Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5e chambre, 10 décembre 2019, n° 18BX00663

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 5e ch., 10 déc. 2019, n° 18BX00663
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 18BX00663
Dispositif : Rejet

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association Sources et Rivières du Limousin a demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler l’arrêté du 23 mars 2015 du préfet de la Creuse autorisant M. D à exploiter l’entreprise hydroélectrique des Chutes du Poirier sur le Thaurion, située à Sainte-Hilaire-le-Château, et fixant le règlement d’eau applicable à cet ouvrage.

Par un jugement n° 1500920 du 14 décembre 2017, le tribunal a annulé l’arrêté du 23 mars 2015 en tant que les indications relatives aux capacités techniques et financières de l’exploitation n’ont pas été soumises de manière suffisante à l’information du public lors de l’enquête publique et en tant que le public a été privé de la garantie qui s’attache à l’expression par le commissaire enquêteur d’une position personnelle, émise de manière objective au vu du dossier d’enquête publique. Par le même jugement, le tribunal a enjoint au préfet de la Creuse de reprendre l’instruction de la demande d’autorisation au stade de la phase d’enquête publique et a invité le pétitionnaire à préciser ses capacités techniques et financières.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 février 2018, l’association Sources et Rivières du Limousin, représentée par Me B, demande à la cour :

1°) d’annuler l’article 2 du jugement du tribunal administratif de Limoges en tant qu’il a enjoint au préfet de reprendre la procédure au stade de l’enquête publique en application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement ;

2°) de confirmer le jugement dans ses autres dispositions ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de sa requête d’appel, que :

— la requête d’appel a été formée dans le délai d’appel, lequel a couru à compter de la notification du jugement ;

— elle est régulièrement représentée en justice par son président, conformément à l’article 11 de ses statuts.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de sa demande de première instance, que :

— compte tenu de son objet statutaire, défini à l’article 2 de ses statuts, elle justifie d’un intérêt à agir à l’encontre de l’arrêté préfectoral en litige ; d’autant qu’elle est agréée au titre de la protection de l’environnement en application de l’article L. 141-1 du code de l’environnement.

Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

— le tribunal, après avoir annulé partiellement l’arrêté en litige sur un moyen de légalité externe, n’a pas exposé les raisons pour lesquelles il a décidé de faire usage du pouvoir de régularisation qu’il tient de l’article L. 181-18 du code de l’environnement ; or, dans ses écritures de première instance, l’association avait soulevé d’autres moyens qui auraient emporté l’annulation totale de l’arrêté et sur le bien-fondé desquels le tribunal ne s’est pas prononcé.

Elle soutient, au fond, que :

— les courriers adressés par le préfet au pétitionnaire lors de l’instruction de la demande, précisant que l’ouvrage n’était pas fondé en titre, n’a pas été communiqué à l’association au cours de cette instruction ; tout au long de la procédure, le statut de l’ouvrage est demeuré incertain alors que le commissaire enquêteur est resté convaincu de la réalité du droit fondé en titre, ce qui l’a conduit à ne pas aborder cette question au cours de l’enquête ;

— les dispositions de l’article L. 214-17 du code de l’environnement font obstacle à l’autorisation d’un nouvel ouvrage sur le site concerné dès lors que celui-ci fait obstacle à la continuité écologique définie à l’article R. 214-109 du code de l’environnement ; or le site est situé sur un tronçon d’un cours d’eau classé sur les listes 1 et 2 au titre de l’article L. 214-17 ; un barrage fait obstacle par nature à la continuité écologique.

Par ordonnance du 21 mai 2019, la clôture d’instruction a été fixée au 21 juin 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de l’énergie ;

— le code de l’environnement ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. E A,

— et les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D est propriétaire, sur le territoire de la commune de Pontarion, de parcelles riveraines de la rivière « Le Thaurion » où se trouvait un ancien moulin dit « moulin du Poirier » dont l’existence est antérieure à la Révolution française mais qui a disparu depuis. En amont de l’ancien moulin, un autre ouvrage hydraulique, dont l’existence est postérieure à 1790, a fonctionné et ses ruines ont été découvertes en 2011 à l’occasion de travaux. Le 25 février 2013, M. D a déposé en préfecture de la Creuse une demande d’autorisation d’exploiter une microcentrale hydroélectrique située à l’emplacement de l’ouvrage dont les restes ont été découverts en 2011. Par un arrêté du 23 mars 2015, le préfet de la Creuse a autorisé M. D à disposer pendant une durée de 30 ans de l’énergie de la rivière « Le Thaurion » pour la mise en jeu de son entreprise de production d’hydroélectricité et a fixé le règlement d’eau applicable à cette dernière.

2. L’association Sources et Rivières du Limousin a saisi le tribunal administratif de Limoges d’une demande tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral du 23 mars 2015. Par l’article 1er de son jugement rendu le 14 décembre 2017, le tribunal a annulé l’arrêté « en tant que les indications relatives aux capacités techniques et financières de l’exploitation n’ont pas été soumises de manière suffisante à l’information du public lors de l’enquête publique et en tant que le public a été privé de la garantie qui s’attache à l’expression par le commissaire enquêteur d’une position personnelle, émise de manière objective au vu de l’ensemble du dossier d’enquête publique. ». A l’article 2 de son jugement, le tribunal a enjoint au préfet de la Creuse de « reprendre l’instruction de la demande d’autorisation présentée par M. D à la phase d’enquête publique et d’inviter M. D à préciser les indications relatives à ses capacités techniques et financières ». L’association Sources et Rivières du Limousin demande à la cour d’annuler l’article 2 du jugement du tribunal.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Il résulte des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement que, lorsque le juge administratif décide, sur leur fondement, de limiter à une partie du projet l’annulation de l’autorisation qu’il prononce et de demander à l’autorité compétente de reprendre l’instruction à une certaine phase de la procédure ou sur la partie de l’autorisation entachée d’irrégularité, il lui appartient de constater préalablement qu’aucun des autres moyens présentés devant lui susceptibles de fonder une annulation totale de cette autorisation ne peut être accueilli et d’indiquer dans sa décision pour quels motifs ces moyens doivent être écartés.

4. Contrairement à ce que soutient l’association appelante, le tribunal a indiqué dans son jugement les raisons pour lesquelles il a estimé que les autres moyens invoqués devant lui et qui étaient susceptibles d’entraîner une annulation totale de la décision contestée, n’étaient pas fondés. Par suite, le moyen tiré de l’irrégularité du jugement attaqué, pour insuffisance de motivation, doit être écarté.

Sur la légalité de l’arrêté du 23 mars 2015 :

5. En premier lieu, aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’énergie : « () nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’Etat. ». Aux termes de l’article L. 511-4 du même code : « Ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre : 1° Les usines ayant une existence légale () ».

6. L’arrêté en litige du 23 mars 2015 constitue une autorisation nouvelle délivrée à M. D pour la totalité de la force hydraulique de la rivière « Le Thaurion » exploitée par son usine. Il en résulte que, conformément aux dispositions précitées du code de l’énergie, la délivrance d’une telle autorisation implique nécessairement une absence de reconnaissance d’un droit fondé en titre attaché au site du Poirier dont M. D aurait pu se prévaloir. Par suite, la circonstance que cette absence de droit fondé en titre n’ait pas été connue du commissaire enquêteur, de l’association appelante et de certains services de l’Etat au cours de l’instruction de la demande d’autorisation présentée par M. D est sans incidence sur la régularité de l’arrêté en litige.

7. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 214-17 du code de l’environnement : « I. – () l’autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : 1° Une liste de cours d’eau () parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l’atteinte du bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique. () 2° Une liste de cours d’eau () dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l’autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l’exploitant. II. – Les listes visées aux 1° et 2° du I sont établies par arrêté de l’autorité administrative compétente () ». Aux termes de l’article R. 214-109 du même code : " Constitue un obstacle à la continuité écologique () l’ouvrage entrant dans l’un des cas suivants : 1° Il ne permet pas la libre circulation des espèces biologiques, notamment parce qu’il perturbe significativement leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ; 2° Il empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments ; 3° Il interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques ; 4° Il affecte substantiellement l’hydrologie des réservoirs biologiques. ".

8. Il résulte de ces dispositions qu’un ouvrage sur un cours d’eau figurant sur la liste établie en application du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement ne peut être autorisé que si cet ouvrage ne fait pas obstacle à la continuité écologique. Le respect de cette exigence s’apprécie au regard des critères énoncés à l’article R. 214-109 du même code, qui permettent d’évaluer l’atteinte portée par l’ouvrage à la continuité écologique.

9. Il est constant que le site des chutes du Poirier où se trouve l’usine de l’exploitant est situé sur un tronçon de la rivière « Le Thaurion », cours d’eau classé au titre du 1° et du 2° du I, précité, de l’article L. 214-17 du code de l’environnement par deux arrêtés du préfet coordonnateur du bassin Loire-Bretagne du 10 juillet 2012.

10. Il résulte de l’instruction que le projet autorisé doit utiliser un barrage préexistant qui, n’étant ni équipé ni entretenu, a un impact défavorable sur la continuité écologique du cours d’eau. Cette situation doit être améliorée par l’arrêté en litige, comme l’a au demeurant reconnu l’association appelante dans ses observations adressées au conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), qui prévoit ainsi d’équiper le barrage d’une passe à poissons dont il définit les dimensions et fixe par ailleurs le débit minimum réservé au tronçon court-circuité de la rivière. L’association appelante ne conteste pas sérieusement l’efficacité de ces prescriptions en se bornant à soutenir en appel qu’une passe à poisson ferait par nature obstacle à la continuité écologique alors qu’un tel équipement est doté, notamment, de dispositifs de montaison et de dévalaison permettant d’assurer la circulation des espèces aquatiques. Par suite, le moyen tiré de ce que le projet en litige porterait atteinte à la continuité écologique, telle que définie à l’article R. 214-109 précité du code de l’environnement, doit être écarté.

11. En troisième et dernier lieu, l’association appelante ne conteste pas en appel les motifs par lesquels les premiers juges ont écarté ses autres moyens soulevés à l’encontre de l’arrêté du 23 mars 2015 en litige.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l’association Source et Rivières du Limousin n’est pas fondée à demander l’annulation de l’article 2 du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Limoges a fait usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 181-18 du code de l’environnement. Par voie de conséquence, les conclusions de l’association, qui est la partie perdante à l’instance d’appel, présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

DECIDE

Article 1er : La requête n° 18BX00663 de l’association Sources et Rivières du Limousin est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l’association Sources et Rivières du Limousin, à M. C D et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Creuse.

Délibéré après l’audience du 12 novembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. E A, président,

Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,

M. Romain Roussel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 décembre 2019.

Le président-rapporteur,

Frédéric AL’assesseur,

Caroline GaillardLe greffier,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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