CAA de PARIS, 8ème chambre, 15 octobre 2020, 19PA02751, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 8e ch., 15 oct. 2020, n° 19PA02751
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 19PA02751
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 13 juin 2019, N° 1717206/6-2
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042429315

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B… C… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision du 9 mai 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de dispense de l’examen professionnel d’huissier de justice, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux, et à ce qu’il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer sa situation dans le délai d’un mois suivant la notification du jugement.

Par un jugement n° 1717206/6-2 du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 août 2019, Mme C…, représentée par Me Carbonnier, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1717206/6-2 du 14 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d’annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 9 mai 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de dispense de l’examen professionnel d’huissier de justice, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

3°) d’enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer sa demande dans le mois suivant la lecture de l’arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— le jugement attaqué a été prononcée au visa des « autres pièces du dossier », sans que soit indiqué la personne qui aurait versé ces pièces au dossier, ni leur teneur, et sans que la possibilité d’en prendre connaissance ait été offerte à la requérante, en violation du principe du contradictoire et de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – le jugement attaqué est entaché d’un défaut de motifs et de réponse à conclusions, le tribunal administratif de Paris ne s’étant pas suffisamment expliqué sur les moyens soulevés par la requérante, en violation des dispositions de l’article L. 9 du code de justice administrative ;

 – dès lors qu’elle avait obtenu tous les diplômes nécessaires pour devenir huissier de justice associée et qu’elle justifiait avoir accompli largement plus de cinq années d’exercice professionnel au sein d’un service juridique d’une entreprise privée, elle démontrait remplir toutes les conditions prévues par le 10° de l’article 2 du décret n° 75-770 du 14 août 1975 pour pouvoir être dispensée de l’examen professionnel ; le garde des sceaux, ministre de la justice, a ainsi entaché sa décision d’une erreur de droit en estimant que « la pratique professionnelle en qualité de clerc assermenté d’une étude d’huissier de justice ne peut pas être assimilée à un temps effectif de pratique professionnelle en qualité de juriste d’entreprise » ;

 – la décision litigieuse méconnaît le principe d’égalité d’une part en ce qu’elle introduit une différence de traitement entre les clercs d’huissier et les clercs de notaire, et, d’autre part, en ce qu’elle introduit une différence de traitement entre les candidats à la dispense de l’examen professionnel d’huissier de justice ;

 – la décision litigieuse est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de la portée de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C… ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

 – l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 modifiée ;

 – le décret n° 75-770 du 14 août 1975 modifié par le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. A…,

 – et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C…, clerc d’huissier, a demandé le 29 novembre 2016 au garde des sceaux, ministre de la justice, de la dispenser de l’examen professionnel d’huissier de justice sur le fondement du 10° de l’article 2 du décret susvisé du 14 août 1975. Par une décision du 9 mai 2017, confirmée par une décision implicite née le 10 septembre 2017 après que la requérante a formé un recours gracieux, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté cette demande en estimant qu’elle ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier de la dispense sollicitée au motif que la Cour de cassation a une interprétation restrictive de la notion de « juriste d’entreprise » (« cette qualité est reconnue à des personnes ayant exercé ou exerçant leurs fonctions dans un service spécialisé et structuré, chargé au sein de cette entreprise de l’étude des problèmes juridiques posés par l’activité de celle-ci »), et « donc qu’au regard de cette définition, la pratique professionnelle en qualité de clerc assermenté d’une étude d’huissier de justice ne peut pas être assimilée à un temps effectif de pratique professionnelle en qualité de juriste d’entreprise », " l’article 2-10° du décret n° 75-770 du 14 août 1975 susvisé [étant] destiné aux personnes qui ne travaillent pas dans la profession d’huissier de justice et ne peut s’appliquer aux personnes qui en sont issues ". Mme C… relève appel du jugement du 14 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’annulation de ces décisions.


Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la circonstance qu’après avoir analysé les moyens soulevés dans les mémoires produits par les parties, les visas du jugement attaqué mentionnent « les autres pièces du dossier », sans détailler le contenu de ces pièces ni indiquer leur provenance, n’est pas constitutif d’une irrégularité et ne contrevient ni au principe des droits de la défense, ni aux stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

3. En second lieu, aux termes de l’article L. 9 du code de justice administrative : « Les jugements sont motivés. ».

4. Il ressort des motifs du jugement attaqué que les premiers juges ont répondu, de manière précise et circonstanciée, aux moyens qui avaient été soulevés par la requérante.

5. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n’est pas entaché d’irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. Aux termes de l’article 1er du décret susvisé du 14 août 1975 : « Nul ne peut être huissier de justice, s’il ne remplit les conditions suivantes : (…) 7° Avoir subi l’examen professionnel prévu au chapitre III, sous réserve des dispenses prévues aux articles 2, 3, 4, 5-2 et 5-3. ». Aux termes de l’article 2 du même décret : « Peuvent être dispensés de l’examen professionnel et de tout ou partie du stage par décision du garde des sceaux, ministre de la justice, prise après avis du bureau de la chambre nationale des huissiers de justice : (…) 10° Les personnes ayant accompli cinq années au moins d’exercice professionnel dans le service juridique ou fiscal d’une entreprise publique ou privée employant au moins trois juristes (…) ». Et aux termes de l’article 5 de ce décret : « Peuvent être dispensées du stage, dans les conditions prévues à l’article 2, les personnes ayant exercé pendant six ans au moins les fonctions de principal clerc d’huissier de justice ou des activités professionnelles comportant des responsabilités équivalentes dans un office d’huissier de justice, dans un organisme statutaire de la profession ou dans un organisme d’enseignement professionnel d’huissier de justice ».

7. En premier lieu, les dispositions précitées du 10° de l’article 2 du décret du 14 août 1975 impliquent que le demandeur ait exercé ses fonctions durant cinq ans au moins au sein d’un service spécialisé d’une entreprise publique ou privée, comprenant au moins trois juristes, chargé d’une activité exclusivement juridique ou fiscale au service de cette entreprise, et non des clients de celle-ci. Par suite, elles ne peuvent être regardées comme s’appliquant aux offices d’huissiers de justice, alors, d’ailleurs, que la situation des clercs d’huissiers de justice exerçant leurs fonctions au sein d’un office d’huissiers de justice fait spécifiquement l’objet des dispositions de l’article 5 du même décret. Il s’en suit qu’en rejetant la demande de dérogation de Mme C…, qui ne se prévalait, au titre de son activité professionnelle, que d’avoir été clerc stagiaire de septembre 2009 à 2011, puis clerc expert de 2011 à 2016, puis principal clerc depuis 2016 au sein du même office d’huissier de justice, le garde des sceaux, ministre de la justice, n’a pas entaché la décision litigieuse d’une erreur de droit.

8. En deuxième lieu, d’une part, comme l’ont à bon droit rappelé les premiers juges, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l’un comme l’autre cas, en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier. Les professions réglementées de notaire et d’huissier de justice étant distinctes, régies par des règles propres à chacune organisant des statuts et des conditions d’accès différents, Mme C… n’est par suite pas fondée à soutenir que la décision litigieuse serait contraire au principe d’égalité au motif que les règles régissant la profession de notaire prévoient, sous certaines conditions de diplômes et d’ancienneté, un accès dérogatoire à cette profession au bénéfice des clercs de notaire ayant acquis une expérience professionnelle pendant une certaine durée au sein d’un office notarial.

9. D’autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que les dispositions précitées du 10° de l’article 2 du décret du 14 août 1975, telles qu’elles ont été interprétées par le garde des sceaux, ministre de la justice, institueraient une différence de traitement entre les candidats à la dispense de l’examen professionnel d’huissier de justice. La requérante ne saurait à cet égard utilement se prévaloir de l’article 54 de la loi susvisée du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui modifie l’article 3 de l’ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers en disposant qu’ « un décret en Conseil d’Etat définit : » 1° Les conditions d’aptitude à leurs fonctions, parmi lesquelles les conditions de reconnaissance de l’expérience professionnelle des clercs salariés ", dès lors que ces dispositions législatives n’avaient ni pour objet, ni pour effet de dispenser les clercs salariés souhaitant devenir huissier de justice de l’examen professionnel et de tout ou partie du stage, qu’un tel décret en Conseil d’Etat n’avait pas été adopté à la date de la décision litigieuse pour modifier le 10° de l’article 2 du décret du 14 août 1975, et que l’article 7 du décret susvisé du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels n’a pas modifié les dispositions de l’article 2 du décret du 14 août 1975, si ce n’est en ce qui concerne l’autorité compétente pour autoriser les dérogations, et alors que les articles 5 et 5-1 du décret du 14 août 1975 prévoyaient déjà les conditions de diplômes et d’ancienneté exigées des principaux clercs et les clercs d’huissier de justice pour accéder à la fonction d’huissier de justice en étant dispensés de la condition de stage ou de diplôme.

10. En troisième lieu et dernier lieu, si Mme C… soutient que la décision contestée serait entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation de la portée de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques au regard du but poursuivi par le législateur, il ne ressort pas des pièces du dossier que le législateur ait entendu permettre aux clercs d’huissier bénéficiant d’une expérience professionnelle d’accéder à la fonction d’huissier de justice en étant dispensés de l’examen professionnel et de tout ou partie du stage.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 9 mai 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de lui accorder la dispense de l’examen professionnel d’huissier de justice, ensemble la décision rejetant implicitement son recours gracieux. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et ses conclusions à fin d’injonction ne peuvent qu’être rejetées.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de Mme C… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B… C… et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Délibéré après l’audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :


- Mme Vinot, président de chambre,

- M. A…, président assesseur,

- Mme Collet, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.


Le rapporteur,

I. A… Le président,

H. VINOT

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 19PA02751

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