Cour de cassation, Chambre civile 1, 3 novembre 2016, 15-24.879, Inédit

  • Adultère·
  • Allégation·
  • Atteinte·
  • Homme·
  • Morale·
  • Canard·
  • Diffamation·
  • Dissimulation·
  • Politique·
  • Journaliste

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Village Justice · 28 juin 2017

Si la fidélité dans le couple est encore « indispensable » pour les trois quarts des Français interrogés en 2017, force est de constater que ce devoir conjugal, prévu par l'article 212 du Code civil obligatoirement lu par le maire aux futurs époux lors de leur union, apparaît en voie de disparition. Ce phénomène se constate tant dans les faits que dans les décisions des juges. Tout d'abord, une étude IFOP réalisée en 2014 a constaté que 55% des Français auraient été infidèles, ce qui en fait les premiers au niveau européen. Ensuite, aujourd'hui, on constate que l'infidélité fait …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
Cass. civ., 3 nov. 2016, n° 15-24.879
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 15-24.879
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 23 juin 2015
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 6 mars 2024
Identifiant Légifrance : JURITEXT000033348332
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2016:C101220
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 3 novembre 2016

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 1220 F-D

Pourvoi n° C 15-24.879

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. [R] [N], domicilié [Adresse 2],

contre l’arrêt rendu le 24 juin 2015 par la cour d’appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [UP] [G], domicilié [Adresse 4],

2°/ à M. [C] [A], domicilié [Adresse 3],

3°/ à Mme [U] [M], domiciliée [Adresse 5] (États-Unis),

4°/ à la société Editions du moment, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 27 septembre 2016, où étaient présentes : Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Randouin, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations de Me Bouthors, avocat de M. [N], de la SCP Ortscheidt, avocat de MM. [G] et [A], de Mme [M] et de la société Editions du moment, l’avis de M. Cailliau, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2015), que l’ouvrage intitulé « La frondeuse », co-écrit par Mme [M] et M. [A] et publié, en octobre 2012, aux Editions du moment, contient, en pages 42 à 44, un passage rédigé en ces termes :

« [QE] [O] méprise [D] [J] pour une seconde raison, plus personnelle. Si elle fait barrage de son corps à l’entrée du QG, c’est aussi parce qu’elle le soupçonne d’alimenter depuis les années 2000 des rumeurs sur son prétendu goût pour les hommes de pouvoir, ses amants supposés, y compris à droite, [J] ferait circuler un racontar : elle aurait été la maîtresse de [R] [N], un ancien ministre de [B] [S] ! Cette hypothétique liaison est dévoilée pour la première fois le 27 juin 2012 par le site satirique Le Canard acharné :

« [QE] [O], l’actuelle campagne de [W] [V], aurait été la maîtresse de [R] [N], président du conseil général des Hauts-de-Seine (92). De 1999, et ce jusqu’en 2002, la journaliste de Paris Match aurait eu cette liaison cachée avec l’ancien ministre de l’UMP. Pour le moment, cette information ne peut être appuyée de preuves solides, mais le fait reste, lui, avéré. Et ça, le Canard acharné le sait ! » ;

Cette révélation n’a jamais été démentie par les principaux intéressés. « Pourquoi donner de l’importance à ces conneries ? On s’en fout ! internet, c’est la loi de la jungle. Avant de gagner un procès… » balaie d’un revers de phrase [R] [N], l’actuel président du conseil général des Hauts de Seine. Il pointe, à juste titre, la domiciliation aux Seychelles de ce site qui serait en outre animé par ses détracteurs au sein du conseil général. [N] vise notamment [X] [Q], sénateur des Hauts de Seine. Cette adresse « offshore » rendrait compliquée toute action en justice. [H] [F], son ancienne directrice de cabinet, démissionnée à la suite de la publication d’un roman pamphlétaire sur le conseil général, n’a pas reculé devant cette difficulté : elle a attaqué en diffamation. Le Canard acharné lui prête aussi une liaison avec [R] [N], « Sur [QE] et moi, c’est vraiment écrit comme ça sur Internet ? » semble néanmoins s’inquiéter [R] [N] en fin de discussion. Avant de reconnaître : « Je la connais, elle. Mais non, je ne sais pas d’où ça sort ».

Qu’en est-il de la réalité de cette liaison de plusieurs années avec celui qui deviendra le ministre de la Relance de [B] [S] ? « [R] [N] est un grand séducteur, raconte un proche de l’actuel président des Hauts-de-Seine. Beaucoup d’hommes politiques ont une immense faille, ils ont besoin d’être aimés. Il y a deux façons pour trouver de l’amour ; on pourrait dire de l’adhésion, au sens électoral. II y a des gens qui votent pour vous, et il y a des femmes qui se donnent à vous. Ce sont les deux preuves que vous plaisez. Mais il y a deux types d’hommes politiques, poursuit ce fin connaisseur du milieu, ceux qui aiment le sexe et les séducteurs, les [K] [Y], les [L]. [R] [N] est dans cette catégorie. Il aime faire tomber la barrière de la femme. Il aime que la femme ait envie de lui mais lui, à la limite, il n 'a pas envie de passer à l’acte » résume-t-il. Y a-t-il eu une cour assidue de [R] [N] à l’égard de [QE] [O] ? « Oui, affirme-t-il. Car, comme [K] [Y], [R] [N] est devenu éperdument amoureux de cette Elvire qui lui résistait, » Y-a-t-il eu passage à l’acte ? « Cela leur appartient » conclut-il.

Toujours est-il que cette relation intime entre [R] [N] et [QE] [O] aurait duré plusieurs années, sans doute de 1998 à 2004. A cette époque, l’un et l’autre sont mariés et ont des enfants. Aller plus loin dans leur engagement, faire le grand saut, à plusieurs reprises, ils l’ont envisagé mais sans jamais s’y résoudre. [QE] [O] n’aime ni les compromis, ni la compromission. [R] [N], lui, se fait désirer… si bien que, entre 2000 et 2004, la journaliste se laisse courtiser par un deuxième homme d’un autre bord politique, [W] [V]. Elle l’a rencontré en 1998 « mais nous avions noué une grande complicité à partir de 2000 » explique-t-elle le 7 mai 2012 à un journaliste de l’AFP. Il faudra attendre 2004 pour que les résistances cèdent. Après avoir été divisée, écartelée entre ces deux prétendants, l’un de droite l’autre de gauche, elle laisse la relation qui la lie à [W] [V] prendre peu à peu le pas sur l’autre. Elle avertit même [R] [N]. Si tu ne fais rien, je vais dire oui à [V], lui aurait-elle dit en substance, selon un proche de son ancien soupirant. En 2004, [QE] [O] mettra un clap de fin à son [D] et [Z]. En bien plus de cent deux minutes, la durée du film de [W] [LT], elle finit par choisir [W] – [D] – et délaisse [R] – [Z]. Pour le réalisateur français, [D] et [Z] reste « un démonstration de l’impossibilité de toute combinaison amoureuse en dehors du couple ». Mais les similitudes avec « ce tourbillon de la vie », tourné en 1962, s’arrêtent là. Dans la fiction, les deux amants de [I], incarnée par [P] [E], sont avant tout des amis qui se résolvent à se partager la même héroïne. Dans l’arène politique, elle, bien réelle, [W] [V] et [R] [N] sont deux rivaux qui deviendront… alliés, après que la femme qu’ils aiment ait fait son choix. Les deux hommes ont en effet conservé de cette histoire, un profond respect l’un envers l’autre. » ;

Qu’estimant que ces propos étaient diffamatoires à son égard, M. [N] a assigné Mme [M], M. [A], la société Editions du moment et son gérant, M. [G], aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice et la publication d’un communiqué judiciaire ;

Attendu que M. [N] fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que l’allégation publique d’une liaison prêtée à un homme marié peut porter atteinte à l’honneur et à la considération de celui-ci ; qu’il importe peu à cet égard que l’adultère ne soit plus une infraction pénale ; qu’en restreignant, par cette considération générale et inappropriée, les diffamations reprochables aux seules allégations prêtant à la personne diffamée un comportement pénalement répréhensible, la cour d’appel a violé l’article 29 la loi du 29 juillet 1881, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu’en subordonnant l’atteinte à l’honneur et à la considération à l’allégation publique d’un fait unanimement réprouvé par une morale objective ayant le même champ d’application que la réprobation pénale, sans autrement rechercher si l’allégation litigieuse ne portait pas sur des manquements contraires à l’honneur et à la considération au regard d’obligations morales d’ordre strictement civil, la cour d’appel a derechef privé son arrêt de toute base légale au regard de l’article 29 de la loi de 1881, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que l’allégation diffamatoire peut être réalisée par voie d’insinuation ; qu’en se bornant à énoncer que la relation intime prêtée au requérant hors mariage ne portait nullement atteinte à sa réputation ou à son honneur dès lors que le mot « adultère » n’avait pas été directement écrit et que l’article n’imputait pas davantage au requérant « mensonge » ou « dissimulation » à l’égard de sa famille, sans autrement rechercher, au regard du contexte, si ces éléments ne procédaient pas d’une insinuation reprochable ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé de plus fort l’article 29 de la loi de 1881, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la cour d’appel a exactement énoncé, par motifs propres et adoptés, que les notions d’honneur et de considération devaient s’apprécier, non pas en fonction de la sensibilité subjective de la personne visée, mais au regard de considérations objectives d’où s’évincerait une réprobation générale, que le fait soit prohibé par la loi ou considéré comme d’évidence contraire à la représentation communément admise de la morale ; que, loin de se borner à relever que l’adultère avait été dépénalisé, elle a retenu, à bon droit, que l’évolution des moeurs comme celle des conceptions morales ne permettaient plus de considérer que l’imputation d’une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [N] aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois novembre deux mille seize.MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour M. [N].

Le moyen reproche à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir déclaré que n’étaient pas constitutifs d’une diffamation publique les passages incriminés dans le livre intitulé « La Frondeuse » ayant prêté au requérant une relation adultère avec Madame [QE] [O] et d’avoir en conséquence rejeté toutes ses demandes ;

aux motifs que les intimés s’appuient sur la motivation du premier juge pour exclure que le propos ait un caractère diffamatoire en raison de l’évolution des moeurs et du regard porté par notre société sur l’adultère. Il font valoir, en outre, de façon peu convaincante, que leur texte ne mentionne pas expressément les mots « adultère » ou « double vie », alors que quel que soit le terme employé, c’est bien de l’existence de liaisons hors mariage dont il est fait état dans le texte en cause ; que M. [N] rappelle la distinction qu’en 1819, [T] proposait entre l’atteinte à la considération, qui serait objective et l’atteinte à l’honneur qui pourrait être subjective ; qu’indépendamment d’une référence qui n’est pas d’une actualité brûlante, il fait encore valoir que la dépénalisation déjà ancienne de l’adultère, qui en 1975 n’intéressait plus que l’épouse, est indifférente au fait que le texte litigieux lui prête non seulement d’avoir eu une relation extra conjugale, mais encore situe celle-ci dans une durée qui fait de lui un époux menteur et dissimulateur, ce qu’il considère comme particulièrement attentatoire à son honneur et à sa considération ; que le caractère précis des allégations en cause n’est pas contestable ; que cependant, contrairement aux affirmations de l’appelant, les notions d’honneur et de considération au sens de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas appréciées distinctement, mais solidairement ; que par ailleurs, les atteintes à cellesci, au sens du même texte, relèvent d’une acception commune et non de l’appréciation personnelle du plaignant ; que le caractère relatif et contingent, de notions qui relèvent de la morale ou du consensus social doit nécessairement être pris en compte par le juge au temps où il statue ; qu’en l’espèce, il convient de rappeler que l’absence du caractère diffamatoire de la notion d’adultère a été jugée par cette chambre, au titre du même ouvrage, dont une partie du texte litigieux a été reproduit dans un hebdomadaire ; que tel est le sens de son arrêt du 24 septembre 2014 ; que l’idée soutenue par M. [N] selon laquelle ce même texte lui imputerait mensonge et dissimulation à l’égard de sa famille, ne résulte nullement des propos litigieux qui se limitent à faire état de ce qu’il était marié et père de famille pendant cette prétendue liaison sans évoquer un quelconque comportement de dissimulation ; qu’aussi la cour ne saurait remettre en cause l’appréciation du premier juge, conforme à sa propre analyse ; le jugement déféré sera en conséquence confirmé ;

1°) alors que, d’une part, l’allégation publique d’une liaison prêtée à un homme marié peut porter atteinte à l’honneur et à la considération de celui-ci ; qu’il importe peu à cet égard que l’adultère ne soit plus une infraction pénale ; qu’en restreignant, par cette considération générale et inappropriée, les diffamations reprochables aux seules allégations prêtant à la personne diffamée un comportement pénalement répréhensible, la cour d’appel a violé l’article 29 la loi de 29 juillet 1881, ensemble l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

2°) alors que, d’autre part, en subordonnant l’atteinte à l’honneur et à la considération à l’allégation publique d’un fait unanimement réprouvé par une morale objective ayant le même champ d’application que la réprobation pénale, sans autrement rechercher si l’allégation litigieuse ne portait pas sur des manquements contraires à l’honneur et à la considération au regard d’obligations morales d’ordre strictement civil, la cour a derechef privé son arrêt de toute base légale au regard de l’article 29 de la loi de 1881, ensemble l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

3°) alors en tout état de cause que l’allégation diffamatoire peut être réalisée par voie d’insinuation ; qu’en en se bornant à énoncer que la relation intime prêtée au requérant hors mariage ne portait nullement atteinte à sa réputation ou à son honneur dès lors que le mot « adultère » n’avait pas été directement écrit et que l’article n’imputait pas davantage au requérant « mensonge » ou « dissimulation » à l’égard de sa famille, sans autrement rechercher, au regard du contexte, si ces éléments ne procédaient pas d’une insinuation reprochable ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour a violé de plus fort l’article 29 de la loi de 1881, ensemble l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour de cassation, Chambre civile 1, 3 novembre 2016, 15-24.879, Inédit