humaine et la distribution de l’eau traitée à la population.

Par un jugement n° 1400454 du 14 avril 2016, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistré le 28 juin 2016, le 26 juillet 2016 et le 9 mai 2017, l’EARL Domaines Thieubert, représentée par Me B… et Me A…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 14 avril 2016 ;

2°) d’annuler l’arrêté préfectoral du 24 mars 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

 – le tribunal a insuffisamment motivé son jugement dès lors qu’il n’a pas répondu au moyen tiré de l’insuffisance des informations contenues dans la notice explicative au dossier d’enquête publique ; il n’a pas non plus répondu aux moyens tirés des conséquences sociales excessives de l’arrêté, de ce qu’il porte une atteinte disproportionnée aux intérêts publics protégés par l’article L. 111-1 du code rural et au moyen tiré de l’existence d’avis négatifs sur le projet ;

Elle soutient, au fond, que :

 – c’est à tort, au regard des exigences de l’article R. 11-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, que le tribunal a jugé que la notice explicative était complète alors qu’elle est entachée de nombreuses insuffisances ;

 – c’est à tort que le tribunal a jugé que l’absence de plan général des travaux dans le dossier d’enquête n’aurait pas nui à l’information du public ou été de nature à influer sur la décision en litige ;

 – le dossier d’enquête publique comporte aussi des incohérences et des lacunes en ce qui concerne l’estimation des dépenses nécessaires à la réalisation du projet ;

 – l’étude d’impact est entachée de nombreuses lacunes ;

 – le résumé non technique de l’étude d’impact était insuffisant ;

 – l’arrêté aurait dû être précédé de la consultation de la commission départementale de la consommation des espaces agricoles en application de l’article L. 181-3 du code rural et de la pêche maritime ;

 – c’est à tort que le tribunal a jugé que les informations techniques contenues dans la déclaration d’utilité publique (coordonnées géographiques de l’ouvrage) étaient suffisantes ;

 – l’arrêté en litige est insuffisamment motivé ;

 – l’arrêté méconnaît les articles L. 122-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et L. 352-1 du code rural et de la pêche maritime ;

 – l’arrêté porte une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l’industrie car il empêche la requérante d’exploiter ses propriétés plantées de canne à sucre ; cet arrêté entraîne aussi des conséquences sociales majeures ; il porte atteinte aux intérêts publics protégés par l’article L. 111-1 du code rural et de la pêche maritime ; les nombreux avis négatifs émis par les instances consultées sur le projet démontrent son absence d’utilité publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2017, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

 – le jugement attaqué n’est pas entaché des irrégularités alléguées ;

 – la notice explicative et l’étude d’impact comportent les informations requises ;

 – le projet contesté ne constitue pas une opération d’aménagement, si bien que la consultation de la commission départementale de la consommation des espaces agricoles en application de l’article L. 181-3 du code rural et de la pêche maritime n’était pas requise ;

 – les informations techniques contenues dans l’arrêté en litige sont suffisantes ;

 – le moyen tiré du défaut de motivation de la déclaration d’utilité publique manque en fait ;

 – le projet n’a pas pour effet de compromettre les exploitations agricoles existantes et le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 122-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et L. 352-1 du code rural est ainsi inopérant ;

 – l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie invoquée manque en fait ; il n’existe pas d’inconvénients sociaux ni d’atteinte disproportionnée aux intérêts publics protégés par l’article L. 111-1 du code rural et de la pêche maritime.

Par ordonnance du 29 novembre 2017, la clôture d’instruction a été fixée au 29 janvier 2018 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code de l’environnement ;

 – le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

 – le code rural et de la pêche maritime ;

 – le code de la santé publique ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Frédéric Faïck,

 – les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

 – et les observations de Me B…, représentant l’EARL Domaines Thieubert.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 24 mars 2014, pris au bénéfice du syndicat des communes de la Côte Nord Ouest (SCCNO), le préfet de la Martinique a déclaré d’utilité publique le prélèvement d’eau et les ouvrages du champ captant de Pécoul, l’institution autour de ce champ de périmètres de protection immédiate et rapprochée ainsi que l’acquisition des parcelles nécessaires à l’instauration du périmètre de protection immédiate. Par ce même arrêté, le préfet a également autorisé le SCCNO à traiter l’eau en provenance des forages et à la distribuer à la population. L’EARL Domaines Thieubert a demandé au tribunal administratif de la Martinique d’annuler l’arrêté préfectoral du 24 mars 2014. Elle relève appel du jugement rendu le 14 avril 2016 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutient la requérante, le tribunal, au point 10 de sa décision, a motivé sa réponse au moyen tiré de l’insuffisance de la notice explicative jointe au dossier d’enquête publique.

3. Au point 26 de leur décision, les premiers juges ont rappelé que la légalité de la déclaration d’utilité publique en litige était subordonnée à la condition que ses inconvénients, notamment d’ordre social, ne soient pas excessifs. Le tribunal a ensuite exposé, au point 29 de sa décision, les raisons pour lesquelles il a estimé que la mise en oeuvre du projet en litige n’empêchait pas la requérante d’exploiter ses terres. Par suite, le jugement n’est pas non plus entaché d’un défaut de motivation sur ce point.

4. Aux points 26 et suivants de son jugement, le tribunal a aussi répondu au moyen tiré de l’absence d’utilité publique de l’opération litigieuse. Dans le cadre du bilan coût-avantage auquel ils ont procédé pour répondre au moyen, les premiers juges ont apprécié l’étendue de l’atteinte que le projet était susceptible de porter aux intérêts agricoles protégés par l’article L. 111-1 du code rural et de la pêche maritime, quand bien même ils n’auraient pas expressément cité cet article dans leur décision. Par suite, le jugement attaqué n’est pas entaché d’une omission à statuer sur un moyen.

5. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n’est pas entaché des irrégularités alléguées.

Sur la légalité de l’arrêté du 14 mars 2014 :

En ce qui concerne le contenu du dossier soumis à enquête publique :

6. Aux termes de l’article L. 11-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : « I. – L’expropriation d’immeubles (…) ne peut être prononcée qu’autant qu’elle aura été précédée d’une déclaration d’utilité publique intervenue à la suite d’une enquête publique (…) II. – L’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique de travaux, d’aménagements, de constructions ou d’ouvrages constituant une opération mentionnée à l’article L. 123-2 du code de l’environnement est régie par le chapitre III du titre II du livre Ier du même code (…) ». Aux termes de l’article L. 123-2 du code de l’environnement : «  I. – Font l’objet d’une enquête publique soumise aux prescriptions du présent chapitre préalablement à leur autorisation, leur approbation ou leur adoption : 1° Les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements exécutés par des personnes publiques ou privées devant comporter une étude d’impact (…) ». Aux termes de l’article L. 123-6 du même code : « I. – Lorsque la réalisation d’un projet, plan ou programme est soumise à l’organisation de plusieurs enquêtes publiques dont l’une au moins en application de l’article L. 123-2, il peut être procédé à une enquête unique régie par le présent chapitre, dès lors que les autorités compétentes désignent d’un commun accord celle qui sera chargée d’ouvrir et d’organiser cette enquête. Le dossier soumis à enquête publique unique comporte les pièces ou éléments exigés au titre de chacune des enquêtes initialement requises et une note de présentation non technique du projet, plan ou programme. Cette enquête unique fait l’objet d’un rapport unique du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête ainsi que de conclusions motivées au titre de chacune des enquêtes publiques initialement requises. ».

7. Aux termes de l’article R. 11-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : " L’expropriant adresse au préfet pour être soumis à l’enquête un dossier qui comprend obligatoirement : I. – Lorsque la déclaration d’utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d’ouvrages : 1° Une notice explicative ; 2° Le plan de situation ; 3° Le plan général des travaux ; 4° Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; 5° L’appréciation sommaire des dépenses (…). II. – Lorsque la déclaration d’utilité publique est demandée en vue de l’acquisition d’immeubles (…) : 1° Une notice explicative ; 2° Le plan de situation ; 3° Le périmètre délimitant les immeubles à exproprier ; 4° L’estimation sommaire des acquisitions à réaliser (…) ".

8. En premier lieu, à l’appui de son moyen tiré de ce que la notice explicative ne pouvait, pour évaluer les besoins en eau, arrêter à l’année 2020 ses projections d’évolution de la population, la requérante ne se prévaut devant la cour d’aucun élément de droit ou de fait nouveau. Par suite, il y a lieu d’écarter ce moyen par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges au point 10 de leur décision.

9. En deuxième lieu, la notice explicative comporte un exposé suffisant des objectifs poursuivis par le SCCNO en sollicitant la déclaration d’utilité publique en litige. Elle ne saurait être regardée comme entachée d’une insuffisance de nature à entraîner l’annulation de l’arrêté litigieux du seul fait qu’elle n’apporterait « aucune explication s’agissant des incidences futures des évènements climatiques ou accidentels dont elle se prévaut pour justifier la nécessité des forages » comme l’allègue la requérante. Au contraire, la notice explicative comporte les éléments nécessaires à l’information du public et de l’autorité compétente chargée de prendre la déclaration d’utilité publique.

10. En troisième lieu, à l’appui de son moyen tiré de l’absence au dossier d’enquête du plan général des travaux prévu à l’article R. 11-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, la requérante ne se prévaut, devant la cour, d’aucun élément de droit ou de fait nouveau. Par suite, il y a lieu d’écarter ce moyen par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges au point 11 de leur décision.

11. En quatrième lieu, il résulte des dispositions précitées de l’article R. 11-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique que l’appréciation des dépenses, contenue dans le dossier soumis à enquête publique, doit rester sommaire et que seule une sous estimation manifeste du coût du projet est susceptible d’entacher d’irrégularité la déclaration d’utilité publique. A l’appui de son moyen tiré de la sous-estimation du coût d’acquisition des parcelles nécessaires à la réalisation du projet et du préjudice économique qu’elle subit du fait de l’expropriation, la requérante ne se prévaut devant la cour d’aucun élément de droit ou de fait nouveau. Par suite, il y a lieu d’écarter le moyen soulevé par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges au point 16 de leur jugement. Il en va de même pour le moyen tiré de l’absence d’évaluation du coût de travaux de moindre importance auquel le tribunal a répondu de façon pertinente au point 17 de sa décision.

En ce qui concerne l’étude d’impact et son résumé non technique :

12. En application des dispositions combinées des articles L. 122-1 et R. 122-2 du code de l’environnement et du 14° du tableau annexé à l’article R. 122-2 de ce code, le projet en litige, qui prévoit des prélèvements permanents au moyen d’un forage dans un système aquifère, doit être accompagné d’une étude d’impact.

13. Le contenu de l’étude d’impact est défini à l’article R. 122-5 du code de l’environnement, aux termes duquel : « I. – Le contenu de l’étude d’impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d’être affectée par le projet, à l’importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l’environnement ou la santé humaine. II. – L’étude d’impact présente : 1° Une description du projet comportant des informations relatives à sa conception et à ses dimensions, y compris, en particulier, une description des caractéristiques physiques de l’ensemble du projet et des exigences techniques en matière d’utilisation du sol lors des phases de construction et de fonctionnement et, le cas échéant, une description des principales caractéristiques des procédés de stockage, de production et de fabrication, notamment mis en oeuvre pendant l’exploitation, telles que la nature et la quantité des matériaux utilisés, ainsi qu’une estimation des types et des quantités des résidus et des émissions attendus résultant du fonctionnement du projet proposé (…) 3° Une analyse des effets négatifs et positifs, directs et indirects, temporaires (y compris pendant la phase des travaux) et permanents, à court, moyen et long terme, du projet sur l’environnement, en particulier sur les éléments énumérés au 2° et sur la consommation énergétique, la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses), l’hygiène, la santé, la sécurité, la salubrité publique, ainsi que l’addition et l’interaction de ces effets entre eux (…) 5° Une esquisse des principales solutions de substitution examinées par le pétitionnaire ou le maître d’ouvrage et les raisons pour lesquelles, eu égard aux effets sur l’environnement ou la santé humaine, le projet présenté a été retenu (…) 10° Les noms et qualités précises et complètes du ou des auteurs de l’étude d’impact et des études qui ont contribué à sa réalisation (…) IV. – Afin de faciliter la prise de connaissance par le public des informations contenues dans l’étude, celle-ci est précédée d’un résumé non technique des informations visées aux II et III (…) ».

14. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative.

15. En premier lieu, l’étude d’impact comporte une description de l’état initial du site et des effets à court terme du projet sur son environnement qui n’est pas insuffisante. Par ailleurs, il n’apparaît pas que l’étude d’impact aurait minimisé les conséquences du projet sur les activités agricoles existantes eu égard au fait que, notamment, les interdictions et restrictions résultant, pour les parcelles incluses dans le périmètre de protection rapproché, de l’arrêté en litige, concernent pour l’essentiel les activités d’élevage des animaux et non la culture de la canne à sucre pratiquée dans le secteur où se situe l’opération projetée. S’il est vrai que l’autorité environnementale a relevé, dans son avis du 18 février 2013, que l’impact du projet en « phase travaux » ainsi que les mesures d’évitement, de réduction et de compensations correspondantes auraient mérité des précisions, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette imprécision aurait, à elle seule, nui à l’information du public ou aurait pu exercer une influence sur le sens de la décision prise. Au demeurant, l’autorité environnementale a estimé que l’étude réalisée a bien identifié les enjeux environnementaux ainsi que les mesures d’évitement, de réduction et de compensation des impacts pressentis du projet sur son environnement. Dans ces conditions, le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact doit être écarté.

16. En second lieu, il n’apparaît pas que le résumé non technique de l’étude d’impact, qui comporte une description du projet dans ses différentes composantes (projet de prélèvement et filière de traitement de l’eau, instauration de périmètres de protection…), serait insuffisante. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l’absence, dans ce document, de résumé des mesures compensatoires, lesquelles sont détaillées dans l’étude d’impact elle-même, aurait nui à l’information du public ou aurait exercé une influence sur le sens de la décision prise.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact et de son résumé non technique doit être écarté.

En ce qui concerne la consultation de la commission départementale de consommation des espaces agricoles :

18. En vertu de l’article L. 181-3 du code rural et de la pêche maritime, tout projet d’élaboration ou de révision d’un document d’aménagement ou d’urbanisme, tout projet d’opération d’aménagement et d’urbanisme ayant pour conséquence d’entraîner un déclassement ou une réduction de terres agricoles doit faire l’objet d’un avis favorable de la commission départementale de consommation des espaces agricoles.

19. Comme l’a jugé à bon droit le tribunal au point 22 de sa décision, l’arrêté en litige, qui déclare d’utilité publique le prélèvement d’eau à l’aide de trois forages sur le champ captant de Pécoul, ainsi que l’institution autour de ce champ de périmètres de protection, ne constitue ni un document ni un projet d’aménagement ou d’urbanisme au sens des dispositions précitées. Par suite, le préfet n’était pas tenu de consulter la commission compétente.

En ce qui concerne la motivation de l’arrêté :

20. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que la déclaration d’utilité publique en litige doive mentionner, à peine d’irrégularité, les coordonnées géographiques des points de forage. Par suite, l’arrêté du 24 mars 2014 n’est pas, en tout état de cause, entaché d’un vice de forme du seul fait qu’il se borne à désigner les références cadastrales des parcelles d’implantation des forages.

21. En second lieu, à l’appui de son moyen tiré de ce que l’arrêté du 24 mars 2014 n’est pas motivé conformément aux exigences de l’article L. 643-4 du code rural, la requérante ne se prévaut devant la cour d’aucun élément de droit ou de fait nouveau. Par suite, il y a lieu d’écarter le moyen soulevé par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges au point 25 de leur décision.

En ce qui concerne l’utilité publique de l’opération :

22. Il appartient au juge administratif, lorsqu’il doit se prononcer sur le caractère d’utilité publique d’une opération nécessitant l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu’elle répond à une finalité d’intérêt général, que l’expropriant n’était pas en mesure de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l’expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération, ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente.

23. Il ressort des pièces du dossier que l’alimentation en eau potable de la population des communes membres du SCCNO est assurée à hauteur de 75 % de leurs besoins par la source de Morestin et que cet apport s’élève à 90 % pour les seules communes de Prêcheur, Carbet, Case-Pilote et Bellefontaine, lesquelles rassemblent environ 15 000 personnes. Il ressort également des pièces du dossier que les autres sources existantes, et notamment l’actuel forage situé à Pécoul, sont insuffisantes pour compenser une défaillance éventuelle de la source de Morestin pouvant résulter de l’instabilité du sol où est enterrée sa canalisation d’amenée. Ainsi, en déclarant d’utilité publique la création de trois forages sur le site de Pécoul, l’arrêté du 24 mars 2014 vise à remédier la situation de quasi-dépendance vis-à vis de la source de Morestin dans laquelle se trouve la population des communes membres du SCCNO et poursuit, par là-même, un intérêt public.

24. L’EARL Domaines Thieubert fait valoir que l’instauration du périmètre de protection rapproché, qui s’étend sur une superficie de 57 hectares, couvre quasi-intégralement le plateau de la Rochetière, lequel assure plus de 40 % de son approvisionnement en canne à sucre. Si l’article 9 de l’arrêté du 24 mars 2014 énonce un certain nombre d’interdictions sur les parcelles incluses dans le périmètre de protection rapproché, ces interdictions touchent pour l’essentiel les activités liées à l’élevage des animaux et ne concernent pas sur ce point les parcelles de la requérante, exclusivement dédiées à la culture de la canne. En particulier, le point 7 du c) de l’article 9 de l’arrêté du 24 mars 2014 autorise l’épandage du mélange de bagasse, de résidus de combustion de canne à sucre et de boues au sein du périmètre de protection rapproché. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’interdiction de circulation au sein du périmètre de protection rapprochée instituée par l’article 9 de la déclaration d’utilité publique concernant les véhicules de moins de 3,5 tonnes transportant des produits toxiques ou pollués serait susceptible de nuire à l’activité d’exploitation de cannes à sucre de la requérante. Il en va de même de l’interdiction de déposer des « déchets de toute nature » qui ne saurait être regardée comme s’appliquant aux végétaux coupés pendant la récolte. Ainsi, il ne ressort pas de ces éléments ni des autres pièces du dossier que la mise en oeuvre du projet litigieux, en dépit des avis défavorables émis par les services consultés, porterait une atteinte excessive à l’activité économique de la requérante au point, notamment, de la contraindre à supprimer des emplois. Il résulte au contraire de l’ensemble des considérations qui précèdent que les inconvénients que comporte le projet ne sont pas excessifs au regard de ses avantages attendus pour la population des communes membres du SCCNO.

En ce qui concerne la méconnaissance des articles L. 122-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et L. 352-1 du code rural et de la pêche maritime :

25. Aux termes des dispositions de l’article L. 16-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, en vigueur à la date de l’arrêté attaqué, reprises en substance à l’article L. 122-3 du même code issu de l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 et à l’article L. 352-1 du code rural et de la pêche maritime : « Lorsque les expropriations en vue de la réalisation des aménagements ou ouvrages mentionnés aux articles L. 122-1 à L. 122-3 du code de l’environnement sont susceptibles de compromettre la structure des exploitations dans une zone déterminée, l’obligation est faite au maître de l’ouvrage, dans l’acte déclaratif d’utilité publique, de remédier aux dommages causés en participant financièrement à l’exécution d’opérations d’aménagement foncier mentionnées au 1° de l’article L. 121-1 et de travaux connexes. ».

26. Le projet contesté n’a pas pour objet ni pour effet de réduire la superficie de l’exploitation de la requérante. De plus, comme dit au point 24, les impératifs économiques de l’exploitation de la requérante ont bien été pris en considération dans l’énoncé des servitudes, instituées par l’arrêté du 24 mars 2014, applicables à l’intérieur du périmètre de protection du captage de la source. Par suite, l’arrêté du 24 mars 2014 n’est pas susceptible de compromettre l’exploitation agricole de l’EARL Domaine Thieubert, laquelle n’est dès lors pas fondée à se prévaloir des dispositions précitées de l’article L. 16-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique à l’appui de sa contestation de la déclaration d’utilité publique en litige.

En ce qui concerne la méconnaissance de l’article L. 111-1 du code rural et de la pêche maritime :

27. Il résulte du point 24 que la déclaration d’utilité publique en litige n’a pas méconnu les intérêts, notamment agricoles, protégés par l’article L. 111-1 du code rural et de la pêche maritime.

28. Il résulte de tout ce qui précède que l’EARL Domaines Thieubert n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête n° 16BX02095 présentée par l’EARL Domaines Thieubert est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l’EARL Domaines Thieubert, au conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des DOM, au syndicat de défense de l’appellation d’origine rhum agricole Martinique, à la communauté d’agglomération du pays Nord Martinique, au ministre des solidarités et de la santé et au ministre des outre-mer.

Délibéré après l’audience du 6 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 novembre 2018.


Le rapporteur,

Frédéric FaïckLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Florence Deligey

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N° 16BX02095

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