CAA de PARIS, 8ème chambre, 6 décembre 2021, 21PA03636, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 8e ch., 6 déc. 2021, n° 21PA03636
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 21PA03636
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 5 mai 2021, N° 2011868
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044468322

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler l’arrêté du 3 juillet 2020 par lequel le ministre de l’économie et des finances et le ministre de l’intérieur ont prononcé, pour une durée de six mois, le renouvellement du gel de ses fonds, instruments financiers et ressources économiques en application des articles L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier, et à ce qu’il soit enjoint au ministre de l’économie et des finances et au ministre de l’intérieur d’annuler la mesure de gel des fonds, instruments financiers et ressources économiques et de lui permettre d’en disposer librement, à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2011868 du 6 mai 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 30 juin 2021, M. A… B…, représenté par Me Comte, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n°2011868 du 6 mai 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d’annuler l’arrêté du 3 juillet 2020 par lequel le ministre de l’économie et des finances et le ministre de l’intérieur ont prononcé, pour une durée de six mois, le renouvellement du gel de ses fonds, instruments financiers et ressources économiques en application des articles L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— le tribunal administratif n’a pas répondu à l’ensemble des griefs qu’il avait soulevés ;

 – les premiers juges se sont fondés essentiellement et sans réserve sur des faits matériellement inexacts relatés dans des « notes blanches » ; le requérant y est présenté comme un activiste de longue date et un cadre depuis 2010 du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui est inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne, il aurait continué ses activités en faveur du PKK depuis la mesure initiale de gel des avoirs en 2019, à savoir en maintenant ses activités de lobbying, en travaillant pour un rapprochement avec des membres de l’ultra-gauche française et des partis d’extrême gauche turque et en ayant participé à une réunion au Centre démocratique kurde en France (CDK-F) d’Arnouville en septembre 2019, la prise en compte sans réserve des informations contenues dans les « notes blanches » ne saurait servir de fondement à l’arrêté contesté sauf à méconnaître le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes ;

 – l’arrêté contesté est entaché d’une erreur de droit en ce qu’il se fonde exclusivement sur ses fonctions au sein de structures liées au PKK alors que le Conseil constitutionnel a interdit à l’administration, au terme de sa décision n° 2015-524 QPC du 2 mars 2016, de fonder une mesure de gel des avoirs sur les fonctions des intéressés qui seraient de nature à leur permettre de commettre des actes de terrorisme et a réservé cette mesure aux personnes qui « ont commis, commettent, incitent à la commission, facilitent ou participent à la commission d’actes de terrorisme ou des actes sanctionnés ou prohibés par une résolution du conseil de sécurité des Nations unies ou par un acte du Conseil européen » ;

 – contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, l’arrêté litigieux porte une atteinte excessive et disproportionnée à son droit de propriété et à la liberté d’entreprendre ;

Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2021, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B… ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de l’économie, des finances et de la relance, qui n’a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la Constitution ;

 – le règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 ;

 – la position commune 2001/931/PESC du Conseil du 27 décembre 2001 ;

 – le code monétaire et financier ;

 – le code des relations entre le public et l’administration ;

 – la décision n° 2015-524 QPC du 2 mars 2016 du Conseil constitutionnel ;

 – le code de justice administrative ;

 – le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Ho Si Fat, président-assesseur,

 – les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

 – et les observations de Me Souleil- Balducci, avocat de M. B….

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 3 juillet 2020, publié au Journal officiel de la République française le

5 juillet 2020, le ministre de l’économie et des finances et le ministre de l’intérieur ont, en application de l’article L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier, procédé au renouvellement du gel des fonds et ressources économiques de M. A… B…, de nationalité turque, et interdit la mise à disposition, directe ou indirecte, et l’utilisation de fonds ou ressources économiques à son profit pour une durée de six mois, au motif que l’intéressé est un activiste de longue date du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation au sein de laquelle il exerce, sur le plan national et européen, des fonctions de cadre depuis 2010, de telles activités étant de nature à faciliter la concrétisation des actions terroristes du PKK et l’intéressé devant être regardé comme facilitant et incitant à la commission d’actes de terrorisme et entrant ainsi dans le champ d’application de l’article L. 562-2 du code monétaire et financier. Par une requête enregistrée le 5 août 2020, M. B… a demandé l’annulation de l’arrêté litigieux au tribunal administratif de Paris. Par le jugement n° 2011868 du 6 mai 2021 dont il relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Si le requérant soutient que le tribunal administratif n’a pas répondu à l’ensemble des griefs qu’il avait soulevés en première instance, il n’apporte, au soutien de cette allégation, aucun élément permettant à la Cour d’en apprécier le bien-fondé. Il s’ensuit que le jugement attaqué n’est pas entaché d’irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l’article L. 562-2 du code monétaire et financier : « Le ministre chargé de l’économie et le ministre de l’intérieur peuvent décider, conjointement, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques : / 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent (…) ». Aux termes de l’article L. 562-1 du même code : « Pour l’application du présent chapitre, on entend par : / 1° »Acte de terrorisme": les actes définis au 4° de l’article 1er du règlement (UE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; (…) « . Ces dispositions renvoient elles-mêmes à la définition qui figure à l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931/PESC, aux termes duquel : » Aux fins de la présente position commune, on entend par « acte de terrorisme », l’un des actes intentionnels suivants, qui, par sa nature ou son contexte, peut gravement nuire à un pays ou à une organisation internationale, correspondant à la définition d’infraction dans le droit national, lorsqu’il est commis dans le but de : / i) gravement intimider une population, ou / ii) contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, ou / iii) gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale : / a) les atteintes à la vie d’une personne, pouvant entraîner la mort ; / b) les atteintes graves à l’intégrité physique d’une personne ; / c) l’enlèvement ou la prise d’otage ; / d) le fait de causer des destructions massives à une installation gouvernementale ou publique, à un système de transport, à une infrastructure, y compris un système informatique, à une plate-forme fixe située sur le plateau continental, à un lieu public ou une propriété privée susceptible de mettre en danger des vies humaines ou de produire des pertes économiques considérables ; / e) la capture d’aéronefs, de navires ou d’autres moyens de transport collectifs ou de marchandises ; / f) la fabrication, la possession, l’acquisition, le transport, la fourniture ou l’utilisation d’armes à feu, d’explosifs, d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques ainsi que, pour les armes biologiques ou chimiques, la recherche et le développement ; / g) la libération de substances dangereuses, ou la provocation d’incendies, d’inondations ou d’explosions, ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ; /h) la perturbation ou l’interruption de l’approvisionnement en eau, en électricité ou toute autre ressource naturelle fondamentale ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ; / i) la menace de réaliser un des comportements énumérés aux point a) à h) ; / j) la direction d’un groupe terroriste ; / k) la participation aux activités d’un groupe terroriste, y compris en lui fournissant des informations ou des moyens matériels, ou toute forme de financement de ses activités, en ayant connaissance que cette participation contribuera aux activités criminelles du groupe. / Aux fins du présent paragraphe, on entend par « groupe terroriste », l’association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des actes terroristes. Les termes « association structurée » désignent une association qui ne s’est pas constituée par hasard pour commettre immédiatement un acte terroriste et qui n’a pas nécessairement de rôles formellement définis pour ses membres, de continuité dans sa composition ou de structure

élaborée ".

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des éléments précis et circonstanciés figurant dans les deux « notes blanches » versées au débat contradictoire, que M. B… a été un des cadres des Komalen Ciwan (organisation de la jeunesse du PKK) jusqu’à en prendre la tête de la branche européenne en 2013. Il a participé aux congrès de juin 2015 et de juin 2016 de la société démocratique kurde en Europe (KCDK-E), confédération qui apparaît comme étant la structure européenne du PKK. A partir de 2016, il a été représentant du département des relations extérieures du Centre démocratique kurde en France (CDK-F), qui a des liens très forts avec le PKK et apparaît ainsi comme étant la façade légale en France de cette organisation. La circonstance, invoquée par le requérant, que certaines activités du CDK-F d’ordre culturel, caritatif et humanitaire ou même de soutien politique étaient légales et publiques n’est pas incompatible avec les activités qui lui sont par ailleurs reprochées par l’arrêté contesté. En mai 2017, M. B… a intégré le comité français du KCDK-E en charge de travailler à la libération d’Abdullah Öcalan, puis un comité en charge de l’organisation des manifestations tout en conservant dans le même temps ses fonctions de représentant du département des relations extérieures du CDK-F. En mars 2018, il a pris la parole lors de la session du Tribunal Permanent des Peuples organisée par des associations kurdes afin de dénoncer les crimes de guerre commis par la Turquie. Du 18 septembre au 3 octobre 2018, il s’est rendu au Kurdistan irakien afin d’assurer l’interprétariat de journalistes qui ont réalisé une interview d’une cadre du PKK en charge des relations diplomatiques de cette organisation. En outre, malgré la première mesure de gel de ses avoirs pour une durée de six mois imposée par arrêté le 12 juin 2019, M. B… a poursuivi ses activités en faveur du PKK, maintenant ses activités de lobbying en direction des parlementaires et élus de la République, et travaillant en France à un rapprochement avec des membres de l’ultra-gauche française et des partis d’extrême gauche turque. Enfin, le 29 septembre 2019, M. B… a assisté à une réunion du congrès des cadres et des présidents d’organisations kurdes au sein du CDK-F d’Arnouville (95) sous l’égide du responsable clandestin du PKK pour la France et a rassemblé les principaux responsables clandestins et associatifs du Nord de la France. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le ministre de l’économie et des finances et le ministre de l’intérieur, en estimant que M. B… devait être regardé comme facilitant la commission d’actes de terrorisme et en prononçant, pour ce motif, le renouvellement du gel de ses avoirs pour une durée de six mois, auraient commis une erreur de fait ou une erreur d’appréciation, doit être écarté.

5. En deuxième lieu, d’une part, l’arrêté litigieux précise dans son dernier motif que " M. A… B… poursuit ses activités sont de nature à faciliter la concrétisation des actions terroristes du PKK ; que, par suite, il doit être regardé comme facilitant et incitant à la commission d’actes de terrorisme et entre ainsi dans le champ d’application de la disposition précitée « . Ainsi, ce ne sont pas les fonctions de M. B…, au sens des dispositions de l’article L. 562-2 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 30 janvier 2009 déclarées contraires à la Constitution par la décision n° 2015-524 QPC du 2 mars 2016 du Conseil constitutionnel, qui ont été prises en considération par l’arrêté contesté, mais bien ses activités militantes au sein et au bénéfice du PKK. D’autre part, il ressort des pièces du dossier, et notamment des éléments précis et circonstanciés figurant dans les » notes blanches " versées au débat contradictoire, que ce parti est une organisation politique qui est inscrite depuis mai 2002 sur la liste des organisations terroristes établie par l’Union européenne et qui est particulièrement active en Turquie où des organisations qui lui sont affiliées revendiquent des attaques terroristes. A partir de 2015, en appui à une insurrection armée de grande ampleur dans le sud-est de la Turquie, le PKK a lancé des attaques suicides contre des objectifs militaires et civils. Il est également actif en Europe, et particulièrement en France, où il mène notamment d’importantes collectes de fonds, fondées sur la menace et la violence à l’encontre des membres de la communauté kurde, qui lui ont permis de récolter lors de la campagne annuelle 2017-2018 la somme de sept millions d’euros, et où il recrute et entraîne des individus afin de les envoyer sur les zones de combat des Kurdes. L’ensemble de ces activités du PKK constitue des actions terroristes en Europe et en Turquie. Par suite, les activités de M. B… en soutien du PKK sont comprises dans la définition précitée de l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931/PESC à laquelle renvoient, par l’intermédiaire du 4° de l’article 1er du règlement (UE) précité n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001, les dispositions de l’article L. 562-1 du code monétaire et financier. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que l’arrêté contesté serait entaché d’une erreur de droit doit être écarté.

6. En troisième lieu, M. B… reprend en appel le moyen, qu’il avait invoqué en première instance, tiré de ce que l’arrêté litigieux porterait une atteinte excessive et disproportionnée à son droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. Il y a lieu de rejeter ce moyen par adoption des motifs retenus par le jugement attaqué du tribunal administratif de Paris. Au surplus, la seule circonstance, invoquée par M. B… qu’entre la période de six mois de gel de ses avoirs décidé par l’arrêté du 12 juin 2019 et le renouvellement de cette mesure par l’arrêté contesté du 3 juillet 2020 s’est écoulée une période de quelques mois pendant laquelle il a été libre de disposer de ses avoirs, est sans incidence sur la légalité de l’arrêté contesté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de M. B… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… B…, au ministre de l’économie, des finances et de la relance et au ministre de l’intérieur.


Délibéré après l’audience du 15 novembre 2021, à laquelle siégeaient :


- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2021.


Le rapporteur,

F. HO SI FAT Le président,

R. LE GOFF

La greffière,

E. VERGNOLLa République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance et au ministre de l’intérieur en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 21PA03636

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