CEDH, Cour (deuxième section), S.O.S. RACISME - TOUCHE PAS À MON POTE c. BELGIQUE, 12 janvier 2016, 26341/11

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CEDH · 27 janvier 2016

Communiqué de presse sur les affaires 4258/11, 71776/12, 22947/13, 24086/11, 65158/09, 43753/10, 7186/09, 2082/05, 23497/05, 41465/09, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 12 janv. 2016, n° 26341/11
Numéro(s) : 26341/11
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 20 avril 2011
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-160749
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2016:0112DEC002634111
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 26341/11
S.O.S. RACISME - TOUCHE PAS À MON POTE
contre la Belgique

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 12 janvier 2016 en une Chambre composé de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,

et de Abel Campos, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 avril 2011,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  La requérante, l’association S.O.S. Racisme – Touche pas à mon pote, est une association de droit français ayant son siège social à Paris. Elle a été représentée devant la Cour par Me B. Maingain, avocat à Bruxelles.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le 10 janvier 2001, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme introduisit auprès du parquet de Bruxelles une plainte contre la société d’intérim A. au motif que certains de ses descriptifs de postes à remplir reprenaient les mentions « BBB » (« blanc, bleu, belge » ou « origine belge »).

4.  Le 22 janvier 2001, le parquet de Bruxelles demanda la mise à l’instruction de l’affaire. En date du 2 septembre 2004, le juge d’instruction, estimant son instruction terminée, prit une ordonnance de soit communiqué et communiqua le dossier au parquet.

5.  Le 20 septembre 2007, la requérante se constitua, en français, partie civile contre la société A. et ses dirigeants du chef de discrimination raciale. Le 8 avril 2009, l’organisation F. se constitua aussi partie civile contre la société d’intérim A.

6.  Entretemps, le 29 avril 2008, le ministère public avait dressé ses réquisitions en néerlandais. Le 20 mai 2008, il les remplaça par des réquisitions en français. L’affaire fut fixée à des fins de règlement de procédure à l’audience du 23 octobre 2008 de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles, mais remise sine die au motif que le dossier relevait de la compétence de l’auditorat du travail.

7.  Le 30 janvier 2009, l’auditorat du travail dressa ses réquisitions en remplacement de celles du parquet.

8.  À l’audience de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles du 16 juin 2009, saisie à des fins de règlement de la procédure, le juge d’instruction souleva pour la première fois un problème au niveau de la langue de la procédure : la société d’intérim A. ayant son siège social dans la région de langue néerlandaise, conformément à l’article 16 § 1 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire, d’ordre public, la procédure aurait dû se dérouler en néerlandais, et non en français.

9.  Par ordonnance du 30 juin 2009, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles constata la nullité du réquisitoire de mise à l’instruction et déclara les poursuites irrecevables.

10.  Sur appel de la requérante et du ministère public, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, par un arrêt du 9 décembre 2009, constata l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de la requérante pour ne pas avoir été rédigée en néerlandais, langue de procédure applicable en l’espèce. Elle déclara l’appel de la requérante irrecevable et l’appel du ministère public recevable mais non fondé, confirma l’ordonnance entreprise et constata que l’action publique était éteinte par prescription depuis le 2 septembre 2009.

11.  La requérante se pourvut en cassation. Elle invoqua une violation de la loi sur l’emploi des langues et une violation de son droit à un procès équitable suite aux errements de l’instruction en matière d’emploi des langues et au dépassement du délai raisonnable pour saisir les juridictions d’instruction en vue du règlement de la procédure.

12.  Par arrêt du 20 octobre 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante aux motifs que la chambre des mises en accusation avait fait une exacte application de la loi sur l’emploi des langues, qu’une méconnaissance du droit au procès équitable ne pouvait se déduire de la seule circonstance que la loi sanctionne d’une nullité d’ordre public la violation des formes qu’elle prescrit, et que le dépassement du délai raisonnable ne saurait avoir pour effet de suppléer la nullité encourue.

13.  Entretemps, la requérante et l’organisation F., par acte d’huissier de justice du 1er  septembre 2009, avaient assigné la société d’intérim A. devant le tribunal de première instance de Bruxelles siégeant en matière civile afin de la voir condamner à lui verser des dommages et intérêts pour préjudice moral et matériel. Dans cette assignation, la requérante indiqua que la pratique dénoncée faisait l’objet d’une instruction judiciaire.

14.  Par un jugement du 31 mai 2011, le tribunal de première instance de Bruxelles déclara la demande recevable et partiellement fondée, et condamna la société d’intérim A. à payer à la requérante la somme de 25 000 EUR à titre de dommage matériel et moral, et à l’organisation F. la somme provisionnelle de 1 EUR à titre de dommage matériel et moral.

15.  Par un arrêt du 10 février 2015, la cour d’appel de Bruxelles annula le jugement de première instance pour vice de forme, l’affaire n’ayant pas été communiquée au ministère public en première instance, et procéda à un réexamen de la demande. Elle déclara la demande recevable et condamna la société d’intérim A. à payer à la requérante et à l’organisation F. respectivement la somme de 25 000 EUR.

16.  La Cour ne dispose pas d’informations sur un éventuel pourvoi en cassation contre cet arrêt.

17.  L’organisation F. avait introduit devant la Cour une requête (no 26359/11), tendant aux mêmes fins, qui a été déclarée irrecevable par une décision de juge unique du 28 mai 2015.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

18.  Dans le cadre d’une affaire mettant en cause une durée de procédure en matière civile résultant de l’arriéré judiciaire dans le tribunal de première instance de Bruxelles et la cour d’appel de Bruxelles, la Cour de cassation jugea qu’en déclarant l’État responsable en raison de la faute, au sens des articles 1382 et 1383 du code civil, consistant à avoir « omis de légiférer afin de donner au pouvoir judiciaire les moyens nécessaires pour lui permettre d’assurer efficacement le service public de la justice, dans le respect notamment de l’article 6 § 1 de la Convention », l’arrêt de la cour d’appel n’avait méconnu aucune disposition de droit interne ou international (Cass., 28 septembre 2006, C.02.05.70.F).

19.  Les dispositions précitées du code civil se lisent comme suit:

Article 1382

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé, à le réparer. »

Article 1383

« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

20.  L’article 32 de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie dispose en ses parties pertinentes ce qui suit :

« Peuvent ester en justice dans les litiges auxquels l’application de la présente loi donnerait lieu, lorsqu’un préjudice est porté aux fins statutaires qu’ils se sont données pour mission de poursuivre :

1o tout établissement d’utilité publique et toute association, jouissant de la personnalité juridique depuis au moins trois ans à la date des faits, et se proposant par ses statuts de défendre les droits de l’homme ou de combattre la discrimination;

[...]. »

21.  Le titre préliminaire du code de procédure pénale énonce en ses parties pertinentes ce qui suit :

Article 1er

« L’action pour l’application des peines ne peut être exercée que par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. »

Article 3

« L’action pour la réparation du dommage causé par une infraction appartient à ceux qui ont souffert de ce dommage. »

Article 4

« L’action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l’action publique. Elle peut aussi l’être séparément; dans ce cas l’exercice en est suspendu tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique, intentée avant ou pendant la poursuite de l’action civile. [...] »

22.  Le code d’instruction criminelle prévoit en ses parties pertinentes ce qui suit :

Article 66

« Les plaignants ne seront réputés partie civile s’ils ne le déclarent formellement, soit par la plainte, soit par acte subséquent, ou s’ils ne prennent, par l’un ou par l’autre, des conclusions en dommages-intérêts; ils pourront se départir dans les vingt-quatre heures; dans le cas du désistement, ils ne sont pas tenus des frais depuis qu’il aura été signifié sans préjudice néanmoins des dommages-intérêts des [inculpés], s’il y a lieu. »

Article 67

« Les plaignants pourront se porter partie civile en tout état de cause jusqu’à la clôture des débats; mais en aucun cas leur désistement après le jugement ne peut être valable, quoiqu’il ait été donné dans les vingt-quatre heures de leur déclaration qu’ils se portent partie civile. »

GRIEFS

23.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint que les erreurs commises par les autorités judiciaires au niveau de l’emploi des langues et la prescription de l’action publique en résultant ont violé son droit d’accès à un tribunal.

24.  Invoquant encore l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint également d’une violation du délai raisonnable.

EN DROIT

25.  La requérante invoque deux griefs tirés de la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention qui prévoit en ses parties pertinentes ce qui suit:

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue [...] dans un délai raisonnable, par un tribunal [...] qui décidera, soit des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale [...]. »

A.  L’accès à un tribunal

26.  La requérante se plaint d’une violation de son droit d’accès à un tribunal. Se référant à l’arrêt Anagnostopoulos c. Grèce (no 54589/00, § 32, 3 avril 2003), elle soutient que les erreurs commises par les autorités judiciaires au niveau de l’emploi des langues en matière judiciaire et le temps nécessaire pour leur redressement ont conduit au constat de prescription de l’action publique. Selon la requérante, qui se plaint de l’irrecevabilité des « poursuites », la sanction de nullité a eu pour conséquence de lui faire perdre « le bénéfice de l’instance pénale », et l’article 6 § 1 de la Convention aurait dû prévaloir sur les dispositions d’ordre public de la loi sur l’emploi des langues en matière judiciaire.

27.  La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Ce « droit à un tribunal », dont le droit d’accès ne constitue qu’un aspect, est garanti à toute personne qui considère de manière défendable que l’ingérence dans l’exercice de ses droits civils est arbitraire et prétend qu’elle n’a pas eu de possibilité de se plaindre de ce grief auprès d’un tribunal présentant les garanties de l’article  6 § 1 (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 229, CEDH 2012, avec les références citées).

28.  La Cour rappelle aussi que la Convention ne reconnaît pas en soi le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers. Pour entrer dans le champ de la Convention, ce droit doit impérativement aller de pair avec l’exercice par la victime de son droit d’intenter l’action, par nature civile, offerte par le droit interne, ne serait-ce qu’en vue de l’obtention d’une réparation symbolique ou de la protection d’un droit de caractère civil (Perez c. France [GC], no47287/99, § 70, CEDH 2004-I). Il ressort de cette jurisprudence que l’article 6 § 1 de la Convention s’applique aux procédures relatives aux plaintes avec constitution de partie civile dès l’acte de constitution de partie civile, à moins que la victime ait renoncé de manière non équivoque à l’exercice de son droit à réparation (Perez [GC], précité, §  66).

29.  En l’espèce, la Cour note que l’article 4 du titre préliminaire du code de procédure pénale permet au demandeur au civil de porter sa demande soit devant le juge pénal, soit devant le juge civil.

30.  La Cour observe que la requérante avait, par sa constitution de partie civile du 20 septembre 2007, décidé de porter sa demande civile devant le juge pénal. Par une assignation du 1er septembre 2009, antérieure – il convient de le souligner – à la décision du 9 décembre 2009 constatant l’irrecevabilité de la constitution de partie civile, elle avait décidé de saisir le juge civil des faits reprochés à la partie adverse dans le cadre de l’action publique.

31.  La Cour note aussi que la prescription de l’action publique n’a pas porté atteinte à la demande civile de la requérante et que cette dernière n’allègue pas avoir connu de quelconques problèmes d’accès au tribunal devant le juge civil qu’elle a saisi avant la décision finale sur la prescription de l’action publique.

32.  La requérante a par ailleurs vu sa demande tranchée et, suivant l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 10 février 2015, a vu la partie adverse condamnée à lui payer la somme de 25 000 EUR.

33.  Les circonstances de la cause sont donc fondamentalement différentes de celles analysées par la Cour dans l’affaire Anagnostopoulos, précitée, invoquée par le requérant, en particulier par le fait que la requérante a en l’espèce saisi le juge civil avant la décision finale sur la prescription de l’action publique.

34.  Eu égard à ce qui précède, la requérante ayant vu sa demande examinée par le juge civil, la Cour estime qu’elle a eu accès à un tribunal qui a connu des contestations relatives à ses droits de caractère civil, de sorte que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.

B.  Le délai raisonnable

35.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint que la durée excessive de l’instruction pénale a violé son droit à voir ses contestations tranchées dans un délai raisonnable. En effet, la procédure aurait duré du 22 janvier 2001, date de la mise à l’instruction du dossier, jusqu’au 20 octobre 2010, date de l’arrêt de la Cour de cassation.

36.  La Cour note qu’en date du 20 septembre 2007, la requérante s’était constituée partie civile en vue d’exercer, sur pied de l’article 4 du titre préliminaire du code de procédure pénale, une action « par nature civile » (Perez [GC], précité, § 70 ; voir également Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 54, 15 juillet 2003).

37.  La Cour observe que la requérante, en sa qualité de partie civile, n’a introduit aucun recours indemnitaire contre l’État pour violation du principe du délai raisonnable dans le cadre de l’action civile qu’elle poursuivait devant le juge pénal.

38.  La Cour rappelle que l’action en responsabilité extracontractuelle contre l’État, fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil, constitue, depuis le 28 mars 2007, une voie de recours interne à épuiser aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention pour se plaindre de la violation du délai raisonnable dans le cadre d’une procédure civile (Depauw c. Belgique (déc.), no 2115/04, 15 mai 2007).

39.  Il résulte aussi de la jurisprudence de la Cour que le recours indemnitaire constitue en principe une voie de recours interne à épuiser pour la partie civile se plaignant de la durée de la procédure pénale (Garsoux et Massenet c. Belgique, no 27072/05, §§ 9, 20, 26 et 37, 13 mai 2008).

40.  Dans son arrêt Panju c. Belgique (no 18393/09, § 63, 28 octobre 2014), la Cour a estimé que le recours indemnitaire sur pied des articles 1382 et 1383 du code civil ne saurait, à ce jour, être considéré comme un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention, permettant à un inculpé de se plaindre de la longue durée de l’instruction pénale menée contre lui.

41.  La Cour constate que les circonstances de l’espèce diffèrent de celles de l’affaire Panju, précitée, étant donné que le grief tiré de la violation du délai raisonnable lui soumis a été formulé par une partie civile.

42.  Dans la mesure où la requérante exerçait une action « par nature civile » (voir paragraphe 36 ci-dessus), la Cour ne voit pas de raison pour distinguer la présente affaire de celles concernant des durées de procédures civiles.

43.  Partant, la Cour considère que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et que ce grief doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 4 février 2016.

Abel CamposIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

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