CEDH, Cour (troisième section), McGUINNESS c. le ROYAUME-UNI, 8 juin 1999, 39511/98

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Sur la décision

Texte intégral

[TRADUCTION]

(...)

EN FAIT

Le requérant [M. Martin McGuinness] est un ressortissant irlandais né en Irlande du Nord en 1950. Il est membre élu du parlement britannique, où il représente le Sinn Fein. Il réside à Derry, en Irlande du Nord.

Il est représenté devant la Cour par M. M. Flanigan, solicitor, exerçant à Belfast.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits tels qu’ils ont été exposés par le requérant peuvent être résumés comme suit.

Lors des élections législatives du 1er mai 1997, le requérant fut élu député pour la circonscription du Moyen-Ulster en Irlande du Nord. Son parti, le Sinn Fein, qui recueillit 16,1 % des voix émises en Irlande du Nord lors desdites élections, est un parti républicain irlandais qui lutte pour que soit reconnu le droit à l’autodétermination du peuple irlandais.

Le requérant fit savoir aux électeurs de sa circonscription durant la campagne électorale que, conformément à la politique officielle du Sinn Fein, il ne prêterait pas le serment d’allégeance (« le serment ») à la monarchie britannique que les députés doivent prononcer pour pouvoir siéger au parlement. Il précisa toutefois qu’il se rendrait au palais de Westminster, siège du parlement, afin d’utiliser les facilités ordinaires accordées aux députés, à savoir un bureau, une enveloppe pour rémunérer du personnel, des facilités pour la recherche, des indemnités de déplacement, des services de radiodiffusion et l’accès à des zones protégées afin d’entretenir des contacts avec d’autres députés. Il estimait que les membres élus non disposés à prêter serment devaient pouvoir néanmoins bénéficier desdits services.

Le serment prévu à l’article 1 de la loi sur les serments parlementaires (Parliamentary Oaths Act) de 1866 (« la loi de 1866 »), amendé par les articles 2, 8 et 10 de la loi sur les serments promissoires (Promissory Oaths Act) de 1868, est le suivant :

« Moi, [nom], je jure fidélité et allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth II, à ses héritiers et à ses successeurs, conformément à la loi. Que Dieu me vienne en aide. »

Le 14 mai 1997, la présidente (Speaker) de la Chambre des communes (« la présidente de la Chambre ») prononça la déclaration suivante devant la Chambre :

« Cette chambre a toujours admis l’expression des opinions les plus extrêmes. Je suis donc certaine qu’elle répugnerait à dresser des obstacles inutiles sur la route des députés souhaitant exercer leur mandat démocratique en siégeant à la Chambre, en s’y exprimant et en y votant. De la même manière, je suis convaincue que ceux qui choisissent de ne pas occuper leur siège ne doivent pas avoir accès aux nombreux avantages et facilités qui sont aujourd’hui disponibles dans cette maison, puisqu’ils n’assument pas leurs responsabilités de députés.

La situation actuelle est que, d’après la loi sur les serments parlementaires de 1866, tout député qui s’abstient de prêter le serment ou de faire la déclaration que la loi requiert et qui vote ou siège lors de quelque débat que ce soit après l’élection du président de la Chambre est astreint à payer une amende de 500 GBP à chaque fois, son siège devenant par ailleurs automatiquement vacant.

En 1924, l’un de mes prédécesseurs décida que tout député se trouvant dans ladite situation ne pouvait percevoir sa rémunération, et cette décision vaut également pour les indemnités.

Dans l’intérêt de la Chambre et faisant usage du pouvoir que détient son président d’administrer les bureaux et services situés dans les parties et dépendances du palais de Westminster réservées à la Chambre des communes, j’ai décidé d’étendre lesdites restrictions. A compter de la date à laquelle se terminera le discours de la Reine, les services qui sont accessibles à l’ensemble des autres députés dans les six départements de la Chambre et au-delà ne pourront être utilisés par les députés qui ont choisi de ne pas occuper leur siège en refusant de prêter le serment ou de prononcer la déclaration prescrits (…) »

Le 19 mai 1997, le requérant se rendit à Westminster avec M. Gerry Adams, l’autre député du Sinn Fein – dont il était le président – élu lors des élections législatives de 1997. Ils furent officiellement informés qu’il leur serait interdit d’utiliser les services et facilités offerts par la Chambre des communes s’ils ne prêtaient pas le serment requis.

Le 4 juillet 1997, M. Adams écrivit à la présidente de la Chambre des communes pour lui demander de revenir sur sa décision. La présidente répondit le 8 juillet 1997 que sa décision se fondait sur les motifs exposés dans sa déclaration.

Le 12 août 1997, le requérant sollicita de la High Court of Justice d’Irlande du Nord l’autorisation de demander un contrôle juridictionnel de la décision de la présidente ainsi qu’une déclaration aux termes de laquelle la loi de 1866, dans la mesure où elle obligeait à jurer ou déclarer allégeance à la monarchie britannique, était incompatible avec ses droits constitutionnels de député. Le juge Kerr examina la requête le 1er octobre 1997.

Le 3 octobre 1997, il en débouta le requérant. Quant à la thèse contestant l’autorité de la présidente de la Chambre d’étendre la restriction aux facilités et services, le juge considéra que la présidente agissait par délégation et au nom de la Chambre. Il fit observer de surcroît que le gouvernement de l’époque avait décidé en mars 1965 que l’administration des bureaux et services dans la Chambre des communes et dans ses dépendances devait être confiée au président de la Chambre agissant au nom de celle-ci. Le juge déclara par ailleurs ce qui suit :

« [Je suis] tout à fait convaincu que (…) la décision de la présidente s’inscrit parfaitement dans le cadre des arrangements internes à la Chambre des communes et qu’elle ne se prête pas à un contrôle juridictionnel. Il a été reconnu il y a longtemps que le contrôle des arrangements internes au parlement appartient exclusivement à celui-ci et qu’une intervention judiciaire est exclue à cet égard (…) »

Quant à la contestation par le requérant de la validité de la loi de 1866, le juge Kerr estima que, s’agissant d’un texte législatif, il n’était pas susceptible d’un contrôle juridictionnel.

Quant au grief du requérant selon lequel la décision de la présidente de la Chambre n’était pas un « acte » (proceeding) au sens de l’article 9 de la Déclaration des droits (Bill of Rights) de 1869, le juge ne se prononça pas sur ce point mais il déclara que s’il avait dû le faire il aurait jugé que la décision de la présidente de la Chambre d’introduire les restrictions litigieuses était un acte du parlement et qu’il ne pouvait donc être contesté par la voie du contrôle juridictionnel au sens de l’article 9 du Bill des droits de 1869 (voir la partie Le droit et la pratique internes pertinents ci-dessous).

Son avocat lui ayant dit qu’un recours était voué à l’échec, le requérant n’attaqua pas la décision devant la Cour d’appel.

Le 4 décembre 1997, la présidente de la Chambre rencontra le requérant et M. Adams et refusa une fois de plus de réexaminer sa décision de priver des facilités et services offerts par le parlement les députés n’ayant pas prêté serment.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

Annexée au compte rendu officiel du 14 mai 1997, à la suite de la déclaration de la présidente de la Chambre des communes, se trouvait une liste de services auxquels les nouvelles règles étaient applicables. On y trouvait notamment les services juridiques, les services de procédure (et notamment le dépôt de questions, de motions, d’amendements et de pétitions publiques), les services de radiodiffusion, les services du Vote Office, les services accessibles à partir du bureau des sciences et des technologies du parlement, la fourniture de laissez-passer, d’autorisations spéciales et de facilités de parking, l’accès aux zones situées dans l’enceinte du parlement qui ne sont accessibles qu’aux titulaires de laissez-passer, la réservation de salles de commission, de salles de conférence et de salles d’interview, les services chargés de l’attribution des bureaux aux députés et à leur personnel, les services informatiques, à l’exception de ceux accessibles au public, la distribution de tickets de tribune, le parrainage d’expositions dans le hall d’attente supérieur, les services médicaux réservés aux députés, les services de bibliothèque et de recherche, sauf ceux du bureau d’information du public généralement accessibles à tous, les services fournis par le compte rendu officiel, le service des salaires et les autres services financiers fournis aux députés et à leur personnel, les services d’assurance, les services de restauration fournis aux députés et à leur personnel, y compris l’organisation de banquets, les services de police et de sécurité disponibles dans l’enceinte du parlement et les services fournis dans les bureaux de poste et de voyage réservés aux députés.

L’article 9 du Bill des droits de 1869 est ainsi libellé :

« (…) la liberté de parole et de débat et les actes adoptés au sein du Parlement ne peuvent être contestés ni remis en cause devant les tribunaux ni où que ce soit en dehors du Parlement. »

Dans l’affaire Bradlaugh v. Gossett (1884 12 Queen’s Bench Division, p. 271, dans le cadre de laquelle était également contestée la loi de 1866 sur les serments parlementaires, le tribunal jugea que la question concernait l’organisation interne de la procédure de la Chambre des communes et que le tribunal n’avait pas le pouvoir de s’immiscer dans la décision des députés d’exclure le requérant de la Chambre. Dans l’affaire Prebble v. Television New Zealand (1995 1 Appeal Cases, p. 321), le Privy Council jugea :

« Outre l’article 9 lui-même, il existe une longue lignée de précédents qui étayent un principe plus large (…) selon lequel les tribunaux et le parlement se montrent très clairvoyants dans l’identification de leurs rôles constitutionnels respectifs. En ce qui concerne les tribunaux, ils déclarent irrecevable toute contestation de ce qui a été dit ou fait au sein du Parlement dans l’accomplissement des fonctions législatives de cet organe ou pour la protection de ses privilèges établis. »

GRIEFS

Le requérant soutient que l’exigence aux termes de laquelle il lui faut prêter un serment d’allégeance à la monarchie britannique constitue une atteinte injustifiée à son droit à la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention. Il affirme qu’en le privant de l’accès à des services réservés aux représentants élus, son refus d’y satisfaire l’a sérieusement entravé dans l’exercice de son droit d’exprimer les vues de ses électeurs et de son parti.

Il considère en outre que le serment est contraire à ses croyances religieuses dans la mesure où il l’oblige, lui qui est d’obédience catholique, à jurer allégeance à un monarque auquel la loi interdit d’être catholique ou d’épouser une catholique. Il invoque à cet égard l’article 9 de la Convention.

Le requérant allègue également une violation de l’article 13 de la Convention, affirmant qu’il ne dispose d’aucun recours effectif pour ses griefs tirés des articles 9 et 10.

En outre, le requérant soutient que la déclaration de la présidente de la Chambre des communes qui a introduit de nouvelles restrictions aux droits des représentants élus non disposés à prêter le serment requis est contraire à l’article 3 du Protocole n° 1, dans la mesure où elle l’a empêché de représenter normalement les vues de ses électeurs, les privant ainsi de la libre expression de leur opinion.

Enfin, le requérant voit dans la déclaration de la présidente de la Chambre, annoncée deux semaines après son élection et alors que chacun savait qu’il n’avait pas l’intention de prêter serment, une mesure discriminatoire contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 9 et 10 de cet instrument et avec l’article 3 du Protocole n° 1.

EN DROIT

1.  Le requérant allègue que l’obligation de prêter un serment d’allégeance à la monarchie britannique constitue une violation de son droit à la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention. La partie pertinente en l’espèce de cette disposition est ainsi libellée :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…)

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Membre du Sinn Fein et représentant élu de ce parti, le requérant estime que le serment d’allégeance prescrit va à l’encontre de ses convictions politiques et des principes républicains qui sous-tendent la politique du Sinn Fein. N’ayant pas prêté le serment, il ne peut occuper son siège à la Chambre des communes, et, à la suite de la déclaration de la présidente de celle-ci, il s’est vu interdire l’accès à toute une série de facilités, ce qui entrave sérieusement l’exercice de son droit d’exprimer et de promouvoir ses opinions et celles de son parti et des électeurs qui lui ont accordé leur suffrage.

La Cour rappelle que, précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Castells c. Espagne du 23 avril 1992, série A n° 236, pp. 22-23, § 42).

En l’espèce, le requérant soutient que l’obligation de prêter un serment d’allégeance à la monarchie britannique restreint de manière effective son droit de communiquer des informations dans l’intérêt de ses électeurs et de son parti à la Chambre des communes et que cette restriction a encore été aggravée par la privation de l’accès à certaines facilités réservées aux députés dans l’enceinte de la Chambre. La Cour relève que le requérant a librement participé aux élections en sachant pertinemment qu’il ne pourrait occuper son siège à la Chambre que s’il prêtait le serment requis et en ayant manifesté clairement l’intention de ne pas se soumettre à cette formalité, mais elle examinera néanmoins la question de savoir si l’existence de la condition litigieuse a entravé de manière injustifiée le droit à la libre expression qu’en sa qualité de représentant élu il devait pouvoir exercer, révélant ainsi une apparence de violation de l’article 10 de la Convention.

Dans ce contexte, la Cour rappelle qu’une atteinte au droit à la liberté d’expression ne peut se justifier que si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou plusieurs buts légitimes au sens de l’article 10 § 2 de la Convention et est « nécessaire, dans une société démocratique, » pour les atteindre.

Pour la Cour, les mesures contestées par le requérant avaient une base légale incontestable dans le droit interne et dans la pratique et la procédure parlementaires de l’Etat défendeur, à savoir l’article 1 de la loi de 1866 pour ce qui est de l’obligation de prêter serment, et la déclaration prononcée par la présidente de la Chambre des communes le 14 mai 1997 pour ce qui est de la privation de l’accès aux facilités de la Chambre pour les députés refusant de prêter le serment requis. Quant à cette dernière décision, la Cour observe que, dans la procédure relative à la demande de contrôle judiciaire, le juge Kerr a estimé que l’autorité légalement investie du pouvoir d’organiser les services de la Chambre était le président de celle-ci.

Se tournant vers la légitimité du ou des buts poursuivis par les mesures litigieuses, la Cour rappelle que, dans son arrêt Ahmed et autres c. Royaume-Uni du 2 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI, elle a reconnu que l’expression « la protection des droits d’autrui » figurant à l’article 10 § 2 de la Convention pouvait englober la protection d’un régime politique véritablement démocratique (p. 2376, § 52). Pour la Cour, cette expression doit également s’étendre à la protection des principes constitutionnels qui sous-tendent toute démocratie. Elle note que, dans l’Etat défendeur, l’obligation pour les représentants élus de prêter un serment d’allégeance au monarque est inscrite dans une règle juridique remontant à 1866. Cette règle fait partie du système constitutionnel de l’Etat défendeur, qui, il convient de le faire remarquer, est fondé sur un modèle monarchique de gouvernement. La Cour estime que l’obligation pour les représentants élus à la Chambre des communes de prêter un serment d’allégeance au monarque régnant peut raisonnablement s’interpréter comme une obligation pour les intéressés d’affirmer leur loyauté envers les principes constitutionnels qui constituent la base, notamment, du fonctionnement de la démocratie représentative dans l’Etat défendeur (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A n° 323, pp. 28-29, § 59). Pour la Cour, il doit être loisible à l’Etat défendeur d’assortir la qualité de député d’une telle condition, qui fait partie intégrante de son ordre constitutionnel, et de faire dépendre de son accomplissement l’accès aux facilités offertes par l’institution.

Quant à la nécessité des mesures litigieuses, la Cour considère que le requérant n’est pas fondé à soutenir qu’elles ont eu un effet disproportionné sur son droit à la liberté d’expression. Elle rappelle que l’obligation de prêter serment peut être considérée comme une condition raisonnable s’attachant au mandat du député, eu égard au système constitutionnel de l’Etat défendeur. Elle observe de surcroît que le requérant a volontairement renoncé à son droit d’occuper son siège à la Chambre des communes, en conformité avec ses propres convictions politiques. Bien que l’accès aux services et facilités disponibles dans l’enceinte de la Chambre des communes lui soit interdit, rien ne l’empêche d’exprimer les vues de ses électeurs et de son parti dans d’autres contextes, et notamment dans le cadre de réunions organisées à l’extérieur de la Chambre des communes avec la participation de ministres et de députés.

Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut que le requérant ne peut se plaindre sur le terrain de l’article 10 de la Convention ni en ce qui concerne l’obligation de prêter serment ni en ce qui concerne la privation des services et des facilités entraînée par son refus de prêter serment.

Il en résulte que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

2.  Le requérant allègue que son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion a été violé du fait que l’accès aux facilités parlementaires est rendu tributaire de la prestation du serment requis. Il invoque l’article 9 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »

Le requérant, qui affirme être catholique, soutient notamment que la prestation d’un serment d’allégeance à la monarchie britannique est contraire à ses croyances religieuses. D’après la loi de l’Etat défendeur, en effet, les catholiques ne pourraient accéder au trône.

La Cour réaffirme qu’il serait contradictoire de soumettre l’exercice d’un mandat qui vise à représenter au sein du parlement différentes visions de la société à la condition d’adhérer au préalable à une vision déterminée du monde (arrêt Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], n° 24645/94, § 39, CEDH 1999-I). En l’espèce, toutefois, la loi de 1866 n’obligeait pas le requérant à jurer ou déclarer allégeance à une religion particulière sous peine de perdre son siège parlementaire ou comme condition préalable à l’occupation de son siège ; elle ne l’obligeait pas davantage à abandonner ses convictions républicaines et ne lui interdisait pas de les défendre à la Chambre des communes.

Dès lors, la Cour considère que le grief formulé par le requérant de ce chef est manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

3.  Le requérant soutient que les droits qu’il tire de l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention ont été violés en ce que les conditions dans lesquelles les élections parlementaires de mai 1997 se sont tenues n’assuraient pas la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Il affirme que l’interdiction de l’accès aux facilités de la Chambre des communes à laquelle il s’est heurté après son refus de prêter le serment prescrit l’a empêché de représenter normalement les intérêts de ses électeurs. L’article 3 du Protocole n° 1 est ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

La Cour rappelle que, dans leurs ordres juridiques respectifs, les Etats contractants jouissent d’une large marge d’appréciation pour entourer les droits de vote et d’éligibilité de conditions particulières. Il lui faut toutefois s’assurer que lesdites conditions ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés. Spécialement, elles ne doivent pas contrecarrer « la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique du 2 mars 1987, série A n° 113, p. 23, § 52).

La Cour note que les électeurs du Sinn Fein dans la circonscription du Moyen-Ulster jouissent, sur le plan juridique, des mêmes droits de vote et d’éligibilité que les électeurs d’autres tendances politiques. Ils ne se trouvent nullement privés de ces droits du fait que le requérant, candidat du Sinn Fein, devait d’abord, s’il était élu, prêter le serment litigieux pour pouvoir occuper son siège. Ils ont voté pour lui en connaissant parfaitement l’existence de cette condition, que la Cour a jugée ci-dessus pouvoir raisonnablement être attachée au mandat parlementaire.

Quant à l’argument du requérant selon lequel en étant privé de l’accès aux services et facilités de la Chambre des communes il n’est pas en mesure de faire connaître les préoccupations de ses électeurs aux ministres et services compétents ainsi qu’aux autres députés, la Cour observe, là encore, que l’intéressé ne se trouve pas dans l’impossibilité d’accomplir ladite tâche. Le requérant peut faire connaître ses opinions et celles de son parti et de ses électeurs sans avoir recours aux services et facilités énumérés dans le texte annexé en mai 1997 à la loi de 1866. Aussi la Cour ne peut-elle accueillir l’argument de l’intéressé selon lequel ses droits électoraux et ceux de ses électeurs ont aussi été violés par la privation de l’accès à des services et facilités censés faciliter l’exercice de sa fonction de base à la Chambre des communes, à laquelle il a volontairement renoncé.

Il en résulte que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

4.  Le requérant allègue que l’Etat défendeur a violé l’article 14 de la Convention en n’assurant pas la jouissance par lui, à l’abri de toute discrimination fondée sur sa religion, ses opinions politiques et son origine nationale, des droits que lui reconnaissent les articles 9 et 10 de la Convention et 3 du Protocole n° 1. La partie pertinente en l’espèce de l’article 14 est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (…) la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale (…) ou toute autre situation. »

Le requérant allègue que la déclaration de la présidente de la Chambre des communes intervenue exactement deux semaines après son élection, était une réponse directe à son engagement de ne pas prêter le serment requis s’il était élu. D’après lui, ladite déclaration poursuivait un but discriminatoire. Il fait également observer que la loi de 1866 a eu un effet disproportionné sur les représentants élus du Sinn Fein, compte tenu de l’opposition de ce parti au serment.

Quant à la portée de la garantie offerte par l’article 14, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, une différence de traitement est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’y a pas un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ». Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir, par exemple, l’arrêt Larkos c. Chypre [GC], n° 29515/95, § 29, CEDH 1999-I).

La Cour observe que l’obligation de prêter serment et les termes de la déclaration de la présidente de la Chambre des communes s’appliquaient à tous les représentants élus sans distinction. Si les effets de ces mesures ont pu peser plus lourdement sur les membres du Sinn Fein, cela s’explique par la politique défendue officiellement par ce parti à propos de la condition de serment. La Cour rappelle également que, dans le contexte du grief tiré de l’article 10 de la Convention, elle a estimé que les mesures litigieuses pouvaient être considérées comme une réponse proportionnée adoptée dans la poursuite d’un but légitime. Suivant le même raisonnement, elle conclut également à l’absence d’apparence de violation de la Convention de ce chef.

Il en résulte que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

5.  Le requérant allègue enfin qu’il ne disposait d’aucun recours effectif devant une autorité nationale et qu’il y a donc eu violation des droits à lui garantis par l’article 13 de la Convention. Cette clause est ainsi libellée :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

La Cour réaffirme que l’article 13 garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir – et donc de dénoncer le non-respect – des droits et libertés de la Convention, tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. L’article 13 ne saurait cependant s’interpréter comme exigeant un recours interne pour toute doléance, si injustifiée soit-elle, qu’un individu peut présenter sur le terrain de la Convention : il doit s’agir d’un grief défendable au regard de celle-ci (arrêt Boyle et Rice c. Royaume-Uni du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 23, § 52).

La Cour note qu’elle a jugé manifestement mal fondés les griefs énoncés par le requérant sur le terrain des articles 9 et 10 de la Convention et 3 du Protocole n° 1. Dès lors, le requérant ne peut prétendre avoir un grief défendable à formuler sur le terrain de l’article 13 de la Convention. Partant, le grief tiré de cette disposition est manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

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