CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 21 décembre 2020, 19MA04525, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 6e ch., 21 déc. 2020, n° 19MA04525
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 19MA04525
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Sur renvoi de : Conseil d'État, 3 octobre 2019, N° 421022
Dispositif : Satisfaction partielle
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042712944

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société moderne d’assainissement et de nettoiement (SMA), aux droits de laquelle s’est substituée la société Valéor, a demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, d’annuler le marché de « tri-conditionnement de matériaux de collectes sélectives » conclu entre le syndicat mixte du développement durable de l’Est Var pour le traitement et la valorisation des déchets ménagers (SMIDDEV) et la société Ehol et de condamner le SMIDDEV à lui verser la somme de 2 167 072 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2013, eux-mêmes capitalisés ou, à titre subsidiaire, de prescrire une expertise afin d’évaluer le montant du préjudice subi.

Par un jugement avant-dire-droit n° 1303270 du 31 mai 2016, le Tribunal a annulé le marché conclu entre le SMIDDEV et la société Ehol à compter du 31 août 2016, rejeté les conclusions de la société Valéor tendant au paiement d’une indemnité au titre de frais sociaux et ordonné une expertise comptable afin d’établir la marge bénéficiaire qu’aurait réalisée la société SMA si elle avait été attributaire de ce marché.

Par un arrêt n° 16MA03136 du 30 mars 2018, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel du SMIDDEV contre ce jugement.

Par une décision n° 421022 du 4 octobre 2019, le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi formé par le SMIDDEV, a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 juillet 2016 et les 2 mai et 30 juin 2017 sous le n° 16MA03136 et, après renvoi par le Conseil d’État, par des mémoires enregistrés les 10 mars et 18 juin 2020 sous le n° 19MA04525, le SMIDDEV, représenté par Me A…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de rejeter la demande de la société Valéor venant aux droits de la société SMA devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de la société Valéor une somme de 4 000 euros à lui verser au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – les premiers juges ont irrégulièrement ordonné une expertise comptable ;

 – l’offre de la société Ehol était complète au regard des articles 6.1 et 6.2 du règlement de la consultation ;

 – cette offre était régulière dès lors que la société Ehol, qui exploitait deux centres de tri, Sivades et Broc, et au surplus était autorisée à utiliser le centre de tri de Cannes la Bocca, disposait ainsi de la capacité d’exécuter le marché jusqu’à son terme ;

 – la précision apportée par cette société n’ayant aucunement eu pour conséquence de modifier le montant et les caractéristiques de son offre, l’article 53 du code des marchés publics a été respecté ;

 – le centre de tri des Tourrades à Cannes la Bocca peut accueillir les déchets du Sivades et du site du Broc SMED à hauteur de 19 667 tonnes par an sans atteindre la capacité maximale autorisée de 26 200 tonnes par an ;

 – le site du Broc comprend un centre de valorisation organique qui traite les ordures ménagères et un centre de tri qui traite les déchets recyclables d’une capacité de 10 000 tonnes, ce second centre étant celui que la société Ehol a entendu utiliser en cas de besoin dans le cadre de son offre qui dispose, par ailleurs, d’une capacité suffisante pour être utilisé par d’autres collectivités en vertu de l’article 5.1.1.2 du Plan Départemental d’Elimination des Déchets des Alpes-Maritimes ;

 – le sous-traitant de la société Ehol, la société Esterel Terrassement Environnement disposant de l’agrément préfectoral pour l’exercice de son activité de négoce et de courtage de déchets non dangereux figurant dans l’offre, l’attribution du marché à la société Ehol est régulière ;

 – en l’absence d’irrégularité entachant la procédure d’attribution du marché en litige, c’est à tort que les premiers juges ont prononcé la résiliation du marché à compter du terme de sa durée ferme ;

— les vices retenus par l’arrêt de la Cour, annulé par le Conseil d’Etat, ne constituaient ni un vice du consentement, ni un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du marché ;

 – la société SMA ne présentait pas de chances sérieuses de se voir attribuer ce marché, son offre étant inacceptable au regard de l’article 59 III du code des marchés publics en raison de son prix dont le montant était supérieur au crédit disponible ; en conséquence, elle ne saurait prétendre à une indemnisation ;

 – son offre était irrégulière dès lors qu’elle n’était pas autorisée à traiter 50 000 tonnes de déchets issus de la collecte sélective par an mais seulement 30 000 en application de l’arrêté du 8 avril 2005 qui seul permettait d’apprécier la capacité autorisée des tonnages sur le site du Muy ;

 – cette société n’était pas en capacité de traiter le volume des déchets du SMIDDEV au titre des années 2013 à 2015 aux termes des chiffres inscrits dans les rapports d’activité des collectivités du département du Var ;

 – elle n’a fourni aucun élément justifiant la conformité de son installation à la réglementation à laquelle elle est soumise ;

 – le pouvoir adjudicateur peut devant le juge du contrat, au stade de l’examen des indemnités, se prévaloir du caractère inacceptable de l’offre qu’un candidat a présentée ;

 – elle ne justifie pas de la réalité de son préjudice ;

 – elle est soumise à une interdiction de soumissionner depuis le 21 octobre 2014.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 novembre 2016 et 29 mai 2017 sous le n° 16MA03136 et, après renvoi par le Conseil d’État, par des mémoires enregistrés les 6 janvier et 9 avril 2020 sous le n° 19MA4525, la société Valéor venant aux droits de la société SMA, représentée par Me D…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros à lui verser soit mise à la charge du SMIDDEV au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – le jugement d’annulation rendu par le tribunal administratif de Toulon doit être confirmé ;

 – le Conseil d’Etat a seulement censuré l’un des deux motifs retenus par la Cour pour considérer que la procédure de passation du marché était irrégulière ;

 – contrairement à ce que soutient le SMIDDEV, la société Ehol ne disposait pas de la capacité d’exécuter le marché litigieux sur toute sa durée eu égard au fait que la gestion du site du SMED situé sur la commune du Broc et celle du site Sivades lui a été confiée de manière ferme seulement jusqu’aux dates respectives des 31 octobre 2016 et 31 mars 2016 et à la circonstance qu’elle ne pouvait, en l’absence de reconduction de ces deux marchés, recourir à la sous-traitance pour exécuter les prestations prévues au marché sans méconnaître l’article 112 du code des marchés publics ;

 – la capacité du centre de tri proposé par la société Ehol n’était pas suffisante pour accueillir les déchets objets du marché litigieux, le site du SMED ne pouvant accueillir, selon l’article 10 du bail emphytéotique administratif consenti par la commune du Broc, les déchets du SMIDDEV provenant du Var ;

— ainsi que l’a jugé la Cour dans son arrêt précédent non censuré par le Conseil d’Etat sur ce point, le SMIDDEV n’est pas fondé à soutenir que son offre était inacceptable au sens des dispositions de l’article 35 du code des marchés publics dans la mesure où le rapport d’analyse des offres n’évoque aucunement le caractère prétendument inacceptable de l’offre de la société SMA et où, en tout état de cause, elle a inscrit la somme de 2 500 000 euros TTC à son budget pour l’exécution de son budget et où l’appréciation de la capacité du pouvoir adjudicateur à financer le marché s’apprécie avant la passation dudit marché ;

 – ainsi encore que l’a jugé la Cour, l’offre de la société Valéor n’était pas irrégulière, le centre de tri du Muy n’étant pas saturé dès lors que le décret n° 2010-369 du 13 avril 2020 a supprimé les tonnages annuels selon leur provenance pour les remplacer par un volume maximal, 1 000m3 à un instant donné sur l’installation en fonction de la nature des déchets ; et si la Cour venait à considérer que l’ancienne règlementation issue de l’arrêté du 8 avril 2005 était applicable à la procédure litigieuse, celle-ci l’autorisait à trier par an 30 000 tonnes d’ordures ménagères et autres résidus urbains (rubrique 322-A) et 20 000 tonnes de déchets industriels (rubrique 167-A) sans qu’il soit possible d’opérer une distinction entre les déchets urbains et les déchets industriels ;

 – le site du Muy est en conformité avec la réglementation ICPE ;

 – les sous-critères de sélection des offres n’ont pas été pondérés en méconnaissance de l’article 53 III du code des marchés publics ;

 – le sous-critère tiré de la « conformité administrative du centre de tri utilisé » ne pouvait être légalement mis en oeuvre.

Par ordonnance du 23 juin 2020, la clôture de l’instruction a été fixée au 10 juillet 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code général des collectivités territoriales ;

 – le code des marchés publics ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme E… F…, rapporteure,

 – les conclusions de M. B… Thielé, rapporteur public,

 – et les observations de Me A…, représentant le syndicat mixte du développement durable de l’Est Var pour le traitement et la valorisation des déchets ménagers et de Me C…, représentant la société Valéor.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d’un avis publié le 9 avril 2013 au journal officiel de l’Union européenne concernant le lancement par le SMIDDEV d’une procédure d’appel d’offres ouvert relatif à la passation d’un marché public de « tri-conditionnement de matériaux de collectes sélectives », les sociétés Ehol et SMA ont présenté leurs candidatures en vue de l’attribution de ce marché. Par un courrier du 14 juin 2013, le SMIDDEV a notifié à la société SMA le rejet de son offre et a conclu le marché avec la société Ehol le 25 juillet suivant. A la demande de la société SMA, aux droits de laquelle vient la société Valéor, candidate évincée, le tribunal administratif de Toulon a, par un jugement avant dire-droit du 31 mai 2016, annulé ce marché et, après avoir estimé que cette société avait perdu une chance sérieuse d’obtenir le marché et rejeté une partie de ses conclusions indemnitaires, diligenté une expertise avant de statuer sur le surplus de celles-ci. Par un arrêt du 30 mars 2018, la cour administrative de Marseille a rejeté l’appel qu’il avait formé contre ce jugement et, sur pourvoi du SMIDDEV, le Conseil d’Etat a, par une décision n° 421022 du 4 octobre 2019, annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D’une part, les premiers juges ont jugé que la réalité du préjudice financier subi par la société Valéor, au titre de son éviction irrégulière de la procédure d’attribution du marché en litige, était établie du seul fait qu’elle présentait des chances sérieuses de se le voir attribuer, n’eussent été les vices entachant cette procédure. D’autre part, ils se sont estimés, à bon droit, insuffisamment informés par les éléments figurant au dossier pour quantifier ce préjudice, dès lors que le taux de marge bénéficiaire avancé par la société, supérieur à 20 %, était sérieusement contesté par le SMIDDEV. Dans ces conditions, ce dernier n’est pas fondé à soutenir que l’expertise comptable ordonnée par le tribunal administratif, seule à même de lui permettre de déterminer avec une certitude suffisante le taux de cette marge, présente un caractère frustratoire. Ainsi, le moyen tiré de l’irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

S’agissant des conclusions à fin d’annulation du marché :

En ce qui concerne la régularité de la procédure de passation du marché :

3. En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article 35 du code des marchés publics applicable au litige : « (…) Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché après évaluation du besoin à satisfaire ne permettent pas au pouvoir adjudicateur de la financer. (…) ». D’autre part, l’article 53 du même code également applicable prévoit que : « (…) III.- Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. L’offre la mieux classée est retenue. (…). ».

4. Il ressort des énonciations du jugement dont il est relevé appel qu’après avoir cité les dispositions de l’article 53 du code des marchés publics qui prévoient qu’une offre irrégulière est éliminée puis celles de l’article 35 du même code qui donnent une définition de l’offre irrégulière, le tribunal s’est fondé sur les dispositions de l’article 6.2 du règlement de consultation pour retenir que l’offre de la société Ehol, attributaire du marché en litige, présentait un caractère incomplet et aurait donc dû être éliminée, au motif que le dossier déposé avant la date limite de remise des offres fixée au 31 mai 2013 à 16 heures, ne comportait ni l’agrément préfectoral pour le traitement des déchets d’emballage non ménagers, ni l’autorisation de la collectivité en cas de délégation de service public ou de marché de prestations de service pour l’exploitation du site, en l’occurrence celle du syndicat intercommunal de traitement des déchets du secteur Cannes-Grasse (S.I.V.A.D.E.S.), maître d’ouvrage du site qu’elle exploitait, ces pièces ayant seulement été produites par un courrier daté du 7 juin 2013 postérieurement à cette date limite, à la demande du pouvoir adjudicateur présentée par voie électronique le 6 juin précédent. Toutefois, ces pièces étaient citées dans l’article 6.2 du règlement de consultation comme devant être mentionnées dans le « mémoire de justificatif », mais n’apparaissaient pas parmi la liste des pièces expressément citées à l’article 6.1 de ce règlement comme devant être obligatoirement jointes à l’offre. Ainsi en demandant à la société Ehol, qui avait mentionné cet agrément dans son « mémoire de justificatif » ainsi que « l’autorisation de la collectivité en cas de délégation de service public ou de marché de prestations de service pour l’exploitation du site » de produire ces documents postérieurement à la date limite de remise des offres, le pouvoir adjudicateur s’est borné à faire application des dispositions du règlement de consultation, sans permettre à la société Ehol de régulariser une offre incomplète ni de modifier la teneur de celle-ci et sans favoriser cette société au détriment de l’autre candidat. Par suite, le SMIDDEV est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal a estimé que l’offre de la société Ehol présentait un caractère incomplet au regard du règlement de consultation.

5. En deuxième lieu, selon l’article 59 du code des marchés publics : « I. – Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre. (…). ». Ces dispositions interdisent au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier lui-même une offre irrégulière. Si le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’inviter un candidat à préciser ou à compléter une offre irrégulière, il peut toutefois demander à un candidat des précisions sur son offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l’inviter à rectifier ou à compléter cette offre sans que le candidat puisse alors en modifier la teneur, sauf dans le cas exceptionnel où il s’agit de rectifier une erreur purement matérielle, d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.

6. D’une part, en vertu de l’article II.3 de l’avis d’appel public à la concurrence du 9 avril 2013, de l’article 4 du règlement de la consultation et de l’article 3 de l’acte d’engagement, le marché litigieux devait être conclu pour une durée initiale de trois années, reconductible pour une durée d’un an au maximum, à compter de sa notification à son attributaire. Si le mémoire technique produit par la société Ehol accompagnant son offre indiquait que la société disposait de deux centres de tri de collecte sélective « de capacité importante », l’un situé à Cannes, l’autre au Broc dans le département des Alpes-Maritimes, outre un centre de valorisation des déchets inertes et de DIB du bâtiment situé à Fréjus dans le département du Var, la « présentation des sites proposés » qui en était faite ne faisait cependant référence qu’à la seule utilisation du site de Cannes comme unité de tri, celle du site du Broc n’étant prévue que « temporairement » afin de permettre la « continuité du service public » en cas de « besoin prolongé » consécutif à une panne du site principal situé à Cannes. Or, il résulte des stipulations du marché conclu le 26 mars 2008 entre le Syndicat mixte de coopération intercommunale pour la valorisation des déchets du secteur Cannes-Grasse (SIVADES) et la société Valco NE SAS, à laquelle ont succédé la société SMA puis la société Ehol, que la société SMA était autorisée, en vertu de ce marché, à exploiter le site cannois de tri de collectes sélectives seulement jusqu’au 31 mars 2016 au plus tard. Elle n’était ainsi pas en mesure d’exploiter ce site cannois jusqu’au 31 août 2016, date du terme du marché en litige. Est sans incidence, à cet égard, le courrier par lequel le président du SIVADES certifie n’avoir « aucune opposition de principe à ce que le centre de tri accueille le gisement du SMIDDEV durant la période de validité » du marché en litige, au demeurant non daté, dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’il figurait parmi les pièces du dossier remis par la société Ehol avant la date limite de remise des offres. Par suite, contrairement à ce que soutient le SMIDDEV, l’offre initiale de la société Ehol ne lui permettait pas d’assurer l’exécution du marché en litige jusqu’à son terme et était irrégulière au regard des dispositions citées au point 3 de l’article 35 du code des marchés publics.

7. D’autre part, en réponse à un courrier électronique du SMIDDEV qui lui a été adressé le 6 juin 2013, la société Ehol a notamment indiqué, le lendemain, qu’elle entendait exploiter à plein temps son site secondaire de collectes sélectives du Broc, postérieurement au 31 mars 2016, terme du marché conclu avec la SIVADES. Ce faisant et compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, elle doit être regardée comme ayant modifié, à l’invitation du pouvoir adjudicateur, la teneur de son offre en méconnaissance des dispositions citées aux points 3 et 5 des articles 53 III et 59 I du code des marchés publics. Dès lors, contrairement à ce que soutient le SMIDDEV, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu l’irrégularité de la consultation menée sur ce point.

En ce qui concerne les conséquences des vices constatés :

8. Il appartient au juge du contrat, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.

9. Les vices tirés de l’irrégularité de l’offre présentée par la société Ehol ainsi que de la méconnaissance du principe d’intangibilité de l’offre par cette dernière n’ont pas pour effet de conférer au contrat litigieux un contenu illicite ni de l’affecter d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une gravité telle que le juge devrait la relever d’office, dans la mesure où ces vices ne révèlent pas, en l’état de l’instruction, une volonté de la personne publique de favoriser un candidat quand bien même, en leur absence, le marché eût été attribué à l’entreprise Valéor. Par suite, et contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, ces irrégularités entachant la procédure de passation ne sont pas susceptibles d’entraîner l’annulation du contrat.

10. Par ailleurs, d’une part, à supposer même avérée la méconnaissance des dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales, le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. Par suite, la société Valéor ne peut utilement soutenir que le marché en litige encourt l’annulation en raison de la violation du droit à l’information des membres du comité syndical préalablement à l’adoption de la délibération autorisant la signature du marché en litige.

11. D’autre part, s’agissant de l’absence de pondération, des sous-critères de sélection des offres, l’article 53 du code dts marchés publics, applicable à la date de passation du marché litigieux dispose que : " I. – Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : / 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l’environnement, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture, les performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d’utilisation, les coûts tout au long du cycle de vie, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d’exécution, la sécurité d’approvisionnement, l’interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles. D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché ; / (…) / II Pour les marchés passés selon une procédure formalisée autre que le concours et lorsque plusieurs critères sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération. / (…) / Les critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation sont indiqués dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. / (…). ". Ces dispositions imposent au pouvoir adjudicateur d’informer les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation. Si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Toutefois, et dès lors qu’il résulte de l’instruction que le SMIDDEV n’a entendu ni pondérer, ni hiérarchiser les quatre sous-critères composant le critère valeur technique pondéré pour 50 %, la société Valéor n’est pas fondée à soutenir que les règles de publicité et de mise en concurrence ont été, pour ce motif, méconnues.

12. Enfin, en ce qui concerne l’irrégularité alléguée du sous-critère relatif à « la conformité administrative du centre de tri utilisé », il ressort du rapport d’analyse des offres que les offres présentées par chacune des deux candidates, les sociétés SMA et Ehol, ont été regardées comme conformes. Par suite, cette prétendue irrégularité, qui n’a entrainé aucune conséquence sur le choix de l’entreprise n’a, en tout état de cause, pas pour effet de conférer au contrat litigieux un contenu illicite ni de l’affecter d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une gravité telle que le juge devrait la relever d’office dans la mesure où ces vices ne révèlent pas, en l’état de l’instruction, une volonté de la personne publique de favoriser un candidat.

13. Il résulte de ce qui précède que le SMIDDEV est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Toulon a, par l’article 1er du jugement dont il relève appel, annulé le marché qu’il a conclu le 25 juillet 2013 avec la société Ehol.

S’agissant des conclusions indemnitaires :

14. Lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter ce marché. Dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit, en principe, au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché. Dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique.

15. Le SMIDDEV soutient que la société SMA n’avait pas de chance sérieuse de se voir attribuer le marché dès lors que son offre était inacceptable et irrégulière. Dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, en vertu des dispositions du III de l’article 53 du code des marchés publics citées au point 3, selon lesquelles les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées, le pouvoir adjudicateur est tenu d’écarter sans l’examiner ni la classer l’offre qui est inappropriée, irrégulière ou inacceptable et ne peut, en conséquence, inviter un candidat à la régulariser. Alors même qu’il aurait procédé à son examen et à son classement, le pouvoir adjudicateur peut se prévaloir, au stade de l’examen des indemnités à accorder le cas échéant à un candidat évincé, du caractère inapproprié, irrégulier ou inacceptable de l’offre présentée pour soutenir, devant le juge du contrat, y compris pour la première fois en appel, que ce candidat n’avait aucune chance d’obtenir le contrat.

16. D’une part, il résulte de l’instruction que le SMIDDEV, avant le lancement de la procédure d’attribution du marché de collecte sélective en cause en avril 2013, avait inscrit en 2012 à son budget pour l’exercice 2013, sous le compte 6112, une somme de 2 500 000 euros affectée aux prestations de tri assurées pour son compte au titre de cet exercice. Le montant des crédits budgétaires alloués par le syndicat au financement de ce marché doit, ainsi, être regardé comme fixé à la somme de 2 500 000 euros. Si les pièces comptables du dossier, notamment un extrait du Grand Livre et les deux mandats de paiement en date des 16 et 18 janvier 2013, établissent le règlement par le SMIDDEV au cours du mois de janvier 2013 au profit de la « Société Groupe Pizzorno » d’une somme totale de 389 131,66 euros, imputée sur le même compte 6112, au titre de prestations réalisées par cette dernière en novembre et décembre 2012, elles ne suffisent pas, en revanche, à établir le rattachement comptable de ces dépenses à l’exercice 2013. Par suite, les crédits budgétaires alloués au marché par le SMIDDEV, en l’occurrence 2 500 000 euros, lui permettaient de financer l’offre de la société SMA d’un montant de 2 355 043,25 euros TTC. Dans ces conditions, le syndicat n’est pas fondé à soutenir que l’offre de la SMA était inacceptable au sens des dispositions précitées de l’article 35 du code des marchés publics.

17. D’autre part, contrairement à ce que soutient le SMIDDEV, il ne résulte pas de l’instruction que le centre de tri du Muy, exploité par la société Valéor, aurait été saturé à la date de dépôt de son offre, au regard de la définition des différentes catégories de déchets figurant à la rubrique n° 2714-1 du décret du 13 avril 2010 modifiant la nomenclature des installations classées. Au demeurant, le syndicat ne conteste pas sérieusement l’application de la nomenclature modifiée par ce décret au présent litige, alors notamment que la modification du classement de l’exploitation dont s’agit sous l’empire de ces nouvelles dispositions a été implicitement mais nécessairement actée par les services de l’Etat dès 2011, à l’occasion d’une déclaration d’extension de ses activités de stockage de verre et de bois. Dans ces conditions, le syndicat n’est pas fondé à soutenir que l’offre de cette société était inacceptable pour ne pas permettre à la société d’exécuter sa mission jusqu’au terme du marché en litige.

18. En outre, si le SMIDDEV allègue que le centre de tri du Muy n’aurait pas été en conformité avec les normes environnementales applicables à la même date, les pièces du dossier ne permettent pas de le démontrer. A cet égard, ainsi que le fait valoir la société Valéor, aucun des écarts qui lui avaient été précédemment reprochés n’a, en particulier, été retenu à l’issue de l’inspection dont ce site a fait l’objet le 22 août 2012, postérieurement aux travaux de mise en conformité réalisés par ses soins. Le moyen tiré de ce que son offre aurait été, à ce titre, inacceptable, doit donc être écarté.

19. Par ailleurs, à supposer même que la société Valéor ait été frappée d’une interdiction de soumissionner à partir du 21 octobre 2014, cette circonstance, si elle était de nature à justifier, le cas échéant, la résiliation du marché en litige à la même date, n’était pas de nature à priver cette société de ses chances de se le voir attribuer.

20. Enfin, la société Valéor, seule autre candidate à l’attribution du marché en litige et dont l’offre n’était ni irrégulière, ni inacceptable, présentait des chances sérieuses de se voir attribuer ce marché à l’issue de la consultation. Le SMIDDEV ne peut sérieusement soutenir à cet égard que dans la mesure où le coût total de l’offre de la SMA était supérieur de 37,62 % à celui de l’offre de société Valéor, elle ne l’aurait pas retenue, dès lors qu’il avait alloué un crédit budgétaire de 2 500 000 euros au marché après avoir procédé à sa propre évaluation du besoin à satisfaire. De ce fait, la réalité du préjudice consécutif à la perte de ces chances est établie, compte tenu de ce qui a été dit au point 14.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le SMIDDEV n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont ordonné une expertise en vue d’évaluer le montant contesté du manque à gagner subi par la société Valéor du fait de son éviction de la procédure d’attribution du marché en litige et réservé les moyens et conclusions des parties sur ce point.

Sur les frais liés au litige :

22. Il n’apparait pas inéquitable, dans les circonstances de l’espèce, de laisser à la charge de chacune des parties les frais d’instance qu’elles ont exposés.

D É C I D E :

Article 1er : : L’article 1er du jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1303270 du 31 mai 2016 est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du SMIDDEV est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Valéor sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat mixte du développement durable de l’Est Var pour le traitement et la valorisation des déchets ménagers, à la société Valéor et à la société Ehol.

Délibéré après l’audience du 7 décembre 2020, où siégeaient :

— M. Guy Fédou, président,

 – Mme E… F…, présidente assesseure,

 – M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2020.

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N° 19MA04525

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CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 21 décembre 2020, 19MA04525, Inédit au recueil Lebon