CEDH, ASTRUC c. FRANCE, 11 septembre 2017, 5499/15

  • Isolement·
  • Personnes·
  • Justice administrative·
  • État de santé,·
  • Établissement·
  • Juge des référés·
  • Cellule·
  • Centre pénitentiaire·
  • Détention·
  • Référé

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

CEDH

Communiqué de presse sur les affaires 42321/15, 48395/16, 29290/10, 18921/15, 66581/12, 25054/15, 30373/13, 22238/13, 30334/13, 38246/13, …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, 11 sept. 2017, n° 5499/15
Numéro(s) : 5499/15
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-177552
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

Communiquée le 11 septembre 2017

CINQUIÈME SECTION

Requête no 5499/15
Cyril ASTRUC
contre la France
introduite le 23 janvier 2015

EXPOSÉ DES FAITS

Le requérant, M. Cyril Astruc, est un ressortissant français né en 1973 et détenu à Fresnes. Il est représenté devant la Cour par Me P. Spinosi, avocat à Paris.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Incarcéré depuis le 10 janvier 2014, le requérant fut placé à l’isolement à titre provisoire, le 8 avril 2014, pour avoir été trouvé en possession d’objets ne pouvant pas être achetés dans la prison (produits d’hygiène corporelle, corbeille à pain et housse de couette). Le 11 avril 2014, sur le fondement des articles R. 57-7-62 et suivants du code de procédure pénale (voir droit interne pertinent ci-dessous), et après un débat contradictoire au cours duquel le requérant reconnut détenir les objets litigieux, le chef d’établissement pénitentiaire décida son placement à l’isolement du 12 avril 2014 au 12 juillet 2014, afin de « prévenir la réitération de ces introductions frauduleuses d’objets ». Compte tenu de la reconnaissance des faits par le requérant et de ce qu’il avait été placé sous mandat de dépôt « pour entre autres corruption active (proposition ou fourniture d’avantage à une personne dépositaire de l’autorité publique) », le placement à l’isolement fut considéré comme l’unique moyen de garantir la sécurité des personnes et de prévenir tout risque de trouble en détention.

Le 13 avril 2014, le requérant saisit le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (ci-après CJA, voir droit interne pertinent ci-dessous) aux fins de voir suspendre l’exécution de cette décision. Il fit valoir qu’il souffrait de claustrophobie et de troubles du sommeil, ainsi que d’une perte de repères spatiaux-temporels, aggravés par son placement à l’isolement.

Par une ordonnance du 15 avril 2014, confirmée par le Conseil d’État le 23 avril 2014, le juge des référés rejeta la requête comme étant dépourvue de caractère d’urgence, en indiquant, d’une part, que l’exécution d’une décision de placement à l’isolement d’un détenu ne traduit pas, par elle-même, l’existence d’une situation d’urgence et, d’autre part, que ni les éléments recueillis dans le cadre de l’instruction ni ceux fournis par le requérant n’établissaient la réalité des troubles psychologiques et psychiques qu’il présenterait depuis son incarcération, non plus que l’aggravation de ces troubles depuis son placement à l’isolement.

Le 18 avril 2014, une psychologue officiant au sein du centre de soins du centre pénitentiaire rédigea une attestation faisant état d’un suivi psychologique du requérant initié le 14 mars 2014. Cette attestation relève l’existence chez le requérant d’une fragilité thymique exacerbée par le placement en isolement, d’une fragilité narcissique et d’un sentiment de vulnérabilité, lui aussi accentué par l’isolement. Elle précise que le rythme des entretiens psychologiques et infirmiers a été doublé à partir du placement en isolement. Elle conclut : « le requérant montre une évolution certaine concernant sa capacité de remise en question, même si l’expression des affects reste encore précaire à ce jour ».

Le 30 avril 2014, le requérant fut admis à l’unité psychiatrique d’hospitalisation (UPH) de la prison, destinée à la prise en charge des patients en état de souffrance psychique aigüe et se vit appliquer un protocole dit de « mise en cellule d’isolement médical », consistant en un placement en cellule capitonnée avec surveillance pénitentiaire renforcée.

Le même jour, l’avocat du requérant demanda au chef d’établissement la suspension de la mesure de placement à l’isolement en faisant valoir les conséquences de celle-ci sur l’état de santé du requérant.

Le requérant ressortit de l’UPH le surlendemain, à sa demande, et fut replacé à l’isolement.

Le 5 mai 2014, le requérant présenta une nouvelle demande au juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA aux fins de voir suspendre l’exécution de la décision le plaçant à l’isolement. Il fit notamment valoir que son état de santé s’était considérablement dégradé depuis son précédent recours – il s’était d’ailleurs vu prescrire un traitement anxiolytique lourd – et que la détention de produits d’hygiène et autres ne saurait constituer un risque pour l’établissement pénitentiaire ou les personnes.

Par une ordonnance du même jour, le juge des référés rejeta la requête après avoir relevé ce qui suit : « [l’] hospitalisation [du requérant] en secteur psychiatrique du centre pénitentiaire n’a duré que trois jours ; (...) [le requérant] ne produit aucun certificat émanant d’un psychiatre ou d’un médecin généraliste attestant que son hospitalisation devrait perdurer et [qu’il] n’est pas apte à reprendre la détention à l’isolement dans les conditions qui sont actuellement les siennes ; (...) le seul certificat qu’il produit est celui d’une psychologue du centre pénitentiaire de Fresnes, qui atteste que le requérant bénéficie d’un suivi psychologique au rythme d’une séance hebdomadaire, porté à deux séances depuis sa mise à l’isolement ; (...) sa compliance à ces séances permet une évolution certaine de son état ; qu’il n’est ainsi pas décrit une évolution défavorable de son état ».

La requête fut rejetée pour défaut de caractère d’urgence, le requérant n’établissant pas qu’une décision propre à protéger une liberté fondamentale doive être prise dans les 48 heures. Le juge rejeta en conséquence les conclusions à fin de suspension de la mesure en faisant application de l’article L. 522-3 du code de procédure pénale (CPP) (procédure de tri sans procédure contradictoire, voir droit interne pertinent ci-dessous).

Le 9 mai 2014, le chef de l’établissement pénitentiaire rejeta la demande de l’avocat du requérant datée du 30 avril, au motif notamment qu’aucun médecin ne l’avait « saisi de la nécessité d’aménager ses conditions de détention ». Le 20 mai 2014, l’avocat lui répondit que le requérant vivait très mal son placement au quartier d’isolement et qu’il n’avait vu aucun médecin depuis sa sortie de l’UPH.

Le 21 mai 2014, le requérant fit un pourvoi devant le Conseil d’État pour demander l’annulation de l’ordonnance du 5 mai 2014. Il soutint que le juge des référés avait rendu son ordonnance au terme d’une procédure irrégulière car non contradictoire, au mépris des articles 3, 6 § 1 et 13 de la Convention. Il affirma également que ce juge avait commis une erreur de droit en mettant à sa charge la preuve de son état de santé et en estimant que la condition d’urgence n’était pas remplie sans avoir recherché si la mesure ne constituait pas par elle-même un traitement inhumain ou dégradant, et alors que l’évolution de son état de santé était défavorable. Il souligna enfin qu’il avait été privé d’un examen au fond des motifs justifiant la mesure de placement à l’isolement avant l’expiration de cette mesure.

Le 17 juin 2014, le requérant fut par ailleurs condamné disciplinairement à un confinement en cellule de détention ordinaire pendant sept jours du fait de la présence dans sa cellule d’une clé USB ne pouvant pas être achetée dans la prison. Il fut sorti d’isolement pour exécuter cette sanction, à l’issue de laquelle il demeura en détention ordinaire.

Le 23 juillet 2014, le Conseil d’État déclara non admis le pourvoi du requérant contre l’ordonnance du 5 mai 2014.

B.  Le droit interne pertinent

1.  Le placement à l’isolement

Art. 726-1 du code de procédure pénale

« Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l’autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l’isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d’office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu’après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L’isolement ne peut être prolongé au-delà d’un an qu’après avis de l’autorité judiciaire.

Le placement à l’isolement n’affecte pas l’exercice des droits visés à l’article 22 de la loi no 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, sous réserve des aménagements qu’impose la sécurité.

Lorsqu’une personne détenue est placée à l’isolement, elle peut saisir le juge des référés en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. »

Art. R. 57-7-62 du code de procédure pénale

« La mise à l’isolement d’une personne détenue, par mesure de protection ou de sécurité, qu’elle soit prise d’office ou sur la demande de la personne détenue, ne constitue pas une mesure disciplinaire.

La personne détenue placée à l’isolement est seule en cellule.

Elle conserve ses droits à l’information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique, à l’exercice du culte et à l’utilisation de son compte nominatif.

Elle ne peut participer aux promenades et activités collectives auxquelles peuvent prétendre les personnes détenues soumises au régime de détention ordinaire, sauf autorisation, pour une activité spécifique, donnée par le chef d’établissement.

Toutefois, le chef d’établissement organise, dans toute la mesure du possible et en fonction de la personnalité de la personne détenue, des activités communes aux personnes détenues placées à l’isolement.

La personne détenue placée à l’isolement bénéficie d’au moins une heure quotidienne de promenade à l’air libre. »

Art. R. 57-7-63 du code de procédure pénale

« La liste des personnes détenues placées à l’isolement est communiquée quotidiennement à l’équipe de l’unité de consultation et de soins ambulatoires de l’établissement.

Le médecin examine sur place chaque personne détenue au moins deux fois par semaine et aussi souvent qu’il l’estime nécessaire.

Ce médecin, chaque fois qu’il l’estime utile au regard de l’état de santé de la personne détenue, émet un avis sur l’opportunité de mettre fin à l’isolement et le transmet au chef d’établissement. »

Art. R. 57-7-73 du code de procédure pénale

« Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé. »

Art. R. 57-7-75 du code de procédure pénale

« L’hospitalisation de la personne détenue ou son placement en cellule disciplinaire sont sans effet sur le terme de l’isolement antérieurement décidé. »

Art. R. 57-7-75 du code de procédure pénale

« Il peut être mis fin à la mesure d’isolement à tout moment par l’autorité qui a pris la mesure ou qui l’a prolongée, d’office ou à la demande de la personne détenue. »

Circulaire du 14 avril 2011 relative au placement à l’isolement des personnes détenues

« Une mesure de placement à l’isolement d’office ou à la demande d’une personne détenue ne peut être prise que pour des motifs de protection de cette personne ou de maintien de la sécurité des personnes et de l’établissement.

La décision doit procéder de raisons sérieuses et d’éléments objectifs et concordants permettant de redouter des incidents graves de la part de la personne détenue ou dirigés contre elle.

L’isolement est une mesure susceptible d’aggraver les conditions de détention des personnes qui y sont soumises, principalement en restreignant les contacts humains et sociaux au quotidien. Ces restrictions, surtout lorsque l’isolement est prolongé, peuvent induire des conséquences physiques et psychiques auxquelles il convient d’être attentif.

(...)

L’isolement ne peut être décidé que par mesure de protection ou de sécurité, en tenant compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité particulière, et de son état de santé. Une attention particulière doit ainsi être portée aux personnes détenues les plus vulnérables, par exemple au regard de leurs problématiques psychologiques particulières.

(...)

Dans toutes les hypothèses, la décision de placement à l’isolement ne peut être envisagée que s’il n’existe pas d’autre possibilité d’assurer la protection des personnes détenues ou de la sécurité de l’établissement. À chaque niveau de décision, les alternatives à l’isolement doivent être étudiées.

Le chef d’établissement doit être particulièrement attentif à l’impact de la mesure sur l’état psychique de la personne

(...)

La mise à l’isolement doit procéder de raisons sérieuses et d’éléments objectifs et concordants permettant de redouter des incidents graves de la part de la personne détenue concernée ou dirigés contre elle. La motivation doit indiquer de quels risques il s’agit (risques d’évasion, risques d’agression ou de pression, risques de mouvements perturbant la collectivité des personnes détenues, risques de connivence ou d’entente...), et préciser qui la mesure entend protéger (protéger la vie ou l’intégrité physique de certaines personnes détenues, de l’isolé lui-même, des personnels ou la sécurité de l’établissement).

(...)

Les effets néfastes d’un isolement prolongé imposent un contrôle vigilant de la durée de la mesure par le chef d’établissement et le directeur interrégional. La possibilité de lever l’isolement doit être étudiée à tout moment de la mesure et a minima à l’approche de l’échéance de la mesure en cours.

(...) L’article R. 57-7-63 du CPP dispose que « chaque fois qu’il l’estime utile au regard de l’état de santé de la personne détenue, le médecin émet un avis sur l’opportunité de mettre fin à l’isolement ». Au-delà des visites régulières du médecin, le chef d’établissement peut solliciter le service médical et lui demander un avis quant à l’impact de la mesure sur l’état de santé de la personne détenue. »

2.  Le référé-liberté

Art. L. 521-2 du code de justice administrative

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

Article L. 522-1 du code de justice administrative

« Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale.

Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique.

Sauf renvoi à une formation collégiale, l’audience se déroule sans conclusions du rapporteur public. »

Article L. 522-3 du code de justice administrative

« Lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu’il y ait lieu d’appliquer les deux premiers alinéas de l’article L. 522-1. »

Article L. 523-1 alinéa 2 du code de justice administrative

«Les décisions rendues en application de l’article L 521-2 sont susceptibles d’appel devant le Conseil d’Etat dans les quinze jours de leur notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures et exerce le cas échéant les pouvoirs prévus à l’article L. 521-4. »

GRIEF

Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant allègue que son maintien en isolement après une hospitalisation à l’unité psychiatrique d’hospitalisation du centre pénitentiaire de Fresnes a constitué un traitement contraire à cette disposition. Il affirme, d’une part, qu’aucune raison ne justifiait que la mesure soit prolongée à ce stade et, d’autre part, que les autorités n’ont pas suffisamment pris en compte son état de santé au moment de décider son maintien à l’isolement.

QUESTION AUX PARTIES

A la lumière notamment de l’arrêt Onoufriou c. Chypre (no 24407/04, 7 janvier 2010), le requérant a-t-il été soumis, en violation de l’article 3 de la Convention, à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ?

Le Gouvernement est invité à préciser les modalités du contrôle médical du requérant tout au long de sa mise à l’isolement. Le requérant est invité à fournir les « justificatifs médicaux (attestations SMPR et prescriptions médicales) » présentés à l’appui de son recours en référé introduit le 5 mai 2014.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, ASTRUC c. FRANCE, 11 septembre 2017, 5499/15