Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 29 novembre 2021, 458385, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CE, référé collégial, 29 nov. 2021, n° 458385
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 458385
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Nantes, 28 octobre 2021, N° 2112061
Date de dernière mise à jour : 28 août 2023
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044446199
Identifiant européen : ECLI:FR:CEORD:2021:458385.20211129

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

L’association Al Qalam a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 25 octobre 2021 par lequel le préfet de la Sarthe a prononcé, sur le fondement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, la fermeture pour une durée de six mois du lieu de culte « Mosquée d’Allonnes », située 10 rue Charles Gounod à Allonnes dans la Sarthe. Par une ordonnance n° 2112061 du 29 octobre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 et 25 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Al Qalam demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— sa requête est recevable dès lors qu’elle justifie d’un intérêt à agir ;

— la condition d’urgence est satisfaite dès lors que l’arrêté devrait, en l’absence d’intervention du juge des référés, entrer en vigueur dans les quarante-huit heures de son édiction ;

— il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’association et à la liberté de culte ;

— l’arrêté attaqué méconnaît le caractère contradictoire de la procédure consacré par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration dès lors que, en premier lieu, le délai laissé par le préfet à l’association pour lui faire part de ses observations a été fixé à huit jours seulement, en deuxième lieu, qu’il retient un grief, qui n’a pas été soumis à la contradiction, tiré de la présence dans les bâtiments abritant le lieu de culte de certains ouvrages, découverts lors de la visite domiciliaire réalisée le 12 octobre 2021, en troisième lieu, le préfet a refusé d’apporter des éléments de précision supplémentaires quant aux faits reprochés et, en dernier lieu, un agent des renseignements territoriaux était présent pendant tout le temps de l’entretien avec le représentant du préfet ;

— cet arrêté est entaché d’erreurs de fait dès lors que les éléments qu’il retient pour justifier l’application de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, issus notamment des notes blanches des services de renseignement, sont matériellement inexacts, erronés ou imprécis, et ne caractérisent pas une apologie du terrorisme, du djihad armé et de l’islam radical par le responsable de l’association ou par les imams officiant à la mosquée, ni une attitude de dissimulation de leur part, que les agissements de tiers qui sont retenus sont le fait de personnes qui ne sont pas connues par les dirigeants de l’association, et que les allégations concernant l’école coranique sont démenties par de nombreuses attestations ;

— il porte atteinte au principe de non-discrimination dès lors que le préfet se fonde sur des extraits d’ouvrages qui ne font que citer des textes religieux pour justifier la fermeture du lieu de culte, alors que la même lecture littérale pourrait être appliquée à d’autres textes religieux pour justifier la fermeture de tous les lieux de culte.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2021, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n’a pas produit d’observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— la Constitution, notamment son Préambule ;

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

— le code des relations entre le public et l’administration ;

— le code de la sécurité intérieure ;

— la loi du 9 décembre 1905 ;

— la décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 du Conseil constitutionnel ;

— le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’association Al Qalam, et d’autre part, le ministre de l’intérieur et le Premier ministre;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 26 novembre 2021, à 10 heures :

— les représentants de l’association Al Qalam ;

— les représentantes du ministre de l’intérieur ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. () ».

Sur le cadre juridique applicable au litige :

2. Aux termes de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure : « Aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, le représentant de l’Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes. / Cette fermeture, dont la durée doit être proportionnée aux circonstances qui l’ont motivée et qui ne peut excéder six mois, est prononcée par arrêté motivé et précédée d’une procédure contradictoire dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre Ier du code des relations entre le public et l’administration. / L’arrêté de fermeture est assorti d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures, à l’expiration duquel la mesure peut faire l’objet d’une exécution d’office. Toutefois, si une personne y ayant un intérêt a saisi le tribunal administratif, dans ce délai, d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la mesure ne peut être exécutée d’office avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d’une audience publique en application du deuxième alinéa de l’article L. 522-1 du même code ou, si les parties ont été informées d’une telle audience, avant que le juge ait statué sur la demande ».

3. Il résulte de ces dispositions législatives ainsi que de l’interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, que la mesure de fermeture d’un lieu de culte ne peut être prononcée qu’aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme et que les propos tenus en ce lieu, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s’y déroulent doivent soit constituer une provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme, soit provoquer à la commission d’actes de terrorisme ou en faire l’apologie.

4. La provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme, à la commission d’actes de terrorisme ou à l’apologie de tels actes peut, outre des propos tenus au sein du lieu de culte, résulter des propos exprimés, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, par les responsables de l’association chargée de la gestion de ce lieu ou par les personnes en charge du culte qui y officient ainsi que des propos émanant de tiers et diffusés dans les médias ou sur les réseaux sociaux relevant de la responsabilité de cette association ou de ces personnes en charge du culte.

5. Peut également révéler la diffusion, au sein du lieu de culte, d’idées ou de théories provoquant à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme, à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie au sens des dispositions de ce même article, notamment, la fréquentation du lieu de culte par des tiers prônant ces idées ou théories, l’engagement en faveur de telles idées ou théories des responsables de l’association chargée de la gestion de ce lieu et des personnes en charge du culte qui y officient ou la présence, sur le lieu de culte ou dans des lieux contrôlés par l’association gestionnaire ou les officiants du culte, d’ouvrages ou de supports en faveur de ces idées ou théories.

Sur l’office du juge des référés :

6. Il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, qu’en prescrivant la fermeture d’un lieu de culte sur le fondement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le lieu de culte ou dans la détermination des modalités de la fermeture.

7. La liberté du culte qui présente le caractère d’une liberté fondamentale confère à toute personne, dans le respect de l’ordre public, le droit d’exprimer les convictions religieuses de son choix et le droit de participer collectivement à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. Elle emporte par ailleurs la libre disposition des biens nécessaires à l’exercice du culte, sous la même réserve. Ainsi, un arrêté prescrivant la fermeture d’un lieu de culte, qui affecte l’exercice du droit de propriété, est susceptible de porter atteinte à cette liberté fondamentale.

8. En revanche, la liberté d’association, tant des fidèles que de l’association gestionnaire du lieu de culte, n’est pas affectée par la fermeture de celui-ci. Par ailleurs, si certaines discriminations peuvent constituer des atteintes à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, eu égard aux motifs qui les inspirent ou aux effets qu’elles produisent sur l’exercice d’une telle liberté, la méconnaissance du principe d’égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature. Par suite, la circonstance que d’autres lieux de culte ne feraient pas l’objet d’un arrêté de fermeture ne peut conduire, en tout état de cause, le juge des référés à ordonner des mesures sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

Sur le litige en référé :

9. Par un arrêté du 25 octobre 2021, le préfet de la Sarthe a prononcé la fermeture administrative, pour une durée de six mois, du lieu de culte « Mosquée d’Allonnes » sis 10, rue Charles Gounod à Allonnes, sur le fondement des dispositions de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure. L’association Al Qalam relève appel de l’ordonnance du 29 octobre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté.

10. L’arrêté contesté est motivé par rôle joué par les dirigeants de l’ « Association Allonnaise pour le Juste Milieu » et de l’association Al Qalam, gestionnaires du lieu de culte « Mosquée d’Allonnes » et par des imams y officiant, dont il relève, en premier lieu, qu’ils promeuvent une pratique radicale de l’islam, légitiment le recours au « djihad » par les armes et cultivent la haine des personnes ne pratiquant pas la religion musulmane, en deuxième lieu, qu’ils ont légitimé des attentats terroristes commis en France, en troisième lieu, qu’ils entretiennent des relations avec des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale et acquis aux thèses djihadistes et enfin, qu’ils diffusent un enseignement très radical au sein de l’école existant au sein du lieu de culte.

11. En premier lieu, il résulte, tant des termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative que du but dans lequel la procédure qu’il instaure a été créée, que doit exister un rapport direct entre l’illégalité relevée à l’encontre de l’autorité administrative et la gravité de ses effets au regard de l’exercice de la liberté fondamentale en cause. La seule circonstance que la décision attaquée aurait été prise en méconnaissance de la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, à la supposer établie, ne saurait par elle-même porter une atteinte grave à la liberté de culte, au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

12. En second lieu, il résulte de l’instruction, et notamment des notes blanches précises et circonstanciées des services de renseignements, soumises au débat contradictoire, d’une part, que (pseudo)MM. AB et DC (/pseudo), ont lors de prêches, fait l’apologie du « djihad » par les armes et tenu des propos haineux à l’encontre des « mécréants », d’autre part, que certains des dirigeants des associations gestionnaires du lieu de culte, de leurs membres actifs et des personnes nommément désignées, ont légitimé les attentats terroristes commis en France, notamment celui du 16 octobre 2020 ayant causé la mort de M. B et celui du 23 avril 2021 contre le commissariat de Rambouillet, enfin, que certaines de ces personnes ont mis en œuvre un prosélytisme radical envers des jeunes fréquentant le lieu de culte. Si l’association requérante produit notamment de nombreuses attestations de personnes se présentant comme des fidèles de ce lieu de culte, qui certifient ne jamais avoir entendu de tels propos, et de collègues et connaissances de (pseudo) M. A (/pseudo) témoignant de ses qualités professionnelles et humaines, ces attestations, rédigées pour la plupart en termes généraux, ne sont pas de nature à remettre en cause les éléments précis et concordants relevés par le préfet, qui établissent la diffusion, au sein de la mosquée d’Allonnes, d’idées et de théories provoquant à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme au sens de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, la circonstance que (pseudo) M. A (/pseudo) soit apprécié dans son environnement professionnel, familial et social étant sans incidence à cet égard.

13. Dans ces conditions, le préfet de la Sarthe a pu, sans commettre d’erreur de droit ou de fait, estimer que les propos tenus et les idées et théories diffusées par le lieu de culte « Mosquée d’Allonnes » constituaient des provocations justifiant, en vue de prévenir la commission d’actes de terrorisme, sa fermeture provisoire sur le fondement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure. En prenant la mesure contestée, il n’a pas porté une atteinte manifestement illégale à la liberté de culte. Par suite, la fédération requérante, qui ne peut utilement se prévaloir d’une atteinte à la liberté d’association ou au principe d’égalité ainsi qu’il a été dit au point 8 ci-dessus, n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :

— -----------------

Article 1er : La requête de l’association Al Qalam est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association Al Qalam et au ministre de l’intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l’issue de la séance du 26 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme D C et M. Jean-Yves Ollier, conseillers d’Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 29 novembre 2021

Signé : Rémy Schwartz4583854

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