CEDH, Cour (quatrième section), GUIGUE et SGEN-CFDT c. la FRANCE, 6 janvier 2004, 59821/00

  • Appel·
  • Arme·
  • Délai·
  • Partie civile·
  • Procédure pénale·
  • Principe·
  • Procès équitable·
  • Journal officiel·
  • Interjeter·
  • Éducation nationale

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 6 janv. 2004, n° 59821/00
Numéro(s) : 59821/00
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2004-I
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 13 juillet 2000
Jurisprudence de Strasbourg : APEH Üldözötteinek Szövetsége et autres c. Hongrie, no 32367/96, § 'é, CEDH 2000-X
Helle c. Finlande, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, § 54
De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, § 53
Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, série A no 274, § 33
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-44697
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:0106DEC005982100
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 59821/00
présentée par Jeanine GUIGUE et SGEN-CFDT
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 6 janvier 2004 en une chambre composée de

SirNicolas Bratza, président,
MM.M. Pellonpää,
J.-P. Costa,
M. Fischbach,
J. Casadevall,
S. Pavlovschi,
J. Borrego Borrego, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 juillet 2000,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérantes, Mme Jeanine Guigue et la Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale (SGEN-CFDT), sont respectivement une ressortissante française née en 1932 et résidant à Paris, et une personne morale ayant son siège à Paris. Elles sont représentées devant la Cour par Me N. Senyk, avocat à Paris.


A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit.

Le 27 juillet 1993, Mme Guigue, la première requérante, exerçant la profession d’inspecteur pédagogique régional, déposa plainte avec constitution de partie civile contre X pour violence et voie de fait avec préméditation. Elle exposa qu’après avoir déposé un dossier de candidature à un poste d’inspecteur général de l’éducation nationale, elle reçut une carte postale anonyme dont le contenu injurieux était de nature à perturber et à nuire à sa vie personnelle et professionnelle. Elle précisa que ce courrier faisait suite à quatre autres cartes postales anonymes du même type. De plus, elle reçut une sixième carte peu de temps après.

Sur la base d’une expertise en écriture et d’un examen comparatif des documents anonymes reçus par la requérante, B., inspecteur général de l’éducation nationale ayant autorité sur la requérante, fut mis en examen.

Par ordonnance rendue le 18 décembre 1996 par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, B. fut renvoyé devant ce tribunal sous la prévention de violences volontaires avec préméditation ayant entraîné une incapacité de travail n’excédant pas huit jours, sur la personne de Mme Guigue.

La SGEN-CFDT, deuxième requérante, se constitua partie civile.

Par un jugement rendu le 30 septembre 1997, le tribunal reconnut B. coupable de violences volontaires avec préméditation sur la personne de Mme Guigue, le condamna à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis et à 15 000 francs français (FRF) d’amende, et octroya des dommages et intérêts aux parties civiles, à savoir 25 000 FRF à Mme Guigue en réparation de son préjudice moral, et 1 FRF à la SGEN-CFDT.

Dans le délai légal de dix jours prévu en droit interne pour toutes les parties sauf pour le procureur général, aucun appel ne fut interjeté.

Par lettre du 5 décembre 1997, l’avocat de B. informa celui de la SGEN-CFDT de ce que le procureur général près la cour d’appel de Paris avait interjeté appel de ce jugement dans le délai spécial de deux mois ouvert au seul procureur général et prévu par l’article 505 du code de procédure pénale.

Le 10 décembre 1997, soit dans un délai de cinq jours suivant l’information donnée par l’avocat de B., la SGEN-CFDT déposa une requête motivée en appel du jugement précité. Mme Guigue fit de même.

A l’appui de leurs requêtes, les appelantes demandèrent à la cour d’appel de déclarer irrecevable l’appel formé par le procureur général et subsidiairement de déclarer leur propre appel recevable en vertu du principe de l’égalité des armes tel qu’il résulte du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention.

Par un arrêt rendu le 4 novembre 1998, la cour d’appel de Paris déclara recevable l’appel du procureur général et irrecevables les appels des requérantes. Dans son arrêt, la cour releva notamment :

« Considérant que le Procureur Général tient des articles 497, 6o et 505 du code de procédure pénale le droit de relever appel d’un jugement dans les deux mois de son prononcé ;

Considérant que les autres parties au procès pénal bénéficient également d’un droit d’appel par application des dispositions de l’article 497, 1o à 5o du code de procédure pénale, dans le délai de 10 jours conformément à l’article 498 du même code ;

Qu’elles ne peuvent, dans ces conditions, alléguer une rupture de l’égalité des armes alors qu’il leur était loisible de relever appel de la décision, dans le délai qui leur est propre ;

Qu’elles ne peuvent étendre à la matière correctionnelle une argumentation tirée de l’appel en matière de contravention de police où le Procureur Général, par application du dernier alinéa de l’article 546 du code de procédure pénale est la seule des parties à pouvoir relever appel de toutes les décisions des tribunaux de police (...) ;

Qu’il apparaît dès lors que l’appel du Procureur Général n’est pas incompatible avec les dispositions de l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme ; (...) ».

Les requérantes se pourvurent en cassation. Le 29 février 2000, la Cour de cassation rejeta leur pourvoi par un arrêt ainsi motivé :

« Attendu que, pour déclarer le procureur général recevable en son appel et les parties civiles irrecevables en leurs appels incidents, la juridiction d’appel se prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu qu’en cet état, et dès lors que ni le prévenu ni les parties civiles, lesquelles tiennent de la loi la faculté de faire appel quant à leurs intérêts civils seulement, n’ont relevé appel dans le délai qui leur était imparti, la cour d’appel a fait l’exacte application des dispositions des articles 497, 498, 500 et 505 du code de procédure pénale qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions conventionnelles invoquées ;

Que, de surcroît, l’action civile étant éteinte, les demanderesses sont sans qualité pour contester l’appel du procureur général (...) ».


B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  Code de procédure pénale

Article 497

(Loi nº 83-608 du 8 juillet 1983 art. 8 Journal Officiel du 9 juillet 1983 en vigueur le 1er septembre 1983)

« La faculté d’appeler appartient :

1º Au prévenu ;

2º A la personne civilement responsable quant aux intérêts civils seulement ;

3º A la partie civile, quant à ses intérêts civils seulement ;

4º Au procureur de la République ;

5º Aux administrations publiques, dans les cas où celles-ci exercent l’action publique ;

6º Au procureur général près la cour d’appel. »

Article 498

(Ordonnance nº 60-529 du 4 juin 1960 art. 2 Journal Officiel du 8 juin 1960)

(Loi nº 85-1407 du 30 décembre 1985 art. 48 et art. 94 Journal Officiel du 31 décembre 1985 en vigueur le 1er février 1986)

« Sauf dans le cas prévu à l’article 505, l’appel est interjeté dans le délai de dix jours à compter du prononcé du jugement contradictoire .

Toutefois, le délai d’appel ne court qu’à compter de la signification du jugement quel qu’en soit le mode :

1º Pour la partie qui, après débat contradictoire, n’était pas présente ou représentée à l’audience où le jugement a été prononcé, mais seulement dans le cas où elle-même ou son représentant n’auraient pas été informés du jour où le jugement serait prononcé ;

2º Pour le prévenu qui a demandé à être jugé en son absence dans les conditions prévues par l’article 411, alinéa 1er ;

3º Pour le prévenu qui n’a pas comparu, dans les conditions prévues par l’article 411, alinéa 4.

Il en est de même dans les cas prévus par les articles 410 et 494-1. »

Article 500

« En cas d’appel d’une des parties pendant les délais ci-dessus, les autres parties ont un délai supplémentaire de cinq jours pour interjeter appel. »

Article 505

(Ordonnance nº 60-529 du 4 juin 1960 art. 8 Journal Officiel du 8 juin 1960)

« Le procureur général forme son appel par signification, soit au prévenu, soit à la personne civilement responsable du délit, dans le délai de deux mois à compter du jour du prononcé du jugement. »

2.  Jurisprudence

Dans plusieurs affaires, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la compatibilité de l’article 505 du code de procédure pénale avec l’article 6 de la Convention européenne. Elle a précisé que : « l’article 505 du Code de procédure pénale, qui fixe à 2 mois le délai d’appel du procureur général, n’est pas contraire à l’exigence d’un procès équitable, dès lors que le prévenu bénéficie également d’un droit d’appel et dispose d’un délai lui permettant de l’exercer utilement » (voir notamment Cass. Crim., 9 janvier 2002, X. et Y.; Cass. Crim., 24 octobre 2001, Cervoni ; Cass. Crim., 27 juin 2000, Amelot ; Cass. Crim., 27 juin 2000, Navarra).

GRIEFS

Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérantes contestent l’arrêt rendu le 29 février 2000 par la Cour de cassation. Elles soutiennent que le droit à un procès équitable garanti par cet article impose que les parties disposent des mêmes droits, particulièrement en ce qui concerne les voies de recours. Elles se plaignent d’une double violation du principe de l’égalité des armes.

Elles allèguent, d’une part, que, lorsqu’à l’expiration du délai légal de dix jours, aucun appel n’a été interjeté, cette faculté ne saurait être réservée au seul procureur général. En effet, en cas d’appel du procureur général survenant dans le délai spécial de deux mois prévu par l’article 505 du code de procédure pénale, les parties au procès sont privées du droit d’interjeter appel et même, pour la partie civile, de toute possibilité de présenter des observations à hauteur d’appel. Dès lors, cela entraîne, selon les requérantes, une rupture du principe de l’égalité des armes.

D’autre part, elles soutiennent qu’en vertu du principe de l’égalité des armes, l’appel interjeté par le procureur général dans le délai spécial de deux mois devrait ouvrir aux parties un délai supplémentaire de cinq jours pour interjeter appel à leur tour, comme dans les autres cas auxquels l’article 500 du code de procédure pénale est applicable (possibilité d’appel dit « incident »). Or, l’irrecevabilité de leurs appels déclarée par la cour d’appel et confirmée par la Cour de cassation méconnaît, selon elles, ce principe.

EN DROIT

Les requérantes soutiennent que l’irrecevabilité de leurs appels, déclarée par la cour d’appel et confirmée par la Cour de cassation, constitue une double violation du principe de l’égalité des armes garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Elles soutiennent en effet que l’article 505 du code de procédure pénale n’est pas compatible avec le principe de l’égalité des armes, dans la mesure où cette disposition ouvre au seul procureur général un droit d’appel dans un délai de deux mois à compter du jugement correctionnel, alors que le droit d’appel des autres parties est enfermé dans un délai plus bref. De plus, elles allèguent que l’impossibilité pour les parties civiles d’avoir recours à un appel « incident » en cas d’appel interjeté par le procureur général méconnaît le principe de l’égalité des armes.

La Cour note d’emblée que se pose la question de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention, dans la mesure où cette disposition ne s’applique qu’à des procédures concernant le « bien-fondé [d’une] accusation en matière pénale » dirigée contre la requérante, ou à une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil ». Or, s’il apparaît clairement que l’article 6 de la Convention n’entre pas en jeu sous son aspect pénal par rapport à la requérante, se pose la question de savoir si l’on peut considérer que la procédure litigieuse concerne une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil ».

Toutefois, la Cour n’estime pas nécessaire en l’occurrence de trancher la question car, de toute manière, elle considère que le grief dans sa totalité est irrecevable.

La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, « une des exigences d’un « procès équitable » est « l’égalité des armes », laquelle implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (voir, parmi d’autres, De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, § 53). De plus, « le principe de l’égalité des armes ne dépend pas d’une absence d’équité supplémentaire, quantifiable et liée à une inégalité de procédure. C’est aux parties qu’il appartient d’apprécier si les observations méritent réaction et il est inacceptable qu’une partie remette des observations à l’insu de l’autre et sans possibilité pour cette dernière d’y répondre. » (voir APEH Üldözötteinek Szövetsége et autres c. Hongrie, no 32367/96, § 42, CEDH 2000‑X). Enfin, « l’exigence de « l’égalité des armes » au sens d’un juste équilibre entre les parties, vaut en principe aussi bien au civil qu’au pénal » (voir Dombo Beheer B.V. c. Pays‑Bas, arrêt du 27 octobre 1993, série A no 274, § 33).

En l’espèce, la Cour relève que, selon les dispositions du code de procédure pénale (voir partie « droit national pertinent » ci-dessus) en vigueur au moment des faits de l’espèce, les parties, y compris les parties civiles, disposaient du droit de faire appel du jugement rendu le 30 septembre 1997 par le tribunal de grande instance de Paris. Ainsi, loin d’être réservé au seul procureur général, le droit d’appel appartenait à toutes les parties, dont les requérantes. Un tel droit fournissait aux requérantes une occasion réelle et sérieuse de soumettre leurs observations à hauteur d’appel. Or, les requérantes n’ayant pas relevé appel dans le délai légal, il convient de noter qu’elles ne mirent pas cette occasion à profit (voir Helle c. Finlande, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997‑VIII, § 54).

La Cour observe également que le délai d’appel de dix jours, s’il était bref, ne l’était pas au point de priver les requérantes de la possibilité d’exercer utilement cette voie de recours. Le fait que ce délai soit notablement plus court pour les parties privées que pour le procureur général, qui est d’ailleurs dans une situation différente, ne saurait, aux yeux de la Cour, placer celles-là en position de « net désavantage » par rapport à celui-ci, au sens de l’arrêt De Haes et Gijsels précité, en admettant même que le procureur général puisse être regardé comme leur « adversaire » au sens du même arrêt.

De plus, il apparaît, comme l’ont montré les juridictions nationales, que si la constitution de partie civile par voie principale met en mouvement l’action publique, l’action civile exercée par les requérantes demeure une action en réparation du dommage causé par l’infraction, et l’appel qu’elles auraient pu interjeter ne concernait que les intérêts civils. Une telle action est fondamentalement distincte de celle dévolue au procureur général, représentant de la puissance publique chargé de la défense de l’intérêt général, laquelle, par nature, ne porte que sur les dispositions pénales.

En l’espèce, par un jugement rendu le 30 septembre 1997, le tribunal a octroyé des dommages et intérêts aux parties civiles. Aucun appel n’ayant été interjeté, ces dispositions sont devenues définitives. Elles ne sauraient être remises en cause par l’appel interjeté par le procureur général. Ainsi, les requérantes et le procureur général ont mené deux actions de nature distincte, sans conséquence l’une sur l’autre. Il s’ensuit que les requérantes ont eu une possibilité raisonnable de présenter leur cause à hauteur d’appel en ce qui concerne les intérêts civils, et qu’elles ne sauraient prétendre que la recevabilité de l’appel du procureur général les placerait illégitimement dans une situation nettement désavantageuse par rapport à celui-ci.

Dans ces conditions, et compte tenu de ce que l’article 505 du code de procédure pénale ne prive pas les requérantes d’un recours dont pourrait user le procureur général mais le soumet seulement à des conditions de forme et de délai différentes, la Cour estime que les requérantes ne peuvent prétendre qu’il y ait eu méconnaissance du principe de « l’égalité des armes » inhérent à la notion de procès équitable. 

Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Michael O’Boyle Nicolas Bratza
GreffierPrésident

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (quatrième section), GUIGUE et SGEN-CFDT c. la FRANCE, 6 janvier 2004, 59821/00