CEDH, Cour (deuxième section), OCCHETTO c. ITALIE, 12 novembre 2013, 14507/07

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Chronologie de l’affaire

Commentaires4

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www.bdidu.fr · 25 mars 2021

Pour s'opposer à la demande de démolition d'une construction faite sans autorisation d'urbanisme régulière, il était invoqué par le propriétaire une atteinte aux droits au domicile des personnes, au sens de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour de cassation juge que seuls les locataires concernés pouvaient invoquer cette disposition, mais non le propriétaire qui avait créé 11 logements à usage locatif. "M. U... P..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° J 20-11.726 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2019 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre, section A), dans le …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 12 nov. 2013, n° 14507/07
Numéro(s) : 14507/07
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 31 mars 2007
Jurisprudence de Strasbourg : Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 52, CEDH 2012
Bidenc c. Slovénie (déc.), no 32963/02, 18 mars 2008
Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 30, CEDH 2002 III
Di Giovine c. Portugal (déc.), no 39912/98, 31 août 1999
Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 319 in fine, CEDH 2011
Hermida Paz c. Espagne (déc.), no 4160/02, 28 janvier 2003
Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, §§ 61-62, CEDH 2005-IX
Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, §§ 46-52, série A no 113
Matthews c. Royaume Uni [GC], no 24833/94, §§ 45-54 et 63, CEDH 1999-I
Melnitchenko c. Ukraine, no 17707/02, § 57, CEDH 2004-X
Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 48, CEDH 2009
Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, no 18705/06, § 81, 8 avril 2010
Paşa et Erkan Erol c. Turquie, no 51358/99, §§ 19-22, 12 décembre 2006
Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II
Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no 48335/99, CEDH 2000-XI
Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 104, CEDH 2010
Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, §§ 103-104 et § 115 a), b), c) et e), CEDH 2006 IV
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité ; (Art. 35-3-b) Aucun préjudice important
Identifiant HUDOC : 001-138795
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:1112DEC001450707
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 14507/07
Achille OCCHETTO
contre l’Italie

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 12 novembre 2013 en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 31 mars 2007,

Vu la décision du 12 février 2013,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Achille Occhetto, est un ressortissant italien né en 1936 et résidant à Rome. Il est représenté devant la Cour par Me F. Paola, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Spatafora.

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A.  Les élections au Parlement européen de 2004

3.  Le requérant se porta candidat aux élections au Parlement européen des 13 et 14 juin 2004 sur la liste « société civile, Di Pietro - Occhetto », dans les circonscriptions « Nord-Ouest » et « Italie méridionale ». Dans ces deux circonscriptions, il arriva le premier parmi les candidats non élus.

4.  Le 6 juillet 2004, le requérant signa un acte de renonciation à un siège parlementaire, en quatre exemplaires. Il était spécifié que ces documents pouvaient être présentés aux autorités compétentes à tout moment. Ladite renonciation était le résultat d’un accord entre le requérant et le cofondateur du mouvement politique auquel l’intéressé appartenait, M. Di Pietro.

5.  Le 7 juillet 2004, M. Di Pietro déposa auprès du bureau électoral italien (« le bureau électoral ») l’un des quatre exemplaires de l’acte de renonciation par lequel le requérant déclarait « renoncer définitivement [à un siège de député européen] dans les circonscriptions [« Nord-Ouest » et « Italie méridionale »] ». Etant donné que M. Di Pietro avait choisi de représenter la circonscription « Italie méridionale », le dépôt de cet acte eut des effets immédiats pour la circonscription « Nord-Ouest ». Par la suite, des divergences d’opinion surgirent entre le requérant et M. Di Pietro.

6.  Le 27 avril 2006, le requérant déclara qu’il révoquait son acte de renonciation et il exprima sa volonté de siéger au Parlement européen. Le 28 avril 2006, M. Di Pietro, ayant décidé de siéger au Parlement italien, renonça à son mandat de député européen.

7.  Le 8 mai 2006, le bureau électoral déclara le requérant élu au Parlement européen pour la circonscription « Italie méridionale ». Il considéra notamment que la renonciation du requérant pouvait être révoquée pour cette circonscription – dans laquelle le requérant était arrivé le premier parmi les candidats non élus –, étant donné qu’elle avait produit des effets immédiats uniquement pour la circonscription « Nord-Ouest ».

B.  Le recours administratif de M. Donnici

8.  M. Donnici, qui était arrivé en deuxième position dans la circonscription « Italie méridionale » par le nombre de voix obtenues, soit juste derrière le requérant, introduisit devant le tribunal administratif régional (« le TAR ») du Latium un recours en annulation de la décision du bureau électoral du 8 mai 2006.

9.  Par un jugement du 21 juillet 2006, le TAR rejeta le recours de M. Donnici. Il observa notamment que la renonciation du requérant portait uniquement sur la phase de proclamation des élus, et non sur sa candidature dans la liste pour laquelle il s’était présenté. Il releva de plus que cette renonciation n’avait d’effet ni sur le classement des candidats, qui dépendait de la volonté du corps électoral, ni, avant la démission de M. Di Pietro, pour la circonscription « Italie méridionale ». Il conclut qu’il était dès lors loisible au requérant de révoquer sa renonciation.

10.  Par ailleurs, le TAR nota que, dans une communication du 12 novembre 2004 envoyée au Parlement européen, le requérant avait précisé que sa renonciation était définitive et qu’il avait indiqué le nom de M. Donnici comme éventuel premier suppléant de M. Di Pietro pour la circonscription « Italie méridionale ». Cependant, il considéra que cette communication n’était pas contraignante et qu’elle devait être entendue comme étant valide rebus sic stantibus.

11.  M. Donnici interjeta appel de ce jugement.

12.  Par une décision du 24 octobre 2006, déposée au greffe le 6 décembre 2006, le Conseil d’Etat annula la décision du bureau électoral litigieuse.

13.  La haute juridiction nota d’abord que, après les élections européennes de 2004, le requérant avait déclaré renoncer « définitivement » – et donc sans possibilité de révocation – à un siège parlementaire, et que cette renonciation entraînait la suppression du nom du requérant dans le classement des candidats. Le Conseil d’Etat précisa que la distinction opérée par le TAR entre la renonciation à l’élection et la renonciation à la place dans l’ordre de classement des candidats était illogique, dans la mesure où l’élection était une conséquence de la place dans l’ordre de classement des candidats et où la renonciation à l’élection résultait de la renonciation de l’intéressé à sa place dans cet ordre de classement, avec tous les effets en découlant. Par ailleurs, il releva que si – comme le TAR l’affirmait – la renonciation ne modifiait pas la place dans l’ordre de classement des candidats, le requérant aurait dû être automatiquement déclaré élu en remplacement de M. Di Pietro sans avoir besoin de procéder à une quelconque révocation.

14.  Selon le Conseil d’Etat, le respect de la volonté populaire n’empêchait pas un candidat de renoncer à un siège ou à un mandat. D’après lui, un candidat renonçant à un siège ou à un mandat ne pouvait cependant décider de revenir à son gré dans l’ordre de classement des candidats, et ce en dépit des expectatives engendrées par sa renonciation pour le corps électoral et pour les autres candidats. En conséquence, le Conseil d’Etat conclut que pareille renonciation devenait irrévocable à partir du moment où le bureau électoral en avait pris acte.

C.  La décision du Parlement européen

15.  Le 29 mars 2007, le bureau électoral prit acte de l’arrêt du Conseil d’Etat et proclama l’élection de M. Donnici au Parlement européen pour la circonscription « Italie méridionale », révoquant ainsi le mandat du requérant.

16.  Cette proclamation ayant été communiquée au Parlement européen, ce dernier en prit acte dans le procès-verbal de sa session plénière du 23 avril 2007 dans les termes suivants :

« Les autorités italiennes compétentes ont communiqué que la proclamation de l’élection [du requérant] avait été annulée et que le siège ainsi devenu vacant avait été attribué [à M. Donnici]. Le Parlement prend acte de ces décisions avec effet au 29 mars 2007. »

17.  Par une lettre du 5 avril 2007, le requérant souleva une contestation et demanda au Parlement européen de confirmer la validité de son mandat et de ne pas valider celui de M. Donnici. Par une décision du 24 mai 2007, adoptée sur la base d’un rapport de sa commission des affaires juridiques du 22 mai 2007 (no A6-0198/2007), le Parlement européen déclara le mandat de M. Donnici non valide et confirma la validité du mandat du requérant. La décision du Parlement européen sur la vérification des pouvoirs de M. Donnici (no 2007/2121(REG)) se lit ainsi :

« Le Parlement européen,

— vu l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct du 20 septembre 1976,

— vu les articles 3, 4 et 9 ainsi que l’annexe I de son règlement,

— vu la communication officielle, par l’autorité nationale compétente italienne, de l’élection de Beniamino Donnici au Parlement européen,

— vu la contestation reçue d’Achille Occhetto, le 25 mars 2007, concernant la validité de l’élection de Beniamino Donnici au Parlement européen,

— vu le rapport de la commission des affaires juridiques (A6-0198/2007),

A. considérant que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de l’acte du 20 septembre 1976 précise les charges qui sont incompatibles avec la qualité de membre du Parlement européen,

B. considérant que, en vertu de l’article 9 et de l’annexe I du règlement, les députés au Parlement européen sont tenus de déclarer avec précision leurs activités professionnelles ainsi que toute autre fonction ou activité rémunérée,

C. considérant que l’article 3, paragraphe 5, de son règlement prévoit : « Lorsque la nomination d’un député résulte du désistement de candidats figurant sur la même liste, la commission chargée de la vérification des pouvoirs veille à ce que ce désistement soit intervenu conformément à l’esprit et à la lettre de l’acte du 20 septembre 1976, ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, du présent règlement »,

D. considérant que les dispositions nationales relatives à la procédure électorale européenne doivent être conformes aux principes fondamentaux de l’ordre communautaire, et en particulier au droit communautaire primaire, ainsi qu’à l’esprit et à la lettre de l’acte du 20 septembre 1976 ; considérant que, pour ces raisons, les autorités nationales compétentes – législatives, administratives et juridictionnelles –, lorsqu’elles appliquent et/ou interprètent leurs dispositions nationales relatives à la procédure électorale européenne, ne peuvent pas ne pas tenir compte des principes du droit communautaire en matière électorale,

E. considérant que la conformité du désistement d’Achille Occhetto à l’esprit et à la lettre de l’acte du 20 septembre 1976 doit être appréciée à la lumière de l’article 6 de ce dernier qui prévoit : « les membres du Parlement européen [...] ne peuvent être liés par des instructions ni recevoir de mandat impératif » et considérant que la liberté et l’indépendance des députés constituent un réel principe clé,

F. considérant que le statut des députés (en vigueur à partir de 2009) prévoit en son article 2, paragraphe 1, que « les députés sont libres et indépendants », que le paragraphe 2 de cet article, qui apparaît comme une suite naturelle du paragraphe 1, énonce que « les accords relatifs à une démission du mandat avant l’expiration ou à la fin d’une législature sont nuls et non avenus »,

G. considérant que ces dispositions du statut des députés ne font qu’expliciter les principes de liberté et d’indépendance déjà contenus dans l’acte du 20 septembre 1976 et que le statut des députés les consacre de manière explicite comme une garantie pour le Parlement européen et les députés qui le composent,

H. considérant que le statut des députés au Parlement européen, même s’il n’entre en vigueur qu’à partir de la prochaine législature qui commencera en 2009, est, dans l’état actuel de l’ordre communautaire, un acte législatif de droit primaire, adopté par le Parlement européen avec l’approbation inconditionnelle du Conseil et régulièrement publié au Journal officiel de l’Union européenne,

I. considérant que le Parlement européen, tout comme les autorités nationales responsables de la mise en œuvre et/ou de l’interprétation des dispositions nationales en matière de procédure électorale européenne, doit tenir compte des principes et de la réglementation du statut des députés et, en tout état de cause, s’abstenir, également en vertu du principe de coopération loyale sanctionné par l’article 10 du traité CE, d’adopter des mesures ou des dispositions en opposition flagrante avec ce statut,

J. considérant que les principes et les normes du statut des députés comptent indiscutablement parmi les principes visés à l’article 6 du traité UE, principes qui constituent le fondement de l’Union européenne (comme en particulier le principe de la démocratie et le principe de l’état de droit) et que cette dernière respecte en tant que principes généraux du droit communautaire,

K. considérant que la portée juridique de l’article 6 de l’acte du 20 septembre 1976 fait également rentrer dans son champ d’application les candidats qui figurent officiellement dans l’ordre de classement postélectoral, et ce dans l’intérêt du Parlement européen, sachant que de tels candidats composent potentiellement ledit Parlement,

L. considérant que le désistement de l’élection présenté par Achille Occhetto est le résultat d’une volonté découlant d’un accord, antérieur à la proclamation des élus dans le cadre des élections européennes des 12 et 13 juin 2004, avec l’autre composante de la liste « Società civile DI PIETRO-OCCHETTO » et que, par conséquent, ce désistement doit être considéré comme incompatible avec la lettre et l’esprit de l’acte du 20 septembre 1976 et par conséquent nul,

M. considérant que la nullité du désistement d’Achille Occhetto fait tomber l’élément de fait et de droit à la base de l’existence et de la validité du mandat de son successeur Beniamino Donnici,

N. considérant que le tribunal administratif régional du Latium (juridiction de première instance), dans son jugement du 21 juillet 2006, a considéré que le désistement exprimé par Achille Occhetto relativement à la proclamation des élus ne vaut pas désistement de sa place dans l’ordre de classement postélectoral, car le respect de la volonté populaire impose de considérer les résultats électoraux comme indisponibles et non modifiables, et qu’il n’a pas d’effet sur l’adoption des éventuels actes de subrogation en cas d’incompatibilité, de déchéance, d’inéligibilité ou de désistement de la nomination ou du mandat de la part des ayants droit ; par conséquent, le candidat qui s’est désisté de l’élection a le droit, dès lors que sont réunies les conditions d’une subrogation, de retirer sa décision de désistement pour occuper le siège à pourvoir par subrogation,

O. considérant que le Conseil d’État italien, par arrêt définitif ayant force de chose jugée, a annulé la proclamation d’Achille Occhetto comme député au Parlement européen,

P. considérant que, sur la base de l’article 12 de l’acte du 20 septembre 1976, c’est le Parlement européen - et le Parlement européen seul - qui vérifie les pouvoirs de ses membres, élus au suffrage universel ; que cette prérogative fondamentale du Parlement européen ne saurait être mise à mal, et encore moins rendue caduque, par une disposition émise par les autorités nationales en opposition flagrante avec les normes et les principes pertinents du droit communautaire et cela même dans le cas où cette disposition a été adoptée de manière définitive par un organe juridictionnel suprême de cet État, comme c’est le cas de l’arrêt du Conseil d’État italien en question ; que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, confirmant ces prérogatives par rapport également à des arrêts nationaux définitifs rendus en violation du droit communautaire, a, en tout état de cause, établi la responsabilité de l’État,

Q. considérant que le Parlement européen peut légitimement récuser la validité du mandat de Beniamino Donnici et, parallèlement, ignorer la décision du Conseil d’État italien, laquelle est contraire à l’esprit et à la lettre de l’acte du 20 septembre 1976, ce qui le conduit à maintenir le mandat d’Achille Occhetto ;

1. déclare non valide le mandat de député au Parlement européen de Beniamino Donnici dont l’élection a été communiquée par l’autorité nationale compétente ;

2. confirme la validité du mandat d’Achille Occhetto ;

3. charge son Président de transmettre la présente décision à l’autorité nationale compétente italienne ainsi qu’à Beniamino Donnici et à Achille Occhetto. »

D.  Les procédures devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice des Communautés européennes

18.  Le Gouvernement attaqua la décision du Parlement européen du 24 mai 2007 sur la vérification des pouvoirs de M. Donnici devant la Cour de justice des Communautés européennes (« la CJCE » ; affaire no C‑393/07), tandis que M. Donnici contesta cette même décision devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes («  le TPI » ; affaire no T-215/07).

19.  Par une ordonnance du 15 novembre 2007 rendue dans l’affaire no T-215/07, le juge des référés du TPI ordonna le sursis à l’exécution de ladite décision.

20.  En conséquence de cette ordonnance, le requérant cessa de siéger au Parlement européen.

21.  Par une ordonnance du 13 décembre 2007, le TPI (troisième chambre) se dessaisit de l’affaire au profit de la CJCE.

22.  Par un arrêt du 30 avril 2009, la CJCE (quatrième chambre) annula la décision du Parlement européen en question. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, l’arrêt de la CJCE se lit comme suit :

« 39. Le premier moyen soulève la question de l’étendue des pouvoirs dont dispose le Parlement lors de la vérification des mandats de ses membres en vertu de l’article 12 de l’acte de 1976. Ainsi, afin d’examiner la validité de la décision attaquée, il convient essentiellement d’analyser l’ampleur des pouvoirs que cette disposition attribue au Parlement. Or, l’article 12 de cet acte suppose, en tout état de cause, que la décision du Parlement se fonde sur une disposition de cet acte au sujet de laquelle une contestation peut être soulevée. Le Parlement invoquant à cet égard principalement l’article 6 de l’acte de 1976, il y a lieu de déterminer, tout d’abord, si cette disposition est, par principe, applicable en l’espèce.

Sur l’applicabilité de l’article 6 de l’acte de 1976

40. L’article 6, paragraphe 1, de l’acte de 1976 dispose que les membres du Parlement votent individuellement et personnellement et ne peuvent être liés par des instructions ni recevoir de mandat impératif.

41. Comme il ressort du libellé dudit article, il se réfère expressément aux « membres du Parlement » et concerne l’exercice du mandat de parlementaire. Qui plus est, ce même article fait mention de la prérogative de vote desdits membres, prérogative qui, par sa nature, ne peut pas être associée à la qualité de candidat proclamé officiellement dans l’ordre de classement postélectoral (voir ordonnance Occhetto et Parlement/Donnici, précitée, point 41).

42. Force est de constater que l’article 6 de l’acte de 1976, eu égard à son libellé clair, ne s’applique pas à des actes ayant pour objet la renonciation d’un candidat élu, comme en l’occurrence celle exprimée par M. Occhetto à sa position de remplaçant de M. Di Pietro.

43. Les arguments avancés à cet égard par le Parlement ne permettent pas de s’écarter de cette interprétation.

44. Notamment, il ne saurait être reconnu au Parlement une compétence générale pour apprécier la légalité des procédures électorales des États membres au regard de l’ensemble des principes prétendument sous-jacents à l’article 6 de l’acte de 1976, tels que les déduit le Parlement en particulier de l’article 3 du Protocole additionnel no 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au moyen d’une interprétation large de cet article 6 à la lumière de ces principes (voir, en ce sens, ordonnance Occhetto et Parlement/Donnici, précitée, point 43).

45. En effet, une telle interprétation dudit article 6 méconnaîtrait la décision prise par ses auteurs en transformant cette disposition relative à l’exercice du mandat, malgré son champ d’application précisément circonscrit, en une règle de compétence régissant la procédure électorale, ce domaine étant, conformément à l’article 8 de l’acte de 1976, régi, en principe, par les dispositions nationales.

(...)

49. Il résulte de ce qui précède que la renonciation exprimée par M. Occhetto à sa position sur la liste des remplaçants ne relève pas du champ d’application de l’article 6 de l’acte de 1976, de sorte que cet article ne pouvait servir de base pour une contestation dans le cadre de la vérification des pouvoirs des membres du Parlement au titre de l’article 12 de cet acte et que, dès lors, le Parlement ne pouvait fonder la décision attaquée sur une violation dudit article 6.

Sur la violation de l’article 12 de l’acte de 1976

50. Après avoir constaté que l’article 6 de l’acte de 1976 ne pouvait fonder la décision attaquée, se pose la question de savoir si cette décision peut être basée sur une violation des principes de suffrage universel et proportionnel consacrés aux articles 1er et 2 de l’acte de 1976, comme le fait valoir le Parlement. En se référant à une violation desdits principes, le Parlement s’est reconnu un pouvoir de vérifier si la proclamation officielle de M. Donnici comme membre du Parlement est intervenue dans le respect desdites exigences. Il convient donc d’examiner si l’article 12 de cet acte attribue au Parlement une telle compétence lors de la vérification des mandats de ses membres.

51. L’article 12 de l’acte de 1976 dispose que le Parlement, aux fins de la vérification des pouvoirs de ses membres, prend acte des résultats proclamés officiellement par les États membres et statue sur les contestations qui pourraient être éventuellement soulevées sur la base des dispositions du présent acte, à l’exclusion des dispositions auxquelles celui-ci renvoie.

52. Les termes de cet article 12 révèlent que le pouvoir de vérification dont dispose le Parlement, en vertu de la première phrase dudit article, est soumis à deux restrictions importantes figurant à la seconde phrase de celui-ci (voir, en ce sens, ordonnances du 15 novembre 2007, Donnici/Parlement, précitée, point 71, ainsi que Occhetto et Parlement/Donnici, précitée, points 31 et 32).

53. Selon la première partie de la seconde phrase de l’article 12 de l’acte de 1976, le Parlement « prend acte des résultats proclamés officiellement par les États membres ». En outre, la compétence particulière du Parlement pour trancher les contestations soulevées, énoncée dans la seconde partie de la seconde phrase dudit article, est également limitée ratione materiae aux seules contestations « qui pourraient être éventuellement soulevées sur la base de ces dispositions [de l’acte de 1976] à l’exclusion des dispositions nationales auxquelles celui-ci renvoie ».

54. D’une part, contrairement à ce que soutient le Parlement, il résulte du texte même de l’article 12 de l’acte de 1976 que cet article ne confère pas au Parlement la compétence pour trancher des contestations soulevées sur la base du droit communautaire dans son ensemble (...).

55. D’autre part, l’exercice consistant à « prendre acte des résultats proclamés officiellement » signifie que le Parlement était tenu de se fonder, aux fins de sa propre décision lors de la vérification des pouvoirs de ses membres, sur la proclamation effectuée le 29 mars 2007 par le bureau électoral italien à la suite de l’arrêt du Consiglio di Stato du 6 décembre 2006. En effet, cette proclamation résulte d’un processus décisionnel conforme aux procédures nationales, par lequel les questions juridiques liées à ladite proclamation ont été définitivement tranchées et constitue, dès lors, une situation juridique préexistante. Or, la Cour a déjà jugé que l’utilisation de l’expression « prendre acte » dans le contexte de l’acte de 1976 doit être interprétée comme indiquant l’absence totale de marge d’appréciation du Parlement en la matière (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2005, Le Pen/Parlement, C‑208/03 P, Rec. p. I‑6051, point 50).

(...)

57. Il en découle que le Parlement n’est pas en mesure de remettre en cause la régularité même de la proclamation effectuée par le bureau électoral national. L’article 12 de l’acte de 1976 n’autorise pas non plus le Parlement à refuser de prendre acte d’une telle proclamation s’il estime être en présence d’une irrégularité (voir, en ce sens, ordonnance du 15 novembre 2007, Donnici/Parlement, précitée, point 75).

58. Cette interprétation de l’article 12 de l’acte de 1976 est confortée par une lecture de celui-ci à la lumière des dispositions pertinentes du traité CE ainsi que par le cadre réglementaire dans lequel s’insère ledit article.

(...)

63. Par ailleurs, en l’absence de réglementation communautaire en cette matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que le justiciable tire du droit communautaire pour autant, d’une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des droits qui trouveraient leur origine dans l’ordre juridique interne (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’elles ne rendent pas impossible ou excessivement difficile, en pratique, l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2006, Eman et Sevinger, C‑300/04, Rec. p. I‑8055, point 67).

64. Or, le Parlement n’a pas fait valoir que les dispositions procédurales italiennes se heurteraient à ces principes d’équivalence et d’effectivité. En outre, même à supposer une telle hypothèse, il n’en résulterait pas que le Parlement serait habilité à remplacer les actes relevant des autorités nationales compétentes par ses propres appréciations.

(...)

66. Ce cadre réglementaire ne laisse pas apparaître que le Parlement dispose d’une compétence générale pour apprécier la conformité des procédures électorales des États membres et leur application au cas d’espèce à l’égard du droit communautaire. Il en découle que la compétence du Parlement se limite, dans le cadre de la vérification des pouvoirs de ses membres, aux prérogatives telles que définies de manière claire par les dispositions pertinentes de l’acte de 1976 (voir, en ce sens, ordonnance Occhetto et Parlement/Donnici, précitée, point 32).

(...)

75. Il ressort de ce qui précède que le Parlement était tenu, en vertu de l’article 12 de l’acte de 1976, de prendre acte de la proclamation effectuée par le bureau électoral italien sans avoir la compétence pour s’en écarter en raison des prétendues irrégularités affectant cet acte national. En déclarant, contrairement à cette proclamation, non valide le mandat de M. Donnici et en confirmant le mandat de M. Occhetto, la décision attaquée a violé l’article 12 de cet acte.

76. Eu égard à tout ce qui précède, la décision attaquée doit être annulée. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur les autres moyens invoqués par la République italienne et M. Donnici au soutien de leurs recours. Dès lors, les demandes de M. Donnici, formulées à titre subsidiaire, sont devenues sans objet.

(...)

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1) La décision 2007/2121 (REG) du Parlement européen, du 24 mai 2007, sur la vérification des pouvoirs de Beniamino Donnici, est annulée.

2) Le Parlement européen est condamné aux dépens exposés par M. Donnici ainsi qu’à ceux exposés par la République italienne en tant que partie requérante.

3) La République italienne en tant que partie intervenante, la République de Lettonie et M. Occhetto supportent leurs propres dépens. »

GRIEF

23.  Invoquant l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaint de l’annulation de la décision du bureau électoral du 8 mai 2006.

EN DROIT

24.  Le requérant considère que l’annulation de la décision du bureau électoral du 8 mai 2006 a violé l’article 4 du règlement intérieur du Parlement européen et l’Acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct du 20 septembre 1976, ainsi que l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.

Cette dernière disposition se lit comme suit :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

25.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

A.  Arguments des parties

1.  Le Gouvernement

26.  Le Gouvernement excipe tout d’abord de l’irrecevabilité de la requête au motif que le requérant ne peut se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, des faits qu’il dénonce. Il soutient que l’intéressé est à l’origine de la perte de son siège parlementaire, en raison de l’acte de renonciation que celui-ci a signé de son plein gré. Il estime que la présente affaire ne concerne pas une renonciation générale au droit d’être élu, mais seulement la renonciation à une position électorale à la suite d’un scrutin déterminé, et que cette affaire a donc trait à une situation précise, dans laquelle le requérant a exercé son droit à ne pas être élu, ce qui, aux yeux du Gouvernement, a entraîné des conséquences définitives. Il considère que le requérant ne peut reprocher aux autorités italiennes d’avoir pris acte du caractère « irrévocable » de sa renonciation, et qu’il a été « victime de sa propre décision ».

27.  Quant à l’argumentation du requérant selon laquelle la possibilité de renoncer définitivement à une position obtenue à la suite d’une élection serait contraire à l’article 3 du Protocole no 1 et selon laquelle les autorités n’auraient pas dû en tenir compte, le Gouvernement, se référant à l’arrêt de la Cour Namat Aliyev c. Azerbaïdjan (no 18705/06, § 81, 8 avril 2010), soutient que la possibilité de soumettre les élections à un contrôle juridictionnel est l’une des garanties d’élections démocratiques. Il considère donc comme légitime qu’un organe juridictionnel ait le dernier mot sur l’attribution d’un siège parlementaire.

28.  Le Gouvernement ajoute que les allégations de l’intéressé, selon lesquelles sa renonciation n’aurait pas été libre et aurait été le fruit d’un accord illicite, ne sont étayées par aucun élément de preuve.

29.  Par ailleurs, le Gouvernement admet qu’un système d’accords conclus antérieurement aux élections et prévoyant des renonciations en cascade pourrait dans certains cas tromper l’électeur, lequel pourrait vouloir donner sa voix aux premières personnes figurant sur une liste alors que les seuls candidats réels seraient les derniers à y figurer. Il relève que, dans la présente affaire, il n’y a eu qu’une seule renonciation – celle du requérant – et que celle-ci a eu des effets seulement après les élections. Il considère que, dans tout système démocratique, se produisent régulièrement des désistements ponctuels de candidats auxquels les électeurs peuvent s’attendre. Il ajoute qu’il en irait autrement pour des désistements en cascade, mais que cela ne s’est pas produit en l’espèce.

30.  Le Gouvernement prend également note de l’allégation du requérant selon laquelle le seul moment où une renonciation définitive pourrait être acceptée est celui qui précède immédiatement la proclamation des résultats par le bureau électoral. Il estime que cette thèse est dénuée de tout fondement, dans la mesure où un élu pourrait renoncer à son poste même après sa prise de fonctions, et que des conditionnements potentiels de l’électorat (par exemple sous forme de promesses) sont intrinsèques à la vie politique. Il souligne que la notion même de « conditionnement », relevant selon lui plutôt de la psychologie ou de la sociologie, est un concept vague et subjectif insusceptible de fonder un droit quel qu’il soit. Il estime par ailleurs que, si le requérant avait été soumis à des pressions illégales, il aurait dû en faire état et en spécifier la nature.

31.  De plus, le Gouvernement soutient qu’un système électoral qui permet la renonciation d’un candidat après les élections ne peut être considéré comme contraire à la Convention. Il ajoute que, dans toutes les démocraties, il est loisible à un député de renoncer à son mandat, sans donner de justification, et qu’il s’agit là d’un corollaire de la liberté du candidat qui vaut à plus forte raison pour un candidat désigné mais non encore proclamé élu, tel le requérant. Il conclut que le respect de la volonté populaire ne peut aller jusqu’à empêcher une personne de se retirer d’une fonction publique, par exemple en cas de maladie grave.

32.  Le Gouvernement rappelle que le requérant était déjà membre du Sénat italien et que, en vertu de l’article 3 § 2 de loi no 78 de 2004, les mandats de député européen et de sénateur ou député italien sont incompatibles. Il souligne dès lors que les électeurs devaient s’attendre à ce que le requérant renonce à siéger au Parlement européen.

33.  A titre subsidiaire, le Gouvernement demande à la Cour de déclarer la requête irrecevable car, d’après lui, le requérant n’a subi aucun préjudice important au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention.

2.  Le requérant

34.  S’agissant de l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de la qualité de victime, le requérant souligne que sa renonciation à un siège de député européen s’expliquait par le fait qu’il était arrivé le premier parmi les candidats non élus et qu’il siégeait déjà au Sénat italien, et qu’il avait donc fait un usage politique approprié de son droit de se présenter aux élections. Il indique avoir choisi de révoquer sa renonciation au moment où M. Di Pietro avait décidé de renoncer à son siège au Parlement européen, et alors que lui-même ne siégeait plus au Sénat italien. Il estime qu’il était « naturel » pour lui de faire ce choix, étant donné que la situation politique avait profondément changé à la suite de la dissolution du mouvement politique « société civile, Di Pietro - Occhetto ».

35.  Selon le requérant, le « droit à être élu en fonction du classement obtenu » aux élections est un droit politique dont on peut disposer, mais dont on ne peut se priver indéfiniment, dans la mesure où le respect de la volonté des électeurs serait en jeu. Le requérant considère qu’il est en même temps essentiel que, lorsqu’il est appelé à se prononcer en faveur ou en défaveur de la proclamation le concernant, un candidat puisse s’exprimer en toute liberté, sans être tenu par des actes ou accords de renonciation préexistants. D’après lui, ces actes ou accords peuvent être l’expression de la volonté du candidat au moment où ils sont signés, mais ils ne peuvent le lier pour le futur ; en conséquence, dans la présente affaire, la renonciation litigieuse ne pourrait le priver de la qualité de « victime ».

36.  Pour ce qui est du fond du grief, le requérant souligne que sa renonciation était le résultat d’un accord électoral conclu avec M. Di Pietro visant à altérer le classement des candidats, et donc la volonté des électeurs, et que, dans ces conditions, ledit accord aurait dû être considéré comme illicite et, partant, nul et non avenu. Il soutient que c’est le Conseil d’Etat, et non le corps électoral, qui a décidé de l’élection de M. Donnici. A ce titre, il critique en particulier la conclusion de la haute juridiction administrative italienne selon laquelle une renonciation à un siège parlementaire est irrévocable avant l’ouverture de la procédure de proclamation des résultats, et il considère qu’elle découle d’un raisonnement illogique et peu respectueux de la volonté populaire. Il note à cet égard que le désistement d’un candidat relativement à la proclamation des élus ne devrait pas faire naître des expectatives pour le corps électoral, mais plutôt induire « amertume ou déception ». De plus, il soutient qu’il n’y aurait aucun risque qu’un tel candidat puisse revenir à son gré dans le classement des candidats car, si ce candidat ne se prononçait pas le moment venu en faveur de la proclamation le concernant, il serait alors remplacé par le candidat suivant. Enfin, le requérant précise que, dans la présente affaire, il était en excellente position sur la liste « société civile, Di Pietro - Occhetto » pour les deux circonscriptions concernées, que son désistement a produit des effets immédiats uniquement pour la circonscription « Nord-Ouest », et qu’il avait ainsi gardé ses chances pour la circonscription « Italie méridionale ».

B.  Appréciation de la Cour

1.  Sur la question de savoir si le requérant peut se prétendre « victime » des faits qu’il dénonce

37.  La Cour rappelle que, pour pouvoir introduire une requête en vertu de l’article 34 de la Convention, une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit pouvoir se prétendre victime d’une violation des droits reconnus dans la Convention. Pour pouvoir se prétendre victime d’une telle violation, un individu doit avoir subi directement les effets de la mesure litigieuse (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 104, CEDH 2010). En conséquence, l’existence d’une victime personnellement touchée par la violation alléguée d’un droit garanti par la Convention est une condition indispensable à la mise en œuvre du mécanisme de protection de la Convention, même si ce critère ne doit pas s’appliquer de manière rigide et inflexible (Bidenc c. Slovénie (déc.), no 32963/02, 18 mars 2008). La question de savoir si un requérant peut ou non se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au titre de la Convention (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 30, CEDH 2002‑III).

38.  La Cour rappelle en outre qu’elle interprète le concept de victime de façon autonome, indépendamment des notions internes telles que celles d’intérêt ou de qualité pour agir (Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no 48335/99, CEDH 2000-XI), même si elle doit prendre en compte le fait que le requérant a été partie à la procédure interne (Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 52, CEDH 2012, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 48, CEDH 2009).

39.  La Cour rappelle également que, dans une affaire dirigée contre la Turquie, elle a déclaré irrecevable un grief tiré d’un manquement de l’Etat défendeur à son obligation positive de protéger la vie de l’un des requérants, au motif que celui-ci, qui occupait le poste de maire d’un village, n’avait pas porté à l’attention des autorités militaires les griefs qu’il soulevait devant la Cour et qu’il avait adopté un comportement irresponsable (Paşa et Erkan Erol c. Turquie, no 51358/99, §§ 19-22, 12 décembre 2006).

40.  La Cour estime que des considérations similaires pourraient s’appliquer en l’espèce. Elle note que le requérant, qui s’était porté candidat aux élections au Parlement européen, avait de son plein gré signé un acte de renonciation à un siège parlementaire. Cette renonciation était le résultat d’un accord qui avait été librement conclu par le requérant avec le cofondateur du mouvement politique auquel il appartenait (paragraphes 3 et 4 ci-dessus) et qui, de facto, privait de tout effet utile les voix que les électeurs avaient données à l’intéressé. Il s’ensuit que l’on pourrait estimer que le requérant a, dans une large mesure, contribué à créer la situation dont il se plaint devant la Cour, à savoir l’annulation de la proclamation de son élection au Parlement européen. Par ailleurs, la Cour relève que, dans ses observations, le requérant a précisé que les autorités italiennes auraient dû déclarer illicite son accord avec M. Di Pietro (paragraphe 36 ci-dessus) et qu’il revendique en substance le droit à l’annulation de ses propres actes (voir, mutatis mutandis, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 319 in fine, CEDH 2011).

41.  La Cour considère cependant que la question de savoir si le requérant peut se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, des faits qu’il dénonce peut demeurer ouverte. Il en va de même en ce qui concerne l’existence ou non d’un « préjudice important » pour le requérant, au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention (cette question faisant l’objet de l’exception soulevée par le Gouvernement au paragraphe 33 ci-dessus). En effet, la requête est de toute manière manifestement mal fondée pour les raisons exposées ci-après.

2. Sur les autres motifs d’irrecevabilité

42.  La Cour rappelle tout d’abord sa jurisprudence selon laquelle le Parlement européen se trouve suffisamment associé au processus législatif, ainsi qu’au contrôle démocratique général des activités de l’Union européenne, pour que l’on puisse considérer qu’il constitue, aux termes de l’article 3 du Protocole no 1, une partie du « corps législatif » des Etats membres composant celle-ci (voir, mutatis mutandis, Matthews c. Royaume‑Uni [GC], no 24833/94, §§ 45-54, CEDH 1999-I). Cette disposition trouve donc à s’appliquer en l’espèce. Elle note de surcroît que le requérant conteste notamment la décision par laquelle le Conseil d’Etat a annulé la décision du bureau électoral du 8 mai 2006 (paragraphes 12‑14 ci‑dessus). La Cour va dès lors se borner à examiner la compatibilité de cette décision du Conseil d’Etat avec l’article 3 du Protocole no 1, dès lors que, eu égard à l’arrêt de la CJUE du 30 avril 2009, c’est bien cette décision qui a créé la situation dont le requérant se prétend victime.

43.  La Cour rappelle ensuite que cette disposition diffère des autres dispositions de la Convention et de ses Protocoles garantissant des droits en ce qu’il énonce l’obligation pour les Hautes Parties contractantes d’organiser des élections dans des conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple et non un droit ou une liberté en particulier. Toutefois, eu égard aux travaux préparatoires de cet article et à l’interprétation qui est donnée de cette clause dans le cadre de la Convention prise dans son ensemble, la Cour a établi que cette disposition implique également des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de se porter candidat à des élections (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, §§ 46-51, série A no 113).

44.  Les droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 sont cruciaux pour l’établissement et le maintien des fondements d’une véritable démocratie régie par la prééminence du droit. Néanmoins, ces droits ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations implicites », et les Etats contractants doivent se voir accorder une marge d’appréciation en la matière. La Cour réaffirme que la marge d’appréciation en ce domaine est large (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52 , Matthews, précité, § 63, et Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II). Il existe de nombreuses manières d’organiser et de faire fonctionner les systèmes électoraux et une multitude de différences au sein de l’Europe (Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 103, CEDH 2006‑IV, et Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 61, CEDH 2005-IX).

45.  Les normes à appliquer pour établir la conformité à l’article 3 du Protocole no 1 doivent être considérées comme moins strictes que celles qui sont appliquées sur le terrain des articles 8 à 11 de la Convention. Etant donné que l’article 3 du Protocole no 1 n’est pas limité par une liste précise de « buts légitimes », tels que ceux qui sont énumérés aux articles 8 à 11 de la Convention, les Etats contractants peuvent donc librement se fonder sur un but qui ne figure pas dans cette liste pour justifier une restriction, sous réserve que la compatibilité de ce but avec le principe de prééminence du droit et les objectifs généraux de la Convention soit démontrée dans les circonstances particulières d’une affaire donnée. La Cour n’applique donc pas les critères traditionnels de « nécessité » ou de « besoin social impérieux » qui sont utilisés dans le cadre des articles 8 à 11 de la Convention. Lorsqu’elle a à connaître de questions de conformité à l’article 3 du Protocole no 1, la Cour s’attache essentiellement à deux critères : elle recherche d’une part s’il y a eu arbitraire ou manque de proportionnalité, et d’autre part si la restriction a porté atteinte à la libre expression de l’opinion du peuple (Ždanoka, précité, § 115 a), b) et c)).

46.  Il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s’assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés les droits de vote ou de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52). En particulier, aucune des conditions imposées le cas échéant ne doit entraver la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif – autrement dit, ces conditions doivent refléter, ou ne pas contrecarrer, le souci de maintenir l’intégrité et l’effectivité d’une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple par l’intermédiaire du suffrage universel (Ždanoka, précité, § 104, et Hirst, précité, § 62).

47.  Le droit de se présenter aux élections législatives peut être encadré par des exigences plus strictes que le droit de vote. En fait, alors que le critère relatif à l’aspect « actif » de l’article 3 du Protocole no 1 implique d’ordinaire une appréciation plus large de la proportionnalité des dispositions légales privant une personne ou un groupe de personnes du droit de vote, la démarche adoptée par la Cour quant à l’aspect « passif » de cette disposition se limite pour l’essentiel à vérifier l’absence d’arbitraire dans les procédures internes conduisant à priver un individu de l’éligibilité (Ždanoka, précité, § 115 e), et Melnitchenko c. Ukraine, no 17707/02, § 57, CEDH 2004-X).

48.  Faisant application de ces principes en l’espèce, la Cour relève que le requérant reproche au Conseil d’Etat, pour l’essentiel, d’avoir estimé que sa renonciation à un siège parlementaire était irrévocable. La Cour n’y voit cependant aucune apparence d’arbitraire. En effet, de nombreux actes par lesquels un individu dispose librement de ses droits peuvent impliquer des conséquences permanentes, sans que pour autant il y ait atteinte aux principes garantis par la Convention.

49.  La Cour est d’avis que le refus d’accepter la révocation de sa renonciation par le requérant poursuivait des buts légitimes, à savoir la garantie de la sécurité juridique dans le cadre du processus électoral et la protection des droits d’autrui, notamment de la personne – à savoir M. Donnici – qui avait été proclamée élue à la place qui aurait pu être occupée par l’intéressé. S’il était loisible à un candidat de présenter une renonciation à un mandat parlementaire et de pouvoir ensuite la révoquer à tout moment, il y aurait incertitude quant à la composition du corps législatif.

50.  Par ailleurs, la Cour considère que le requérant n’a pas subi de conséquences arbitraires. Ayant de son plein gré signé un acte de renonciation, celui-ci savait ou aurait dû savoir que cette décision pouvait impliquer l’impossibilité de siéger au Parlement européen, et ce même en cas de renonciation de la part de M. Di Pietro à son mandat parlementaire.

51.  Quant à la question de savoir s’il y a eu atteinte à la libre expression de l’opinion du peuple, la Cour note tout d’abord que l’éventuelle déception ressentie par les électeurs qui avaient voté pour le requérant ne peut être directement imputée aux autorités italiennes, mais plutôt à l’intéressé et à M. Di Pietro en raison de l’accord conclu entre eux aux fins de priver les voix de ces électeurs de tout effet utile. En même temps, la Cour relève que, à la suite d’élections, un candidat peut obtenir le droit de siéger au sein du corps législatif, mais qu’il n’en a pas pour autant l’obligation. En effet, tout candidat peut renoncer, pour des raisons politiques ou personnelles, au mandat qu’il a reçu, et la décision de prendre acte d’une telle renonciation ne saurait être estimée contraire au principe du suffrage universel. En l’espèce, la Cour observe que la volonté du requérant avait été exprimée par écrit et dans des termes non équivoques, et que, dans une communication du 12 novembre 2004 adressée au Parlement européen, l’intéressé avait précisé que sa renonciation était définitive (paragraphe 10 ci-dessus).

52.  Il y a également lieu de noter que, dans son arrêt du 30 avril 2009, la CJCE a affirmé qu’il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que le justiciable tire du droit communautaire (voir, notamment, le point 63 de l’arrêt de la CJCE, cité au paragraphe 22 ci-dessus). En l’espèce, l’ordre juridique italien indiquait que ces juridictions étaient le TAR et le Conseil d’Etat. La procédure portant sur les effets et sur la nature de la renonciation du requérant a eu lieu devant ces organes judiciaires de pleine juridiction, et le requérant a pu présenter les arguments qu’il estimait utiles pour sa défense dans le cadre de cette procédure.

53.  Eu égard à ce qui précède, et notamment à la large marge d’appréciation accordée aux Etats lorsqu’est un jeu l’aspect « passif » des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1, la Cour ne constate aucune apparence de violation de cette disposition.

54.  Enfin, pour autant que le requérant invoque l’article 4 du règlement intérieur du Parlement européen et l’Acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct du 20 septembre 1976, la Cour rappelle que sa mission se limite à l’application de la Convention, et qu’elle n’est pas compétente pour faire application d’autres traités internationaux en tant que tels ou en surveiller le respect (voir, mutatis mutandis, Di Giovine c. Portugal (déc.), no 39912/98, 31 août 1999, et Hermida Paz c. Espagne (déc.), no 4160/02, 28 janvier 2003).

55.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare le restant de la requête irrecevable.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

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CEDH, Cour (deuxième section), OCCHETTO c. ITALIE, 12 novembre 2013, 14507/07