CAA de PARIS, 6ème chambre, 27 septembre 2016, 13PA02563, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 6e ch., 27 sept. 2016, n° 13PA02563
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 13PA02563
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 6 mai 2013, N° 1112197, 1112213
Identifiant Légifrance : CETATEXT000033190900

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Confédération nationale du Crédit Mutuel a demandé au Tribunal administratif de Paris, d’une part, d’annuler la décision du 21 décembre 2010 par laquelle le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire a demandé à l’Agence de services et de paiement (ASP) de mettre en oeuvre des régularisations en matière de prêts bonifiés à l’agriculture ainsi que la décision rejetant implicitement le recours gracieux formé contre cette décision et de condamner l’Etat à lui verser la somme de 9 918 087,92 euros, ou subsidiairement une somme inférieure, au titre des bonifications restant dues pour les années 2000 à 2003, d’autre part d’annuler la décision de l’Agence de services et de paiement (ASP) du 5 janvier 2011 ainsi que l’ordre de recouvrement émis par celle-ci le 6 janvier 2011 et de condamner l’Agence de services et de paiement à lui verser la même somme.

Par un jugement n°s 1112197, 1112213 du 7 mai 2013, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 juillet 2013, 29 août 2013 et 27 août 2014, la Confédération nationale du Crédit Mutuel, représentée par Me B…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement n°s 1112197, 1112213 du Tribunal administratif de Paris du 7 mai 2013 ;

2°) d’annuler la décision du 21 décembre 2010 par laquelle le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire a demandé à l’Agence de services et de paiement (ASP) de mettre en oeuvre des régularisations en matière de prêts bonifiés à l’agriculture ainsi que la décision rejetant implicitement le recours gracieux formé contre cette décision et de condamner l’Etat à lui verser la somme de 9 918 087,92 euros, ou subsidiairement une somme inférieure, au titre des bonifications restant dues pour les années 2000 à 2003 ;

3°) d’annuler la décision de l’Agence de services et de paiement (ASP) du 5 janvier 2011 ainsi que l’ordre de reversement émis par celle-ci le 6 janvier 2011 et de condamner l’Agence de services et de paiement à lui verser la même somme, ainsi que la décision du 9 mai 2011 qui les confirme ;

4°) d’enjoindre au ministre chargé de l’agriculture de prendre toutes mesures utiles pour mettre fin aux effets de la décision de l’Agence de services et de paiement du 5 janvier 2011 et de l’ordre de reversement émis par celle-ci le 6 janvier 2011 ;

5°) d’enjoindre à l’Agence de services et de paiement de lui verser, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt, et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, la somme de 3 772 389, 08 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

6°) de mettre à la charge de l’Etat et de l’Agence de services et de paiement le versement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de ce que l’ASP était incompétente pour émettre les titres en litige à la demande du ministre en raison de l’absence de mandat conféré à l’ASP pour recouvrer des créances de l’Etat au nom et pour le compte de celui-ci ;

 – c’est à tort que le tribunal a estimé que l’Etat était lié au crédit mutuel par des relations contractuelles ; les conventions conclues avec l’Etat ne correspondent pas à de véritables contrats ; elles doivent être requalifiées en actes unilatéraux ;

 – le CNASEA n’était pas compétent pour procéder aux audits qui ont conduit à l’émission des titres en litige ;

 – l’ASP n’était pas compétente pour émettre les titres à la demande du ministre ;

 – aucune compensation ne pouvait être effectuée entre le solde de bonification dû par l’Etat au Crédit mutuel et la somme des réfactions réclamée par l’ASP ;

 – les réfactions constituent en réalité des sanctions administratives, lesquelles sont illégales ; en effet, elles ne s’appliquent pas aux réels bénéficiaires des bonifications et sont disproportionnées par rapport au manquement constaté ; elles sont amnistiées en vertu de l’article 11 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ; les nouvelles modalités de calcul des réfactions retenues par un avenant à la convention conclue pour la période du 1er mai 2003 au 31 décembre 2006 doivent être prises en compte, en vertu du principe de rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus douce ;

 – dans l’hypothèse où la Cour regarderait les réfactions comme des sanctions contractuelles, ces pénalités, manifestement excessives, devraient être réduites.

Des mémoires en défense, enregistrés le 8 novembre 2013 et le 26 juillet 2016, ont été présentés par l’Agence de services et de paiement, représentée par Me A…, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la Confédération nationale du crédit mutuel au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— la Confédération nationale du crédit mutuel ne justifie pas d’une qualité lui donnant intérêt pour agir ;

 – les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.

Des mémoires en défense, enregistrés le 8 septembre 2014 et le 8 août 2016 ont été présentés par le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, qui conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 26 juillet 2016, la clôture de l’instruction a été fixée au 23 août 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code civil ;

 – le code rural et de la pêche maritime ;

 – la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;

 – le décret n°62-1587 du 29 décembre 1962 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Petit,

 – les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,

 – les observations de Me B…, pour la Confédération nationale du Crédit Mutuel,

 – et les observations de Me A…, pour l’Agence de services et de paiement.

1. Considérant que par différentes conventions passées entre 2000 et 2006, l’Etat a confié à plusieurs établissements bancaires, dont le réseau du Crédit mutuel, la distribution de prêts bonifiés à l’agriculture, ces prêts se traduisant par la prise en charge, par l’Etat et l’Union européenne, sur factures présentées par les établissements bancaires, de la différence entre le taux servi et le taux du marché ; que ces conventions ont prévu la réfaction des sommes facturées à tort et ont défini les modalités de contrôle, par le Centre national d’aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA), des factures de bonification ; qu’à la suite d’un audit réalisé entre 2005 et 2008, le CNASEA a constaté différentes anomalies sur les opérations intervenues au titre des années 2000 à 2003 ; que, le 21 décembre 2010, le ministre chargé de l’agriculture a demandé à l’Agence de services et de paiement (ASP), venue aux droits du CNASEA, de mettre en oeuvre les « régularisations » préconisées par ce rapport d’audit, pour les années 2000 à 2003 ; que l’ASP a alors décidé, le 5 janvier 2011, d’opérer des « réfactions » d’un montant de 13 690 477 euros ; qu’elle a émis, en conséquence, à l’encontre du Crédit mutuel, le 6 janvier 2011, un ordre de reversement d’un montant de 3 772 389, 08 euros, correspondant à la différence entre le montant des réfactions et le solde des bonifications restant dues au Crédit mutuel ; que la Confédération nationale du crédit mutuel a formé, le 5 avril 2011, un recours gracieux auprès du ministre de l’agriculture, qui a été rejeté implicitement ; qu’elle a également formé un recours gracieux auprès de l’ASP, qui a été rejeté expressément par une décision du 9 mai 2011 ; qu’elle a saisi le Tribunal administratif de Paris de deux recours, joints par celui-ci, et tendant à l’annulation de l’ensemble de ces décisions ainsi qu’à la condamnation de l’Etat et de l’ASP à lui verser le montant total du solde des charges de bonification ; que le tribunal administratif a rejeté ces demandes par un jugement du 7 mai 2013 ; que la Confédération nationale du Crédit mutuel fait appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait omis de répondre au moyen tiré de l’incompétence de l’Agence de services et de paiement pour émettre le titre de recouvrement manque en fait ;

Sur la compétence du CNASEA et de l’ASP :

3. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’ article L. 341-1 du code rural, dans sa version applicable au litige : « I. – L’aide financière de l’Etat aux exploitants agricoles prend la forme de subventions, de prêts ou de bonifications d’intérêts, de remises partielles ou totales d’impôts ou de taxes (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 341-3 du même code : « Des prêts bonifiés à moyen terme peuvent être consentis aux exploitants agricoles par les établissements de crédit qui ont passé, à cet effet, une convention avec le ministre de l’agriculture et le ministre chargé de l’économie (…) » ; que, d’autre part, l’article L. 313-3 du code rural a prévu qu’un établissement public national, en l’espèce le CNASEA, a pour objet de mettre en oeuvre les mesures d’aide et les actions d’accompagnement concourant à l’aménagement et à la modernisation des structures des exploitations agricoles ; qu’aux termes de l’article R. 313-14 du même code, dans sa version alors applicable : « Les missions confiées au CNASEA en faveur des exploitations agricoles comprennent notamment : / 1° La mise en oeuvre, pour le compte de l’Etat (…) d’actions concourant à l’installation des agriculteurs et à leur formation continue, à la modernisation, à l’extensification, à la diversification, au développement et à la transmission des exploitations agricoles, ainsi qu’à la mobilité géographique, professionnelle et sociale et à la cessation d’activité des exploitants et futurs exploitants./ (…) / Il assure, sous réserve de l’application des dispositions réglementaires prévoyant l’intervention d’autres organismes ou services publics, le paiement des subventions correspondant aux différentes catégories d’aides et le recouvrement des indus. (…) » ; que les dispositions des articles L. 313-3 et R. 313-14 du code rural doivent être interprétées comme conférant au CNASEA compétence, d’une part, pour contrôler les conditions de gestion des prêts bonifiés accordés aux agriculteurs, pour le compte de l’Etat, par les établissements de crédit habilités et, d’autre part, pour mettre en recouvrement les sommes irrégulièrement facturées à l’Etat par ces établissements de crédit ; que, par suite, les moyens tirés de ce qu’aucun texte n’aurait conféré au CNASEA compétence pour contrôler les chaînes de traitement des prêts bonifiés du Crédit mutuel et de ce que cette compétence ne pouvait résulter des conventions conclues entre l’Etat et le Crédit Mutuel, auxquelles le CNASEA n’était pas partie, ne peuvent qu’être écartés ;

4. Considérant, par ailleurs, que selon l’article L. 313-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable à la date de l’ordre de reversement en litige, l’ASP peut « … exécuter les paiements, le recouvrement et l’apurement des indus et exercer toute autre activité nécessaire à la bonne gestion des aides publiques » ; que l’ASP, venant aux droits du CNASEA, était dès lors compétente pour recouvrer la somme en litige ;

Sur la compensation entre les réfactions et le solde des bonifications :

5. Considérant qu’aux termes de l’article 23 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors en vigueur : « Il est fait recette du montant intégral des produits sans contraction entre les recettes et les dépenses » ; que ces dispositions ne concernent que la tenue de la comptabilité de l’ASP ; qu’en effectuant une compensation entre, d’une part, le montant des réfactions et, d’autre part, les sommes restant dues au Crédit mutuel au titre des charges de bonification, l’ASP n’a pas méconnu ces dispositions ;

Sur la légalité des réfactions :

6. Considérant que les conventions passées entre l’Etat et le Crédit mutuel pour la distribution des prêts bonifiés à l’agriculture comportent des stipulations définissant les obligations de l’établissement de crédit, les modalités de contrôle, les obligations d’information de l’Etat envers l’établissement et le mode de rémunération de celui-ci ; que la requérante n’est dès lors pas fondée à soutenir que ces documents ne correspondraient pas à un accord de volonté et qu’ils ne présenteraient en conséquence aucun caractère contractuel ;

7. Considérant que ces conventions définissent les obligations de l’établissement de crédit quant à l’instruction et au suivi des dossiers de prêts, selon une procédure formalisée qui récapitule les « tâches engageant la responsabilité des établissements », parmi lesquelles la constitution et la conservation des dossiers de prêts comportant des pièces justificatives dont la liste est précisée ; que ces conventions prévoient que le contrôle par l’Etat des procédures suivies, effectué par l’intermédiaire du CNASEA, repose sur des audits des procédures de facturation, qui peuvent donner lieu notamment à des réfactions sur la facture de bonification ; qu’elles précisent que le contrôle porte sur un échantillonnage de dossiers, en déterminent la composition, décrivent les éléments sur lesquels porte le contrôle, précisent, pour chaque type d’anomalies, s’il donne lieu à réfaction et fixent le mode de calcul du taux de réfaction, déterminé par extrapolation à l’ensemble des prêts du taux d’erreur constaté sur l’échantillon contrôlé ;

8. Considérant que le mécanisme de réfaction décrit ci-dessus constitue une modalité d’exécution des engagements contractuels acceptés par les parties et ne peut être regardé, nonobstant son caractère forfaitaire qui résulte de l’extrapolation d’un échantillon à l’ensemble des prêts, comme présentant le caractère d’une sanction contractuelle faute de comporter une fonction de réparation du préjudice subi par l’Etat ou de coercition à l’égard de l’établissement de crédit ; que, par suite, les moyens tirés de ce que les mesures de réfaction bénéficieraient pour partie de l’amnistie prévue, s’agissant des sanctions disciplinaires et professionnelles, par l’article 11 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002, de ce que les nouvelles modalités de calcul des réfactions retenues par un avenant à la convention conclue pour la période du 1er mai 2003 au 31 décembre 2006 devraient être prises en compte, en vertu du principe de rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus douce, enfin de ce que le montant total des réfactions, rapporté au montant total de prêts, serait manifestement excessif ou disproportionné et méconnaîtrait les principes dont s’inspire l’article 1152 du code civil, sont inopérants et ne peuvent qu’être écartés ;

9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l’ASP, la confédération nationale du Crédit mutuel n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses demandes ; que le présent arrêt n’implique dès lors le prononcé d’aucune mesure d’injonction ; que les conclusions présentées par la requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent également, en conséquence, qu’être rejetées ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la requérante le versement à l’ASP de la somme de 2 000 euros au titre des mêmes dispositions ;

DÉCIDE

Article 1er : La requête de la Confédération nationale du crédit mutuel est rejetée.

Article 2 : La Confédération nationale du crédit mutuel versera à l’Agence de services et de paiement la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Confédération nationale du crédit mutuel, à l’Agence de services et de paiement et au ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Délibéré après l’audience du 13 septembre 2016, à laquelle siégeaient :


- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Petit, premier conseiller,


Lu en audience publique, le 27 septembre 2016.


Le rapporteur,

V. PETIT

Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

A-L. CHICHKOVSKY-PASSUELLO

La République mande et ordonne au ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 13PA02563

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