CAA de LYON, 3ème chambre, 17 novembre 2020, 18LY02725, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Lyon, 3e ch., 17 nov. 2020, n° 18LY02725
Juridiction : Cour administrative d'appel de Lyon
Numéro : 18LY02725
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Grenoble, 21 mai 2018, N° 1602629 et 1604985
Dispositif : Satisfaction totale
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042542888

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

M. D… A… a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

-d’annuler l’arrêté n° 10P/2016 du 4 mars 2016 par lequel le maire de Montmélian l’a suspendu de ses fonctions et d’enjoindre au même maire de le réintégrer dans ses fonctions ;

 – d’annuler l’arrêté n° 41P/2016 du 4 juillet 2016 par lequel le maire de Montmélian lui a infligé une sanction d’exclusion temporaire de fonction de six mois et d’enjoindre au même maire de reconstituer sa carrière et ses droits à pension, ainsi que d’effacer la sanction de son dossier.

Par un jugement n° 1602629 et 1604985 du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ces demandes.


Procédure devant la cour

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 18 juillet 2018 et le 2 décembre 2019 et 6 janvier 2020 (non communiqué), M. A…, représenté par Me B…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mai 2018 ;

2°) d’annuler l’arrêté du maire de la commune de Montmélian du 4 mars 2016 portant suspension de ses fonctions et la sanction l’excluant temporairement de ses fonctions pour une durée de six mois prise le 4 juillet 2016 ;

3°) d’enjoindre à la commune de Montmélian de procéder à la reconstitution de sa carrière et de ses droits à pension, de retirer de son dossier toute mention afférente à la sanction prononcée à son encontre.

4°) de mettre à la charge de la commune de Montmélian une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – le tribunal administratif a commis une erreur de droit, de fait et une erreur manifeste d’appréciation ;

s’agissant de la décision de suspension de fonction :

 – elle s’analyse comme une sanction déguisée et comme une mesure d’éviction du service prise en considération de la personne, qui doit être prise dans le respect de la procédure disciplinaire avec la possibilité d’accéder à son dossier et l’organisation d’un entretien préalable ;

 – elle est entachée de détournement de pouvoir ;

s’agissant de la sanction disciplinaire :

 – les faits ont été dénaturés ;

 – la commune n’a pas tenu compte du contexte et de sa souffrance au travail et de l’absence de toute procédure disciplinaire antérieure et du déroulement de carrière tout à fait satisfaisant ;

 – la sanction est disproportionnée notamment au regard de l’absence de sanctions disciplinaires antérieures ;

 – la commune de Montmélian a procédé par détournement de pouvoir.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 2 avril 2019 et le 16 décembre 2019, la commune de Montmélian représentée par Me E… :

1°) conclut au rejet de la requête ;

2°) demande à la cour d’une part, de supprimer de la procédure les mentions diffamatoires contenues dans la pièce 37 et de condamner M. A… à verser 500 euros de dommage et intérêts à chacune des personnes et institutions diffamées et d’autre part, de réserver l’action civile afin que la commune, ses élus et ses agents, ainsi que les tiers cités dans des passages selon elle diffamatoires puissent saisir ultérieurement le juge compétent.

3°) et demande à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A… sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

 – la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

 – le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Fédi, président-assesseur,

 – les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

 – et les observations de Mme C…, maire de la commune de Montmélian ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A…, attaché territorial, qui a été suspendu, le 4 mars 2016, de ses fonctions de responsable des ressources humaines et des services « population » et « enfance-éducation » au sein de la commune de Montmélian par arrêté du maire de la commune, a fait l’objet d’une exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois le 4 juillet 2016. Par jugement du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la double demande d’annulation présentée par M. A…, lequel relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne la décision du 4 mai 2016 prononçant la suspension de M. A… :

2. Aux termes de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa version en vigueur à la date de la décision contestée : « En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. (…) ». En vertu de ces dispositions, il appartient à l’autorité compétente, lorsqu’elle estime que l’intérêt du service l’exige, d’écarter provisoirement de son emploi un agent, en attendant qu’il soit statué disciplinairement sur sa situation. Une telle suspension peut être légalement prise dès lors que l’administration est en mesure d’articuler, à l’encontre de l’agent, des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave. Saisi d’un recours contre une telle mesure, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l’autorité administrative au jour de sa décision.

3. La mesure de suspension de ses fonctions prise à l’encontre de M. A… est fondée sur les reproches d’avoir d’une part, envoyé trois courriels les 25 novembre 2015, 7 et 8 janvier 2016 dans lesquels M. A… a émis auprès de deux collaboratrices de son service des critiques sarcastiques, ironiques et déplacées visant l’équipe de direction de la commune, de nature à discréditer son autorité, d’autre part, d’avoir adressé le 3 mars 2016, la veille de sa suspension, aux deux mêmes collaboratrices de son service un long courriel relatant la situation conflictuelle existant entre l’intéressé et sa hiérarchie, accusant un des deux agents d’être responsable de certaines graves erreurs de gestion et de mépriser certains agents de la commune, et comportant des menaces graves sur les futures fonctions des deux agents, et enfin d’avoir le même jour proféré des menaces à l’encontre d’une des deux agents. Les faits reprochés à M. A…, pour vraisemblables qu’ils soient à la date de la décision de suspension, ne présentaient pas un caractère de gravité suffisant pour justifier une telle mesure. Ainsi, cette mesure de suspension est illégale.

En ce qui concerne la décision du 4 juillet 2016 prononçant l’exclusion de M. A… pour une durée de six mois :

4. La sanction disciplinaire repose, quant à elle, d’une part, sur des faits (mails, propos tenus, désobéissance) de remise en cause de l’autorité de la directrice générale des services, de critiques ironiques insultantes à son égard et une attitude, tendant à mobiliser le personnel contre la direction générale et les élus, qui comporte des propos menaçants à l’encontre de certains agents, d’autre part, sur le fait que l’attitude et le comportement de M. A… ne sont pas compatibles avec un travail d’équipe et sont de nature à perturber le fonctionnement du service, que ses fonctions de responsable des ressources humaines ne peuvent être assumées de façon normale tant qu’il alimentera les conflits avec la direction générale et ses collaborateurs directs. En outre, il résulte également des pièces du dossier que la motivation de l’arrêté de sanction se fonde exclusivement sur les faits dont la matérialité est établie. De même, il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction en litige aurait été infligée dans un contexte de mise à l’écart de l’intéressé de la part de la directrice générale de services. D’ailleurs, le conseil de discipline, dans sa séance du 7 juin 2016, a proposé que soit prononcée la sanction de l’exclusion temporaire pour une durée de six mois en s’appuyant sur ces mêmes reproches. Par suite, ces faits, qui ne sont pas sérieusement contredits par M. A… et qui n’ont pas été dénaturés par le maire de Montmélian, constituent un manquement aux obligations de dignité et de loyauté, qui pèsent sur tout agent public, et aux obligations d’exemplarité qui s’imposent à tout cadre de la fonction publique, et présentent ainsi le caractère d’une faute disciplinaire de nature à justifier une sanction.

5. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

6. M. A… justifie son comportement en expliquant qu’il s’agit de quelques mails émis dans un contexte purement privé, auprès de deux agents qui lui étaient proches, qu’il s’agit de réactions « à chaud » à un moment où il était sous pression, et ressentait un profond sentiment d’injustice. Il ajoute qu’il a toujours été très investi dans son travail, que son atteinte psychologique a conduit à altérer son discernement, que des mails et SMS d’agents de la commune démontrent une bonne entente et de bonnes relations de travail, qu’il n’a jamais fait l’objet de procédure disciplinaire et que le déroulement de sa carrière est tout à fait satisfaisant et qu’en changeant de collectivité, son évaluation de février 2018 comporte une très bonne appréciation. Toutefois, à supposer même qu’une partie des arguments avancés par M. A… soient établis, ils ne sauraient, en tout état de cause, justifier son comportement compte tenu de ses fonctions de directeur des ressources humaines de la commune. A ce seul titre, il doit adopter un comportement exemplaire vis-à-vis des agents de la collectivité, dont il constitue la personne ressource, notamment en cas de conflit. En outre, eu égard également au positionnement hiérarchique et au cadre d’emploi auquel il appartient, le comportement de l’appelant traduit une méconnaissance des responsabilités d’encadrement qui incombent à un attaché, lequel doit bénéficier de l’entière confiance de son supérieur hiérarchique direct, à savoir en l’espèce, sa directrice générale des services.

7. Toutefois, si les faits reprochés au requérant révèlent un comportement général répréhensible de la part d’un agent d’encadrement, le degré de gravité qu’ils présentent n’est pas tel, compte tenu notamment de leurs conséquences sur le fonctionnement du service, qu’ils justifient l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois prononcée à son encontre. Ainsi, dans les circonstances de l’espèce, cette sanction revêt un caractère disproportionné.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que M. A… est fondé à soutenir que c’est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d’annulation de la mesure de suspension prise à son encontre et d’exclusion de fonction pour une durée de six mois, et à demande l’annulation de ces décisions

Sur les conclusions à fin d’injonction :

9. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. ».

10. Le présent arrêt implique nécessairement que l’administration procède d’une part, à la reconstitution de carrière et des droits à pension de M. A…, d’autre part, au retrait du dossier administratif de l’agent de toute mention afférente à cette sanction, mais n’implique pas que l’administration verse à l’intéressé les traitements et indemnités qu’il aurait perçus s’il n’avait pas été illégalement exclu de ses fonctions. Il y a lieu d’enjoindre au maire de Montmélian de procéder à la reconstitution de carrière et des droits à pension de M. A… et au retrait du dossier administratif de l’agent de toute mention afférente à cette sanction, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur la demande de la commune de Montmélian tendant à la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires et à l’allocation de dommages et intérêts :

11. Aux termes de l’article L. 741-2 du code de justice administrative : « Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : » Art. 41, alinéas 3 à 5.-Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers ".

12. Il ressort des termes de la requête, notamment des pièces annexes nouvelles produites, que celle-ci ne contient pas de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires. Dès lors, les demandes de la commune de Montmélian tendant à la suppression de tels passages et à l’allocation de dommages et intérêts en application de l’article L. 741-2 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur l’application des frais d’instance :

13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A…, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Montmélian.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Montmélian la somme de 1 500 euros à verser à M. A…, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1602629 et 1604985 du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Grenoble, la décision du 4 mars 2016 par laquelle le maire de Montmélian a suspendu M. A… de ses fonctions et la décision du 4 juillet 2016 par laquelle le même maire lui a infligé la sanction d’exclusion temporaire de fonction de six mois sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au maire de Montmélian de procéder à la reconstitution de carrière et des droits à pension de M. A… et au retrait du dossier administratif de l’agent de toute mention afférente à cette sanction, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Montmélian formulées en application de l’article L. 741-2 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La commune de Montmélian verser à M. A… une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D… A… et à la commune de Montmélian.


Délibéré après l’audience du 13 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Paix, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.

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N° 18LY02725

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