Conseil d'État, Juge des référés, 17 juin 2021, 453113, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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www.avocat-saidi.com · 14 décembre 2021

Pour le juge des référés du Conseil d'État, dès lors que l'administration s'est engagée à prendre les mesures encore manquantes pour faciliter l'entrée sur le territoire en vue de se marier en France, il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte afin qu'elle exécute ses précédentes ordonnances. Par une ordonnance du 19 novembre 2021, le juge des référés du Conseil d'État, statuant dans le cadre d'un référé-liberté, relève que l'instruction générale relative aux dispositions prises pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 (Instr. n° 6310/SG, 8 nov. 2021) mentionne désormais le mariage en …

 

Catherine-amélie Chassin · L'ESSENTIEL Droit de la famille et des personnes · 1er septembre 2021

Me Grégoire Hervet · consultation.avocat.fr · 12 juillet 2021

Le Conseil d'État a rendu une ordonnance et une décision relatives au respect du droit à la vie privée et familiale des étrangers pendant la crise sanitaire. Les mesures mises en place par les gouvernements pour empêcher la propagation du virus ont aussi empêché les familles et les conjoints qui se trouvaient dans un autre État de vivre une vie familiale normale. La crise sanitaire ne doit pas empêcher la délivrance d'un visa Le Conseil d'État a constaté que les mesures mises en place pour préserver la santé publique empêchent parfois la délivrance d'un visa ou elles mettent en …

 
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Sur la décision

Référence :
CE, juge des réf., 17 juin 2021, n° 453113
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 453113
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Conseil d'État, 8 avril 2021
Identifiant Légifrance : CETATEXT000043677311
Identifiant européen : ECLI:FR:CEORD:2021:453113.20210617

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 31 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme F…, Mme B… A…, Mme C… D… et l’Association de soutien aux amoureux au ban public demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’enjoindre au Premier ministre d’inscrire sans délai le mariage en France avec un Français comme un motif impérieux dans la circulaire du 19 mai 2021 fixant les catégories de personnes pouvant être admises à entrer en France ;

2°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur d’inscrire sans délai le mariage en France avec un Français sur la liste des motifs impérieux de l’attestation de déplacement international ;

3°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur d’instruire les demandes de visa pour se marier en France comme des visas de type D ;

4°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur de cesser de subordonner la délivrance des visas pour se marier en France à la production d’une quelconque autorisation de la part du pays de résidence ;

5°) d’assortir ces mesures d’une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

6°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 500 euros au profit de l’association de soutien aux amoureux au bans publics au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

 – la condition d’urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, les dispositions attaquées portent atteinte au droit de mener une vie privée et familiale normale et au droit au mariage en ce qu’ils sont chacun séparés depuis plusieurs mois de leur futur conjoint respectif et que, eu égard à l’absence de délivrance de visa, ils ne peuvent concrétiser leur projet matrimonial alors même qu’ils ont entamé de longues et fastidieuses démarches pour être autorisés à se marier et que certains mariages sont prévus à brève échéance, en deuxième lieu, la publication des bans n’est valable que pour un durée d’un an, or certains mariages ont déjà dû être reportés, parfois à plusieurs reprises, et, en dernier lieu, le Conseil d’Etat a déjà estimé, sur le fondement du référé suspension, que la condition d’urgence était satisfaite au regard des troubles dans les conditions d’existence subis par les requérantes ;

 – il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

 – l’administration méconnait le droit à l’exécution d’une décision de justice dès lors qu’en dépit de l’ordonnance du juge des référés de Conseil d’Etat du 9 avril 2020, l’attestation de déplacement international n’a pas été modifiée et le mariage avec un Français ne figure toujours pas dans la liste des motifs impérieux dérogatoires permettant l’entrée en France ;

 – l’instruction des demandes de visas pour se marier comme des visas de court séjour est illégale en ce que les étrangers qui viennent en France pour se marier ont vocation à y rester durablement et doivent se voir accorder un visa long séjour ;

 – la pratique des consulats consistant à subordonner la délivrance du visa à la production d’une autorisation de sortie et de retour délivrée par l’Etat de résidence est illégale dès lors que, en premier lieu, en raison de l’indépendance des législations, l’obtention d’une telle autorisation ne peut être qu’une condition d’exécution du visa et non une condition à son obtention, en deuxième lieu, cette autorisation n’est demandée que pour les demandeurs d’un visa en vue de se marier et n’est pas requise, notamment, pour les demandes de visas des familles algériennes de chercheur ou de professionnel de santé exerçant en France et, en dernier lieu, cette condition est impossible à satisfaire eu égard à la subordination par l’Etat algérien de la délivrance de cette autorisation à la production du visa.

Par un mémoire en défense, enregistré 10 juin 2021, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite et qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé qui n’ont pas produit d’observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la Constitution, et notamment son Préambule ;

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – le code de la santé publique ;

 – la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

 – la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

 – le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;

 – le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 ;

 – le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, Mme E… et les autres requérants, et d’autre part, le Premier ministre, le ministre de l’intérieur et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 15 juin 2021, à 10 heures 30 :

— Me Prigent, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat des requérants ;

— Mme F… ;

— la représentante de l’Association de soutien aux amoureux au ban public ;

— les représentants du ministre de l’intérieur ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l’instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (…) ».

2. Mme E…, Mme A… et Mme D…, toutes trois de nationalité française, ont envisagé d’épouser en France un ressortissant étranger dont l’entrée sur le territoire français est subordonnée à la délivrance d’un visa. En raison de la crise sanitaire due au virus de la Covid-19, la fermeture des frontières a conduit l’administration à refuser l’entrée d’étrangers en dehors de motifs impérieux, parmi lesquels ne figurait pas le mariage. Elles ont demandé, avec l’Association de soutien des amoureux au ban public, au juge des référés au Conseil d’Etat, par une requête enregistrée sous le numéro 450884, de suspendre la circulaire du Premier ministre, qui ne comportait pas ce motif impérieux. Par une ordonnance du 9 avril 2021, le juge des référés du Conseil d’Etat a, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, suspendu la circulaire du Premier ministre du 22 février 2021 en tant qu’elle ne permettait pas l’instruction de demandes de visas en vue d’un mariage et ordonné au Premier ministre de prendre des dispositions réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires, et aux services consulaires d’enregistrer les demandes de visa, à cette fin. Toutefois, les requérantes ont constaté que les formulaires de demande n’avaient pas été modifiés et leur futur conjoint ont chacun éprouvé des difficultés à obtenir un visa, devant ainsi repousser la date de leur mariage. En conséquence, elles demandent, dans le dernier état de leurs conclusions telles que complétées à l’audience, au juge des référés du Conseil d’Etat agissant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative d’enjoindre au Premier ministre de modifier l’instruction en date du 19 mai 2021 régissant les motifs impérieux d’octroi de visa pour y inclure le mariage, au ministre de l’intérieur de modifier dans le même sens l’attestation de déplacement international, et de ne plus subordonner la délivrance de visa à fin d’un mariage en France à la production d’une autorisation de la part du pays de résidence, sous astreinte de cent euros par jour de retard.

Sur l’urgence :

3. Il n’est pas contesté que les trois premières requérantes dénommées ont l’intention d’épouser un ressortissant étranger et que les bans de ces unions ont été publiés et dans certains cas que le délai ouvert pour procéder au mariage expire dans les prochaines semaines. La date du mariage a dans deux cas été repoussée faute de délivrance de visa et a été fixée à nouveau à des dates proches. Au regard du trouble apporté aux conditions d’existence et à la vie privée des intéressés, et de la lésion des intérêts que défend l’Association de soutien aux amoureux au ban public, à laquelle chacune des requérantes adhère, l’urgence d’une intervention du juge des référés doit être regardée comme établie. La seule circonstance, alléguée en défense, qu’il aurait été aussi loisible aux requérants d’introduire des demandes devant le juge des référés compétent pour obtenir la suspension du refus de visa qui leur a dans certains cas été opposé est sans incidence sur l’appréciation de l’urgence propre s’attachant à l’examen de la présente demande.

Sur l’atteinte à une liberté fondamentale :

4. Le droit de se marier et le droit au recours, dont celui à la pleine exécution des décisions de justice est une composante, constituent, pour la mise en oeuvre des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, des libertés fondamentales.

Sur la légalité des atteintes portées à une liberté fondamentale :

En ce qui concerne la bonne exécution de l’ordonnance du 9 avril 2021 :

5. La circulaire du Premier ministre, en date du 19 mai 2021, précise les conditions d’entrée sur le territoire compte tenu des dispositions réglementaires édictées pour lutter contre l’épidémie de covid-19. Il n’est pas contesté qu’alors que l’article 2 de l’ordonnance du 9 avril 2021 lui prescrivait de prendre des mesures permettant la délivrance de visas en vue de mariage au titre des motifs impérieux dérogatoires permettant l’entrée sur le territoire, cette circulaire, non plus qu’aucune autre disposition réglementaire, n’est venue mentionner ce motif de délivrance. Ni le fait que d’autres motifs impérieux sont admis sans être pourtant énoncés par cette circulaire, ni celui qu’une instruction interne non publiée en date du 22 avril 2021 y procèderait, ni enfin la délivrance effective de visas dans certains cas de ce type ne sont de nature à justifier l’inexécution de l’ordonnance sur ce point, alors qu’aucun obstacle à la bonne exécution n’est invoqué. Les conclusions de la requête sur ce point doivent donc être accueillies.

6. L’attestation de déplacement dérogatoire, qui doit être téléchargée et renseignée en vue de l’obtention d’un visa auprès des autorités diplomatiques ou consulaires françaises à l’étranger ne prévoit pas plus, dans la liste limitative des motifs de demande qu’elle comporte, le motif du mariage. Alors que le droit de bénéficier d’un visa en vue d’un mariage sur le sol français n’est pas contesté, l’incomplétude de cette attestation méconnaît les droits des demandeurs, qui sont fondés à demander que cette illégalité soit corrigée.

Sur la nature des visas délivrés en vue d’un mariage :

7. Il est soutenu par les demandeurs, et il n’est pas contesté en défense, que la pratique des postes diplomatiques et consulaires en application des instructions expresses données par le ministère est de n’admettre, lorsqu’elles sont motivées par un mariage, que des demandes de visas de court séjour.

8. Aux termes de l’article L 312-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « tout étranger souhaitant entrer en France en vue d’y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour (…) / Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois en qualité de visiteur, d’étudiant, de stagiaire ou au titre d’une activité professionnelle, et plus généralement tout type de séjour d’une durée de plus de trois mois (…). ».

9. Il résulte de ces dispositions que l’invocation d’un mariage au soutien d’une demande de visa peut, en fonction des circonstances entourant la demande, conduire à la délivrance d’un visa de long séjour. S’il est loisible aux autorités de délivrer le visa correspondant le mieux aux besoins exprimés et notamment aux intentions du couple de s’installer durablement en France ou non, excluant ainsi que le projet de mariage justifie en toute circonstance la délivrance d’un visa de long séjour, aucune disposition du code, contrairement à ce qui est soutenu en défense, ne fait obstacle à ce que cette demande soit satisfaite par la délivrance d’un visa de long séjour. Au regard des instructions délivrées par le ministère aux postes diplomatiques et consulaires de ne délivrer en vue d’un mariage que des visas de court séjour, les demandeurs sont donc bien fondés à demander qu’il soit enjoint au ministère de modifier dans le sens qui précède les instructions émises.

Sur l’exigence d’une autorisation du pays d’origine :

10. En raison de la fermeture des frontières, certains pays étrangers ont subordonné la sortie de leur territoire à une autorisation assortie d’une autorisation de retour. Si cette pratique a pris fin dans certains Etats, il résulte des débats à l’audience que le ministère n’est pas en mesure d’assurer qu’elle n’est plus en vigueur nulle part. Dans ce cas, il subordonne la délivrance du visa à la production préalable de l’autorisation du pays d’origine. Cette pratique, ainsi que cela a été reconnu à l’audience, n’est fondée sur aucune disposition du code qui subordonnerait la délivrance d’un visa par la France à la production d’une telle attestation, et est donc dénuée de fondement légal. Au surplus, ces attestations n’étant délivrées que sur production d’un visa, elles exigent des demandeurs une formalité impossible, et en outre inutile, puisque sans une telle autorisation, les demandeurs munis d’un visa ne pourraient en tout état de cause utiliser ce dernier. Les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint de mettre fin à cette pratique doivent donc être accueillies.

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête à fin d’injonction doivent être accueillies dans les limites ci-dessus énoncées, sans qu’il y ait lieu d’assortir ces injonctions de l’astreinte demandée.

Sur les conclusions fondées sur l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu de faire droit aux conclusions de la requête et de mettre à la charge de l’Etat sur ce fondement une somme de 3 000 euros.

O R D O N N E :

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Article 1er : Il est enjoint au Premier ministre de modifier la circulaire du 19 mai 2021 afin d’y indiquer que le mariage en France constitue un motif impérieux permettant en principe la délivrance d’un visa, qui peut être selon les circonstances et si les conditions de délivrance en sont remplies, de long ou de court séjour.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur de modifier l’attestation de déplacement international afin que la possibilité de solliciter un visa de court ou de long séjour en vue d’un mariage y soit expressément mentionnée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur d’informer les postes diplomatiques et consulaires que la délivrance d’un visa de court ou de long séjour en vue d’un mariage ne peut être subordonnée à la délivrance d’une autorisation de sortie et de retour de l’Etat de résidence du demandeur.

Article 4 : L’Etat versera à l’Association de soutien aux amoureux au ban public la somme de 3 000 euros.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme F…, première dénommée, pour l’ensemble des requérants, et au ministre de l’intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.

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