CEDH, Cour (troisième section), ODIEVRE c. la FRANCE, 16 octobre 2001, 42326/98

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 16 oct. 2001, n° 42326/98
Numéro(s) : 42326/98
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 12 mars 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1211, § 69
Arrêt Cardot c. France du 9 mars 1991, série A n° 200, p. 18, § 34
Arrêt Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38
Arrêt Hentrich c. France du 22 septembre 1994, série A n° 296-A, p. 18, § 33
Arrêt Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, p. 571, § 33
Arrêt Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 76, CEDH 1999-V - (28.7.99)
Arrêt Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, série A n° 40, p. 18, § 35
Arrêt Vernillo c. France du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 11-12, § 27
Organisation mentionnée :
  • Comité consultatif
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-43150
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:1016DEC004232698
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Sur les parties

Texte intégral

SECTION III

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 42326/98
présentée par Pascale ODIEVRE
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (section III), siégeant le 16 octobre 2001 en une chambre composée de

MM.L. Loucaides, président,
J.-P. Costa,
P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
MmeH.S. Greve,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 12 mars 1998 et enregistrée le 21 juillet 1998,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Vu les observations présentées par la Partie intervenante,

Vu les observations présentées oralement par les parties à l’audience du 16 octobre 2001,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Pascale Odièvre, est une ressortissante française, née en 1965 et résidant à Paris. Elle est représentée devant la Cour par Me Mendelsohn, avocat au barreau de Paris. A l’audience du 16 octobre 2001, la requérante était représentée en outre par Mme Odile Roy, assistante à l’université de Paris X. Le gouvernement défendeur était représenté par son agent M. François Alabrune, Directeur adjoint des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères et par Mmes Laurence Delahaye, magistrat détaché à la Sous-Direction des Droits de l’Homme à la Direction des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, Olivia Wingert, magistrat au bureau des Droits de l’Homme au service des Affaires européennes et internationales du ministère de la Justice, Sophie Boissard, maître des requêtes au Conseil d’État, rapporteur général auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs, et Catherine Briand, attachée principale d’administration à la direction générale de l’Action sociale du ministère de l’Emploi et de la Solidarité en tant que conseillères.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

La requérante est née le 23 mars 1965 à Paris (XIVe). Demandant le secret de cette naissance, sa mère souscrivit aux services de l’assistance publique un acte d’abandon de son enfant après avoir signé la lettre qui suit :

« J’abandonne mon enfant Berthe Pascale. Je certifie avoir été informée que passé le délai d’un mois mon enfant sera définitivement abandonné et que l’administration se réserve la faculté de le faire adopter.

Je refuse les secours qui m’ont été proposés.

Je demande le secret de cette naissance.

Je certifie avoir reçu l’imprimé exposant les renseignements de l’abandon.

Paris le 24.5. (effacé)....Berthe »

Confiée aux services de la DASS (Direction de l’aide sociale à l’enfance et de la protection de la jeunesse), la requérante fut immatriculée le 1er juillet 1965 sous le n° 280326 au nombre des pupilles de l’État du département de la Seine et, par la suite, adoptée en forme plénière le 10 janvier 1969 par M. et Mme Odièvre dont elle porte aujourd’hui le nom. Le dispositif du jugement du tribunal de grande instance de Paris prononçant l’adoption était ainsi rédigé :

« (...) Ordonner que le dispositif du jugement à intervenir sera dans les formes et les délais (...) transcrit sur les registres de l’état civil de la mairie du quatorzième arrondissement de Paris ;

Dire que ladite transcription tiendra lieu d’acte de naissance à l’enfant ;

Dire que l’acte de naissance originaire et l’acte de naissance établi en application de l’article 58 seront à la diligence du procureur de la République, revêtus de la mention « adoption » et considérés comme nuls ».

Ayant pris connaissance de son dossier d’ancienne pupille du service de l’aide sociale à l’enfance du département de la Seine en décembre 1990, la requérante réussit à obtenir des éléments non identifiants concernant sa famille naturelle :

« Bulletin de renseignements concernant un enfant admis à l’hôpital-hospice Saint-Vincent-de-Paul envoyé par : SECRET

Admission du (la date est effacée)

Explication détaillée des motifs qui ont amené l’admission de l’enfant (en cas d’abandon, ou de possibilité d’abandon, donner afin de permettre à l’administration d’assurer le meilleur placement possible à l’enfant, toutes indications sur : aspect physique, mentalité, santé, milieu social, métier, etc. de la mère et si possible du père)

Abandon : les parents vivent maritalement depuis sept ans. De leur liaison, sont issus deux enfants, l’aîné est âgé de 21 mois et Pascale, que la mère nous confie ce jour à titre d’abandon. Le couple est hébergé depuis deux ans mais la recueillante est menacée d’expulsion. Le père est de nationalité espagnole, exerce la profession de peintre en bâtiments, son gain mensuel est de 1 200 francs environ. Ce dernier est marié, a une fille légitime élevée par la mère. D’après les dires de la déposante, son ami ne veut pas entendre parler de Pascale, déclare qu’il ne peut assumer cette nouvelle charge. Mme Berthe paraît sans volonté, se soumet sans peine au désir de son ami. Elle n’a jamais visité sa fille à la clinique, ne voulait pas s’attacher dit-elle. Elle ne l’a vue qu’aujourd’hui, s’en sépare avec une indifférence absolue. Mme Berthe ne travaille pas, élève son fils et garde l’enfant de sa logeuse.

Le secret de cette naissance est demandé.

Signalement de la mère : taille 1 m 63, mince, visage aux traits réguliers, teint clair, yeux marrons très fardés, cheveux châtains longs – épais – est en bonne santé – a un genre équivoque ; moyens intellectuels très limités.

Signalement du père : est de taille moyenne, cheveux blonds, yeux marrons, en bonne santé, sobre.

Pascale est née au terme de 7 mois 1/4, pesait 1770 grammes. Ce jour pèse 3100 grammes. Elle n’a fait aucun incident pendant son séjour à la couverie de (...) Actuellement est à terme, elle ne présente aucune anomalie neurologique ni viscérale. Renseignements notés au certificat médical remis au service crèche.

25 mai (...) Acte de naissance demandé

14 juin (...) Acte joint

18 juin (...) Proposition d’immatriculation cat. A ».

Le 27 janvier 1998, la requérante présenta une requête auprès du tribunal de grande instance de Paris afin de demander de « lever le secret de sa naissance en l’autorisant à se faire communiquer tous documents, pièces d’état civil, actes civils et extraits intégraux d’actes de naissance complets ». Elle exposait qu’elle avait appris que ses parents naturels avaient donné naissance à un garçon né en 1963, puis à deux autres garçons après 1965, qu’elle s’était heurtée au refus de la DASS de lui fournir des informations sur l’état civil de ses collatéraux au motif qu’une telle communication porterait atteinte au secret de sa naissance et qu’ayant appris l’existence d’une fratrie elle était bien fondée à demander que soit levé le secret de cette naissance.

Le 2 février 1998, le greffier du tribunal renvoya le dossier à l’avocat de la requérante en écrivant ce qui suit :

« Après examen de votre dossier par Madame B., vice-présidente de la première chambre, il apparaît que la requérante doive éventuellement saisir le tribunal administratif pour contraindre si elle le peut l’administration à lever le secret ce qui serait en tout état de cause contraire à la loi du 8 janvier 1993. »

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1. Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’Administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal

Article 5

« Une commission dite ‘commission d’accès aux documents administratifs’ est chargée de veiller au respect de la liberté d’accès aux documents administratifs dans les conditions prévues par le présent titre, notamment en émettant un avis lorsqu’elle est saisie par une personne qui rencontre des difficultés pour obtenir la communication d’un document administratif, en conseillant les autorités compétentes sur toute question relative à l’application du présent titre, et en proposant toutes modifications utiles des textes législatifs ou réglementaires relatifs à la communication de documents administratifs.

La commission établit un rapport annuel qui est rendu public.

Un décret en Conseil d’État détermine la composition et le fonctionnement de la commission prévue au présent article. »

Article 6

« Les administrations mentionnées à l’article 2 peuvent refuser de laisser consulter ou de communiquer un document administratif dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...)

- au secret de la vie privée, des dossiers personnels et médicaux (...)

- ou, de façon générale, aux secrets protégés par la loi. (...) ».

Article 6 bis

« Les personnes qui le demandent ont droit à la communication par les administrations mentionnées à l’article 2 des documents de caractère nomminatif les concernant, sans que des motifs tirés du secret de la vie privée, du secret médical ou du secret en matière commerciale ou industrielle, portant exclusivement sur les faits qui leur sont personnels, puissent leur être opposés. »

2. Rapport d’activité de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) 1999

« (...) la Commission se déclare compétente pour statuer sur les demandes des pupilles ou anciens pupilles de l’Etat, désireux de prendre connaissance du contenu de leur dossier. Sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, elle considère désormais que les dossiers des pupilles peuvent être communiqués aux intéressés sauf lorsqu’il apparaît que les parents biologiques du pupille, principalement la mère, ont manifesté leur volonté de voir préservé le secret de leur identité. En tout état de cause, les éléments nominatifs mettant en cause des tiers doivent être soustraits lors de la communication (...) Lorsque la mère a expressément manifesté sa volonté de bénéficier du secret de la filiation, la Commission rend un avis défavorable à la communication des pièces dont la divulgation porterait atteinte à l’un des secrets protégés par la loi mentionnés à la fin de l’énumération de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978. Dans certaines hypothèses, la Commission a estimé qu’une demande de secret du lieu de naissance devait être regardée comme une demande de secret de la filiation (CADA 26 février 1998, président du conseil général du Gard). La présence d’une mention dans le formulaire d’abandon établissant que « la personne est assurée que le secret le plus absolu sera conservé sur ces déclarations » est regardée comme réclamant le secret de la filiation (CADA, 15 janvier 1998, Souty-Baum/Homasson) ».

3. CADA- séance du 6 janvier 2000 (réfs. 20000076 et 20000013)

« La commission d’accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 6 janvier 2000 la demande dont vous l’avez saisie (...) à la suite du refus opposé à votre demande de communication de votre dossier de pupille comprenant les éléments concernant l’identité de votre mère. Relevant qu’il résultait de la lecture de ce dossier que votre mère a, d’une part, en accouchant anonymement, manifesté son souhait de préserver le secret de son identité et d’autre part confirmé ce souhait en ne signant que de son prénom les documents qu’elle a été amenée à valider, la commission a émis un avis défavorable à la communication des documents figurant dans votre dossier et sur lequel apparaîtrait son identité. »

« La commission d’accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 6 janvier 2000 votre demande de conseil relative à la communicabilité des informations relatives à l’identité de la mère de naissance de Mme B. née A. et adoptée L. La commission a considéré que la mention de demande expresse de secret apposée de façon manuscrite par l’administration sur le formulaire signé par la mère exprimait la volonté de cette dernière à ce que son identité ne soit pas révélée à l’enfant. La commission a émis un avis défavorable à la communication à l’intéressé des éléments identifiants relatifs à sa mère ».  

4. Jurisprudence administrative

TA Paris, jugement du 20 mars 1997 (n° 9604436/7)

« (...) Considérant que Mme B. sollicite l’annulation de la décision par laquelle la directrice de l’œuvre d’adoption « les nids de Paris » lui aurait refusé la communication de l’ensemble des pièces de son dossier individuel ; qu’il résulte de l’instruction ainsi que l’a relevé la CADA dans son avis du 18 janvier 1996 que la requérante a pu avoir copie de toutes les pièces du dossier ne comportant pas mention d’éléments identifiants concernant sa mère ; (...) il est constant que le dossier original que possède l’œuvre d’adoption comporte la mention de la volonté de la mère de Mme B. de tenir sa maternité secrète ; que s’agissant d’un secret protégé par la loi au sens de l’article précité de la loi du 17 juillet 1978, c’est à bon droit que la directrice de l’œuvre a pu refuser de communiquer (...) l’autre document contenu dans son dossier, eu égard aux informations identifiantes, qu’il comporte ; que dans ces conditions, la requête susvisée de Mme B. est sans objet (...) » 

TA Dijon 2 février 1999 (N° 986347)

« (...) Considérant que Mme M. a demandé au département de la Saône-et-Loire que lui soit communiqué le procès-verbal « d’admission à bureau ouvert » se rapportant à son abandon ; qu’en se prévalant de la mention portée en tête de ce document qui précise que le secret le plus absolu sera conservé sur vos déclarations, le département de la Saône-et-Loire n’a pas commis une erreur de droit en refusant sa communication à la requérante ; que par suite, la requête de Mme M. est rejetée ; (…) »

TA Clermont-Ferrand 29 avril 1999 (N° 981562)

« Considérant d’une part que pour émettre un avis défavorable à la communication d’une copie de la déclaration par laquelle la mère de M. P. s’est résolue à abandonner son enfant, la commission d’accès aux documents administratifs s’est fondée sur le fait qu’en dépit de ce qu’aucun élément ne démontrait la volonté expresse de secret de la part de l’intéressée, celle-ci, de par son comportement ultérieur, avait cependant témoigné de sa volonté de ne pas rétablir des liens avec le requérant ;

Considérant d’autre part qu’à l’évidence, la communication d’une copie du document litigieux porterait atteinte au secret de la vie privée de ma mère de M. P. ; que le document don’t la  communication est requise a en effet le caractère d’un document plurinominatif ; que dans ces conditions, M.P., en dépit du caractère louable de sa démarche, n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les services du département du Puy-de-Dôme ont rejeté sa demande ; (…) »

5. Parmi les dispositions pertinentes actuellement en vigueur, figurent les articles 58, 341, 341-1, 354 et 356 du code civil ainsi que les articles 61, 62, 62-1 et 81 du code de la famille et de l’aide sociale.

Code civil

Article 58

« Toute personne qui aura trouvé un enfant nouveau-né est tenue d’en faire la déclaration à l’officier de l’état civil du lieu de la découverte. Si elle ne consent pas à se charger de l’enfant, elle doit le remettre, ainsi que les vêtements et autres effets trouvés avec lui, à l’officier de l’état civil.

Il est dressé un procès-verbal détaillé qui, outre les indications prévues à l’article 34 du présent code, énonce la date, l’heure, le lieu et les circonstances de la découverte, l’âge apparent et le sexe de l’enfant, toute particularité pouvant contribuer à son identification ainsi que l’autorité ou la personne à laquelle il est confié. Ce procès-verbal est inscrit à sa date sur les registres de l’état civil.

A la suite et séparément de ce procès-verbal, l’officier de l’état civil établit un acte tenant lieu d’acte de naissance. En plus des indications prévues à l’article 34, cet acte énonce le sexe de l’enfant ainsi que les prénoms et nom qui lui sont donnés ; il fixe une date de naissance pouvant correspondre à son âge apparent et désigne comme lieu de naissance la commune où l’enfant a été découvert.

Pareil acte doit être établi, sur déclaration des services de l’assistance à l’enfance, pour les enfants placés sous leur tutelle et dépourvus d’acte de naissance connu ou pour lesquels le secret de la naissance a été réclamé.

Les copies et extraits du procès-verbal de découverte ou de l’acte provisoire de naissance sont délivrés dans les conditions et selon les distinctions faites à l’article 57 du présent code.

Si l’acte de naissance de l’enfant vient à être retrouvé ou si la naissance est judiciairement déclarée, le procès-verbal de la découverte et l’acte provisoire de naissance sont annulés à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées ».

Article 341

« La recherche de maternité est admise sous réserve de l’application de l’article 341-1 (...) »

Article 341-1

« Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ».

Article 354

« Dans les quinze jours de la date à laquelle elle est passée en force de chose jugée, la décision prononçant l’adoption plénière est transcrite sur les registres de l’état civil du lieu de naissance de l’adopté, à la requête du procureur de la République.

La transcription énonce le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant ainsi que ses prénoms, tels qu’ils résultent du jugement d’adoption, les prénoms, noms, date et lieu de naissance, profession et domicile du ou des adoptants. Elle ne contient aucune indication relative à la filiation réelle de l’enfant.

La transcription tient lieu d’acte de naissance à l’adopté.

L’acte de naissance originaire et le cas échéant, l’acte de naissance établi en application de l’article 58 sont, à la diligence du procureur de la République, revêtus de la mention « adoption » et considérés comme nuls ».

Article 356

« L’adoption confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine : l’adopté cesse d’appartenir à sa famille par le sang (...) »

Code de la famille et de l’aide sociale

Article 61

« Sont admis en qualité de pupille de l’État :

1° Les enfants dont la filiation n’est pas établie ou est inconnue, qui ont été recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de deux mois ; (...)

L’admission en qualité de pupille de l’État peut faire l’objet d’un recours, formé dans le délai de trente jours suivant la date de l’arrêté du président du conseil général devant le tribunal de grande instance, par les parents, en l’absence d’une déclaration judiciaire d’abandon ou d’un retrait total de l’autorité parentale, par les alliés de l’enfant ou toute personne justifiant d’un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge.

S’il juge cette demande conforme à l’intérêt de l’enfant, le tribunal confie sa garde au demandeur, à charge pour ce dernier de requérir l’organisation de la tutelle, ou lui délègue les droits de l’autorité parentale et prononce l’annulation de l’arrêté d’admission.

Dans le cas où il rejette le recours, le tribunal peut autoriser le demandeur, dans l’intérêt de l’enfant, à exercer un droit de visite dans les conditions qu’il détermine ».

Article 62

« Lorsqu’un enfant est recueilli par le service de l’aide sociale à l’enfance dans les cas mentionnés aux 1°, 2°, 3° et 4° de l’article 61, un procès-verbal est établi.

Il doit être mentionné au procès-verbal que les père et mère ou la personne qui a remis l’enfant ont été informés :

1° Des mesures instituées, notamment par l’État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale pour aider les parents à élever eux-mêmes leurs enfants ;

2° Des dispositions du régime de la tutelle des pupilles de l’État suivant la présente section ;

3° Des délais et conditions suivant lesquels l’enfant pourra être repris par ses père ou mère ;

4° Sauf dans le cas mentionné au 4° de l’article 61, de la possibilité, lorsque l’enfant est âgé de moins d’un an, de demander le secret de leur identité ainsi que de donner des renseignements ne portant pas atteinte à ce secret. Ces renseignements sont recueillis dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Lorsqu’il y a demande de secret conformément au 4° ci-dessus, celle-ci doit être formulée expressément et mentionnée au procès-verbal. Le procès-verbal doit également mentionner que le demandeur a été informé de la possibilité de faire connaître ultérieurement son identité et de ce que pourront seuls être informés de la levée du secret de cette identité ainsi que de l’identité elle-même, sur leur demande expresse, le représentant légal de l’enfant, l’enfant majeur ou les descendants en ligne directe majeurs de ce dernier, s’il est décédé.

De plus, lorsque l’enfant est remis au service par ses père ou mère, selon les 2° ou 3° de l’article 61, ceux-ci doivent être invités à consentir à son adoption ; le consentement est porté sur le procès-verbal ; celui-ci doit également mentionner que les parents ont été informés des délais et conditions dans lesquels ils peuvent rétracter leur consentement, selon les deuxième et troisième alinéas de l’article 348-3 du code civil.

L’enfant est déclaré pupille de l’État à titre provisoire à la date à laquelle est établi le procès-verbal prévu ci-dessus. La tutelle est organisée à compter de la date de cette déclaration.

Toutefois, dans un délai de deux mois suivant la date à laquelle il a été déclaré pupille de l’État à titre provisoire, l’enfant peut être repris immédiatement et sans aucune formalité par celui de ses père ou mère qui l’avait confié au service (...).

Au-delà de ces délais, la décision d’accepter ou de refuser la restitution d’un pupille de l’État est, sous réserve des dispositions de l’article 352 du code civil, prise par le tuteur, avec l’accord du conseil de famille. En cas de refus, les demandeurs peuvent saisir le tribunal de grande instance ».

Article 62-1

« Les renseignements mentionnés au 4° de l’article 62 sont conservés sous la responsabilité du président du conseil général qui les tient à la disposition de l’enfant majeur, de son représentant légal, s’il est mineur, ou de ses descendants en ligne directe majeurs, s’il est décédé.

Toutefois, le mineur capable de discernement peut, après accord de son représentant légal, en obtenir communication avec l’assistance d’une personne habilitée à cet effet par le président du conseil général.

Les renseignements à caractère médical ne peuvent être communiqués à l’enfant majeur, à son représentant légal, s’il est mineur, ou à ses descendants en ligne directe majeurs, s’il est décédé, que par l’intermédiaire d’un médecin désigné par l’intéressé à cet effet.

Si la ou les personnes qui ont demandé le secret de leur identité lèvent celui-ci, ladite identité est conservée sous la responsabilité du président du conseil général ».

Article 81

« Le procureur de la République pourra, à l’occasion d’une procédure d’adoption, prendre connaissance des dossiers concernant les enfants recueillis par le service. En toutes matières, le service de l’aide sociale à l’enfance pourra, de sa propre initiative ou sur la demande de ce magistrat, lui fournir tous renseignements relatifs aux pupilles. Les renseignements ainsi obtenus ne pourront être révélés à l’occasion d’une procédure quelconque ni mentionnés dans une décision de justice. Ils ne pourront être communiqués qu’aux magistrats de l’ordre judiciaire.

Dans tous les cas où la loi ou des règlements exigent la production de l’acte de naissance, il peut y être suppléé, s’il n’a pas été établi un acte de naissance provisoire dans les conditions prévues à l’article 58 du code civil et s’il y a lieu d’observer le secret, par un certificat d’origine dressé par le préfet ou son représentant.

Toutefois, le lieu où est tenu l’état civil d’un pupille de l’État, ou d’un ancien pupille, s’il est né avant la date d’entrée en vigueur de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l’adoption, est communiqué aux magistrats de l’ordre judiciaire qui en font la demande à l’occasion d’une procédure pénale. De même, à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 précitée, le lieu où est tenue l’identité du ou des parents ou de la personne qui a remis le pupille ou l’ancien pupille est communiqué aux magistrats de l’ordre judiciaire qui en font la demande à l’occasion d’une procédure pénale.

Ces renseignements, quelle que soit la date de naissance du pupille ou de l’ancien pupille, ne peuvent être révélés au cours de cette procédure ou mentionnés dans la décision à intervenir ; toutes mesures sont, en outre, prises pour qu’ils ne puissent être portés, directement ou indirectement, à la connaissance de l’intéressé ou de toute autre personne non liée, de par ses fonctions, par le secret professionnel visé aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal ».

6. Projet de loi relatif à l’accès aux origines personnelles

Ce projet a été présenté en Conseil des Ministres le 17 janvier 2001 et adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 31 mai 2001. Il est actuellement soumis au Sénat.

L’exposé des motifs du projet de loi est ainsi libellé :

« (...) Les renseignements sur l’origine d’un enfant né sous X peuvent actuellement être recherchés dans son dossier, conservé par le service de l’aide sociale à l’enfance. (...) Dans l’hypothèse où le secret de l’état civil d’origine est demandé, l’administration oppose un refus. La CADA peut être saisie mais, de jurisprudence constante, elle retient comme critère fondamental l’existence ou non d’une manifestation de volonté de la part de la mère biologique de l’enfant de voir préservé soit le secret de son identité, soit celui de l’état civil de l’enfant. (...) » 

Il propose la création d’un conseil national pour l’accès aux origines personnelles. Ce conseil, composé de magistrats et de personnalités qualifiées, sera chargé de collecter et d’archiver lors de l’accouchement les éléments relatifs à l’identité de la femme. Ensuite, lors de la recherche par l’enfant de ses origines, le conseil se chargera de rechercher la mère et de recueillir son consentement pour la levée du secret, ceci, dans le respect de sa vie privée ; en cas de refus, la fin de non recevoir à la recherche en maternité naturelle devrait continuer de s’appliquer. Enfin, le projet ouvre également une possibilité à la mère de rechercher son enfant ; le conseil recevra alors de la mère l’autorisation de lever le secret qu’elle avait auparavant sollicité et l’identité de la mère ne sera révélée à l’enfant qu’en cas de démarche effectuée par celui-ci. 

7. Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989

Article 7 alinéa 1

« L’enfant est enregistré aussitôt à sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité, et, dans la mesure du possible, le droit de connaître de ses parents et d’être élevé par eux. »

GRIEFS

Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint de ne pouvoir obtenir communication d’éléments identifiants sur sa famille naturelle. Elle dénonce le lourd préjudice qui en résulte pour elle dans la mesure où elle est privée de la possibilité de réécrire son histoire personnelle. Elle estime également que le secret, tel qu’institué en France, constitue une discrimination fondée sur la naissance et invoque également l’article 14 de la Convention. La requérante précise que par le jeu combiné des articles 341-1 et 356 du code civil, toute action afin d’obtenir l’identité de sa famille serait vouée à l’échec.

EN DROIT

Dans l’impossibilité d’avoir accès à ses origines, la requérante allègue la violation des articles 8 et 14 de la Convention, ainsi libellés dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (…) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (…) la naissance ou toute autre situation. »

I. Sur l’épuisement des voies de recours internes

A titre principal, le Gouvernement soutient que la requête est irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes. Après avoir rappelé la supériorité des traités internationaux sur la loi nationale, le Gouvernement rappelle que tout particulier peut invoquer devant le juge national la Convention européenne que celui-ci doit appliquer, au besoin en écartant les dispositions législatives internes qui lui seraient contraires. En l’espèce, la requérante a adressé une requête au tribunal de grande instance de Paris qui lui a indiqué la possibilité de saisir le tribunal administratif. Le Gouvernement indique que la réponse du greffier du tribunal n’a pas la valeur d’un jugement et qu’en tout état de cause, elle n’est pas opposable à la juridiction administrative qui aurait, le cas échéant, été saisie par la requérante.

Le Gouvernement rappelle que le droit d’accès aux documents administratifs est régi par la loi n° 78/753 du 17 juillet 1978 et notamment ses articles 2 et 6, ce dernier disposant que ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait au secret de la vie privée ou, de façon générale, aux secrets protégés par la loi. La personne qui se voit opposer un refus par l’administration doit solliciter l’avis de la CADA (commission d’accès aux documents administratifs) et dans l’hypothèse où, à la suite de l’avis rendu par celle-ci, l’administration persiste dans son refus, elle peut saisir le juge administratif d’un recours de plein contentieux.

En la matière, lorsqu’un ancien pupille de l’État souhaite obtenir communication de son dossier personnel auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE), la CADA vérifie l’existence ou non d’une demande de secret émanant de la mère et estime, il est vrai, que « l’accès à leurs dossiers personnels des anciens ressortissants de l’ASE n’emportent pas l’accès aux éléments indiquant la filiation ou l’identité des parents quand ceux-ci avaient demandé le secret » (rapport public du conseil d’État de 1995 consacré à la transparence et au secret). Toutefois, en cas de doute sur la demande de secret, le droit à communication de l’enfant, pupille de l’État, est systématiquement privilégié (9e rapport d’activité de la CADA concernant la période 1995 à 1998).

Le Gouvernement ne nie pas qu’à la lumière des textes de droit interne, le recours de la requérante avait peu de chance de succès en ce qu’il concernait l’état-civil de la mère. Cependant, il estime - à la lumière de la jurisprudence Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980 (série A n° 40), qu’il appartenait à la requérante de saisir le tribunal administratif en soulevant la contrariété de la loi interne avec les dispositions pertinentes de la Convention. Cette action aurait été d’autant plus utile qu’à la connaissance du Gouvernement, le Conseil d’État n’a jamais statué sur la question de la communication, en application de la loi de 1978, de documents permettant d’identifier le ou les parents biologiques de pupilles de l’État lorsque les parents ont demandé le secret de la naissance.

Le Gouvernement ajoute qu’en l’espèce la requérante semble exprimer davantage le souhait de connaître sa fratrie que d’obtenir l’identité de sa mère, ce qui aurait permis au juge administratif de faire éventuellement droit à cette demande sans pour autant porter atteinte au secret protégé par la loi, lequel ne vise que l’identité de la mère.

La requérante combat la thèse du Gouvernement et soutient que toute procédure en la matière est vouée à l’échec : l’absence d’un fondement juridique tenant tant au droit civil français qu’au droit administratif écarte l’accessibilité et la recevabilité de quelque recours qui soit tant auprès de la juridiction civile, comme cela a été tenté, qu’auprès du tribunal administratif. Sur le plan civil, elle rappelle que la requête soumise au tribunal de grande instance de Paris a fait l’objet d’un avis de rejet. Quant à l’éventuel renvoi devant le tribunal administratif, il ne peut davantage être envisagé puisqu’il est expressément écarté par les dispositions de la loi du 8 janvier 1993 qui posent le principe absolu du secret. La règle de l’épuisement des voies de recours internes ne saurait donc lui être opposée, l’ensemble des commentaires des juristes et de la presse démontrent à l’évidence qu’il n’existe aucun doute sur la prohibition de la levée du secret en cas d’accouchement anonyme.

La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, par exemple, les arrêts Hentrich c. France du 22 septembre 1994, série A n° 296‑A, p. 18, § 33 ; Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, p. 571, § 33). Néanmoins, les dispositions de l’article 35 § 1 ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir notamment les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 11–12, § 27 ; Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998‑I, pp. 87‑88, § 38).

La Cour souligne qu’elle doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte. Elle a ainsi reconnu que l’article 35 § 1 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, § 34). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (arrêt Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, p. 18, § 35). « Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste, non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également [notamment] du contexte juridique (...) dans lequel ils se situent (...) (voir mutatis mutandis arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996‑IV, p. 1211, § 69). »

L’article 35 § 1 prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement de convaincre la Cour que le recours en question était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (voir arrêt Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 76, CEDH 1999‑V).

La Cour constate que la loi n° 78/753 du 17 juillet 1978 sur le droit d’accès aux documents administratifs prévoit le droit pour toute personne à qui l’administration a opposé un refus, sur la base des articles 6 et 6 bis de la loi, de saisir la CADA. Toutefois, elle relève qu’il ressort clairement des avis de cette commission que la communication des documents détenus par l’administration est refusée en cas de manifestation expresse du souhait de la mère de préserver le secret de son identité (voir points 2, 3 et 6 de la partie droit interne). Tout recours ultérieur devant le tribunal administratif s’avère par ailleurs vain, et ce, toujours au nom du secret protégé par la loi au sens de l’article 6 de la loi précitée (voir point 4 de la partie droit interne). Ainsi, faute d’explications convaincantes du Gouvernement sur le caractère « effectif » et « adéquat » du recours invoqué par lui, et compte tenu du caractère certain de la demande de secret de la mère naturelle, la Cour estime que le recours dont la requérante disposait n’était pas, en l’espèce, normalement disponible et suffisant pour lui permettre d’obtenir les détails de son identité en tant qu’être humain. En conséquence,  la Cour considère que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

II. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

a) Sur l’applicabilité

Le Gouvernement rappelle qu’en garantissant le droit au respect de la vie familiale, l’article 8 présuppose l’existence d’une famille (arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, série A n° 31). Si la jurisprudence n’exige pas une cohabitation entre les différents membres de la « famille », il doit exister à tout le moins des rapports personnels étroits entre eux. L’existence de liens qui démontreraient une relation affective entre deux êtres et leur volonté d’entretenir cette relation est primordiale pour les organes de la Convention. Ces derniers estiment même que le seul lien biologique est insuffisant, faute de liens personnels étroits entre les intéressés pour constituer une vie familiale au sens de l’article 8. Ainsi, la Commission a pu décider que « le fait pour un homme de faire don de son sperme pour permettre à une femme de concevoir par insémination artificielle ne confère pas en soi au donneur le droit au respect de sa vie familiale avec l’enfant issu de cette insémination (n° 16944/90, décision du 8.2.1993, DR 74).

En l’espèce, la requérante n’a jamais vu sa mère parce que celle-ci n’a jamais souhaité la connaître et la considérer comme son enfant. Elle a en effet expressément manifesté sa volonté de l’abandonner et a accepté que son enfant soit adopté par d’autres personnes. Il n’existe entre la requérante et sa mère biologique aucune vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Seule la vie familiale constituée par la requérante avec ses parents adoptifs serait susceptible d’entrer dans le champ de l’article 8.

Cependant, la notion de vie privée, visée également par l’article 8 de la Convention, peut englober  parfois les éléments d’identification physique et sociale de l’individu (arrêt Gaskin c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 160). En l’espèce, M. Gaskin n’avait pu avoir accès à la totalité de son dossier en raison du refus de certains informateurs de lui communiquer les renseignements qu’ils avaient donné sous le sceau du secret. En l’espèce, l’État français n’a pas refusé de fournir des renseignements à la requérante mais a tenu compte de la volonté de sa mère qui a refusé, dès le départ, de voir communiquer son identité. A l’instar de l’affaire Gaskin, la présente requête met en présence deux intérêts concurrents : la demande d’accès à ses origines et le respect de la vie privée d’une femme qui d’emblée n’a pas voulu être considérée comme mère de la requérante. Toutefois, à la différence de l’affaire Gaskin, la demande de la requérante ne concerne pas l’obtention de renseignements sur des « aspects éminemment personnels de (son) enfance, de (son) évolution et (de ses) antécédents », car elle cherche à entrer en contact avec sa fratrie dont elle a appris l’existence à l’âge adulte et qu’elle n’a jamais connue. Elle n’a en effet jamais vécu avec ses frères et elle ne partage aucun souvenir commun avec eux. En tout état de cause, elle a pu connaître son passé puisqu’elle a eu accès en 1990 à son dossier d’ancienne pupille du service de l’ASE du département de la Seine, et que dès 1967, elle est entrée dans la famille qui l’a adoptée. Sa demande actuelle ne saurait donc être considérée comme faisant partie de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention puisqu’elle concerne des informations sur une famille naturelle dont elle a été séparée dès la naissance, à la suite de la décision de sa mère de l’abandonner.

Par conséquent, le grief soulevé par la requérante concernant l’accès à la connaissance de ses origines ne relève ni de sa vie familiale, ni de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention et sa requête ne peut, selon le Gouvernement, qu’être déclarée irrecevable en raison de son incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

La requérante estime l’article 8 applicable à sa demande qui concerne l’obtention de renseignements sur des aspects éminemment personnels de son histoire et de son enfance. Le secret constitue un destin de doute et de souffrance et il est inadmissible d’accepter que la recherche de la maternité naturelle soit rendue impossible par la consécration de l’accouchement anonyme. Une telle exception est un défi à la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant qui énonce que celui-ci a le droit de connaître ses parents, même si ce n’est que dans la mesure du possible. Cette limite doit être interprétée de manière très restrictive et doit s’entendre d’une impossibilité matérielle de retrouver la mère et non d’une impossibilité juridique tenant à l’existence d’une loi interne incompatible ou de la seule résistance d’une partie.

b) Sur le bien-fondé du grief tiré de l’article 8

Dans l’hypothèse où la Cour estimerait que l’impossibilité pour la requérante de connaître l’identité de sa mère porterait atteinte à sa vie privée telle qu’entendue par l’article 8 de la Convention, le Gouvernement estime que l’ingérence répond aux exigences énoncées au second paragraphe de cet article.

Prévue par l’article 341-1 du code civil, l’ingérence répondrait à un but légitime. Le but dudit article est de remédier à la détresse de certaines mères, qui sont dans l’impossibilité d’assumer l’éducation de leur enfant. Par cette possibilité, l’État français souhaite inciter ces femmes à venir accoucher dans de bonnes conditions et éviter qu’elles n’accouchent seules, au risque de ne pas porter assistance à leur enfant. Ces situations de détresse seraient loin d’être isolées en France (le nombre d’accouchements où l’identité de la mère n’est pas connue est d’environ 500 par an). Le Gouvernement affirme que selon un rapport commandé par le ministère des affaires sociales de 1999, il existe trois catégories de femmes qui accouchent sous X : de jeunes femmes n’ayant pas d’autonomie, de jeunes femmes vivant encore chez leurs parents et appartenant à une famille musulmane, originaire du Maghreb ou d’Afrique Subsaharienne où la grossesse hors mariage représente un grand déshonneur, et des femmes isolées et en proie à des difficultés matérielles (les plus jeunes d’entre elles, souvent âgées de moins de 25 ans, sont des mères célibataires ; les plus âgées, qui ont souvent plus de 35 ans, sont aussi plus souvent des femmes séparées, divorcées ou abandonnées, parfois marquées par la violence conjugale, avec plusieurs enfants à charge). En ce qui concerne les motifs qui conduisent ces femmes à demander le secret, le Gouvernement fait remarquer que ceux invoqués peuvent en cacher de plus graves, comme le viol ou l’inceste, qui ne sont pas toujours révélés par les intéressées.

Ainsi, selon le Gouvernement, le système prend en compte la santé de la mère mais également celle de l’enfant et répond à un objectif de santé publique qui permet, en protégeant la vie privée de la mère, de garantir les droits et libertés d’autrui. Il permet d’accoucher dans des conditions sanitaires correctes et d’apporter les soins nécessaires à l’enfant. Par ailleurs, l’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’Etat qui en découle permet à celui-ci d’être rapidement adopté.

Sur la proportionnalité de l’ingérence, le Gouvernement relève que la demande éventuelle de l’enfant d’avoir accès à cette identité peut entrer en conflit avec la liberté de toute femme de refuser son statut de mère et de ne pas assumer son enfant. Le droit français considère la maternité comme un des aspects de la vie privée, qui est à ce titre protégée par la loi (article 9 du code civil). Sur la base de ce texte, la Cour de cassation a estimé que constitue une atteinte à la vie privée, la publication sans l’autorisation de la mère, de son état de grossesse, même s’il avait pu être constaté dans un lieu public. La Cour, dans son affaire Gaskin, a rappelé l’importance du caractère confidentiel des dossiers officiels si l’on souhaite recueillir des informations dignes de foi et préserver des tiers ; la Cour a également considéré qu’un système qui subordonne l’accès aux dossiers à l’acceptation des informateurs peut en principe être compatible avec l’article 8 eu égard à la marge d’appréciation de l’État. La Cour a ainsi considéré que lorsque deux intérêts privés se trouvent en conflit, l’État dispose d’une certaine marge d’appréciation qui se trouve d’ailleurs renforcée dans la mesure où il n’existe sur la question de l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines aucun consensus au plan européen. Le Gouvernement soutient que seuls l’Italie et le Luxembourg organisent la possibilité pour les mères d’accoucher dans le secret. En Belgique, si la possibilité d’accoucher dans l’anonymat n’existe pas, le comité consultatif de bioéthique de ce pays a cependant, dans un avis du 12 janvier 1998, préconisé l’organisation d’un accouchement et la procédure d’abandon de l’enfant dans la discrétion. En Suisse, si le droit aux origines est garanti, les enfants adoptés doivent préalablement obtenir une autorisation de l’autorité cantonale de surveillance si l’identité des leurs parents ne figurent pas sur leur acte de naissance ; cette autorité adopte une pratique restrictive dans la communication des renseignements relatifs à la filiation d’origine.

La législation française a tenté de concilier les intérêts en présence sur trois axes :

a) en essayant d’inciter les mères à assumer la naissance de leurs enfants :

La loi a mis en place depuis longtemps des systèmes alternatifs d’ordre psychologique et social pour inciter la mère à garder son enfant malgré la situation de détresse. Aujourd’hui, l’article 62 du code de la famille impose aux services sociaux d’informer la mère des diverses mesures existantes pour l’aider à élever elle-même son enfant. Par ailleurs, ces services doivent informer la mère des délais et conditions dans lesquels elle peut reprendre son enfant. En outre, dans l’hypothèse où les délais prévus par la loi sont dépassés (1 mois selon l’ancien article 55 du code de la famille, deux mois selon l’actuel article 62), il existe la possibilité pour le tuteur d’accepter de remettre l’enfant à sa mère (article 62 dernier alinéa).

b) en permettant à ces enfants d’accéder à certaines informations :

La loi du 17 juillet 1978 a généralisé la possibilité pour l’enfant abandonné ou adopté d’obtenir des renseignements non identifiants sur sa mère, son père et même sur les autres membres de sa famille biologique ce qui lui permet  de reconstituer une histoire personnelle.

c) en prévoyant la réversibilité du secret demandé par la mère :

Depuis la loi du 5 juillet 1996, la réversibilité du secret a été facilitée en prévoyant d’informer la mère, lorsqu’elle a demandé le secret, de la possibilité, outre de donner des renseignements non identifiants, de révéler son identité en s’adressant au président du conseil général, qui conserve alors ces informations jusqu’à ce que l’enfant ou ses descendants en fassent la demande expresse.

Il résulte de toutes ces dispositions qu’un équilibre est soigneusement ménagé en droit interne entre l’intérêt d’une femme à ne pas révéler la naissance et celui d’un enfant à accéder à ses origines.

En l’occurrence, la requérante a obtenu des informations qui lui ont permis de reconstituer les origines de sa naissance. Le refus de faire droit à sa demande actuelle, qui consiste à entrer en contact avec une fratrie qu’elle n’a jamais connue, ne saurait constituer une ingérence disproportionnée dans sa vie privée, à supposer même que cette demande entre dans cette sphère.

En conséquence, le Gouvernement considère que les dispositions de l’article 341-1 du code civil n’ont pas porté atteinte au droit au respect de la vie privée de la requérante.

La requérante s’oppose aux propos du Gouvernement qui, selon elle, n’invoque que des motifs tenant à la situation de la mère, ignorant totalement les droits de l’enfant. Elle relève que l’opinion publique française est maintenant déterminée à ce qu’il soit mis fin à la situation des enfants nés sous X. En France, on peut faire comme si la mère n’avait pas existé. Dans la plupart des pays du monde, la naissance constitue automatiquement un lien de filiation entre une mère et l’enfant qu’elle met au monde. L’invocation de l’adoption par le Gouvernement installe la confusion dès lors que le droit français à l’établissement de la filiation n’est toujours pas réellement dissocié du droit à la connaissance de ses origines. Il importe de relever que l’enfant né sous X, adopté ou non, doit être en mesure de connaître l’identité de ses géniteurs et d’en tirer ou non des conséquences sur le plan de la filiation. Mais, au-delà de cette recherche dont le principe doit être réaffirmé, la recherche de la vérité est indispensable et il est inadmissible de consacrer un principe qui permettrait l’organisation du secret et du vide.

L’évolution actuelle, la volonté de connaître ses origines, constituent la preuve de la légitimité de l’objectif poursuivi par la requérante. Le projet de loi présenté par la ministre déléguée à la famille démontre l’embarras et le malaise juridique français concernant la connaissance des origines familiales. La recherche d’une conciliation entre des points de vue inconciliables conduit aujourd’hui à proposer de transformer l’accouchement anonyme en accouchement secret avec une possibilité de réversibilité de ce secret. L’accouchement anonyme constitue une contrevérité légale puisque la femme est censée ne jamais avoir accouché : cette pratique bafoue le principe d’indisponibilité de la filiation car l’établissement en est abandonné au libre arbitre de la femme accouchée. La requérante considère les arguments du Gouvernement comme purement matériels (accoucher dans des conditions sanitaires convenables) et fondés sur la seule prise en compte de l’intérêt de la mère, et l’appréciation qui est faite au bénéfice d’une évaluation de proportionnalité est en contradiction avec le droit de l’enfant lui-même à agir pour connaître sa filiation. L’argumentation visant les possibilités de réversibilité du secret ne se fonde que sur un accord maternel, à défaut duquel l’enfant n’a aucun droit et la requérante en conclut qu’aucun équilibre n’est préservé en droit interne entre l’intérêt de la mère et celui de l’enfant.

La Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé en application de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

III. Sur le bien-fondé du grief tiré des dispositions combinées des articles 8 et 14

Dans l’hypothèse où la Cour estimerait que l’impossibilité d’avoir accès à la connaissance de ses origines est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la requérante, le Gouvernement estime que les conditions d’application de l’article 14 (différence de traitement, distinction qui n’a pas de justification objective et raisonnable, pas de proportionnalité entre le moyen utilisé et le but recherché) ne sont pas réunies.

A titre principal, il n’existe selon le Gouvernement aucune différence de traitement. L’enfant abandonné par sa mère ne se trouve pas dans une situation comparable aux autres enfants qui seront assumés par leurs parents. Seule une différence de traitement entre les enfants nés dans les conditions prévues par l’article 341-1 du code civil pourrait porter à critique. Or tel n’est pas le cas puisque tous les enfants pour lesquels le secret de la naissance a été demandé sont soumis aux mêmes règles pour accéder à la connaissance de leurs origines.

A titre subsidiaire, et si la Cour devait estimer que les conséquences du secret demandé par la mère au regard de l’accès par son enfant à la connaissance de ses origines le placent dans une situation discriminatoire en raison de sa naissance, le Gouvernement considère alors que cette différence de traitement est justifiée, d’une part en raison du but légitime poursuivi par l’article 341-1 du code civil et d’autre part compte tenu du rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Le Gouvernement renvoie sur ce point aux développements précédents.

La requérante estime que l’arrêt Marckx précité implique que le lien juridique de filiation découle automatiquement du lien biologique et qu’aux termes de la règle mater semper certa est, il doit être impérativement respecté par les parties à la Convention. Du fait de la prohibition qui lui est opposée, la requérante se dit victime de restrictions à sa capacité de recevoir des biens de sa mère naturelle quelle que soit la compensation pouvant résulter du fait de son adoption. L’arrêt précité aurait jugé discriminatoire l’absence totale de vocation successorale fondée sur le seul caractère du lien de parenté.

La Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé en application de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

S. DolléL. Loucaides
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (troisième section), ODIEVRE c. la FRANCE, 16 octobre 2001, 42326/98