CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 3 février 2020, 18MA00851, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 5e ch., 3 févr. 2020, n° 18MA00851
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 18MA00851
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Bastia, 20 décembre 2017, N° 1600955 et 1600966
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000041523424

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Circles Group a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune de Solaro à lui verser la somme de 564 592,49 euros en réparation des préjudices subis par la SARL Colonna Franceschi suite à un arrêté du maire de la commune de Solaro du 8 juillet 2015 interdisant la tenue de l’évènement « The Bay Festival » sur le territoire de cette dernière.

Par un jugement nos 1600955 et 1600966 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande après l’avoir jointe avec celle présentée par la SARL Colonna Franceschi.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire récapitulatif et un nouveau mémoire, enregistrés le 23 février 2018, le 18 octobre et le 4 décembre 2019, la société Circles Group, représentée par le cabinet Veil Jourde, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 21 décembre 2017 du tribunal administratif de Bastia en tant qu’il a rejeté sa demande ;

2°) de condamner la commune de Solaro à lui verser la somme de 564 592 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Solaro la somme de 8 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a qualité pour agir au nom des assureurs de la SARL Colonna Franceschi en tant qu’intermédiaire d’assurances de droit luxembourgeois, et peut ainsi se prévaloir de l’article L. 121-12 du code des assurances ;

- elle est également subrogée dans les droits de la SARL Colonna Franceschi en application de l’ancien article 1250 du code civil, devenu l’article 1346-1 ;

- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors qu’il ne répond pas à l’ensemble des moyens qu’elle avait invoqués en première instance ;

- la responsabilité de la commune est engagée du fait d’une promesse non tenue ;

- la mesure de police était disproportionnée, dès lors qu’elle revêtait un caractère général et absolu ;

- le maire n’était pas compétent pour interdire un rassemblement festif à caractère musical ;

- il a illégalement retiré une décision créatrice de droits ;

- les préjudices de la SARL Colonna Franceschi sont établis ;

- il appartenait en outre à celle-ci de désintéresser la société de droit anglais Colonna Franceschi Ltd ;

- les préjudices sont en lien direct avec les fautes invoquées ;

 –  la responsabilité de la commune est en outre engagée sans faute du fait d’une rupture d’égalité devant les charges publiques.

Par un mémoire en défense récapitulatif, enregistré le 14 novembre 2019, la commune de Solaro, représentée par Me C…, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête présentée par la société Circles Group ;

2°) de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Circles Group ne sont pas fondés.

A l’occasion d’un mémoire enregistré pour la société Circles Group en réponse à une mesure d’information le 30 septembre 2019, les sociétés Catlin Insurance Company (UK) Limited, HDI Global SE et Axa Belgium demandent à la cour de faire droit aux conclusions de la requête de la société Circles Group.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 –  le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :

 –  le rapport de M. A…,

 –  les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

 –  et les observations de Me D…, représentant la société Circles Group, et de Me B…, représentant la commune de Solaro.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Colonna Franceschi avait prévu d’organiser un festival de musique électronique dénommé « The Festival Bay » du 23 au 27 juillet 2015 sur les territoires des communes de Sari-Solenzara et Solaro (Haute-Corse). L’évènement a cependant été interdit par un arrêté du 8 juillet 2015 du maire de Solaro. La société Colonna Franceschi a été indemnisée à hauteur de 564 592 euros par un groupe d’assureurs formé par les sociétés Catlin Insurance Company (UK) Ltd, HDI-Gerling Industrie Versicherung AG et Axa Belgium, dont le mandataire est la société Circles Group.

2. La SARL Colonna Franceschi et la société Circles Group ont chacune formé un recours indemnitaire à l’encontre de la commune de Solaro. Le tribunal administratif de Bastia a rejeté leurs demandes par un jugement du 21 décembre 2017 après les avoir jointes. Seule la société Circles Group fait appel de ce jugement.

Sur les interventions :

3. Aux termes du premier alinéa de l’article R. 632-1 du code de justice administrative, « L’intervention est formée par mémoire distinct. » Les interventions des sociétés Catlin Insurance Company (UK) Limited, HDI Global SE et Axa Belgium à l’appui des conclusions de la société Circles Group ont été formées à l’occasion d’un mémoire présenté par cette dernière, en méconnaissance des dispositions précitées. Elles sont dès lors irrecevables.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Si le tribunal administratif de Bastia a écarté la responsabilité pour faute de la commune de Solaro en se fondant sur l’absence de lien de causalité entre l’illégalité fautive de l’arrêté du 8 juillet 2015 et les préjudices invoqués, il ne s’est pas prononcé sur le fondement de responsabilité, invoqué devant lui par la société Circles Group, tiré de la responsabilité sans faute de la commune du fait d’une rupture d’égalité devant les charges publiques. Il convient du fait de cette irrégularité d’annuler le jugement attaqué en tant qu’il a rejeté la demande de la société Circles Group et de statuer immédiatement sur le litige par la voie de l’évocation.

Sur la responsabilité de la commune :

En ce qui concerne l’articulation entre les pouvoirs de police respectifs du maire et du préfet en matière de rassemblements festifs à caractère musical :

5. D’une part, l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales dispose que : " La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / (…) / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics (…) ".

6. D’autre part, l’article L. 211-5 du code de la sécurité intérieure prévoit que : « Les rassemblements exclusivement festifs à caractère musical, organisés par des personnes privées, dans des lieux qui ne sont pas au préalable aménagés à cette fin et répondant à certaines caractéristiques fixées par décret en Conseil d’Etat tenant à leur importance, à leur mode d’organisation ainsi qu’aux risques susceptibles d’être encourus par les participants, font l’objet d’une déclaration des organisateurs auprès du représentant de l’Etat dans le département dans lequel le rassemblement doit se tenir, ou, à Paris, du préfet de police. » L’article L. 211-7 du même code prévoit en outre que : « Le représentant de l’Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police, peut imposer aux organisateurs toute mesure nécessaire au bon déroulement du rassemblement, notamment la mise en place d’un service d’ordre ou d’un dispositif sanitaire. / Il peut interdire le rassemblement projeté si celui-ci est de nature à troubler gravement l’ordre public ou si, en dépit d’une mise en demeure préalable adressée à l’organisateur, les mesures prises par celui-ci pour assurer le bon déroulement du rassemblement sont insuffisantes. »

7. Il résulte en outre des articles R. 211-3, R. 211-4 et R. 211-5 du même code, pris pour l’application de ces dispositions législatives, que la déclaration, qui doit être faite par les organisateurs au plus tard un mois avant la date prévue pour le rassemblement, doit décrire les dispositions prévues pour garantir la sécurité et la santé des participants, la salubrité, l’hygiène et la tranquillité publiques et préciser les modalités de leur mise en oeuvre, notamment au regard de la configuration des lieux. Le préfet en donne récépissé lorsqu’il constate que la déclaration satisfait à l’ensemble des prescriptions nécessaires. L’article R. 211-7 prévoit enfin que le préfet informe les maires des communes intéressées du dépôt de la déclaration et des mesures qu’il a éventuellement imposées à l’organisateur.

8. Les articles L. 211-5 et suivants du code de la sécurité intérieure, qui confèrent au préfet des pouvoirs de police administrative relatifs aux rassemblements festifs à caractère musical, ne font pas par eux-mêmes obstacle à ce que le maire fasse usage des pouvoirs de police générale que lui confère l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Tel est en particulier le cas lorsque le rassemblement en question n’a pas été déclaré auprès du préfet en application de l’article L. 211-5 du code de la sécurité intérieure ou a été déclaré de façon incomplète, en cas de danger grave et imminent, ou encore, lorsque le rassemblement a lieu sur le territoire de plusieurs communes, en cas de circonstances locales particulières.

9. Au cas présent, il résulte de l’instruction que la société Colonna Franceschi n’avait fait le 20 juin 2018 au préfet de Corse-du-Sud qu’une déclaration incomplète. Les sites sur lesquels le festival devait se tenir n’avaient pas été définitivement arrêtés le 8 juillet 2015. Celui envisagé sur le territoire de la commune de Solaro posait de graves problèmes de sécurité auxquels les organisateurs n’avaient pas apporté de solution satisfaisante. Le maire de Solaro était par suite compétent pour édicter une mesure de police concernant cet évènement sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.

En ce qui concerne les autres fautes invoquées :

10. Par une attestation du 18 février 2015, le maire de Solaro a « donné un avis favorable » à l’organisation de l’évènement envisagé, « sous réserve de l’obtention par les organisateurs d’autorisations des propriétaires des parcelles » et s’est engagé « à prendre l’ensemble des arrêtés concernant les espaces occupés ainsi que les autorisations de voirie et de stationnement nécessaires » ainsi qu’à apporter « une aide logistique à l’organisation dans les limites fixées par une convention de partenariat ».

11. Contrairement à ce que soutient la société Circles Group, il ne ressort pas des termes de cette attestation que le maire de Solaro ait donné à la société Colonna Franceschi l’assurance que le terrain initialement envisagé sur le territoire de la commune était approprié pour la tenue d’un festival de musique électronique. Il est au demeurant constant que le propriétaire de ce dernier a refusé l’autorisation nécessaire, ce qui a conduit les organisateurs à envisager un autre terrain, situé au lieu-dit I Peri. Il résulte en outre de l’instruction que le maire de Solaro a soutenu le projet dans la limite des moyens dont il disposait conformément à son engagement. Il ne s’est cependant ni engagé à permettre la tenue du festival quelles qu’en soient les conditions, ni à ne pas faire usage des pouvoirs de police qu’il tient de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales – ce qu’il n’aurait pu légalement faire au demeurant. Les motifs qui ont justifié l’interdiction du festival sont en réalité étrangers aux engagements pris par le maire par l’attestation du 18 février 2015. La société Circles Group n’est en conséquence pas fondée à soutenir que la responsabilité de la commune de Solaro serait engagée du fait d’une promesse non tenue.

12. L’attestation du 18 février 2015, qui ne modifie pas l’ordonnancement juridique, ne constitue pas une décision administrative. Le moyen tiré de ce que le maire de Solaro aurait illégalement retiré une décision administrative créatrice de droits par l’arrêté du 8 juillet 2015 doit donc être écarté.

13. Pour interdire l’évènement projeté, le maire de Solaro s’est notamment fondé sur les risques d’accident que comportaient les lieux envisagés pour le public d’un festival de musique électronique, sur les difficultés posées par leur configuration en cas d’évacuation du public ou d’intervention des forces de l’ordre, sur l’absence d’autorisation d’occupation du domaine public maritime, sur les risques de stationnement anarchique et de perturbation du trafic automobile concernant un axe routier majeur, sur les atteintes au milieu naturel, et sur les risques d’incendie. Ces différents éléments avaient donné lieu à des avis défavorables du service départemental d’incendie et de secours, du groupement de gendarmerie, du directeur départemental des territoires et de la mer, du directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement, du directeur départemental de la cohésion sociale et de la protection des populations, de l’agence régionale de santé et du coordinateur pour la sécurité en Corse. Le bien-fondé de ces motifs n’est pas contesté par la société Circles Group, qui n’allègue pas que la SARL Colonna Franceschi aurait pris des dispositions suffisantes pour remédier à ces risques. En outre, l’arrêté du 8 juillet 2015 est une mesure de police individuelle qui ne vise que le festival organisé par cette dernière, et ne revêt dès lors aucun « caractère général et absolu ». La société Circles Group n’est en conséquence pas fondée à soutenir que cet arrêté serait disproportionné au regard des risques de troubles à l’ordre public qui l’ont justifié.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

14. Enfin, l’interdiction d’un rassemblement festif à caractère musical par l’autorité administrative fait partie des aléas que sont normalement appelés à supporter les organisateurs de ce type d’évènements en cas de risque pour l’ordre public. Le préjudice invoqué par la société Circles Group ne revêt donc pas un caractère anormal. Il suit de là que la responsabilité de la commune n’est pas engagée du fait d’une rupture d’égalité devant les charges publiques.

15. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la demande présentée par la société Circles Group devant le tribunal administratif de Bastia doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société Circles Group le versement de la somme de 3 000 euros à la commune de Solaro au titre des frais qu’elle a exposés et non compris dans les dépens.

17. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Circles Group sur le même fondement.


D É C I D E :


Article 1er : Les interventions des sociétés Catlin Insurance Company (UK) Limited, HDI Global SE et Axa Belgium ne sont pas admises.

Article 2 : Le jugement du 21 décembre 2017 du tribunal administratif de Bastia est annulé en tant qu’il a rejeté la demande de la société Circles Group.

Article 3 : La demande présentée par la société Circles Group devant le tribunal administratif de Bastia est rejetée.


Article 4 : La société Circles Group versera à la commune de Solaro la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Circles Group, Catlin Insurance Company (UK) Limited, HDI Global SE et Axa Belgium, et à la commune de Solaro.

Délibéré après l’audience du 20 janvier 2020, où siégeaient :

 – M. Bocquet, président,

 – M. Marcovici, président assesseur,

 – M. A…, premier conseiller.

Lu en audience publique le 3 février 2020.

6

N° 18MA00851

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