Conseil d'État, 16 décembre 2020, 447045, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Vulpi Avocats - Chronique de jurisprudence · 18 janvier 2021

Décembre 2020 Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse 1 - Acte réglementaire d'un ordre professionnel – Conditions de reconnaissance de diplômes, titres ou fonctions - Publication dans un mensuel d'informations professionnelles sur le site internet de l'ordre – Publicité insuffisante à permettre son entrée en vigueur – Absence d'opposabilité de l'acte – Annulation. Un chirurgien-dentiste qui sollicitait la reconnaissance d'un diplôme se l'est vu refuser par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, lequel s'est fondé pour cela sur sa …

 

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Entre le 19 mars 2020 et le 19 mars 2022, le Conseil d'État a été saisi d'environ mille requêtes relatives à la crise sanitaire liée à la Covid-19. C'est sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (CJA) qu'ont été formées la première et la majorité d'entre elles. Ce « contentieux covid » a eu un impact significatif sur l'office du juge du référé-liberté. Il s'est en effet produit une évolution substantielle de la logique inhérente au pouvoir d'injonction de ce juge. Pour autant, celle-ci n'a pas eu pour conséquence un renforcement de la protection des libertés …

 
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Sur la décision

Référence :
CE, 16 déc. 2020, n° 447045
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 447045
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042713096
Identifiant européen : ECLI:FR:CEORD:2020:447045.20201216

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 novembre et le 11 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Vita Liberté la Destrousse et la société Vita Liberté demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution de l’article 42 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

 – la condition d’urgence est satisfaite dès lors que les dispositions contestées, d’une part, les empêchent de contracter avec de nouveaux clients, de percevoir leurs cotisations ainsi que de moderniser l’ensemble de leur parc sportif et, d’autre part, les mettent dans une situation financière préoccupante eu égard aux charges auxquelles elles doivent faire face ;

 – il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie ;

 – les mesures contestées ne sont ni nécessaires ni proportionnées dès lors, en premier lieu, qu’elles s’appliquent de manière générale et absolue, aucune circonstance locale particulière qui auraient permis des exceptions à leur application n’ayant été prise en compte, en deuxième lieu, que les conditions sanitaires actuelles ne permettent plus de les justifier, en troisième lieu, que la pratique sportive constitue un moyen de lutte contre le virus covid-19, en quatrième lieu, que d’autres mesures moins attentatoires aux libertés, telles que la mise en place de protocoles sanitaires particulièrement stricts, pourraient être prises pour satisfaire aux objectifs de protection de la santé publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale n’est portée à la liberté fondamentale invoquée.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n’a pas produit d’observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la Constitution, et notamment son préambule ;

 – le code de la santé publique ;

 – le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;

 – le décret n° 2020-1582 du 14 décembre 2020 ;

 – le code de justice administrative ;

Les parties ont été informées, sur le fondement de l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, de ce qu’aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l’instruction serait fixée le 15 décembre à 18 heures.

Considérant ce qui suit :

1. L’article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ». Aux termes de l’article L. 521-2 du même code : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ».

Sur le cadre du litige :

2. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 : « L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». L’article L. 3131-13 du même code précise que « L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 ». Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code : « Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (…) 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public. » Ces mesures doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. »

3. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020. L’évolution de la situation sanitaire a conduit à un assouplissement des mesures prises et la loi du 9 juillet 2020 a organisé un régime de sortie de cet état d’urgence.

4. Une nouvelle progression de l’épidémie au cours des mois de septembre et d’octobre, dont le rythme n’a cessé de s’accélérer au cours de cette période, a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. L’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

Sur la demande adressée au juge des référés :

5. Il résulte de l’instruction que, pour faire face à la situation d’urgence sanitaire, le gouvernement, en prenant les mesures détaillées par le décret du 29 octobre 2020, a fait le choix d’une politique qui cherche à enrayer la dynamique actuelle de progression du virus par la stricte limitation des déplacements de personnes hors de leur domicile. A cette fin, il a, à l’article 4 du décret, interdit tout déplacement des personnes hors de leur lieu de résidence, d’abord à toute heure puis, à compter du 15 décembre 2020, entre 20 heures et 6 heures du matin, et fixé une liste limitative des exceptions à cette interdiction. A cette même fin, le gouvernement a interdit l’accès à certains établissements relevant des types d’établissements définis par le règlement pris en application de l’article R. 123-12 du code de la construction et de l’habitation et où l’accueil du public. Il a en outre fortement encadré les conditions d’accès aux établissements dont l’accès n’était pas interdit. Ainsi, aux termes de l’article 42 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, dans sa version applicable, issue du décret du 14décembre 2020 : " I. – Les établissements relevant des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l’article R. 123-12 du code de la construction et de l’habitation figurant ci-après ne peuvent accueillir du public : 1° Etablissements de type X : Etablissements sportifs couverts ; 2° Etablissements de type PA : Etablissements de plein air, à l’exception de ceux au sein desquels est pratiquée la pêche en eau douce. / II. – Par dérogation, les établissements mentionnés au 1° du I et les établissements sportifs de plein air peuvent continuer à accueillir du public pour : – l’activité des sportifs professionnels et de haut niveau ; – les activités encadrées à destination exclusive des personnes mineures ; – les groupes scolaires et périscolaires et les activités sportives participant à la formation universitaire ou professionnelle ; – les formations continues ou des entraînements nécessaires pour le maintien des compétences professionnelles ; / Les établissements sportifs de plein air peuvent également accueillir du public pour : – les activités encadrées à destination exclusive des personnes mineures ; – les activités physiques et sportives des personnes majeures, à l’exception des sports collectifs et des sports de combat. / III. – Les hippodromes ne peuvent recevoir que les seules personnes nécessaires à l’organisation de courses de chevaux et en l’absence de tout public ".

6. Les requérants demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement des dispositions précitées de l’article L.521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution des dispositions de cet article 42. Il soutiennent que l’interdiction prononcée excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi de protection de la santé publique dès lors qu’elle revêt un caractère général sans tenir compte des circonstances locales, que les conditions sanitaires actuelles ne permettent plus de la justifier, que la pratique sportive constitue au contraire un moyen de lutte contre le virus covid-19, et que d’autres mesures moins attentatoires aux libertés, telles que la mise en place de protocoles sanitaires particulièrement stricts, pourraient être prises pour satisfaire aux objectifs poursuivis.

7. Il résulte de l’instruction qu’à la date du 14 décembre 2020, 2 379 915 cas ont été confirmés positifs au virus en France et 58 282 décès imputables à la Covid-19 ont été constatés. Il ressort du bilan publié par Santé Publique France le 10 décembre 2020 qu’après quatre semaines de forte décroissance postérieurement au passage du pic épidémique de la seconde vague de diffusion du virus Sars-CoV-2, la semaine du 30 novembre au 6 décembre 2020 n’a vu qu’une très faible diminution de la circulation du virus, avec 72 121 nouveau cas détectés, soit 6 % seulement de moins que la semaine précédente, un taux de positivité des tests de 6,4 %, contre 6,5 % la semaine précédente, un taux d’incidence de 107 pour 100 000 habitants.

8. Dès son avis du 24 avril 2020 sur l’adaptation des mesures barrières et de distanciation sociale à mettre en oeuvre pour maîtriser la diffusion du SARS-CoV-2, le Haut Conseil de la santé publique avait relevé, alors que le confinement général de la population était encore en vigueur, que s’agissant des activités physiques qui pouvaient encore être réalisées en extérieur, elles « contribuent à un risque élevé de transmission respiratoire par une ventilation soutenue (vélo, footing) » et que « Lors d’activités physiques, les émissions de gouttelettes sont particulièrement importantes et à risque de transmission. Le risque de transmission manuportée en pratique sportive par les objets partagés doit également pris en compte (nettoyage/désinfection des équipements sportifs). ».

9. Par un avis du 23 juillet 2020, le Haut Conseil de la santé publique s’est prononcé sur la transmission du virus SARS-CoV-2 par aérosols, trois jours après que le port du masque avait été rendu obligatoire dans tous les lieux publics clos. Il a relevé qu’ « Il n’existe pas encore de données spécifiques permettant de décrire la diffusion d’un aérosol vecteur de virus actifs et infectieux dans un espace clos comme un magasin ou un transport collectif. Cependant, les données, même partielles, plaident en faveur d’une contamination possible des espaces clos à distance des patients émetteurs ». Il a précisé que « l’excrétion respiratoire du virus SARS-CoV-2 est majeure en phase pré-symptomatique », que « l’infectiosité du SARS-CoV2 peut se maintenir plusieurs heures dans des aérosols en milieu clos » et que lorsque " les masques chirurgicaux [qui] sont rapidement saturés d’humidité perd[e]nt ainsi leurs capacités de filtration « . Enfin, après avoir mentionné les principales publications en la matière, il a identifié parmi les trois principales conditions favorisant la transmission du virus : » les activités et efforts physiques pratiqués au sein des espaces clos ".

10. Il résulte en outre de l’étude Mobility network models of COVID-19 explain inequities and inform reopening, réalisée à partir des données de géolocalisation de 98 millions d’habitants des 10 plus importantes aires urbaines des Etats-Unis et publiée le 10 novembre 2020 dans la revue Nature, que les salles de sport, présentent, comme les restaurants, bars et hôtels, un risque significativement plus élevé de transmission du virus que les autres lieux de brassage de population, y compris les commerces.

11. Le caractère proportionné d’une mesure de police s’apprécie nécessairement en tenant compte de ses conséquences pour les personnes concernées et de son caractère approprié pour atteindre le but d’intérêt général poursuivi. Sa simplicité et sa lisibilité, nécessaires à sa bonne connaissance et à sa correcte application par les personnes auxquelles elle s’adresse, sont un élément de son effectivité et doivent, à ce titre, être prises en considération.

12. Eu égard à la nécessité, pour que se poursuive la décrue de la circulation du virus, laquelle s’est ralentie au cours des deux dernières semaines, de limiter autant que possible les interactions sociales, surtout dans des contextes favorables à la transmission du virus, et au risque particulier que présente, à cet égard, la pratique sportive, spécialement dans des espaces clos, il n’apparaît pas que l’interdiction faite aux espaces sportifs couverts d’accueillir du public en dehors des dérogations prévues au II de l’article 42, qui tiennent à la préservation de la continuité scolaire et pédagogique ainsi qu’aux impératifs professionnels et médicaux de certains pratiquants, revête un caractère non nécessaire ou disproportionné au regard de l’objectif de santé publique poursuivi. En particulier, il n’apparaît pas établi, en l’état de l’instruction, que la mise en place d’un protocole sanitaire strict et l’utilisation de matériels de désinfection, tels que des purificateurs d’air ou des tunnels de désinfections, à supposer que les salles de sport puissent en être équipées dans une proportion significative, soit de nature à prévenir efficacement les risques de transmission du virus résultant de la pratique sportive en lieu clos. Il ne résulte pas davantage de l’instruction que la situation épidémique observée dans certaines régions, notamment en région Provence – Alpes – Côte d’Azur, serait de nature à justifier, dans ces régions, la mise en oeuvre de mesures moins restrictives.

13. Il résulte de ce qui précède, alors même que les mesures de soutien aux entreprises mises en oeuvre par le gouvernement ne seraient pas de nature à compenser les pertes de revenus subies par les exploitants de salles de sport, que l’atteinte portée à la liberté du commerce et de l’industrie, aussi significative soit-elle, n’apparaît pas manifestement illégale.

14. Par suite, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition relative à l’urgence, la requête ne peut qu’être rejetée, y compris ses conclusions tendant à la mise en oeuvre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société Vita Liberté la Destrousse et la société Vita Liberté est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Vita Liberté La Destrousse, à la société Vita Liberté et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

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