Cour Administrative d'Appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 14 octobre 2010, 09NC01847, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nancy, 3e ch. - formation à 3, 14 oct. 2010, n° 09-01847
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro : 09-01847
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Strasbourg, 13 octobre 2009, N° 0402955
Identifiant Légifrance : CETATEXT000022931479

Sur les parties

Texte intégral

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 14 décembre 2009, présentée pour M. Pascal A, demeurant …, par la SCP Alexandre-Levy-Kahn ; M. A demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0402955 en date du 14 octobre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à condamner l’Etat à lui verser la somme de 155 959 euros en réparation du préjudice subi du fait des hausses du prix du tabac ;

2°) de condamner l’Etat à lui payer une somme de 155 959 euros avec intérêts à compter du 1er janvier 2005, en réservant ses droits de conclure sur son préjudice postérieur au 1er janvier 2006 ;

3°) d’ordonner si besoin est une expertise comptable ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

— les hausses successives des taxes sur la vente de tabac lui créent un préjudice d’autant plus important que, son débit de tabac étant situé en zone frontalière, les clients pouvaient s’approvisionner dans les pays limitrophes ;

— son préjudice résulte de la rupture de l’égalité devant les charges publiques dont il est victime, qui engage la responsabilité sans faute de l’Etat du fait des lois ;

— son préjudice, qui a un caractère anormal, doit être évalué à la somme de 155 959 euros, dont 44 890 euros de perte de marge commerciale et 111 069 euros de perte de valeur de son fonds de commerce ;

— la perte de chiffre d’affaires des débitants de tabac situés en zone frontalière ne peut être compensée par le dispositif d’indemnisation compensatoire mis en place par l’Etat, limité à 90 % des commissions au titre de l’année 2002 ;

— aucun objectif de santé publique ne peut être invoqué pour justifier l’augmentation du prix du tabac ;

— la responsabilité de l’Etat est engagée dès lors qu’il existe ainsi un fait dommageable, un préjudice et un lien de causalité entre le dommage et le préjudice ;

— il est également fondé à invoquer la méconnaissance de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— il est également fondé à invoquer le non-respect de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que le jugement n’a pas été rendu dans un délai raisonnable ;

— si l’Etat voulait prendre des mesures dans un but d’intérêt général de lutte contre le tabagisme, la seule mesure qu’il pouvait prendre sans entraîner une rupture de l’égalité devant les charges publiques aurait consisté à interdire la vente de tabac ;

— c’est à tort que les premiers juges ont estimé que les débitants de tabac étaient des préposés de l’Etat ;

— dès lors qu’il a été acculé à la ruine, c’est à tort que le tribunal a considéré que l’augmentation du prix du tabac n’excédait pas les aléas prévisibles et inhérents à cette activité ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2010, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat ; le ministre conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que les moyens énoncés par le requérant ne sont pas fondés ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 20 juillet 2010, présenté pour M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête et à ce que l’indemnité à lui verser soit portée à la somme de 820 896 euros ;

Il soutient en outre que :

— son préjudice s’élevait au 31 décembre 2005 à la somme de 310 624 euros, dont 108 649 euros de perte de marge commerciale et 201 975 euros de perte de valeur de fonds de commerce ;

— son préjudice à compter du 1er janvier 2006 s’élève à 510 272 euros ;

Vu l’ordonnance du président de la 3e chambre de la Cour, fixant la clôture de l’instruction au 22 juillet 2010 à 16 heures ;

Vu le mémoire, enregistré le 26 juillet 2010, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 août 2010, présenté pour M. A ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les protocoles y annexés ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 septembre 2010 :

— le rapport de M. Vincent, président de chambre,

— les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

— et les observations de Me Bloch, pour la SCP Alexandre-Levy-Kahn, avocat de M. A ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne le moyen tiré de la rupture de l’égalité devant les charges publiques :

Considérant, lorsqu’une décision légalement prise est susceptible de compromettre ou de restreindre l’exercice d’une activité économique, la responsabilité de l’administration ne peut être engagée sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques que si le dommage subi de ce fait excède les aléas que comporte nécessairement l’exercice de toute exploitation économique et s’il revêt un caractère grave et spécial ;

Considérant qu’aux termes de l’article 565 du code général des impôts : … La vente au détail des tabacs manufacturés est réservée à l’Etat…  ; qu’aux termes de l’article 568 du même code : Le monopole de vente au détail est confié à l’administration, qui l’exerce… par l’intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés et tenus à droit de licence au-delà d’un seuil de chiffre d’affaires réalisé sur les ventes de tabacs manufacturés…  ; qu’aux termes de l’article 284 de l’annexe II audit code : Les fabricants et les fournisseurs agréés communiquent leur prix de vente au détail des tabacs manufacturés, pour chacun de leurs produits, à la direction générale des douanes et droits indirects. Les prix sont homologués par arrêté du ministre chargé du budget et publiés au Journal officiel de la République française  ;

Considérant que M. A, titulaire jusqu’au 31 janvier 2005 d’un traité de gérance de débit de tabac avec fonds de commerce annexé situé à Behren-lès-Forbach (Moselle), recherche la responsabilité de l’Etat à raison du préjudice subi du fait de la réduction du chiffre d’affaires de vente de tabac, qu’il impute aux hausses des prix de vente fixés par l’Etat à compter du 1er octobre 2003, puis du 1er janvier 2004 ;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées que les débitants de tabac sont tenus d’appliquer les prix de vente des produits de tabac homologués par l’Etat, qui sont par aillerus identiques sur l’ensemble du territoire national en vertu de l’article 572 du code général des impôts ; que l’application de hausses du prix du tabac s’inscrit ainsi dans le cadre des conditions normales de l’exercice de l’activité d’un débitant de tabac, et ce quelque soit le lieu où il exploite ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que si le requérant fait valoir que les débitants situés en zone frontalière auraient été plus particulièrement pénalisés par la hausse des prix des tabacs en tant que la clientèle française a pu y échapper en s’approvisionnant désormais dans les pays limitrophes, le dommage ainsi subi ne saurait être regardé comme excédant les aléas que comporte l’activité de débitant de tabac pour le compte de l’Etat ; que la circonstance que l’Etat a mis en place un régime d’indemnisation partielle de la perte de chiffre d’affaires susceptible d’être induite par l’augmentation des taxes sur la vente de produits à base de tabac ne saurait valoir reconnaissance par l’Etat de sa responsabilité du fait des hausses de prix qui en résultent ; qu’ainsi, le moyen susénoncé doit être écarté ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

Considérant qu’aux termes dudit article : Toute personne physique a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.  ;

Considérant qu’eu égard à l’objectif de santé publique poursuivi par les mesures litigieuses, celles-ci, consistant en hausses du prix de vente des tabacs, estimées par le requérant à 20 % à compter du 1er octobre 2003 et 10 % à compter du 1er janvier 2004, ne sauraient en l’espèce être regardées comme ayant imposé une charge disproportionnée rompant le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et le respect de ses biens ; qu’ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à condamner l’Etat à lui verser une somme de 155 959 euros en réparation du préjudice subi ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du droit au procès équitable :

Considérant que si le requérant fait valoir que les premiers juges auraient méconnu le droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour n’avoir statué sur sa requête que plus de cinq ans après le dépôt de celle-ci alors que les dernières écritures avaient été échangées en mars 2006, il ne se prévaut en tout état de cause d’aucun préjudice spécifique subi de ce chef ; qu’ainsi, le moyen doit être écarté ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Pascal A et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat.

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