CEDH, Cour (cinquième section), DESRIAUX c. FRANCE, 19 janvier 2010, 29308/06

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 19 janv. 2010, n° 29308/06
Numéro(s) : 29308/06
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 13 juillet 2006
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-97260
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:0119DEC002930806
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 29308/06
présentée par Bertrand DESRIAUX
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 19 janvier 2010 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 juillet 2006,

Vu la demande du requérant tendant à ce que la Cour déclare irrecevables les observations écrites du Gouvernement en raison de leur tardiveté,

Considérant, d’une part, que le Gouvernement a été invité le 16 juin 2008 par le greffe à soumettre ses observations par courrier « au plus tard le 8 octobre 2008 » et, d’autre part, que celles-ci ont été transmises par facsimilé le 8 octobre 2008, comme l’attestent les documents fournis par la partie défenderesse, la Cour déclare que les observations écrites du Gouvernement sont recevables et qu’elles doivent être versées au dossier de la procédure,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Bertrand Desriaux, est un ressortissant français, né en 1964 et résidant à Neuilly Sur Seine. Il est représenté devant la Cour par Me Thierry Levy, avocat au barreau de Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 7 mars 1997, le Syndicat National des Industries de la Communication Graphique et de l’Imprimerie Françaises (ci-après « SICOGIF ») déposa une plainte avec constitution de partie civile contre le requérant, responsable de son service juridique et social. Le syndicat exposait qu’en janvier 1996, il avait procédé au licenciement pour faute grave de Mme B., secrétaire générale, et avait saisi le Conseil des Prud’hommes à cette fin. Dans le cadre de cette procédure, il expliquait que le requérant avait rédigé une attestation datée du 21 mars 1996 dans laquelle il confirmait la véracité des faits reprochés à Mme B., et que cette attestation avait été remise en original à son employeur, qui l’avait rangée dans le dossier de Mme B. Interrogé par le Président du SICOGIF qui s’était aperçu par la suite de la disparition de ce document, le requérant avait reconnu, dans une correspondance datée du 18 février 1997, avoir repris ce document afin qu’il ne soit ni produit ni utilisé en justice.

Une information était ouverte sur ces faits. Mis en examen pour vol, le requérant confirmait avoir retiré du dossier l’attestation qu’il avait rédigée le 21 mars 1996. Il déclarait avoir délivré cette attestation sous la contrainte et précisait qu’il était en désaccord avec le montage juridique réalisé par la direction pour licencier Mme B.

Par une ordonnance du 5 mars 1999, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir frauduleusement soustrait l’attestation litigieuse au préjudice du SICOGIF, faits prévus et réprimés par les articles 311-1 et 311-3 du code pénal.

Par un jugement du 13 octobre 1999, ledit tribunal déclara le requérant coupable de vol et le condamna à 4000 francs (environ 610 euros) d’amende ; il accorda au SICOGIF 2000 francs à titre de dommages‑intérêts.

Le requérant, le ministère public et la partie civile interjetèrent appel. Par un arrêt du 12 mai 2000, la cour d’appel de Paris infirma le jugement et renvoya le requérant des fins de la poursuite au motif qu’une attestation était assimilable à un témoignage en justice, qui pouvait toujours être modifié ou rétracté.

Sur pourvoi du SICOGIF, la Cour de cassation, par un arrêt du 24 avril 2001, cassa en ses seules dispositions civiles cet arrêt au motif que le document était devenu la propriété de celui à qui il avait été remis, et que les juges avaient méconnu l’article 311-1 du code pénal. L’affaire fut renvoyée devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

Par un arrêt du 12 janvier 2004, la cour d’appel de renvoi considéra que le requérant avait fait l’objet d’une condamnation pénale qui était devenue définitive en l’absence d’appel de sa part et de celle du ministère public, et qu’elle n’était donc saisie que des seuls intérêts civils.

Sur pourvoi du requérant, la Cour de cassation, par un arrêt du 23 novembre 2004, cassa en toutes ses dispositions cette décision pour défaut de base légale, en soulignant qu’appel avait été relevé par le ministère public en ce qui concerne les dispositions pénales, et par le requérant en ce qui concerne les dispositions pénales et civiles. L’affaire fut une nouvelle fois renvoyée devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, en ses seules dispositions civiles dès lors que la relaxe prononcée par l’arrêt du 12 mai 2000 était définitive.

Par un arrêt du 28 octobre 2005, la cour d’appel de Paris condamna le requérant aux dépens et à payer au SICOGIF 1 euro de dommages-intérêts. Elle indiqua que si elle était saisie des seuls intérêts civils et ne pouvait prononcer aucune peine contre le prévenu définitivement relaxé, elle n’en était pas moins tenue, au regard de l’action civile, de rechercher si les faits qui lui étaient déférés constituaient une infraction pénale et de se prononcer en conséquence sur la demande en réparation de la partie civile. Elle rappela qu’en application de l’article 311-1 du code pénal, toute appropriation de la chose appartenant à autrui, contre le gré de son propriétaire ou légitime détenteur, caractérisait la soustraction frauduleuse constitutive du vol, quel que soit le mobile ayant inspiré son auteur. La cour d’appel considéra qu’en l’espèce, il était incontestablement établi que le prévenu avait, à l’insu de son employeur, repris dans un dossier dont il avait la détention matérielle l’original de l’attestation qu’il lui avait précédemment délivrée et, partant que le requérant avait commis un vol.

Le 17 janvier 2006, la Cour de cassation, au visa de l’article L. 131-6 du code de l’organisation judiciaire, déclara non-admis le pourvoi formé par le requérant contre cette décision, au motif « qu’après avoir examiné tant la recevabilité du recours que les pièces de la procédure, (...) il n’existe aucun moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi ; (...) ».

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

Article L. 136-1 alinéa 4 du code de l’organisation judiciaire (applicable aux moments des faits)

« Lorsque la solution d’une affaire soumise à la chambre criminelle lui paraît s’imposer, le premier président ou le président de la chambre criminelle peut décider de faire juger l’affaire par une formation de trois magistrats. (...). La formation déclare non admis les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation. »

Article 515 du code de procédure pénale

« La cour [d’appel] peut, sur l’appel du ministère public, soit confirmer le jugement, soit l’infirmer en tout ou en partie dans un sens favorable ou défavorable au prévenu.

La cour ne peut, sur le seul appel du prévenu (...), du civilement responsable, de la partie civile ou de l’assureur de l’une de ces personnes, aggraver le sort de l’appelant.

La partie civile ne peut, en cause d’appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois elle peut demander une augmentation des dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance. »

Les juges du second degré, saisis du seul appel de la partie civile, ne peuvent prononcer aucune peine contre le prévenu définitivement relaxé du fait de l’absence de recours du ministère public (Crim. 30 mars 2005, Bull. crim. no 103). Ils n’en sont pas moins tenus, au regard de l’action civile, de rechercher si les faits qui leur sont déférés constituent une infraction pénale et de se prononcer en conséquence sur la demande de réparation de la partie civile (Crim. 27 mai 1999, Bull. crim. no 109 ; Crim. 14 septembre 1985, Bull. crim. no 284 ; Crim. 3 novembre 1994, pourvoi no G.94-80.354 (inédit)).

GRIEFS

Le requérant allègue plusieurs violations des dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention.

1.  Le requérant soutient que la procédure suivie l’a privé du droit à la sécurité juridique, dans la mesure où sa relaxe, définitivement prononcée par l’arrêt du 12 mai 2000, a été remise en cause par l’arrêt rendu le 28 octobre 2005 par la cour d’appel de Paris puisque celle-ci a déclaré qu’il était « coupable de vol ».

2.  Le requérant se plaint également de ce que la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 28 octobre 2005, n’a pas répondu au moyen de défense qu’il soulevait relatif à l’absence d’intention délictuelle de s’approprier la chose d’autrui.

3.  Il dénonce enfin la durée de la procédure en cause, qu’il estime excessive.

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint de ce que la procédure suivie l’a privé du droit à la sécurité juridique, dans la mesure où sa relaxe, définitivement prononcée par l’arrêt du 12 mai 2000, a été remise en cause par l’arrêt rendu le 28 octobre 2005 par la cour d’appel de Paris puisque celle-ci a déclaré qu’il était « coupable de vol ». Il invoque l’article 6 § 1 qui, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...). »

Le Gouvernement fait valoir tout d’abord que l’article 6 § 2 de la Convention n’a pas été soulevé dans la présente requête, le requérant n’invoquant que l’article 6 § 1. Il soutient ensuite que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où, après avoir formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 28 octobre 2005, il s’est abstenu de déposer un mémoire ampliatif qui lui aurait permis de faire valoir devant la Cour de cassation les violations alléguées.

Le requérant soutient qu’il n’a pas déposé de mémoire ampliatif au soutien de son pourvoi car celui-ci, en l’état de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, ne pouvait prospérer. Il expose que dans des cas d’espèces similaires, la Cour de cassation formule une motivation dite de principe ; il produit plusieurs décisions rendues en la matière par la chambre criminelle de la haute juridiction (Crim. 30 mars 2005, précité ; Crim. 27 mai 1999, précité ; Crim. 23 octobre 2002, pourvoi no 0281.153 et Crim. 30 octobre 2001, pourvoi no 0180.174).

Le Gouvernement, en réplique, s’interroge sur les raisons qui l’ont conduit à former un pourvoi en cassation si, à son sens, cette voie de recours était dépourvue de caractère effectif. Il dénonce la conception purement formaliste du requérant quant à l’exigence de l’épuisement préalable des voies de recours internes, qu’il estime contraire à celle de la Cour.

La Cour rappelle tout d’abord qu’un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués par les parties (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 54, 17 septembre 2009).

En l’espèce, la Cour constate que le requérant se plaint dans sa requête d’une remise en cause de sa relaxe, définitive, par les motifs exposés dans l’arrêt de la cour d’appel du 28 octobre 2005 qui équivalent selon lui à un constat de culpabilité.

La Cour estime en conséquence que les faits que le requérant dénonce dans sa requête se rapportent à l’article 6 § 2 de la Convention, seul ici pertinent, qui se lit comme suit :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

Cela étant, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle « ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes (...) et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ». Elle rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 impose aux personnes désireuses d’intenter contre l’Etat une action devant un organe judiciaire ou arbitral international l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de leur pays. Lesdits recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite, mais il n’impose pas d’user de recours qui sont inadéquats ou ineffectifs (voir, parmi beaucoup d’autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 75, CEDH 1999-V).

En l’espèce, la Cour constate que la Cour de cassation n’a pas été mise en mesure de statuer sur le pourvoi formé par le requérant dans la mesure où celui-ci n’a pas déposé de mémoire ampliatif au soutien de son recours.

Elle relève que le requérant, qui reconnait ne pas avoir développé devant la Cour de cassation des moyens relatifs à l’article 6 § 2 de la Convention, explique qu’il a considéré que cette voie de recours n’était pas effective, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

Dès lors, la Cour considère, en tout état de cause, qu’à supposer que le pourvoi en cassation ne constituait pas en l’espèce un recours à épuiser, la décision interne définitive à prendre en compte pour le calcul du délai de six mois au sens de l’article 35 § 1 de la Convention est l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 octobre 2005, soit plus de six mois avant la date d’introduction de la requête (voir, mutatis mutandis, Rezgui c. France (déc.), no 49859/99, CEDH 2000‑XI). Il s’ensuit que la requête a été introduite tardivement.

Partant, cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2.  Toujours sur le fondement de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint également de ce que la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 28 octobre 2005, n’a pas répondu au moyen de défense qu’il soulevait relatif à l’absence d’intention délictuelle de s’approprier la chose d’autrui.

Compte tenu du constat auquel elle est parvenue s’agissant du grief examiné sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, la Cour estime que cette partie de la requête a également été introduite tardivement et qu’elle doit dès lors être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3.  Il dénonce enfin la durée de la procédure en cause qu’il estime excessive.

La Cour constate que le requérant a omis de former un recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, pour se plaindre de la durée de la procédure en cause. Il n’a donc pas épuisé les voies de recours internes (voir Mifsud c. France [GC], no 57220/00, (déc.), 11 septembre 2002).

Partant, cette partie de la requête doit donc être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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