CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 23 mars 2022, 19BX03517, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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louislefoyerdecostil.fr · 14 octobre 2022

Comment faire annuler une révocation d'un fonctionnaire de police ? La cour administrative d'appel de Bordeaux a rendu une décision illustrant une telle hypothèse en présence de trois vices de procédures privant l'intéressé de garanties. La règle est la suivante: « ': « Le conseil de discipline (…) émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. A cette fin, le président du conseil de discipline met aux voix la proposition de sanction la plus sévère parmi celles qui ont été exprimées lors du délibéré. Si cette proposition ne …

 
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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 3e ch., 23 mars 2022, n° 19BX03517
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 19BX03517
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Identifiant Légifrance : CETATEXT000045440755

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler l’arrêté du 13 septembre 2018 par lequel le ministre de l’intérieur a prononcé à son encontre la sanction de révocation.

Par un jugement n° 1805306 du 15 juillet 2019 le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 4 septembre 2019 et le 4 février 2021, M. B…, représenté par Me Ruffié, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement n° 1805306 du tribunal ;

2°) d’annuler la sanction de révocation du 13 septembre 2018 ;

3°) d’enjoindre à l’Etat de le réintégrer dans ses fonctions avec toutes conséquences de droit dans le délai d’un mois à compter de l’arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement, que :

 – le tribunal a omis de statuer sur son moyen tiré de ce qu’en réunissant le conseil de discipline le 10 avril 2018 dans une composition différente de celle du 14 mars 2018, il a été privé d’une garantie étant donné que l’absence de majorité à la sanction de révocation lors de la première réunion aurait dû conduire à une mise aux voix des autres sanctions moins sévères comme le prévoit l’article 8 du décret du 25 octobre 1984 ; ce faisant, le tribunal a commis une irrégularité ;

Il soutient, en ce qui concerne la légalité externe de la sanction, que :

 – il appartenait à l’administration de réunir le conseil de discipline du 10 avril 2018 dans une composition identique à la réunion du 14 mars 2018, ce qui n’a pas été le cas ;

 – le principe de parité entre les représentants de l’administration et les représentants du personnel n’a pas été respecté dans la composition du conseil de discipline ;

 – l’administration a décidé de réunir de nouveau le conseil de discipline en raison d’une erreur dans le décompte des voix exprimées à l’issue de la précédente réunion qui n’a pas fait apparaitre de majorité favorable à la révocation, contrairement à ce qui avait été indiqué dans un premier temps ; dans ce cas de figure, l’article 8 du décret du 25 octobre 1984 prévoit une mise aux voix des sanctions moins sévères en suivant l’échelle des sanctions ; cette procédure n’a pas été respectée par l’administration qui a réuni un nouveau conseil de discipline le 10 avril 2018 qui s’est prononcé favorablement pour la sanction de révocation en raison de sa composition différente de celle du premier conseil de discipline ;

 – ces irrégularités procédurales ont privé M. B… C… la garantie prévue à l’article 10 du décret du 25 octobre 1984 qui prévoit que, si la révocation a été décidée par l’administration alors que le conseil de discipline ne s’est pas prononcé en faveur d’une telle sanction à la majorité des deux-tiers, l’agent peut saisir d’un recours le conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat ;

 – ces irrégularités procédurales constituent une violation de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Il soutient, au fond, que :

 – les faits retenus par le ministre à l’appui de la sanction en litige sont entachés d’erreur de fait ; les reproches qui lui sont adressés et tirés de ses manquements aux devoirs d’exemplarité et de probité ne sont pas établis ; il en est de même pour le grief relatif au manquement à son devoir d’informer la direction du centre de la disparition d’une somme d’argent dans la caisse ; on ne saurait lui reprocher d’avoir porté atteinte à la réputation de la police nationale ;

 – la sanction prononcée est disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2019, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête.

Il s’en remet à ses écritures de première instance.

Par ordonnance du 5 juillet 2021, la clôture d’instruction a été fixée au 19 août 2021 à 12h00.

Un mémoire a été présenté pour M. B… le 24 février 2022.

Vu :

 – les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

 – la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

 – le décret n°82-451 du 28 mai 1982 ;

 – le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Frédéric Faïck,

 – les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

 – et les observations de Me Ruffié, représentant M. B….

Considérant ce qui suit :

1. Entré dans les cadres de la police nationale en 1998, M. B… a été titularisé dans le grade de gardien de la paix le 1er octobre 2000 avant d’accéder à celui de brigadier-chef le 1er janvier 2007. En 2005, il a été détaché auprès de l’association nationale d’action sociale (ANAS), organisme destiné à apporter un soutien aux policiers en difficulté, pour exercer les fonctions de directeur du centre de vacances de Gujan-Mestras. Des soupçons d’abus de confiance aggravé au préjudice de l’ANAS ont conduit à l’ouverture d’une information judiciaire ainsi qu’à l’organisation d’une enquête administrative confiée à l’inspection générale de la police nationale. Les conclusions de ce rapport, daté du 28 août 2017, ont conduit l’administration à engager à l’encontre de M. B… une procédure disciplinaire à l’issue de laquelle ce dernier a fait l’objet d’une sanction de révocation prononcée par arrêté du ministre de l’intérieur du 13 septembre 2018. M. B… a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler cette sanction. Il relève appel du jugement rendu le 15 juillet 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la légalité de la sanction du 13 septembre 2018 :

2. Aux termes de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Le pouvoir disciplinaire appartient à l’autorité investie du pouvoir de nomination. (…) Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l’Etat (…) ne peut être prononcée sans consultation préalable d’un organisme siégeant en conseil de discipline (…) ». Aux termes de l’article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : – l’avertissement ; – le blâme. Deuxième groupe : – la radiation du tableau d’avancement ; – l’abaissement d’échelon ; – l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; – le déplacement d’office. Troisième groupe : – la rétrogradation ; – l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : – la mise à la retraite d’office ; – la révocation (…) ".

3. Aux termes de l’article 14 de la loi du 11 janvier 1984 : « Dans chaque corps de fonctionnaires existent une ou plusieurs commissions administratives paritaires comprenant, en nombre égal, des représentants de l’administration et des représentants du personnel (…) ». Aux termes de l’article 67 de cette même loi : « Le pouvoir disciplinaire appartient à l’autorité investie du pouvoir de nomination qui l’exerce après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline et dans les conditions prévues à l’article 19 du titre Ier du statut général. (…) ».

4. Aux termes de l’article 5 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires : « Les commissions administratives paritaires comprennent en nombre égal des représentants de l’administration et des représentants du personnel. (…) ». Aux termes de l’article 34 du même décret : « Les commissions administratives siègent en formation restreinte lorsqu’elles sont saisies de questions résultant de l’application des articles (…) 67 (…) de la loi du 11 janvier 1984 (…) ».

5. Aux termes de l’article 8 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l’Etat : « Le conseil de discipline (…) émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. A cette fin, le président du conseil de discipline met aux voix la proposition de sanction la plus sévère parmi celles qui ont été exprimées lors du délibéré. Si cette proposition ne recueille pas l’accord de la majorité des membres présents, le président met aux voix les autres sanctions figurant dans l’échelle des sanctions disciplinaires en commençant par la plus sévère après la sanction proposée, jusqu’à ce que l’une d’elles recueille un tel accord (…) ». Aux termes de l’article 10 du même décret : « Lorsque l’autorité ayant pouvoir disciplinaire a prononcé une sanction (…) de révocation alors que celle-ci n’a pas été proposée par le conseil de discipline à la majorité des deux tiers de ses membres présents, l’intéressé peut saisir de la décision, dans le délai d’un mois à compter de la notification, la commission de recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat. (…) L’administration lors de la notification au fonctionnaire poursuivi de la sanction dont il a fait l’objet doit communiquer à l’intéressé les informations de nature à lui permettre de déterminer si les conditions de saisine de la commission de recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat se trouvent réunies. ».

6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.

7. Il ressort des pièces du dossier qu’à l’issue de sa réunion du 14 mars 2018, le conseil de discipline a émis un avis favorable à la sanction de révocation envisagée à l’encontre de M. B…. Il est constant, toutefois, que cet avis a procédé d’une interprétation erronée des résultats du vote, lesquels ont fait apparaître qu’aucune majorité ne s’était dégagée en faveur de la révocation comme l’exige pourtant l’article 8 précité du décret du 25 octobre 1984. Afin de régulariser cette irrégularité, un nouveau conseil de discipline a été réuni le 10 avril 2018 et a émis à la majorité un avis favorable à la révocation.

8. Dès lors, toutefois, que l’accord de la majorité des membres présents en faveur de la révocation n’avait pas été recueilli à l’issue de la première séance du conseil de discipline, il appartenait à l’administration de poursuivre la délibération précédente lors de la réunion du second conseil de discipline. En conséquence, il incombait à l’administration de convoquer le conseil de discipline dans la même composition, sauf impossibilité justifiée, lors de sa seconde séance et, au cours de celle-ci, de mettre aux voix les autres sanctions figurant dans l’échelle des sanctions disciplinaires en commençant par la plus sévère après la révocation, jusqu’à ce que l’une d’elles recueille l’accord de la majorité des membres présents.

9. Il ressort des pièces du dossier que la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire n’a pas été convoquée dans la même composition lors de sa seconde séance du 10 avril 2018. Il n’est pas établi au dossier, et n’est même pas allégué par l’administration, que le respect de cette formalité était impossible. Ce faisant, l’administration, qui était tenue de poursuivre la délibération engagée le 13 mars 2018, a commis une irrégularité.

10. De plus, le conseil de discipline ne pouvait, lors de la seconde séance du 10 avril 2018, régulièrement débattre de nouveau sur la proposition de révocation dès lors qu’aucune majorité, ainsi qu’il a été dit, ne s’était dégagée en faveur de cette sanction à l’issue de la première réunion. En s’abstenant de délibérer sur les autres sanctions moins sévères, prévues dans l’échelle des sanctions disciplinaires, le conseil de discipline a émis son avis dans des conditions irrégulières.

11. Enfin, il résulte de l’article 10 du décret du 25 octobre 1984, cité au point 5, que lorsque l’administration a prononcé une sanction de révocation alors que celle-ci n’a pas été proposée par le conseil de discipline à la majorité des deux tiers de ses membres présents, l’agent peut saisir de la sanction la commission de recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat. Ainsi, M. B… avait le droit de saisir la commission de recours de la sanction prononcée contre lui dès lors que celle-ci n’avait pas été adoptée à la majorité des deux tiers des membres présents au conseil de discipline du 13 mars 2018. Il a cependant été privé de ce droit par l’administration qui a réuni un nouveau conseil de discipline ayant émis, dans une composition différente, un avis favorable à la révocation à la majorité des deux tiers.

12. Eu égard à leur nature, les irrégularités ainsi commises ont été susceptibles d’exercer une influence sur le sens de la sanction contestée et ont privé M. B… d’une garantie. Par suite, M. B… est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions à fin d’annulation. Ce jugement, dès lors, doit être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner sa régularité, ainsi que la sanction de révocation du 13 septembre 2018.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

13. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ».

14. L’annulation d’une décision prononçant la révocation d’un agent implique nécessairement, y compris lorsqu’elle est prononcée pour un motif de procédure, la réintégration de cet agent dans les effectifs de l’administration à la date de son éviction. Par suite, il y a lieu de prescrire au ministre de l’intérieur, dans un délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt, de réintégrer M. B… dans les effectifs de la police nationale à compter de la date d’entrée en vigueur de la sanction en litige.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de l’Etat la somme demandée par M. B… au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE


Article 1er : Le jugement n° 1805306 du tribunal administratif de Bordeaux du 15 juillet 2019 et l’arrêté du ministre de l’intérieur du 13 septembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur de procéder à la réintégration de M. B… dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, dans les conditions précisées au point 14 ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B… est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… B… et au ministre de l’intérieur.

Délibéré après l’audience du 28 février 2022 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2022.


Le rapporteur,

Frédéric Faïck

Le président,

Didier Artus

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.


N°19BX03517 2

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