CAA de MARSEILLE, 5ème chambre - formation à 3, 3 décembre 2018, 18MA04267, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 5e ch. - formation à 3, 3 déc. 2018, n° 18MA04267
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 18MA04267
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Montpellier, 1er mars 2018, N° 1601469
Identifiant Légifrance : CETATEXT000037706814

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F… B… E… a demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler la décision du 16 novembre 2015 par laquelle le préfet de l’Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d’enfant français et d’ordonner la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ».

Par un jugement n° 1601469 du 2 mars 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la requête de Mme B… E….

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2018, Mme B… E…, représentée par Me C…, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 2 mars 2018 ;

2°) d’annuler l’arrêté préfectoral du 16 novembre 2015 ;

3°) d’enjoindre la délivrance d’un titre de séjour comportant la mention « vie privée et familiale » et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

4°) subsidiairement, d’enjoindre le réexamen de la demande de titre de séjour dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de la renonciation au bénéfice de l’aide juridictionnelle en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

 – le jugement est entaché d’une omission à statuer dès lors que les juges de première instance se sont limités à se référer à la délégation consentie au secrétaire général de la préfecture, M. Olivier Jacob, sans répondre au moyen de savoir si elle était ou non trop générale ;

 – l’arrêté contesté a été pris en méconnaissance des dispositions du 6° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;

 – la fraude prétendue n’est pas constituée, la filiation effectuée avait pour finalité de créer un lien de filiation entre l’auteur de la reconnaissance et l’enfant ;

 – si le préfet estime la fraude, il lui appartient de saisir le Procureur de la République pour faire annuler la reconnaissance ;

 – les premiers juges ont commis une erreur manifeste d’appréciation en indiquant que la reconnaissance de l’enfant était intervenue un an après la naissance, alors que l’enfant a été reconnu neuf jours après sa naissance ;

 – l’arrêté contesté a été pris en violation des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2018, le préfet de l’Hérault a conclu au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme B… E… a été admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 – la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

 – le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

 – le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Le rapport de M. Pecchioli a été entendu au cours de l’audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B… E…, ressortissante de nationalité mexicaine, née le 12 mars 1976, est entrée en France le 23 août 2012. Elle a donné naissance à Montpellier, le 10 février 2014, à un enfant, Eliam Ange, qui a été reconnu par M. D… A…, ressortissant français, et a ainsi acquis la nationalité française. Le préfet de l’Hérault a estimé que la nationalité française de l’enfant avait été obtenue par fraude et a ainsi refusé, par un arrêté du 16 novembre 2015, de lui délivrer le titre de séjour sollicité en qualité de parent d’un enfant français. Mme B… E… demande à la Cour d’annuler le jugement du 2 mars 2018 qui a rejeté sa demande d’annulation de cette décision de refus de titre de séjour.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Mme B… E… a soulevé, devant les premiers juges, l’irrégularité de la délégation de signature accordée par le préfet à l’auteur de la décision attaquée au motif de son caractère trop général. Or il ressort de la lecture du jugement attaqué que les juges de première instance, en se bornant à indiquer « l’arrêté attaqué a été signé par M. Olivier Jacob, secrétaire général de la préfecture, en vertu d’une délégation qui lui a été consentie à cet effet par décision du préfet de l’Hérault n° 2014-I-1341 du 31 juillet 2014, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département accessibles tant aux juges qu’aux parties », n’ont pas répondu au moyen qui était invoqué. Ainsi, le jugement ne peut qu’être annulé en raison de son irrégularité.

3. Par suite, il convient d’annuler le jugement attaqué. Il y a lieu, pour la Cour, de statuer par la voie de l’évocation sur les conclusions formulées par la requérante devant le tribunal administratif tendant à ce que soit prononcée l’annulation de l’arrêté du 16 novembre 2015 par lequel le préfet de l’Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Sur la légalité de l’arrêté préfectoral du 16 novembre 2015 :

4. En premier lieu, la décision contestée a été signée par M. Olivier Jacob, secrétaire général de la préfecture de l’Hérault, lequel avait reçu, par arrêté n° 2014-1341 du 31 juillet 2014, régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs du département n° 74 du mois d’août 2014, accessible tant au juge qu’aux parties, délégation du préfet de l’Hérault à l’effet de signer « tous actes, arrêtés, décisions et circulaires relevant des attributions de l’Etat dans le département de l’Hérault (…) », à l’exception, d’une part, des réquisitions prises en application de la loi du 11 juillet 1938 relative à l’organisation générale de la nation pour temps de guerre et, d’autre part, de la réquisition des comptables publics régie par le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique. Les décisions relatives aux attributions de l’Etat dans le département comprennent, sauf s’il en est disposé autrement par l’arrêté portant délégation de signature, les décisions préfectorales en matière de police des étrangers. Cette délégation n’étant pas trop générale, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de la décision en litige ne peut qu’être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa version applicable au litige : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention » vie privée et familiale « est délivrée de plein droit : (…) 6° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l’article L. 311-7 soit exigée (…) ». Aux termes de l’article L. 623-1 du même code : « Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. (…) / Ces mêmes peines sont applicables en cas d’organisation ou de tentative d’organisation d’un mariage ou d’une reconnaissance d’enfant aux mêmes fins. / Elles sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée ».

6. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l’administration tant qu’il n’a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l’administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d’obtenir l’application de dispositions de droit public, d’y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d’un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l’administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l’autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l’exercice de ces compétences, d’actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui n’ont pas entendu écarter l’application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, la reconnaissance d’un enfant est opposable aux tiers, en tant qu’elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu’elle permet l’acquisition par l’enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et donc s’impose en principe à l’administration tant qu’une action en contestation de filiation n’a pas abouti. Néanmoins, il appartient au préfet, s’il est établi, lors de l’examen d’une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l’obtention de la nationalité française ou d’un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n’est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d’un enfant français.

7. Pour refuser à Mme B… E… l’octroi de son titre de séjour en qualité de parent d’enfant français, le préfet s’est fondé sur la reconnaissance par M. A… de l’enfant par amitié pour la requérante, sur l’absence de vie de couple entre les intéressés et sur le défaut de versement de pension alimentaire. Il a considéré que ces éléments constituaient un faisceau d’indices pour caractériser une fraude à la reconnaissance de paternité. En l’espèce, le préfet de l’Hérault a fait état d’éléments précis et concordants permettant d’établir l’insincérité de cette reconnaissance de paternité, laquelle aurait été établie frauduleusement, dans le seul but de permettre à Mme B… E… d’obtenir un titre de séjour. Si la requérante soutient, à l’appui de sa contestation, qu’une relation amoureuse se serait nouée entre elle et M. A… alors même que celui-ci déclare être seulement dans un rapport amical et ne désire plus être le père de l’enfant, cela s’avère insuffisant pour remettre en cause le faisceau d’indices, de même que l’erreur du préfet et des premiers juges sur la date de reconnaissance de l’enfant, laquelle a effectivement eu lieu neuf jours après sa naissance, soit le 19 février 2014. Dans ces conditions, le préfet doit être regardé comme apportant la preuve qui lui incombe de ce que la reconnaissance de l’enfant de la requérante par un ressortissant français a été souscrite dans le but de faciliter l’obtention d’un titre de séjour. Ainsi le préfet, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude, était légalement fondé à refuser la délivrance d’un titre de séjour à Mme B… E…. Dès lors, l’arrêté en litige n’a pas méconnu les dispositions du 6° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Pour les mêmes motifs, le préfet de l’Hérault n’a pas davantage commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle et familiale de la requérante.

8. En troisième et dernier lieu, le moyen de la requête de Mme B… E… à l’encontre de la décision portant refus de titre, tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, doit être écarté pour les motifs retenus par les premiers juges qu’il y a lieu d’adopter.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B… E… n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté préfectoral susvisé du 16 novembre 2015.

Sur les conclusions à fin d’injonction sous astreinte :

10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse, n’implique aucune mesure particulière d’exécution. Par suite, les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte présentées par Mme B… E… ne peuvent être accueillies.

Sur les frais de l’instance :

11. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ».

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d’une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées par Mme B… E… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu’être rejetées.


D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1601469 du 2 mars 2018 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : Les demandes de Mme B… E… sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F… B… E…, au ministre de l’intérieur et à Me C….

Copie en sera adressée au préfet de l’Hérault.

Délibéré après l’audience du 19 novembre 2018, où siégeaient :

— M. Bocquet, président,

 – M. Marcovici, président assesseur,

 – M. Pecchioli, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 décembre 2018.

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N° 18MA04267

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