CEDH, Commission (plénière), BERNARD ET AUTRES c. le LUXEMBOURG, 8 septembre 1993, 17187/90
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Plénière), 8 sept. 1993, n° 17187/90 |
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Numéro(s) : | 17187/90 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 30 juillet 1990 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-25427 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1993:0908DEC001718790 |
Sur les parties
- Avocat(s) :
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 17187/90
présentée par Zénon BERNARD et autres
contre le Luxembourg
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 8 septembre 1993 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
A. WEITZEL
F. ERMACORA
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
G.B. REFFI
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
B. CONFORTI
N. BRATZA
M. M. de SALVIA, Secrétaire adjoint de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 30 juillet 1990 par Zénon BERNARD
et autres contre le Luxembourg et enregistrée le 20 septembre 1990 sous
le No de dossier 17187/90 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Vu la décision de la Commission, en date du 30 mars 1992, de
communiquer la requête ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
22 juillet 1992 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 18 septembre 1992 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants dont les noms figurent en annexe, sont domiciliés
au Luxembourg. Dans la procédure devant la Commission, ils sont
représentés par Maître Fernand Entringer, avocat inscrit au barreau de
Luxembourg.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les
parties, peuvent se résumer comme suit :
Par décisions prises le 1er août 1989, le conseil national de la
formation morale et sociale refusa aux enfants des requérants la
dispense du cours de formation morale et sociale au motif que les
demandes de dispense ne faisaient pas état d'une appartenance à une
croyance religieuse, seul motif susceptible d'autoriser une dispense,
conformément à l'article 48 de la loi du 10 mai 1968 portant réforme
de l'enseignement scolaire, et modifié par la loi du 16 novembre 1988.
L'article 48 de la loi du 10 mai 1968 était rédigé comme suit :
"L'enseignement secondaire comporte un cours d'instruction
religieuse et morale et un cours de morale laïque.
Sur déclaration écrite adressée au directeur de
l'établissement par la personne investie du droit
d'éducation, tout élève sera inscrit soit au cours
d'instruction religieuse et morale, soit au cours de morale
laïque.
Sur déclaration écrite de la même personne, tout élève sera
dispensé de la fréquentation de l'un et de l'autre de ces
cours."
L'article tel que libellé ayant permis une augmentation du nombre
des abstentionnistes aux deux cours, le Gouvernement prit l'initiative
de modifier cet article qui stipule désormais :
"L'enseignement secondaire comporte un cours d'instruction
religieuse et morale et un cours de formation morale et
sociale.
Sur déclaration écrite adressée au directeur de
l'établissement par la personne investie du droit
d'éducation ou de l'élève majeur, tout élève sera inscrit,
soit au cours d'instruction religieuse et morale, soit au
cours de formation morale et sociale.
Seront dispensés des deux cours précités, les élèves qui se
réclament d'une croyance religieuse dont les adhérents
n'assurent pas de cours d'instruction religieuse et morale
dans le cadre des horaires scolaires.
..."
Le 19 octobre 1989, les requérants introduisirent un recours en
annulation devant le Conseil d'Etat contre les décisions prises par le
conseil national de la formation morale et sociale le 1er août 1989.
Les requérants faisaient valoir à l'appui de leurs recours que la loi
du 16 novembre 1988 précitée était contraire à l'article 9 de la
Convention et à l'article 2 du Protocole No 1 dans la mesure où seule
une croyance religieuse, c'est-à-dire une conviction basée sur la foi,
pouvait justifier une dispense du cours en question, alors qu'une
pensée philosophique basée sur la raison ne le pouvait pas. Or, selon
eux, les articles précités n'établissent aucune distinction entre la
liberté de pensée, de conscience et de religion ou entre les
convictions religieuses et les convictions philosophiques.
Par arrêt du 21 mars 1990, le Conseil d'Etat rejeta le recours
introduit par les requérants. Il se détermina comme suit :
"Considérant que les dispositions de l'article 9, de même
que celles des articles 8 et 10 de la Convention européenne
des Droits de l'Homme garantissent à toute personne 'le
droit au respect de sa vie privée et familiale', 'à la
liberté de pensée, de conscience et de religion', 'à la
liberté d'expression' et 'à la liberté d'opinion et à la
liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou
des idées' ;
Que ces mêmes droits sont garantis par l'article 18 du
Pacte international relatif aux droits civils et
politiques ;
Considérant que les droits ainsi énoncés ne peuvent faire
l'objet d'autres restrictions, aux termes de ces mêmes
articles, que celles qui, prévues par la loi, constituent
des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à
la sûreté publique, à la protection de l'ordre, de la santé
ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et
libertés d'autrui ;
Considérant que l'Etat doit dans l'organisation des cours
se conformer aux dispositions de l'article 2 du Protocole
précité ;
Considérant que ces dispositions visent à sauvegarder la
possibilité d'un pluralisme éducatif garantissant la
diffusion d'une manière objective, critique et pluraliste
des informations ou connaissances figurant au programme et
écartant tout endoctrinement qui puisse être considéré
comme ne respectant pas les convictions religieuses ou
philosophiques des parents ;
Considérant que les cours de formation morale et sociale
tels qu'ils sont prévus par la loi du 16 novembre 1988
doivent être axés sur l'étude des droits de l'homme et
qu'ils doivent être organisés de façon à garantir le
pluralisme d'opinions ;
qu'il convient de conclure que la loi du 16 novembre 1988
ne viole ni les dispositions de la Convention européenne de
sauvegarde des Droits de l'Homme, ni l'article 2 du
Protocole additionnel à cette Convention, ni l'article 18
du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques ;
qu'il en suit que le conseil national de la formation
morale et sociale, en rejetant en date du 1er août 1989 les
demandes des requérants visant à dispenser leurs enfants du cours
de formation morale et sociale, a fait une application correcte
de la loi."
GRIEFS
Les requérants considèrent que le rejet par le conseil national
de la formation morale et sociale des demandes de dispense du cours de
formation morale et sociale aux motifs que l'article 48 de la loi du
16 novembre 1988 n'autorise une telle dispense que dans le cas où "les
élèves se réclament d'une croyance religieuse dont les adhérents
n'assurent pas de cours d'instruction religieuse ... dans le cadre des
horaires scolaires" favorise les convictions religieuses au détriment
des convictions philosophiques, établit ainsi une distortion entre ces
deux catégories de convictions et méconnaît à ce titre les dispositions
de l'article 9 de la Convention et de l'article 2 du Protocole No 1.
D'autre part, les requérants estiment que le Conseil d'Etat, en
se basant sur le contenu de l'enseignement donné alors que la question
posée dans le mémoire visait à contrôler la compatibilité des articles
précités de la Convention avec l'article 48 de la loi du 16 novembre
1988, a également méconnu l'article 9 de la Convention et l'article 2
du Protocole No 1.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 30 juillet 1990 et enregistrée le
20 septembre 1990.
Le 30 mars 1992, la Commission a décidé de communiquer la requête
au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter des observations
écrites sur le bien-fondé des griefs tirés de l'article 9 de la
Convention et de l'article 2 du Protocole No 1, combinés avec
l'article 14 de la Convention.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 22 juillet 1992
après prorogation du délai d'un mois. Les requérants ont présenté
leurs observations en réponse le 18 septembre 1992.
EN DROIT
Les requérants se plaignent des décisions par lesquelles leurs
demandes de dispense du cours de formation morale et sociale qu'ils
avaient présentées au nom de leurs enfants, ont été rejetées. Ils
considèrent que ces décisions prises en application de l'article 48 de
la loi du 16 novembre 1988 méconnaissent le principe d'égalité entre
les libertés de pensée, de conscience et de religion garanti par
l'article 9 (art. 9) de la Convention et l'article 2 du Protocole No
1 (P1-2).
Selon eux, l'article 48 de la loi du 16 novembre 1988 autorise
l'Etat à privilégier les convictions religieuses par rapport aux
convictions philosophiques, puisque seule une croyance religieuse
permet aux élèves qui l'invoquent d'être dispensés des deux cours.
Par conséquent, les requérants considèrent que c'est sous l'angle
de la différence de traitement que doit être analysée la question de
la prétendue violation des articles 9 de la Convention et 2 du
Protocole No 1 (art. 9, P1-2).
1. Le Gouvernement excipe en premier lieu du défaut de qualité de
victime des requérants. Il fait valoir à ce titre que les requérants
ne précisent pas en quoi les décisions prises par le conseil national
de la formation morale et sociale constituent une violation des droits
garantis par la Convention et notamment de son article 9 et de
l'article 2 du Protocole No 1 (art. 9, P1-2).
Selon le Gouvernement, les requérants qui n'établissent à aucun
moment avoir été gênés dans la manifestation de leurs convictions
philosophiques rechercheraient plutôt un contrôle général et abstrait
de la législation litigieuse à la lumière de la Convention.
Les requérants contestent la thèse du Gouvernement. Ils
soutiennent à cet effet que le pluralisme et la tolérance exigent le
respect des opinions d'autrui et impliquent une égalité de traitement
entre les personnes, que celles-ci se réclament d'une conviction
religieuse ou philosophique.
Or, pour les requérants, tel n'est pas le cas en l'espèce
puisque leurs enfants, qui invoquaient à l'appui de leur demande de
dispense des convictions philosophiques, n'ont pu l'obtenir
contrairement aux élèves qui se réclamaient d'une croyance religieuse
dont les adhérents n'assuraient pas de cours d'instruction religieuse
dans le cadre des horaires scolaires.
La discrimination subie par leurs enfants suffit, selon les
requérants, à fonder leur intérêt à agir devant la Commission.
La Commission rappelle qu'elle ne peut être saisie en vertu de
l'article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention d'une requête émanant
d'une personne physique, d'une organisation non gouvernementale ou d'un
groupe de particuliers, que si la personne, l'organisation ou le groupe
peut se prétendre victime d'une violation par l'une des Hautes Parties
Contractantes des droits reconnus dans la Convention.
Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence des organes de la
Convention, que la Commission n'est compétente pour examiner la
compatibilité de la législation interne avec la Convention qu'en ce qui
concerne son application dans un cas concret, et qu'elle n'est pas
compétente pour examiner in abstracto cette compatibilité avec la
Convention (cf. N° 11036/84, déc. 2.12.85 , D.R. 45 p. 211).
Certes, en l'espèce, les décisions dont se plaignent les
requérants ont été prises par le conseil national de la formation
morale et sociale en application de l'article 48 de la loi du
16 novembre 1988. Toutefois, l'article 25 (art. 25) de la Convention
n'interdit pas aux particuliers de soutenir qu'une loi viole leurs
droits dans la mesure où ils montrent qu'ils ont été personnellement
affectés par l'application de la loi qu'ils critiquent (cf. N° 11036/84
citée ci-dessus).
La Commission estime que les requérants en tant que représentants
légaux de leurs enfants peuvent effectivement se prétendre victimes du
refus de dispense du cours de formation morale et sociale car cette
décision affecte directement leurs enfants.
Elle considère d'autre part que les requérants peuvent également,
à titre personnel et en qualité de parents, se prétendre victimes de
la décision prise par le conseil national de la formation morale et
sociale dans la mesure où cette décision influe sur l'éducation de
leurs enfants, domaine dans lequel l'Etat doit respecter le droit des
parents.
Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut de
qualité de victime des requérants ne saurait être retenue.
2. Quant au bien-fondé de la requête, la Commission note que les
griefs des requérants concernent pour l'essentiel les conséquences
prétendument discriminatoires de la législation sur la réforme de
l'enseignement secondaire luxembourgeois. Elle examine dès lors
l'affaire sous l'angle de l'article 14 de la Convention combiné avec
son article 9 et l'article 2 du Protocole No 1 (art. 14+9+P1-2).
L'article 14 (art. 14) est ainsi libellé :
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente
Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la
religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions,
l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité
nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
L'article 9 (art. 9) dispose :
"1) Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience
et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de
religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en
public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques
et l'accomplissement des rites.
2) (...)"
Enfin, l'article 2 du Protocole N° 1 (P1-2) se lit ainsi :
"Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat,
dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de
l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents
d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à
leurs convictions religieuses et philosophiques."
Le Gouvernement considère que la requête est manifestement mal
fondée.
Il rappelle que l'Etat doit dispenser dans l'accomplissement de
sa mission d'éducation et de formation des jeunes toutes les
connaissances théoriques et pratiques nécessaires au développement de
la personne humaine. La mise en place de cours de formation morale
entre par conséquent et, selon le Gouvernement, dans l'exercice des
fonctions qu'il assume dans le domaine de l'éducation.
Certes, le Gouvernement reconnaît que l'Etat doit dans
l'accomplissement de ses fonctions veiller à garantir le pluralisme
éducatif en écartant tout endoctrinement qui puisse être considéré
comme ne respectant pas les convictions religieuses ou philosophiques
des parents.
S'attachant à décrire le contenu du cours de formation morale et
sociale dispensé aux élèves de l'enseignement secondaire et de
l'enseignement secondaire technique, le Gouvernement rappelle que
l'objectif principal est de sensibiliser les élèves aux problèmes qui
se posent dans le monde moderne. Dans ce but, les élèves seront amenés
à réfléchir aux notions d'égalité et de liberté en se basant notamment
sur la Déclaration des Droits de l'Homme.
Par ailleurs, le Gouvernement souligne que le conseil national
de la formation morale et sociale a pour mission, en vertu de
l'article 6 de la loi du 16 novembre 1988, de "veiller à ce que le
cours de formation morale et sociale soit dispensé dans un esprit
d'objectivité philosophique et idéologique".
Pour le Gouvernement, ces éléments suffisent à démontrer que le
cours de formation morale et sociale vise à fournir aux élèves des
informations sur les diverses religions et philosophies morales. Ne
se rattachant à aucune école ou opinion philosophique déterminée, le
Gouvernement estime difficile d'établir une quelconque violation par
l'Etat défendeur de la liberté de pensée et de conscience ainsi que des
convictions philosophiques des requérants.
Enfin, s'agissant du droit pour les élèves "qui se réclament
d'une croyance religieuse dont les adhérents n'assurent pas de cours
d'instruction religieuse et morale" d'être dispensé du cours
d'instruction religieuse et morale et du cours de formation morale et
sociale, le Gouvernement estime que cette faculté ne constitue pas,
contrairement à ce qu'allèguent les requérants, un bénéfice ou un
avantage mais qu'il s'agit plutôt d'un "pis aller".
Les requérants estiment pour leur part que les conclusions du
Gouvernement se caractérisent par une absence de réponse aux questions
qu'ils ont soulevées dans leur requête introductive. Ils rappellent
à cet égard que le problème en cause était relatif à la différence de
traitement entre les élèves de convictions religieuses et ceux qui,
comme leurs enfants, invoquaient des convictions philosophiques.
Selon eux, le Gouvernement, en se fondant sur le contenu du cours
de formation morale et sociale, a esquivé le problème de la
discrimination.
La Commission rappelle que l'article 14 (art. 14) n'a pas
d'existence autonome, mais joue un rôle important pour compléter les
autres dispositions normatives de la Convention. Une mesure qui serait
en elle-même compatible avec l'une des dispositions normatives peut
cependant enfreindre cette disposition combinée avec l'article 14
(art. 14) si elle est appliquée de manière discriminatoire ; il suffit
donc que la "matière" de la requête entre dans le domaine d'application
d'un article protégeant une liberté pour que l'on puisse valablement
alléguer la violation du principe de non-discrimination (voir
notamment, Cour eur. D.H., arrêts Marckx du 13 juin 1979, série A
n° 31, pp. 15-16, par. 32, et Inze du 28 octobre 1987, série A n° 126,
p. 17, par. 36).
En ce qui concerne les libertés de pensée, de conscience et de
religion garanties par l'article 9 (art. 9) de la Convention, la
Commission estime que l'obligation pour les enfants des requérants de
suivre un cours de formation morale et sociale ne constitue pas une
ingérence dans l'exercice de la liberté de pensée ou de conscience.
Elle note par ailleurs que les requérants ne soutiennent pas qu'en participant à ces
cours, leurs enfants feraient l'objet d'un endoctrinement religieux ou
autre.
Quant à l'obligation de l'Etat de respecter les droits des
parents, tels que prévus à l'article 2 du Protocole N° 1 (P1-2), la
Commission note que les requérants ne soutiennent non plus que
l'enseignement, tel qu'il est dispensé, heurte leurs convictions
philosophiques. Elle relève en outre que les requérants n'ont pas
précisé le concept de leur convictions philosophiques. Or, la
Commission rappelle que le mot "convictions" s'applique à des vues
atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et
d'importance (cf. Cour eur. D.H., arrêt Campbell et Cosans du 25
février 1982, série A n° 48, p. 16, par. 36).
La Commission fait encore observer que les convictions des
parents, relevant de l'article 2 du Protocole N° 1 (P1-2), visent des
convictions qui ne vont pas à l'encontre du droit fondamental de
l'enfant à l'instruction. Lorsqu'au lieu de le conforter, les droits
des parents entrent en conflit avec le droit de l'enfant à
l'instruction, les intérêts de l'enfant priment (voir mutatis mutandis
N° 10233/83, déc. 6.3.84, D.R. 37 p. 105).
A supposer même que les faits litigieux entrent dans le domaine
d'application de l'article 9 (art. 9) de la Convention ainsi que de
l'article 2 du Protocole N° 1 (P1-2), et que dès lors l'article 14
(art. 14) de la Convention trouve à s'appliquer, la Commission rappelle
que, dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la
Convention, l'article 14 (art. 14) interdit de traiter de manière
différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes
placées dans des situations comparables (voir, entre autres, Cour eur.
D.H., arrêt Sunday Times c/Royaume-Uni (n° 2) du 26 novembre 1991,
série A n° 217, p. 32, par. 58, et arrêt Hoffmann c/Autriche du 23 juin
1993, à paraître dans la série A n° 255-C, par.31).
Il y a lieu de déterminer d'abord si les requérants peuvent se
plaindre d'une telle différence de traitement.
L'article 48, tel que modifié par la loi du 16 novembre 1988, a
transformé la dispense pure et simple, prévue par la loi du 10 mai
1968, en une dispense conditionnelle et spécifique. En effet, seuls
les élèves qui se réclament "d'une croyance religieuse dont les
adhérents n'assurent pas de cours d'instruction religieuse et morale"
pourront désormais obtenir une dispense des deux cours.
La Commission note que la nouvelle législation introduit une
différence de traitement entre ceux qui se réclament d'une croyance
religieuse et ceux qui invoquent des convictions philosophiques ne
constituant pas des convictions religieuses.
Pareille différence de traitement est discriminatoire en
l'absence de "justification objective et raisonnable", en d'autres
termes si elle ne poursuit pas un "but légitime" et s'il n'y a pas de
"rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et
le but visé" (voir notamment, Cour eur. D.H., arrêt Darby du
23 octobre 1990, série A n° 187, p. 12, par. 31).
A la lumière de l'exposé des motifs annexé au projet de loi,
le but visé par le législateur en 1988 était de réduire le nombre
d'élèves abstentionnistes en vue de fournir à tous les jeunes une
instruction morale. Le pourcentage d'élèves dispensés des deux cours
était en effet passé de 2 % en 1968 à presque 30 % en 1987.
Ce but peut être considéré comme légitime dans la mesure où
l'obligation qui est faite aux élèves de choisir entre le cours
d'instruction religieuse et morale, d'une part, et le cours de
formation morale et sociale, d'autre part, permet de transmettre aux
jeunes des règles de vie nécessaires à la sauvegarde d'une société
démocratique.
Il y a donc lieu de rechercher si la deuxième condition se trouve
elle aussi remplie.
Le législateur national a instauré le principe d'une dispense
conditionnelle. Ainsi, contrairement à ce qui était prévu sous
l'empire de la loi du 10 mai 1968, seuls les élèves "se réclamant de
convictions religieuses dont les adhérents n'assurent pas de cours
d'instruction religieuse et morale dans le cadre des horaires
scolaires" peuvent obtenir une dispense des deux cours. Toutefois, en
établissant comme condition de dispense, l'appartenance à une croyance
religieuse, le législateur n'a pas, ainsi que le prétendent les
requérants, favorisé la liberté de religion par rapport aux autres
libertés énoncées à l'article 9 (art. 9) de la Convention. La
Commission estime que la possibilité de dispense des deux cours en
cause offerte à la catégorie d'élèves qui se réclament d'une croyance
religieuse, s'inscrit dans l'obligation qui est faite aux Etats de
respecter les convictions religieuses et philosophiques.
Or, la Commission ne voit pas dans quelle mesure les convictions
philosophiques des requérants pourraient être méconnues par le choix
du législateur d'imposer à leurs enfants l'obligation de participer au
cours de formation morale et sociale. La Commission se réfère dans ce
contexte à l'arrêt du Conseil d'Etat du 21 mars 1990 dans lequel
celui-ci a affirmé que les cours de formation morale et sociale, tels
qu'ils étaient prévus par la loi du 16 novembre 1988, devaient porter
plus particulièrement sur l'étude des droits de l'homme et que ces
cours devaient être organisés de façon à garantir le pluralisme
d'opinions. La Commission conclut dès lors à l'existence d'un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but
visé.
Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit
être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la
Convention.
Par ces motifs, la Commission, à la majorité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire adjoint Le Président
de la Commission de la Commission
(M. de SALVIA) (C.A. NØRGAARD)