Cour administrative d'appel de Paris, 11 février 2016, n° 15PA00752

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 11 févr. 2016, n° 15PA00752
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 15PA00752
Décision précédente : Tribunal administratif de Melun, 15 décembre 2014, N° 1302001/5

Sur les parties

Texte intégral

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

DE PARIS

N° 15PA00752

__________

M. X

__________

Mme Pellissier

Présidente

__________

M. Gouès

Rapporteur

__________

M. Romnicianu

Rapporteur public

__________

Séance du 28 janvier 2016

Lecture du 11 février 2016

__________

C

FT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

La Cour administrative d’appel de Paris

(1re Chambre)

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A E X a demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la garde des sceaux, ministre de la justice sur sa demande d’indemnisation du 15 novembre 2012 et de condamner l’État à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu’il a subi du fait de ses conditions de détention à la prison de Fresnes.

Le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande par un jugement n° 1302001/5 du 16 décembre 2014.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 février 2015, M. X, représenté par Me Dreyfus-Schmidt, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1302001/5 du 16 décembre 2014 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d’annuler la décision implicite de rejet née sur sa demande du 15 novembre 2012 et de condamner l’État à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de ses conditions de détention ;

3°) d’enjoindre à l’État d’effectuer les travaux nécessaires au sein de la maison d’arrêt de Fresnes, sous astreinte de 1 000 euros par mois de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— la décision implicite de rejet n’a pas été motivée malgré une demande en ce sens ; le garde des sceaux a méconnu les articles 1, 3 et 5 de la loi du 11 juillet 1979 ;

— il a été détenu dans des conditions contraires à la dignité et l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été méconnu en raison d’une aération insuffisante des cellules et des toilettes, de l’absence de cloisonnement de celles-ci, de l’insuffisance du chauffage, de l’absence d’eau chaude, d’un équipement électrique vétuste et dangereux, de l’impossibilité de réchauffer les aliments ;

— les cellules qu’il a occupées ne répondent pas aux normes d’hygiène et de salubrité définies par l’article L. 1311 et suivants du code de la santé publique et le règlement sanitaire départemental ;

— l’absence de cloisonnement total entre les toilettes et le reste de la cellule et d’occlusion de la cuvette méconnaissent la recommandation n° R. 87 du comité des ministres des Etats membres et les articles 45 b) et 46 du règlement sanitaire départemental du Val-de-Marne ;

— l’absence d’un système de chauffe sécuritaire des aliments en cellule méconnait l’article 8 de la convention européenne précitée et la recommandation n° R. 87 du comité des ministres des Etats membres, ainsi que l’article 152 du règlement départemental précité ;

— sa détention depuis le 29 mai 2010 dans des conditions attentatoires à sa dignité crée un préjudice moral estimé à 10 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 novembre 2015, le ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

— le règlement sanitaire départemental ne s’applique pas aux établissements pénitentiaires ;

— la sécurité des détenus exige que les toilettes ne soient pas cloisonnées jusqu’au plafond et qu’il n’y ait pas de sas entre les toilettes et le reste de la cellule ; M. X, seul dans sa cellule, ne peut se plaindre du manque d’intimité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la recommandation n° R. 87 du comité des ministres des Etats membres du Conseil de l’Europe du 12 février 1987 sur les règles pénitentiaires européennes ;

— le code de procédure pénale ;

— le code de la santé publique ;

— la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

— le règlement sanitaire départemental du Val-de-Marne ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 28 janvier 2016 :

— le rapport de M. Gouès,

— les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.

Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision implicite de rejet de la demande d’indemnisation :

1. Considérant que la décision implicite de rejet contestée a eu pour seul effet de lier le contentieux à l’égard de l’objet de la demande de M. X qui, en formulant des conclusions à fin de condamnation de l’État à l’indemniser du préjudice subi, a donné à l’ensemble de sa requête le caractère d’un recours de plein contentieux ; qu’au regard de l’objet d’une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l’intéressé à percevoir la somme qu’il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige ; que, les conclusions à fin d’annulation de cette décision doivent être rejetées ;

Sur les conclusions aux fins d’indemnisation :

2. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; qu’aux termes de l’article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de

ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue » ;

3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d’exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; qu’en raison de la situation d’entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, l’appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu’impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l’intérêt des victimes ; que des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l’aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 à D. 351, révèleraient l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ;

4. Considérant que M. X, qui ne fait pas état d’une situation de vulnérabilité particulière, fait valoir que ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Fresnes depuis le 29 mai 2010 sont attentatoires à la dignité de la personne humaine ;

5. Considérant, en premier lieu, que M. X soutient que l’ensemble des cellules ordinaires de la maison d’arrêt de Fresnes sont insuffisamment ventilées et comportent des toilettes non intégralement cloisonnées, ne bénéficiant pas de ventilation propre, dépourvues de système d’occlusion des WC et s’ouvrant sur le lieu où se prennent les repas contrairement aux règles sanitaires applicables ;

6. Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise établi par M. Y le 14 janvier 2011, que l’aération des cellules normalisées de la prison de Fresnes, obtenue par l’ouverture de fenêtres de deux à quatre vantaux, est satisfaisante eu égard à leur volume et à leur taux d’occupation ;

7. Considérant, d’autre part, que ce rapport ne constate pas que le cloisonnement des toilettes, qui est complet selon l’administration, serait attentatoire à la dignité de la personne humaine ou porterait atteinte à l’intimité des détenus ; qu’eu égard en particulier au fait qu’il a constamment bénéficié, depuis mai 2010, d’un encellulement individuel, M. X n’apporte aucun élément au soutien de son allégation selon laquelle il n’aurait pu, en méconnaissance du point 17 de la recommandation n° R. 87 du conseil des ministres de l’Europe, satisfaire à ses besoins naturels dans des conditions de décence et de propreté ;

8. Considérant, enfin, que si l’expert a relevé que les cabines de toilette étaient à Fresnes directement ventilées sur l’espace des cellules en méconnaissance des règles se rapportant à l’hygiène et à la santé en matière de logement des personnes et que l’absence de ventilation mécanique aggravait les phénomènes de condensation et d’humidité à l’intérieur des cellules, il ne résulte pas de l’instruction que M. X, qui a toujours occupé seul une cellule, aurait souffert d’une aération insuffisante ou de tels phénomènes de condensation ; que s’il fait valoir que le cabinet d’aisances s’ouvrait directement sur la cellule et ne bénéficiait pas de système d’occlusion en méconnaissance des articles 45 et 46 du règlement sanitaire départemental, il est constant que ce règlement ne proscrit pas dans les logements d’une ou deux pièces toute communication directe entre le cabinet d’aisance et la pièce où se prennent les repas ; qu’ainsi et en tout état de cause, le requérant n’est pas fondé à soutenir qu’il aurait été détenu dans des conditions susceptibles de nuire à sa santé ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que si M. X fait valoir qu’il appartient à l’administration pénitentiaire de fournir aux personnes détenues une nourriture convenablement préparée et présentée, répondant du point de vue de la qualité et de la quantité aux règles de diététique et d’hygiène parmi lesquelles celles de l’article 152 du règlement sanitaire départemental, il résulte de ses écritures mêmes que deux repas chauds, ainsi que les éléments nécessaires à la préparation du petit déjeuner, sont distribués par jour en cellule, et qu’il ne critique pas la suffisance de cette alimentation ; que s’il reproche à l’administration de la prison de Fresnes de n’avoir pas mis à sa disposition des appareils permettant de réchauffer dans des conditions satisfaisants dans sa cellule les aliments qu’il acquiert, il ne résulte pas de l’instruction que l’absence de tels matériels porterait une atteinte disproportionnée à son droit à sa vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou serait de nature à constituer un risque pour son intégrité physique ;

10. Considérant, en troisième et dernier lieu, que si l’expert a relevé la présence dans certaines cellules d’équipements électriques non conformes aux normes, un chauffage peu performant ou l’absence d’eau chaude, M. X n’apporte aucun élément permettant de conclure qu’il aurait de ce fait subi des conditions de détention inhumaines ou dégradantes ;

11. Considérant, par suite, qu’il ne résulte pas de l’instruction que M. X ait été placé dans des conditions de détention pouvant être considérées comme excédant le seuil d’atteinte à la dignité humaine et justifiant la mise en œuvre de la responsabilité de l’État pour l’indemnisation du préjudice moral qu’il allègue ; qu’ainsi il n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement litigieux, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que sa requête ne peut, y compris ses conclusions à fin d’injonction et de condamnation de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, qu’être rejetée ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. X est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A B X et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l’audience du 28 janvier 2016, où siégeaient :

— Mme Pellissier, présidente de chambre,

— M. Gouès, premier conseiller,

— Mme Amat, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 février 2016.

Le rapporteur, Le président,

S. GOUES S. PELLISSIER

Le greffier,

E. CLEMENT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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