CEDH, RIVARD c. SUISSE, 18 décembre 2013, 21563/12

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 18 déc. 2013, n° 21563/12
Numéro(s) : 21563/12
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-140171
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Texte intégral

Communiquée le 18 décembre 2013

DEUXIÈME SECTION

Requête no 21563/12
Joseph Paul Francois RIVARD
contre la Suisse
introduite le 5 avril 2012

EXPOSÉ DES FAITS

Le requérant, M. Joseph Paul Francois Rivard, est un ressortissant canadien né en 1950 et résidant à Duillier. Il est représenté devant la Cour par Me Alain-Valéry Poitry, avocat à Nyon.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le 9 avril 2010, le véhicule que le requérant conduisait fut contrôlé à une vitesse de 132 km/h sur une portion de l’autoroute où la vitesse était limitée à 100 km/h.

Le 6 juillet 2010, le Service des contraventions du Canton de Genève infligea au requérant une amende de 600 Francs suisses (CHF) pour infraction aux articles 27, 32 et 90 de la Loi fédérale sur la circulation routière (« LCR »), en relation avec les articles 4a et 45 de l’Ordonnance fédérale du 13 novembre 1962 sur la circulation routière.

Cette décision devint exécutoire et le requérant s’acquitta de l’amende.

Le 2 septembre 2010, le Service des automobilistes et de la navigation du canton de Vaud ordonna le retrait du permis de conduire du requérant pour une durée d’un mois, qualifiant l’infraction pour laquelle le requérant avait été condamné à Genève de « moyennement grave » au sens de l’article 16b LCR.

La réclamation que le requérant avait formulé contre cette deuxième décision fut rejetée le 8 octobre 2010 par la même administration.

Par arrêt du 28 janvier 2001, le Tribunal cantonal du Canton de Vaud rejeta le recours du requérant contre cette décision.

Le requérant attaqua l’arrêt du Tribunal cantonal devant le Tribunal fédéral invoquant l’article 4 § 1 du Protocole additionnel no 7 à la Convention estimant que la sanction administrative dont il avait fait l’objet violait le principe ne bis in idem, dans la mesure où il avait déjà subi une amende pénale pour les mêmes faits.

Le 26 septembre 2011, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant s’exprimant notamment en ces termes :

2.

Invoquant l’art. 4 ch. 1 du Protocole additionnel no 7 à la CEDH, le recourant estime que la mesure administrative prononcée sur la base des mêmes faits que la sanction pénale, violerait le principe « ne bis in idem ». Il se réfère à l’interprétation que donne de cet article l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Zolotoukhine contre Russie du 10 février 2009 (ci-après: l’arrêt Zolotoukhine) (...)

Dans son argumentation, la Cour européenne a relevé que la diversité des approches adoptées pour vérifier si l’infraction pour laquelle un requérant a été poursuivi était en fait la même que celle pour laquelle il avait déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif, était source d’une insécurité juridique incompatible avec ce droit fondamental qu’est le droit de ne pas être poursuivi deux fois pour la même infraction. Elle a décidé d’harmoniser l’interprétation de la notion de « même infraction » - l’élément « idem » du principe « ne bis in idem » – aux fins de l’art. 4 du Protocole no 7 (arrêt précité, § 78). Elle a retenu à cet égard que l’approche qui privilégie la qualification juridique des deux infractions est trop restrictive des droits de la personne, car si la Cour européenne s’en tient au constat que l’intéressé a été poursuivi pour des infractions ayant une qualification juridique différente, elle risque d’affaiblir la garantie consacrée par l’art. 4 du Protocole no 7 et non de la rendre concrète et effective comme le requiert la CEDH (arrêt précité, § 81). En conséquence, l’art. 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (arrêt précité, § 82).

Il s’agit donc d’adopter une approche fondée strictement sur l’identité des faits matériels et de ne pas retenir la qualification juridique de ces faits comme critère pertinent (...)

2.3

Le droit suisse prévoit une double procédure pénale et administrative en matière de répression des infractions relatives à la circulation routière: le juge pénal se prononce sur les sanctions pénales (amende, peine pécuniaire, travail d’intérêt général ou peine privative de liberté) prévues par les dispositions pénales de la LCR (art. 90 ss LCR) et par le Code pénal (art. 34 ss, 106 et 107 CP), tandis que les autorités administratives compétentes décident de mesures administratives (avertissement ou retrait de permis) prévues par les art. 16 ss LCR. La question à résoudre en l’espèce est uniquement celle de savoir si la double procédure pénale et administrative prévue par la LCR est conforme à l’interprétation de l’art. 4 ch. 1 du Protocole additionnel no 7 à la CEDH, telle qu’elle ressort de l’arrêt Zolotoukhine (...)

2.3.2

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la double procédure pénale et administrative prévue en droit suisse pour les infractions relatives à la circulation routière ne viole pas le principe "ne bis in idem". En effet, l’application dudit principe suppose en particulier que le juge de la première procédure ait été mis en mesure d’apprécier l’état de fait sous tous ses aspects juridiques. Cette condition fait défaut en l’espèce en raison des pouvoirs de décision limités de chacune des autorités compétentes. Ainsi, seules les deux autorités prises ensemble peuvent examiner l’état de fait dans son intégralité sous tous ses aspects juridiques (ATF 125 II 402 consid. 1b p. 404 s.). Le Tribunal fédéral a toutefois précisé que l’autorité administrative statuant sur un retrait du permis de conduire ne peut, en principe, pas s’écarter des constatations de fait d’un prononcé pénal entré en force. La sécurité du droit commande en effet d’éviter que l’indépendance du juge pénal et du juge administratif ne conduise à des jugements opposés, rendus sur la base des mêmes faits (ATF 109 Ib 203 consid. 1 p. 204 ; 96 1 766 consid. 4 p. 774). L’autorité administrative ne peut s’écarter du jugement pénal qu’à certaines conditions (ATF 129 II 312 consid. 2.4 p. 315 ; 123 II 97 consid. 3c/aa p. 104).

2.3.3

En matière d’infractions aux règles de la circulation routière, la Cour européenne s’est déjà prononcée sur la dualité des procédures administrative et pénale. Après avoir relevé que l’annulation du permis de conduire revêt, par son degré de gravité, un caractère punitif et dissuasif et s’apparente à une sanction pénale, elle a considéré que le retrait du permis de conduire ordonné par une autorité administrative, consécutivement à une condamnation pénale à raison des mêmes faits, n’emporte pas une violation de l’art. 4 du Protocole no 7, lorsque la mesure administrative découle de manière directe et prévisible de la condamnation, dont elle ne constitue que la conséquence (arrêt Nilsson contre Suède du 13 décembre 2005 no 73661/01 Recueil CEDH 2005-XIII p. 333 ss ; arrêt R.T. contre Suisse du 30 mai 2000, in : JAAC 64.152). L’étroite connexion entre les deux sanctions a amené la Cour européenne à conclure que la mesure administrative s’apparente à une peine complémentaire à la condamnation pénale, dont elle fait partie intégrante (arrêt Maszni contre Roumanie du 21 septembre 2006 § 69 et les arrêts cités).

2.4

Si l’arrêt Zolotoukhine a clarifié l’application du principe "ne bis in idem" en tranchant en faveur du critère de l’identité des faits, il ne s’est pas prononcé sur le cumul des procédures administrative et pénale en matière d’infractions contre la circulation routière. Ce domaine est particulier à différents titres. D’abord, même si le retrait du permis de conduire présente un caractère pénal (ATF 128 II 173 consid. 3c p. 176 et les arrêts cités), il s’agit d’une sanction administrative indépendante de la sanction pénale, avec une fonction préventive et éducative prépondérante (ATF 128 II 173 consid. 3c p. 177; 125 II 396 consid. 2a/aa p. 399). Son but principal est de garantir le respect des règles de la circulation routière et la sécurité des usagers de la route (voir également Message du 21 septembre 1998 concernant la modification du Code pénal suisse et du Code pénal militaire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 p. 1787 ss., p. 1865). Ensuite, le système dual prévu par la LCR, dans lequel le juge pénal n’est pas compétent pour ordonner le retrait du permis de conduire, mesure qui relève de l’autorité administrative, a pour conséquence que seul le concours des deux autorités permet de subsumer l’état de fait à toutes les règles juridiques. Toutes les conséquences de l’acte délictueux ne pouvant pas être jugées ensemble, deux autorités aux compétences distinctes, ne disposant pas du même type de sanction, poursuivant des buts distincts, sont successivement amenées à statuer sur le même état de fait dans le contexte de deux procédures distinctes. Tel n’est pas le cas du système sanctionné par l’arrêt Zolotoukhine, dont les considérants se rapportent à deux procédures (administrative et pénale) sanctionnant un même état de fait, conduites par le même tribunal disposant des mêmes sanctions.

Dans ces circonstances, il est difficile de savoir si, en rendant l’arrêt Zolotoukhine, la Cour européenne a voulu remettre en cause l’arrêt topique Niisson contre Suède susmentionné, au regard duquel la coexistence des procédures administrative et pénale en matière de répression d’infractions routières ne viole pas le principe "ne bis in idem". On ne peut pas non plus déduire du bref paragraphe 82 de l’arrêt Zolotoukhine (cf. supra consid. 2.2) que toutes les doubles procédures prévues par les systèmes légaux soient à proscrire.

De surcroît, ce raisonnement est renforcé par le fait que le législateur fédéral a clairement rejeté la proposition de transférer le retrait d’admonestation au juge pénal. Dans le cadre de la révision de la partie générale du Code pénal, lors de la procédure de consultation, la proposition de transférer le retrait du permis de conduire au juge pénal n’a recueilli l’adhésion que de la moitié des cantons environ et a été rejetée par la quasi-unanimité des organisations et services spécialisés (Message du 21 septembre 1998 précité, p. 1865). Dans la procédure de consultation relative au projet de révision de la LCR, 23 cantons ont souhaité que le conducteur fautif puisse faire l’objet d’une procédure administrative indépendante de la procédure pénale (Message du 21 septembre 1998 précité, p. 1865). Dans son Message, le Conseil fédéral a notamment relevé que la pratique suisse était très bien acceptée et que tel qu’il était prévu dans la LCR, le retrait inconditionnel du permis de conduire représentait une mesure d’intérêt public très efficace (Message du 21 septembre 1998 précité, p. 1866). Plus récemment, le Conseil fédéral a décidé que les tribunaux de la circulation - dont la création simplifierait, rationaliserait et unifierait les procédures concernant les infractions aux règles de la circulation routière - ne pouvaient être institués contre la résistance claire de 22 cantons (Message du 20 octobre 2010 concernant Via sicura, le programme d’action de la Confédération visant à renforcer la sécurité routière, FF 2010 p. 7703 ss, p. 7745). Par conséquent, il n’y a pas lieu de s’écarter de la jurisprudence prévalant jusqu’à ce jour. Ce d’autant moins que la procédure pénale fédérale et les procédures administratives cantonales assurent toutes les garanties juridiques au sens des art. 29 à 30 Cst. et 6 CEDH (...)

B.  Le droit interne pertinent

Loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958

Art. 27 - Signaux, Marques et ordres à observer

1Chacun se conformera aux signaux et aux marques ainsi qu’aux ordres de la police. Les signaux et les marques priment les règles générales; les ordres de la police ont le pas sur les règles générales, les signaux et les marques.

2Lorsque fonctionnent les avertisseurs spéciaux des voitures du service du feu, du service d’ambulances, de la police ou de la douane, la chaussée doit être immédiatement dégagée. S’il le faut, les conducteurs arrêtent leur véhicule.

Art. 16 – Retrait des permis

1Les permis et les autorisations seront retirés lorsque l’autorité constate que les conditions légales de leur délivrance ne sont pas ou ne sont plus remplies; ils pourront être retirés lorsque les restrictions ou les obligations imposées dans un cas particulier, lors de la délivrance, n’auront pas été observées (...)

3Les circonstances doivent être prises en considération pour fixer la durée du retrait du permis d’élève conducteur ou du permis de conduire, notamment l’atteinte à la sécurité routière, la gravité de la faute, les antécédents en tant que conducteur ainsi que la nécessité professionnelle de conduire un véhicule automobile. La durée minimale du retrait ne peut toutefois être réduite.

4Le permis de circulation peut être retiré pour une durée adaptée aux circonstances :

a. en cas d’usage abusif du permis ou des plaques de contrôle (...)

Art. 16b - Retrait du permis de conduire après une infraction moyennement grave

1Commet une infraction moyennement grave la personne :

a. qui, en violant les règles de la circulation, crée un danger pour la sécurité d’autrui ou en prend le risque (...)

2Après une infraction moyennement grave, le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire est retiré :

a. pour un mois au minimum (...)

Art. 32 – vitesse

1La vitesse doit toujours être adaptée aux circonstances, notamment aux particularités du véhicule et du chargement, ainsi qu’aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. Aux endroits où son véhicule pourrait gêner la circulation, le conducteur est tenu de circuler lentement et, s’il le faut, de s’arrêter, notamment aux endroits où la visibilité n’est pas bonne, aux intersections qu’il ne peut embrasser du regard, ainsi qu’aux passages à niveau.

2Le Conseil fédéral limitera la vitesse des véhicules automobiles sur toutes les routes.

3L’autorité compétente ne peut abaisser ou augmenter la vitesse maximale fixée par le Conseil fédéral sur certains tronçons de route qu’après expertise. Le Conseil fédéral peut prévoir des exceptions.

Art. 90 - Violation des règles de la circulation

1Celui qui aura violé les règles de la circulation fixées par la présente loi ou par les prescriptions d’exécution émanant du Conseil fédéral sera puni de l’amende.

2Celui qui, par une violation grave d’une règle de la circulation, aura créé un sérieux danger pour la sécurité d’autrui ou en aura pris le risque, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

3Dans les cas de ce genre, l’art. 237, ch. 2, du code pénal suisse n’est pas applicable.

GRIEF

Invoquant l’article 4 § 1 du Protocole no 7, le requérant soutient avoir été poursuivi et condamné deux fois pour les même faits.

QUESTION AUX PARTIES

Le requérant a-t-il, au mépris de l’article 4 § 1 du Protocole no 7, été poursuivi et puni deux fois pour les même faits ?

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Textes cités dans la décision

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