CEDH, Cour (deuxième section), KAPLAN ET AUTRES c. la TURQUIE, 6 novembre 2001, 36749/97

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 6 nov. 2001, n° 36749/97
Numéro(s) : 36749/97
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 20 mai 1997
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2275-76, §§ 51-52
Arrêt Jecius c. Lituanie, n° 34578/97, § 44, CEDH 2000-IX - (31.7.00)
Parlak, Artürk et Tay c. Turquie (déc.), nos 24942/94, 24943/94, 25512/94, (jointes), 8.1.2001, non publiée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-43105
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:1106DEC003674997
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Texte intégral

deuxième SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 36749/97
présentée par Hamiyet KAPLAN et autres
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 6 novembre 2001 en une chambre composée de

MM.J.-P. Costa, président,
L. Loucaides,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen, juges,
et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 20 mai 1997 et enregistrée le 30 juin 1997,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, dont les nom et date de naissance figurent en annexe, sont des ressortissants turcs résidant à Adana (Turquie). Ils sont les proches parents d’Ömer Bayram (Ö.B.) et Rıdvan Altun (R.A.), décédés le 8 août 1996. Ils sont représentés devant la Cour par Mes İmmihan Yaşar, Naciye Kaplan et Selim Okçuoğlu, avocats au barreau d’Istanbul.

A.  Les circonstances de l’espèce

1.  Les faits tels qu’ils sont exposés par les requérants

Le 8 août 1996, vers 2 heures, les policiers de la section antiterroriste de la direction de la sûreté d’Adana procédèrent à une opération au domicile de R.A. se trouvant dans le quartier de Gülbahçe (Adana), y entrèrent en cassant la vitre de la porte d’entrée et appréhendèrent celui-ci.

Dans le cadre de la même opération, l’oncle et le neveu de R.A., Talat Altun (T.A.) et Veysi Altun (V.A.), furent arrêtés et placés en garde à vue.

Vers 4 h 30, les policiers emmenèrent R.A., menotté et la tête couverte d’une pochette, derrière la maison d’Ö.B. se trouvant à Küçükdikili (Seyhan, sous-préfecture d’Adana) et le firent asseoir au pied du mur.

Faisant suite à la demande des agents de police, la première requérante et son mari, Ö.B., ouvrirent la porte. Au même moment, une confrontation armée se déroula entre le chef de la sûreté, Nuri Kocabıyık (N.K.) et Abdurrahman Sarı (A.S.), un invité qui se trouvait sur la terrasse de la maison. Sur ce, N.K. fut grièvement blessé et succomba à ses blessures lors de son transfert à l’hôpital. Les policiers ouvrirent le feu et A.S. trouva la mort.

Un des policiers s’approcha ensuite de R.A. et lui tira une balle dans la tête. Le corps de celui-ci fut emmené dans la maison d’Ö.B.

Suite à cet incident, la première requérante emmena ses trois enfants en dehors de la maison mais les policiers leur intimèrent d’y rentrer à nouveau. Un de ces trois enfants, Gökhan Bayram (G.B.), réussit à s’enfuir. La première requérante se réfugia alors dans la cuisine avec ses deux enfants en pensant qu’ils y seraient plus en sécurité que dans la chambre à coucher.

Les policiers continuèrent leur opération, tirèrent sur la maison et y jetèrent quatre grenades dont la première éclata devant la fenêtre de la cuisine. Après l’explosion de la quatrième grenade, les policiers crièrent « nous avons réussi ; l’affaire est terminée ». Un des policiers posté devant la fenêtre de la cuisine désigna Ö.B. et questionna ses collègues sur son identité. Les policiers se trouvant dans la maison lui répondirent qu’il était le propriétaire. Suite à cette réponse, le policier tira sur Ö.B. Un autre policier entra dans la cuisine et tira aussi sur la première requérante et ses deux enfants, âgés de deux et six ans. Ces derniers furent tués sur le coup et leur mère grièvement blessée. Elle fut hospitalisée et placée en garde à vue durant environ trente jours dans la section de l’hôpital réservée aux détenus, menottée à son lit pendant les quinze derniers jours.

Le 20 août 1996, le procureur de la République d’Adana entendit la première requérante qui rétracta sa déposition faite devant les policiers. Elle soutint que les policiers avaient tiré sur eux et que, lors de l’opération, elle et son mari ne détenaient pas d’arme à feu. Elle porta plainte contre les policiers ayant participé à l’opération. La déposition recueillie lors de son hospitalisation fut déchirée par les policiers pendant une courte absence du procureur. Ceux-ci ordonnèrent au procureur de la République de se retirer de l’affaire et en imposèrent un autre pour la poursuite de l’enquête.

2.  Les faits tels qu’ils sont exposés par le Gouvernement

Le 8 août 1996, vers 2 heures, les policiers de la section antiterroriste de la direction de la sûreté d’Adana procédèrent à une opération au domicile de R.A. se trouvant dans le quartier de Gülbahçe (Adana) et appréhendèrent ce dernier.

Le rapport de police daté du 8 août 1996 envoyé au parquet d’Adana fait état des déclarations de R.A. Il établit que ce dernier dénonça certaines personnes comme étant membres du PKK, entre autres la première requérante et son époux, et indiqua que les réunions de cette organisation se déroulaient à leur domicile.

R.A. fut alors emmené sur les lieux, au domicile d’Ö.B. A la demande des agents de police, la première requérante ouvrit la porte. Au même moment, une altercation éclata entre les policiers et les auteurs des coups de feux provenant de la maison. Lors de cette confrontation, Ö.B., R.A., A.S. et les enfants de la première requérante trouvèrent la mort. Elle-même avait été blessée et hospitalisée, puis placée en garde à vue.

Le 13 août 1996, dans sa déposition faite à l’hôpital, la première requérante avoua ses activités au sein du PKK et déclara que, lors de l’opération menée par les policiers, A.S., Ö.B. et R.A. avaient ouvert le feu sur eux. Elle apposa son empreinte digitale au bas de ce procès verbal.

Le 20 août 1996, le procureur de la République d’Adana entendit la première requérante. Celle-ci rétracta sa déposition du 13 août 1996 et soutint que ce sont les policiers qui avaient tiré sur eux et que, lors de cette opération, elle et son mari ne détenaient pas d’armes à feu. Elle porta plainte contre les policiers ayant participé à l’opération.

L’enquête fut menée du début à la fin par le même procureur.

a)  Les procès-verbaux d’incident

Le procès-verbal de l’incident daté du 8 août 1996, dactylographié et signé par les trente policiers ayant participé à l’opération, établit que suite à la perquisition effectuée à son domicile, R.A. dénonça le fait qu’Ö.B. et la première requérante seraient membres du PKK et que leur domicile servirait de lieu de réunion à cette organisation.

Ce procès-verbal mentionne que R.A. fut emmené sur les lieux et qu’après ouverture de la porte, une personne, tout en scandant un slogan, tira du haut des escaliers sur les policiers, et que le chef de la police fut touché mortellement. Il indique que, profitant de cet incident, R.A. entra dans la maison et menaça les forces de l’ordre en criant « nous détenons un nombre considérable d’armes et de bombes ; retirez-vous ; éloignez-vous de la maison ; nous allons sortir et quitter les lieux; nous avons assez d’armes, de bombes et de forces ; si vous ne vous retirez pas des lieux, nous ne nous rendrons pas et nous vous tuerons tous ». Selon ce procès-verbal, R.A. et une autre personne ouvrirent le feu de l’intérieur de la maison pendant environ deux heures ; quelqu’un cria de la cuisine où une bombe explosa « crevez les chiens fascistes ». En guise de conclusion, il est indiqué que trois pistolets, deux grenades, trois chargeurs de pistolet, des cartouches et des douilles furent trouvés près des corps de R.A., A.S. et Ö.B., que, lors de l’affrontement, trois membres de l’organisation trouvèrent la mort et que deux enfants avaient succombé aux blessures causées par l’explosion d’une grenade. Un croquis des lieux était annexé.

Le procès-verbal d’incident daté du 8 août 1996, manuscrit par le procureur de la République, mentionne qu’une confrontation armée s’est déroulée et qu’une bombe a explosé sur les lieux de l’incident.

b)  Le procès-verbal de l’examen médical et les rapports d’autopsie

Le 8 août 1996, un médecin légiste procéda à l’autopsie des corps des défunts. Il constata que le décès d’Ö.B. était dû à une hémorragie interne et externe liée à une lacération des tissus de certains organes provoquée par des explosifs et des balles d’arme à feu. Il indiqua que quatre morceaux de métal avaient été extraits du corps. Le médecin constata en outre que les matières explosives avaient causé la mort des deux enfants et que des morceaux de métal avaient été extraits de leurs corps. Le procès-verbal d’autopsie du corps de R.A. mentionne que la mort est survenue suite à des blessures causées par une arme à feu. L’examen révéla une blessure à la tête causée par balles et une balle avait été extraite du corps du défunt.

Le 4 septembre 1996, la section spécialisée de la morgue de l’institut de médecine légale (Adli tıp kurumu morg ihtisas dairesi) établit un rapport duquel il résultait que le décès de R.A. avait pour cause des fractures du crâne et des os faciaux ainsi que la lacération du tissu cérébral provoquée par des blessures causées par dix balles d’arme à feu.

Le 9 septembre 1996, cette même section spécialisée dressa un rapport établissant que la cause du décès d’Ö.B. résultait d’une hémorragie interne et externe due à des blessures causées par cinq balles d’arme à feu et des explosifs.

c)  La procédure pénale engagée à l’encontre de la première requérante

Le 21 août 1996, à la demande du procureur de la République d’Adana, compte tenu de la nature du crime reproché et du risque de fuite de la première requérante, le juge du tribunal d’instance d’Adana, en l’absence de la requérante, ordonna sa mise en détention par défaut.

Par un arrêt du 30 octobre 1997, la cour de sûreté de l’Etat d’Adana acquitta la première requérante faute de preuves.

A l’issue de l’audience du 18 mars 1998, la Cour de cassation cassa le jugement du 30 octobre 1997.

Par un jugement du 4 mars 1999, la cour de sûreté de l’Etat d’Adana confirma l’acquittement de la première requérante.

d)  La procédure pénale engagée à l’encontre des agents de police ayant participé à l’opération

Dans le cadre de l’enquête pénale, engagée d’office, les dépositions des trente policiers ayant participé à l’opération furent recueillies par le procureur de la République d’Adana.

Par un acte d’accusation formulé le 14 octobre 1996, le procureur de la République d’Adana intenta une action devant la cour d’assises d’Adana contre vingt-trois fonctionnaires de police, leur reprochant d’avoir causé la mort de cinq personnes et d’en avoir blessée une autre, au sens des dispositions des articles 49, 50, 456 et 463 du code pénal turc.

Le même jour pour les sept policiers qui étaient chargés de conduire les véhicules utilisés lors de l’opération armée, le procureur de la République d’Adana rendit une ordonnance de non-lieu au motif qu’ils n’y avaient pas participé. La première requérante participa à cette procédure en tant que « partie plaignante ».

Par un jugement du 27 janvier 1997, la cour d’assises acquitta les fonctionnaires de police en application de l’article 49 du code pénal turc. La cour fonda sa décision notamment sur les dépositions des agents de police qui étaient présents sur les lieux. Elle nota qu’Ö.B., R.A. et A.S. avaient tiré sur les policiers, que R.A. avait fait exploser une bombe et que le chef de la police avait trouvé la mort à la suite de la fusillade. Elle conclut que les fonctionnaires de police avaient utilisé leurs armes pour repousser l’attaque et qu’ils étaient en état de légitime défense. La déposition de la première requérante fut obtenue par commission rogatoire et transmise à la cour qui estima non fondées ses allégations selon lesquelles les policiers avaient tiré à la fois de l’extérieur et de l’intérieur de la maison. En réitérant sa plainte à l’encontre des policiers, elle exposa que, lors de la fusillade, huit balles l’avaient touchée, que ses enfants avait trouvé la mort dans ses bras et qu’elle avait signé sous la contrainte sa déposition faite à la police.

Le 28 janvier 1997, la première requérante formula un pourvoi en cassation.

Le 29 janvier 1997, la cour d’assises d’Adana rejeta cette demande au motif que l’intéressée n’était pas « partie intervenante » dans la procédure mise en cause.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

Les dispositions pertinentes du code pénal sont les suivantes :

Article 49 §§ 2 et 3

« N’est pas punissable celui qui a commis l’acte : (...)

2.  contraint par la nécessité de repousser immédiatement une attaque illégale dirigée contre sa vie ou contre son honneur ou contre la vie ou l’honneur d’autrui ;

3.  contraint par la nécessité de se sauver lui-même ou de sauver autrui d’un danger grave imminent et personnel, danger qui n’était pas la conséquence d’un acte volontaire de sa part et qui ne pouvait être évité. (...) »

Article 50

« Celui qui, en commettant un acte dans les circonstances énoncées à l’article 49, a dépassé les limites fixées pas la loi, par l’autorité ou par nécessité, sera puni de huit ans d’emprisonnement au moins si la peine prévue pour le délit commis est la peine de mort, de six à quinze ans d’emprisonnement si la peine prévue pour le délit commis est la réclusion à perpétuité. (...) »

Article 456

« Quiconque, sans l’intention de tuer, cause à autrui une souffrance corporelle, une atteinte à sa santé ou une perturbation à ses facultés mentales, sera puni de six mois à un an d’emprisonnement. (...) »

Article 463

« Si les délits spécifiés aux articles 448, 449, 450, 456, 457 ont été commis par plus d’une personne et si on ne peut pas identifier l’auteur, toutes seront punies des peines respectivement prévues, avec réduction d’un tiers à la moitié. (...) »

Le code de procédure pénale contient une disposition permettant à une personne de se constituer partie civile afin d’obtenir réparation du dommage matériel résultant de l’infraction. Conformément à l’article 365 du code de procédure pénale, toute personne victime d’une infraction grave peut à tout moment de l’enquête porter plainte, se déclarer « partie intervenante » et demander à être indemnisée du dommage résultant directement de l’infraction commise par le prévenu. Ce recours n’est ouvert qu’aux victimes directes et ne peut être exercé au nom d’un défunt. Le recours ne peut être exercé si le prévenu est acquitté. Pour pouvoir se constituer partie civile, il ne faut pas avoir auparavant saisi les tribunaux civils d’une demande en indemnisation du dommage résultant de l’infraction.

GRIEFS

Les requérants allèguent la violation des articles 2, 3, 5, 6, 8, 13 et 14 de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole n° 1.

1.  Les requérants allèguent que la mort de R.A., Ö.B. et de deux enfants de ce dernier, provoquée par des membres des forces de l’ordre, constitue une violation de l’article 2 de la Convention. Ils se plaignent que leurs proches ont été intentionnellement privés de leur droit à la vie par le recours à une force non nécessaire et illégale, sans que rien n’ait été tenté pour effectuer une opération de façon à réduire au minimum le recours à la force meurtrière. En réitérant les mêmes arguments, les requérants invoquent des violations distinctes de l’article 3 de la Convention quant aux traitements infligés à R.A., Ö.B. et aux deux enfants de ce dernier et, à titre personnel, en tant que victimes d’un traitement inhumain et dégradant en raison du décès de leurs proches suite aux actes meurtriers des forces de l’ordre.

2.  Invoquant l’article 3 de la Convention, la première requérante se plaint de ce qu’elle a été grièvement blessée suite au recours à la force non nécessaire des forces de l’ordre. La fusillade entraînant la mort de ses enfants et de son mari lui a causé une grave souffrance mentale et de l’angoisse. Elle soutient que les autorités n’ont pas fait preuve de diligence pour son transfert à l’hôpital immédiatement après l’affrontement et que lors de son hospitalisation elle était menottée à son lit par les pieds.

3.  Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, les requérants soutiennent que R.A. et Ö.B. ont été arbitrairement privés de leur liberté.

4.  La première requérante se plaint d’une atteinte à son droit à la liberté dans la mesure où elle a été placée en garde à vue dans la section de l’hôpital réservée aux détenus, menottée à son lit sans aucune raison plausible et qu’elle n’a pas été aussitôt traduite devant un juge. Elle allègue en outre qu’elle ne disposait pas en droit turc d’une voie de recours lui permettant de mettre en cause la légalité de sa garde à vue. Elle invoque à cet égard l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention.

5.  Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que leur cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial. La première requérante dit avoir été privée d’un accès effectif à un tribunal dans la mesure où son pourvoi en cassation a été rejeté malgré le fait qu’elle avait explicitement porté plainte et que, n’ayant pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, elle ne pouvait pas connaître la procédure interne pour se constituer « partie intervenante ».

6.  Les requérants se plaignent d’une atteinte à la présomption d’innocence énoncée à l’article 6 § 2 de la Convention dans la mesure où leurs proches ont trouvé la mort suite à une opération préméditée des forces de l’ordre.

7.  La première requérante se plaint de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de sa garde à vue. Elle invoque à cet égard l’article 6 § 3 c) de la Convention.

8.  Les requérants allèguent la violation de l’article 8 de la Convention dans la mesure où, pour appréhender R.A., les forces de l’ordre auraient forcé et cassé la vitre de la porte de son domicile et auraient tiré à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de la maison de la première requérante sur les membres de la famille.

9.  Les requérants se plaignent d’une pratique administrative de discrimination fondée sur l’origine ethnique. A cet égard, ils invoquent l’article 14 de la Convention.

10.  La première requérante allègue que la destruction de sa maison et de ses biens par les tirs des policiers constituent une violation des droits que lui garantit l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention. A l’appui de ses allégations, elle produit quelques photographies montrant des impacts de balles sur la maison ainsi que des dégâts importants à l’intérieur.

EN DROIT

A.  Sur l’exception préliminaire du gouvernement

Quant aux griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention, le Gouvernement défendeur excipe d’emblée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que la première requérante qui ne s’est pas constituée « partie intervenante » dans la procédure pénale engagée contre les policiers devant la cour d’assises d’Adana n’a pas pu valablement formuler un pourvoi en cassation contre le jugement d’acquittement de ces derniers.

La première requérante observe qu’elle a porté plainte contre les forces de l’ordre et qu’elle était partie plaignante dans l’enquête déclenchée d’office par le parquet sur le décès de ses proches. Elle soutient que cette procédure a débouché sur l’acquittement des policiers et que son pourvoi en cassation formulé contre cette décision a été rejeté au motif qu’elle n’y était pas « partie intervenante », malgré le fait qu’elle avait explicitement porté plainte.

La Cour ne saurait suivre le Gouvernement quand il reproche à la première requérante d’avoir omis de se constituer partie civile et de former un pourvoi contre le jugement d’acquittement du 27 janvier 1997 devant la Cour de cassation. Au regard du droit pénal turc, la Cour réaffirme sa position en la matière : pour se plaindre du traitement subi pendant une garde à vue ou bien d’une violation tirée de l’article 2, la voie pénale constitue une voie de recours adéquate et estime que, dans les circonstances de la présente espèce, le dépôt d’une plainte formelle devant le parquet compétent s’avérait suffisante aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2275-2276, §§ 51-52, Parlak, Aktürk et Tay c. Turquie (déc.), nos 24942/94, 24943/94 et 25125/94 (jointes), 9 janvier 2001, non publiée).

En conclusion, la Cour estime qu’ayant épuisé la voie de plainte pénale, la première requérante n’avait pas à intenter de plus les autres recours internes et, partant, elle rejette l’exception préliminaire tirée du non-épuisement de ceux-ci.

B.  Sur le fond de la requête

1.  Sur la violation alléguée de l’article 2 de la Convention

Les requérants se plaignent des circonstances dans lesquelles leurs proches ont trouvé la mort. Ils soutiennent que ceux-ci ont été intentionnellement privés de leur droit à la vie par le recours à une force non nécessaire et illégale pour effectuer leur arrestation et que les forces de l’ordre n’avaient pas tenté de réduire au minimum le recours à la force meurtrière. Ils allèguent la violation de l’article 2 de la Convention, lequel se lit ainsi :

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2.  La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Le Gouvernement fait observer que le mari et les enfants de la première requérante ont été tués par l’explosion d’une grenade piégée des membres du PKK et que, lors de l’opération, les forces de l’ordre avaient riposté aux terroristes après que ces derniers aient ouvert le feu. Il soutient que le fait que trente-quatre cartouches appartenant aux terroristes ont été retrouvées sur les lieux démontrerait la légitimité de la force utilisée. A cet égard, il conclut qu’il s’agissait de mesures d’autodéfense prises par les forces de l’ordre à l’encontre des membres du PKK qui les avaient attaquées et conteste ainsi sa responsabilité au titre de l’article 2 de la Convention.

Les requérants maintiennent leur version des faits et contestent le point de vue du Gouvernement. La première requérante fait observer que celui-ci aurait du assumer une responsabilité particulière en matière de sécurité et de droit à la vie de son mari et de ses enfants.

A la lumière de l’ensemble des arguments des parties, la Cour estime que cette partie de la requête soulève d’importantes questions de fait et de droit au regard de la Convention qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure mais nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité.

2.  Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention

Invoquant les mêmes arguments formulés sous l’article 2, les requérants se plaignent des mauvais traitements infligés à leurs proches et à la première requérante, qui aurait été grièvement blessée lors de l’affrontement armé. Ils soutiennent en outre que la mort de leurs proches a constitué pour eux, comme pour la première requérante, un traitement inhumain et dégradant. A cet égard, ils allèguent qu’ils ont été victimes de manquements par l’Etat défendeur aux exigences de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Le Gouvernement répète ses observations concernant l’article 2 et conteste ainsi sa responsabilité au titre de l’article 3 de la Convention.

A la lumière de l’ensemble des arguments des parties, la Cour estime que cette partie de la requête soulève d’importantes questions de fait et de droit au regard de la Convention qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure mais nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité.

3.  Sur la violation alléguée de l’article 5 de la Convention

Les requérants soutiennent que R.A. et Ö.B. ont été arbitrairement privés de leur liberté. La première requérante se plaint de l’irrégularité et de la longueur excessive de sa garde à vue. Elle affirme qu’il n’existe pas une voie de recours en droit turc lui permettant de mettre en cause la légalité de sa garde à vue. Les requérants allèguent la violation de l’article 5 se lisant ainsi en ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...)

3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. (...)  »

Le Gouvernement soutient que les allégations des requérants sont dénuées de fondement. Il fait valoir qu’il ne s’agit pas d’une détention arbitraire puisque A.S. a été trouvé chez la première requérante et que celle-ci ainsi que son époux ont été soupçonnés d’appartenance et de soutien à l’organisation terroriste du PKK.

La Cour rappelle qu’en l’absence d’un recours interne, le délai de six mois inscrit à l’article 35 de la Convention doit être calculé à partir du moment où l’acte constitutif de la violation alléguée a pris fin (voir, par exemple, Ječius c. Lituanie [décision], n° 34578/97, § 44, CEDH 2000-IX). Elle note qu’en l’espèce, la prétendue garde à vue de R.A. et Ö.B. a pris fin le 8 août 1996, et celle de la première requérante, le 21 août 1996. Il s’ensuit que la requête introduite plus de six mois après cette date, à savoir le 20 mai 1997, est tardive quant à ce grief.

Par conséquent, la Cour doit rejeter cette partie de la requête conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

4.  Sur les violations alléguées des articles 6 § 1 et 13 de la Convention

Soutenant que leur cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, les requérants se plaignent de la violation de leur droit au procès équitable. La première requérante expose avoir été privée d’un accès effectif à un tribunal dans la mesure où son pourvoi en cassation a été rejeté malgré le fait qu’elle avait porté plainte. Ils invoquent la violation des articles 6 § 1 et 13.

Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement fait valoir que la première requérante, qui ne s’est pas constituée partie civile au procès pénal intenté contre les policiers, n’avait pas épuisé les voies de recours internes et que ses allégations concernant l’indépendance et l’impartialité de la cour d’assises sont dénuées de fondement.

Les requérants combattent la thèse du Gouvernement et réitèrent leur grief. La première requérante observe en outre que n’ayant pas bénéficié de l’assistance d’un avocat elle ne connaissait pas la procédure interne pour pouvoir se constituer partie civile dans la procédure entamée contre les policiers.

A la lumière de l’ensemble des arguments des parties, la Cour estime que cette partie de la requête soulève d’importantes questions de fait et de droit au regard de la Convention qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure mais nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité.

3.  Sur la violation alléguée de l’article 6 §§ 2 et 3 la Convention

D’après les requérants, les droits de la défense de R.A. et Ö.B. auraient été bafoués car ils n’ont pas bénéficié de la présomption d’innocence énoncée dans l’article 6 § 2. En outre, la première requérante se plaint de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, contrairement à ce qu’exige l’article 6 § 3 de la Convention.

Les dispositions pertinentes de l’article 6 sont ainsi libellées :

« 2.  Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3.  Tout accusé a droit notamment à : (...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; (...) »

Le Gouvernement répète ses observations formulées sous l’article 2 de la Convention et soutient que les allégations des requérants sont manifestement mal fondées.

La Cour relève que les requérants ne donnent aucune précision et n’étayent leurs allégations d’aucun élément de preuve donnant à penser qu’une procédure pénale ait été entamée à l’encontre de R.A. et Ö.B. Elle conçoit en outre l’absence de la qualité de victime de la première requérante ayant été acquittée dans le cadre de la procédure pénale diligentée à son encontre. Lors que l’on examine ce grief à la lumière de l’ensemble de la procédure, la Cour estime que cette partie de la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4.  Sur les violations alléguées des articles 8 de la Convention et 1er du Protocole n° 1

Les requérants soutiennent que les policiers auraient cassé la vitre de la porte du domicile de R.A. et causé des dégâts importants à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur de la maison de la première requérante. Ils allèguent la violation des articles 8 de la Convention et 1er du Protocole n° 1 ainsi libellés dans leurs parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, [et] de son domicile (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, [ou] à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales (...) »

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (...) »

Le Gouvernement conteste les faits exposés par les requérants et ainsi sa responsabilité au titre des articles qu’ils invoquent.

La Cour relève que les requérants ont omis de soulever ces griefs devant les instances internes et n’ont, dès lors, pas épuisé conformément à l’article 35 § 1de la Convention les voies de recours internes qui leur étaient ouverts en droit turc. Il s’ensuit que le grief doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

6.  Sur la violation alléguée de l’article 14 de la Convention

Les requérants se plaignent d’une pratique administrative de discrimination fondée sur leur origine ethnique kurde. A cet égard, ils invoquent l’article 14 de la Convention qui dispose :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Le Gouvernement soutient que R.A., Ö.B. et la première requérante ont été poursuivis pour des actes définis en tant qu’infraction pénale par la loi et selon les dispositions générales appliquées à tous les citoyens. Il fait valoir que ce grief est dénué de fondement.

Dans la présente affaire, la Cour ne décèle aucun élément de discrimination contraire à l’article 14 de la Convention étayé par les requérants. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs des requérants tirés des articles 2, 3, 6 § 1 et 13 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

T.L. EarlyJ.-P. Costa
Greffier adjointPrésident


Liste des requérants

1.Hamiyet KAPLAN (BAYRAM), née en 1973

2.Beşir BAYRAM, né en 1961

3.Suphiye ALTUN, née en 1965

4.Fatma KAYA, née en 1973

5.Halil ALTUN, né en 1950

6.Naciye KAVAK, née en 1959

7.Sabri ALTUN, né en 1955

8.Azize ALTUN, née en 1955

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Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
  2. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (deuxième section), KAPLAN ET AUTRES c. la TURQUIE, 6 novembre 2001, 36749/97