CAA de LYON, 6ème chambre, 31 décembre 2021, 19LY03555, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Lyon, 6e ch., 31 déc. 2021, n° 19LY03555
Juridiction : Cour administrative d'appel de Lyon
Numéro : 19LY03555
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Lyon, 15 juillet 2019, N° 1504630
Dispositif : Satisfaction partielle
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044886974

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 3 156 286,78 euros, assortie des intérêts au taux légal et leur capitalisation, et celle de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1504630 du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a condamné l’ONIAM à lui verser la somme de 529 347,37 euros ainsi qu’une rente trimestrielle de 1 452,30 euros et a mis les dépens à sa charge ainsi qu’une somme de 2 150 euros an application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 septembre 2019 et 2 novembre 2020, M. A… B…, représenté par Me Bellier, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1504630 du 16 juillet 2019 du tribunal administratif de Lyon en tant qu’il a statué sur certains chefs de préjudice (frais médicaux actuels et futurs restés à sa charge, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle, assistance par tierce personne avant consolidation, déficit fonctionnel temporaire, préjudice d’agrément) et en tant qu’il a fait application des intérêts et leur capitalisation ;

2°) de condamner l’ONIAM à lui verser les sommes complémentaires suivantes :

* frais médicaux actuels 3 840 euros

* frais médicaux futurs restés à sa charge 41 312,23 euros

* perte de gains professionnels futurs 1 274 005,85 euros

* incidence professionnelle 100 000 euros

* assistance par tierce personne (actuel) 437 240 euros

* assistance par tierce personne (futur) 1 033 504,80 euros

* déficit fonctionnel temporaire 90 785 euros

* préjudice d’agrément 90 000 euros ;

3°) de condamner l’ONIAM à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et lui laisser les entiers dépens de l’instance.

Il soutient que :

 – c’est à tort que le tribunal administratif de Lyon lui a refusé toute indemnisation au titre des dépenses de santé actuelles ou futures restées à sa charge alors qu’il a besoin d’inhalateur d’eau de mer et de crèmes émollientes pour traiter une aspergillose ;

 – la perte de gains professionnels futurs constitue un préjudice certain qui doit être indemnisé par versement d’un capital viager sur la base de son dernier revenu professionnel évalué à 3 111,52 euros par mois, compte tenu de sa progression de carrière normale et d’un trop-perçu sur les rémunérations perçues du 28 septembre 2018 au 31 mai 2019 ; une demande de mise en retraite anticipée a été lancée en juin 2020 pour un montant prévisionnel de 732,36 euros ;

 – le montant accordé au titre de l’incidence professionnelle de 12 000 euros est insuffisant au regard de la pénibilité importante causée par sa maladie et les effets secondaires du traitement et par l’impossibilité d’exercer normalement son métier et de faire un doctorat comme il le souhaitait ;

 – le montant alloué au titre des frais d’assistance par tierce personne devra être majoré en retenant un besoin de cinq heures par jour et un taux horaire de 16 euros, et versé sous forme de capital ; il ne perçoit aucune aide en dehors de l’allocation adulte handicapé ; un besoin de tierce personne d’une heure par jour doit être également pris en compte pendant les séjours hospitaliers ;

 – le montant alloué au titre du déficit fonctionnel temporaire est sous-évalué et devra se fonder sur un taux journalier de 25 euros ;

 – son préjudice d’agrément a été reconnu par l’expert et il est réel dès lors qu’il ne peut se livrer à diverses activités de loisirs en raison de sa fatigabilité et de son état psychologique.

Par un mémoire, enregistré le 15 novembre 2019, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Saumon, conclut au rejet de la requête :

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant sont infondés.

Le centre national d’éducation à distance a présenté des observations par un mémoire, enregistré le 3 décembre 2020, qui n’a pas été communiqué en application du dernier alinéa de l’article R. 611-1 du code de justice administrative.

Le ministre de l’économie, des finances et de la relance a présenté ses observations par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2021, qui n’a pas été communiqué en application du dernier alinéa de l’article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bellier, représentant M. B….

Considérant ce qui suit :

1. M. A… B…, né le 4 mars 1972, souffre d’hémophilie nécessitant des transfusions de cryo-précipités enrichis en facteur VIII. Le 8 août 1990 a été diagnostiquée une hépatite C, laquelle a commencé à être traitée à partir de 1997 ; une cirrhose s’est déclarée en 2001 avec décompensation en 2009 ; le 3 février 2011, il a bénéficié d’une greffe de foie qui a été réinfectée. Le 24 novembre 2014, M. B… a saisi l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), lequel lui a fait le 25 février 2015 une offre d’indemnisation qu’il a rejetée. Par une ordonnance du 9 septembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a diligenté une expertise dont le rapport a été rendu le 10 septembre 2016. Par un jugement avant-dire-droit du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Lyon a reconnu le droit à indemnisation de M. B… au titre de la solidarité nationale, lui a alloué une provision de 185 000 euros et a ordonné un complément d’expertise dont le rapport a été remis le 22 octobre 2018. Par un jugement du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a condamné l’ONIAM à lui verser la somme de 529 347,37 euros ainsi qu’une rente trimestrielle de 1 452,30 euros et a mis les dépens à sa charge ainsi qu’une somme de 2 150 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Par sa requête enregistrée le 13 septembre 2019, M. B… demande la réformation partielle de ce jugement en tant qu’il ne lui a pas accordé l’intégralité des sommes demandées au titre des frais médicaux actuels et futurs restés à sa charge, de l’assistance par tierce personne avant et après consolidation, de la perte de gains professionnels et de revenus futurs, de l’incidence professionnelle, du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice d’agrément.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D’une part, aux termes de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique : « Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l’hépatite B ou C (…) causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s’applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l’office mentionné à l’article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l’article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 3122-2, au premier alinéa de l’article L. 3122-3 et à l’article L. 3122-4, à l’exception de la seconde phrase du premier alinéa. » Il n’est pas contesté au vu des faits rappelés au point précédent que M. B… est fondé à obtenir l’indemnisation par l’ONIAM des conséquences dommageables découlant de sa contamination par le virus de l’hépatite C contenu dans des produits sanguins transfusés pour le traitement de son hémophilie.

3. D’autre part, M. B… et l’ONIAM ne discutent des condamnations prononcées par le jugement du tribunal administratif de Lyon du 16 juillet 2019 qu’en ce qui concerne les dépenses de santé restées à la charge du requérant, la perte de gains professionnels et de revenus futurs, l’incidence professionnelle, les frais d’assistance par tierce personne, le déficit fonctionnel temporaire et enfin le préjudice d’agrément.

En ce qui concerne les dépenses de santé :

4. M. B… soutient que c’est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant au remboursement à titre viager de l’achat périodique d’inhalateur d’eau de mer et de crèmes émollientes en raison d’une aspergillose contractée à cause de l’hépatite C ayant eu des séquelles nasales ventilatoires comme l’aurait indiqué le premier expert. Toutefois, si M. B… produit en cause d’appel des factures d’achat en pharmacie d’inhalateurs et de crèmes émollientes en 2019 et 2020, il ne produit aucun justificatif médical sur la persistance de séquelles de l’aspergillose contractée en 2011, aucune doléance sur ce point n’ayant été recueillie par le second expert désigné par le tribunal. Par suite, faute d’établir la réalité de son préjudice, la demande de M. B… tendant à l’octroi des sommes de 3 840 et 41 312,23 euros au titre de dépenses de santé actuelles et futures ne peut être accueillie.

En ce qui concerne les frais d’assistance par tierce personne :

5. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d’un dommage corporel la nécessité de recourir à l’aide d’une tierce personne, il détermine le montant de l’indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l’employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l’aide professionnelle d’une tierce personne d’un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.

6. En premier lieu, s’agissant de la période avant la consolidation fixée au 29 novembre 2017, il résulte de l’instruction, et notamment du second rapport d’expertise, que M. B… a été hospitalisé pour une durée cumulée de 322 jours. Si l’expert a indiqué un besoin d’assistance par tierce personne d’une heure pendant les hospitalisations tenant compte de la présence constante de l’épouse de la victime, le tribunal administratif de Lyon n’a pas commis d’erreur d’appréciation en ne retenant aucun besoin d’assistance par tierce personne en raison de la prise en charge hospitalière. Si M. B… fait valoir que le premier expert avait retenu une durée de 330 jours d’hospitalisation, il ne résulte pas de l’instruction que le second expert aurait commis une erreur de calcul sur ce point, faute d’établir que ces jours correspondent à des hospitalisations suscitées par son hépatite C. En retenant un besoin d’assistance par tierce personne de trois heures au cours des 1911 jours de traitement par interféron et de deux heures pendant les 336 jours de traitement par sofosbuvir, et en prenant pour toute la période un coût horaire de 13,50 euros, correspondant au salaire minimum de croissance augmenté des cotisations sociales patronales et en tenant compte des majorations dues au titre des dimanches et jours fériés, ainsi que des congés payés en calculant l’indemnisation sur la base d’une année de 412 jours, le tribunal administratif a procédé à une exacte appréciation de ce chef de préjudice en l’évaluant à la somme de 174 860,14 euros.

7. En deuxième lieu, s’agissant de la période allant de la date de consolidation, le 29 novembre 2017, à la date de la présente décision, le second expert a évalué le besoin viager en assistance par tierce personne à une heure par jour. M. B… fait valoir que son médecin conseil évalue son besoin à cinq heures par jour en faisant d’abord valoir toutes les activités quotidiennes qu’il ne peut assumer seul, repas, courses ou ménage, et en soutenant que l’estimation de l’expert n’est pas cohérente avec le déficit fonctionnel permanent évalué au taux de 65 % alors qu’avant consolidation il accordait un besoin de 3 heures pour un déficit fonctionnel temporaire de 60 %. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que l’évaluation faite par l’expert soit erronée, M. B… ne faisant état d’aucune aide extérieure et pouvant être regardé comme guéri de l’hépatite C depuis 2015 au vu de sa charge virale indécelable et n’ayant plus à subir les conséquences des traitements par interféron ou sofosbuvir. Si le requérant demande l’application d’un coût horaire de 16 euros, sans justification, il sera fait application d’un taux de 14,10 euros pour toute la période, correspondant au salaire minimum de croissance augmenté des cotisations sociales patronales, en calculant l’indemnisation sur la base d’une année de 412 jours pour tenir compte des dimanches, jours fériés et congés payés. Il s’ensuit que, pour cette période, la victime peut se voir allouer la somme de 23 746,10 euros. Compte tenu de la condamnation prononcée par le jugement attaqué pour la période du 29 novembre 2017 au 16 juillet 2019 pour un montant de 9 386,83 euros, il y a lieu d’accorder une somme complémentaire de 14 359,27 euros au titre de cette période.

8. En troisième lieu, s’agissant de la période à compter de la présente décision, en vertu des principes qui régissent l’indemnisation par une personne publique des victimes des dommages dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l’indemnisation allouée à la victime d’un dommage corporel au titre des frais d’assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Si M. B… demande qu’il lui soit alloué une indemnité sous forme de capital compte tenu de difficultés de paiement de la part de l’ONIAM et de l’absence d’aides perçues à ce titre, il n’est pas établi que l’intéressé ne percevra pas dans l’avenir de telles aides. Par suite, il y a lieu d’allouer une rente trimestrielle d’un montant de 1 545 euros, calculée sur la base du besoin en assistance par une tierce personne d’une heure par jour et d’un taux horaire fixé à 15 euros, en tenant compte des majorations de rémunération liées aux congés payés et au travail les dimanches ainsi que les jours fériés en retenant une année de 412 jours. Cette rente sera revalorisée annuellement en appliquant les coefficients prévus à l’article L. 434-17 du code de la sécurité sociale et sera, le cas échéant, diminuée des aides éventuelles perçues, notamment au titre de prestations de compensation du handicap, et en fonction des éventuelles périodes de prise en charge par des établissements de santé et assimilés. Il appartiendra à M. B… de fournir à l’ONIAM tout justificatif quant aux aides ou aux séjours en établissement de santé.

En ce qui concerne la perte de gains professionnels et de revenus futurs :

9. Il résulte de l’instruction que M. B… a exercé la profession de professeur certifié à compter de septembre 2002, en établissement d’enseignement et en détachement auprès du centre national d’enseignement à distance (CNED). Du fait de sa pathologie, il a bénéficié de plusieurs arrêts maladie dès 2004 et a obtenu des congés longue maladie de 2005 à 2007 puis de 2010 à 2013 et enfin a présenté de nombreuses périodes d’activité à demi-traitement ou même sans traitement. Après consolidation au 29 novembre 2017, il a été à nouveau placé en congé longue maladie jusqu’au 27 septembre 2018 avec perception d’un demi-traitement. Il a ensuite été mis en disponibilité d’office sans traitement à compter du 13 décembre 2018. Début 2020, soit postérieurement au jugement attaqué, M. B… a présenté une demande de mise à la retraite pour invalidité. Toutefois, même s’il a été déclaré inapte à l’exercice de toute fonction selon une décision du 31 août 2020, il continue de percevoir des demi-traitements dans l’attente d’une mise à la retraite pour invalidité encore non effective à ce jour. Néanmoins, comme l’oppose le requérant, la perte de gains professionnels futurs présente un caractère certain et reste déterminable dans son montant. Par suite, c’est à tort que le tribunal administratif de Lyon a refusé d’indemniser le requérant en raison d’une impossibilité de calculer le montant de préjudice futur et l’a invité à saisir ultérieurement l’ONIAM.

10. En premier lieu, comme l’oppose l’ONIAM, le salaire de référence servant au calcul du préjudice est le dernier connu, soit celui afférent à un professeur certifié de classe normale au 8° échelon à temps plein, soit un salaire mensuel net de charges de 2 160 euros, échelon obtenu en octobre 2017. M. B… n’est pas fondé à demander l’application d’un salaire brut de professeur certifié à temps plein au 11° échelon pour un montant de 3 111,52 euros dès lors qu’il n’est pas établi qu’il ait subi une perte de chance sérieuse de progression de carrière liée à sa maladie. Il résulte de l’instruction que depuis la date du jugement attaqué, soit le 16 juillet 2019, et jusqu’à la date du présent arrêt, M. B… a perçu des traitements et demi-traitements ainsi que des allocations pour adulte handicapé. En 2019, l’intéressé n’a perçu aucun salaire puisqu’il a été mis en disponibilité d’office mais il s’est vu, en revanche, allouer la somme de 6 869,65 euros au titre de l’allocation adulte handicapé, alors qu’il aurait dû percevoir un traitement de 12 960 euros. En 2020, malgré sa mise en disponibilité d’office puis sa déclaration d’inaptitude à l’exercice d’une quelconque activité professionnelle, il a perçu des traitements de juin à décembre pour un montant global de 11 054,42 euros et a encore perçu une allocation pour adulte handicapé pour un montant de 5 660,62 euros alors qu’il aurait dû percevoir un traitement annuel net de 25 920 euros. Enfin, en 2021, le requérant a continué de percevoir des salaires pour un montant évalué à 12 822 euros et seulement une allocation pour adulte handicapé résiduelle de 144,44 euros alors qu’il aurait été en droit de percevoir un traitement annuel net de 25 920 euros. Il découle de ce qui précède que, depuis le jugement du tribunal administratif de Lyon et jusqu’au présent arrêt, M. B… a subi une perte de gains professionnels estimée à 28 248,87 euros. Il y a lieu d’ajouter ce montant à la condamnation prononcée par le tribunal administratif au titre de la perte de gains professionnels actuels.

11. En deuxième lieu, compte tenu de la proximité du départ à la retraite de la victime, qui sera âgée de 50 ans à la date de l’arrêt attaqué, il appartient au juge d’indemniser de manière distincte la perte de revenus qu’elle subirait jusqu’à l’âge auquel, en l’absence de la contamination, elle aurait pris sa retraite ainsi que le préjudice patrimonial qu’elle subirait, le cas échéant, au cours de la période ultérieure, en raison notamment d’une perte éventuelle de droits à pension. L’âge auquel l’intéressé aurait pris sa retraite est, en principe, celui auquel il aurait pu prétendre à une pension à taux plein, sauf si l’instruction fait ressortir qu’il l’aurait prise à un âge différent. Pour évaluer ces préjudices, il y a lieu de fixer à 67 ans l’âge probable auquel M. B… aurait pris sa retraite. Compte tenu de la grille indiciaire applicable aux professeurs certifiés de classe normale, M. B… aurait atteint le 11° et dernier échelon de ce grade à la date probable de sa mise à la retraite ; il aurait donc perçu un salaire net mensuel évalué à 2 645 euros. Si M. B… invoque le bénéfice d’un treizième mois, il n’en justifie pas. Enfin, les arrérages de pension perçus au titre de la retraite pour invalidité devant lui être prochainement versées devront venir en déduction.

12. Il découle de tous ces éléments qu’un premier préjudice subi par la victime provient de la perte de salaires nets subis de 2022 à 2039, calculée par reconstitution de carrière depuis l’obtention du 8° échelon en octobre 2017 et jusqu’au 11°échelon du même grade, en tenant compte des durées normales d’avancement au 9° échelon (3 ans et demi), au 10° échelon (4 ans) et enfin au 11° échelon (4 ans) et déduction faite des éventuels salaires encore versés en 2022 puis des arrérages de pension d’invalidité reconstituées selon les coefficients de revalorisation actuels. Un second préjudice subi par la victime découle ensuite de la différence de montant entre la pension qui aurait été versée en tenant compte d’un dernier traitement versé au titre du 11° échelon du grade de professeur certifié de classe normale et d’une durée de cotisation de 27 ans, ainsi que de tous éléments rentrant dans la liquidation de cette pension, et le montant de la pension d’invalidité versée à compter de l’âge de 67 ans, le solde en découlant étant ensuite capitalisé sur un plan viager en appliquant l’euro de rente afférent à un homme de 67 ans.

En ce qui concerne l’incidence professionnelle :

13. M. B… fait valoir qu’il a dû faire face à une pénibilité importante du fait de sa maladie et des effets secondaires des traitements entrepris et qu’il a dû renoncer à enseigner auprès des élèves ou à poursuivre des études jusqu’au doctorat. Toutefois, l’intéressé a néanmoins pu accéder au métier d’enseignant malgré sa pathologie et a pu poursuivre sa carrière jusqu’à une date récente, notamment en détachement auprès du CNED. En accordant à ce titre la somme de 12 000 euros, le tribunal administratif de Lyon a procédé à une évaluation de ce chef de préjudice qui ne parait ni excessive, ni insuffisante. Par suite, il y a lieu d’écarter la demande du requérant tendant à porter son indemnisation à ce titre à la somme de 100 000 euros.

En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :

14. Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport du second expert, que M. B… a subi un déficit fonctionnel temporaire total pendant ses périodes d’hospitalisation pour une durée totale de 322 jours, un déficit fonctionnel temporaire de 60 % pendant les traitements à base d’interféron, mal supportés, pour une durée globale de 1911 jours, un déficit fonctionnel temporaire de 30 % lors des cures de sofosbuvir pendant 336 jours cumulés et enfin un déficit fonctionnel temporaire de 20 % le reste du temps sur la période du 1er décembre 1995 au 29 novembre 2017, représentant 5 070 jours. Si, comme indiqué au point 6, M. B… conteste la durée totale d’hospitalisation de 322 jours dès lors que le premier expert avait indiqué 330 jours, il ne résulte pas de l’instruction que le second expert ait commis une erreur de fait ou d’appréciation dans son décompte des hospitalisations en lien avec l’hépatite C. Le requérant fait également valoir que le premier expert avait retenu un déficit fonctionnel temporaire total pour les périodes de cure à base d’interféron. Toutefois, il ressort des termes du jugement avant dire droit du 22 mai 2018 que les premiers juges ont estimé que l’évaluation du déficit fonctionnel temporaire par le premier expert était insuffisamment motivée et ont mandaté le second expert pour « préciser l’évolution du déficit fonctionnel temporaire lié à l’hépatite C en donnant les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ». Si le requérant demande à la cour de suivre l’évaluation de son médecin conseil, il n’y a pas lieu d’écarter l’évaluation faite par le second expert missionné par le tribunal administratif alors, au demeurant, que le médecin conseil de M. B… propose une évaluation manifestement excessive s’agissant de la période antérieure à 2001, soit avant la décompensation de la cirrhose, et après 2016, soit après la guérison de l’hépatite C dont la charge virale est devenue indécelable. Enfin, si le requérant demande l’application d’un taux journalier de 25 euros, il n’apporte aucun justificatif de nature à contester l’application par le tribunal administratif de Lyon d’un taux journalier de 16 euros, non contesté par l’ONIAM. Par suite, la demande de M. B… tendant à majorer le montant accordé à ce titre à des montants de 49 200 et 90 785 euros sera rejetée.

En ce qui concerne le préjudice d’agrément :

15. M. B… est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande à ce titre dès lors qu’il justifie suffisamment que son état psychologique, notamment marqué par une fatigabilité importante, le contraint à abandonner un grand nombre d’activités de loisir comme en attestent de nombreux témoins ainsi que les pièces médicales produites au dossier. Toutefois, il résulte de l’instruction, et notamment du second rapport d’expertise, que M. B… souffre également d’une arthrose fémoro-patellaire majeure sans lien avec son hépatite C mais liée à son hémophile (arthropathies hémophiliques) qui est également à l’origine de douleurs articulaires et d’une thrombose de la veine porte ayant contribué à l’abandon de ces activités de loisir. Il sera donc fait une juste appréciation de son préjudice en lien suffisamment direct et certain avec sa pathologie en lui accordant la somme de 5 000 euros.

16. Il découle des points précédents que l’ONIAM doit être condamné à verser à M. B… la somme de 576 955,51 euros, outre une somme représentative de ses préjudices découlant de pertes de gains professionnels selon les modalités indiquées aux points 11 et 12 du présent arrêt, et une rente trimestrielle au titre des frais futurs d’assistance par tierce personne portée à la somme de 1 545 euros. Il découle de tout ce qui précède que M. B… est fondé à demander la réformation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Lyon du 16 juillet 2019 dans le sens des motifs sus indiqués.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

17. Les intérêts moratoires, dus en application de l’article 1153 du code civil, lorsqu’ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue à l’administration ou, en l’absence d’une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine, et non à compter de la date du jugement. Pour l’application des dispositions de l’article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu’à cette date il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s’accomplit à nouveau à l’expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu’il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

18. D’une part, l’appelant est recevable à demander la modification du point de départ des intérêts alloués par les premiers juges. Il s’ensuit que si devant les premiers juges, le requérant avait demandé le bénéfice des intérêts au taux légal seulement à compter du jugement à intervenir, il est recevable à demander en cause d’appel que les intérêts au taux légal afférents aux sommes qui lui sont dues en vertu du jugement attaqué, courent à compter de la réception par l’ONIAM, le 22 avril 2015, de sa réclamation préalable.

19. D’autre part, M. B… est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande de capitalisation des intérêts faite par mémoire enregistré le 5 décembre 2018. A cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière. Il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande tant à cette date qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés à l’instance :

20. D’une part, les frais d’expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 150 euros selon ordonnance du président du tribunal administratif de Lyon du 15 septembre 2016 s’agissant de la première expertise, et à la somme de 1 200 euros selon ordonnance du 12 juin 2019 s’agissant de la seconde expertise, sont laissés à la charge de l’ONIAM.

21. D’autre part, il y a lieu de condamner l’ONIAM à verser à M. B… une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :


Article 1er : L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à M. B… la somme de 576 955,51 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2015. Les intérêts échus à la date du 5 décembre 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le montant de la rente trimestrielle que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à M. B… au titre des frais futurs d’assistance par tierce personne est porté à la somme de 1 545 euros.

Article 3 : L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à M. B… une somme, représentative de ses préjudices découlant de pertes futures de gains professionnels et de revenus, calculée selon les modalités indiquées aux points 11 et 12 du présent arrêt.

Article 4 : Les articles 1er, 2 et 5 du jugement n° 1504630 du tribunal administratif de Lyon du 16 juillet 2019 sont réformés en ce qu’ils ont de contraire avec le présent arrêt.

Article 5 : Les frais d’expertise, taxés et liquidés aux sommes de 3 150 euros et de 1 200 euros sont laissés à la charge de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Article 6 : L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à M. B… une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus de la requête de M. B… est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… B…, à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille et Vilaine, à la mutuelle générale de l’éducation nationale, au ministre de l’éducation nationale, au centre national d’enseignement à distance et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l’audience du 9 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2021.

N° 19LY03555 9

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CAA de LYON, 6ème chambre, 31 décembre 2021, 19LY03555, Inédit au recueil Lebon