CEDH, Commission (plénière), BERNARD ET AUTRES c. le LUXEMBOURG, 8 septembre 1993, 17187/90

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Plénière), 8 sept. 1993, n° 17187/90
Numéro(s) : 17187/90
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 30 juillet 1990
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Campbell et cosans du 25 février 1982, série A n° 48, p. 16, par. 36
Arrêt Darby du 23 octobre 1990, série A n° 187, p. 12, par. 31
Arrêt Hoffmann du 23 juin 1993, à paraître dans série A n° 255-C, par. 31
Arrêt Inze du 28 octobre 1987, série A n° 126, p. 17, par. 36
Cour Eur. D.H. Arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A n° 31, pp. 15-16, par. 32
Arrêt Sunday Times (n° 2) du 26 novembre 1991, série A n° 217, p. 32, par. 58
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-25427
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1993:0908DEC001718790
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Sur les parties

Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITE

                 de la requête No 17187/90

                 présentée par Zénon BERNARD et autres

                 contre le Luxembourg

                              __________

      La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 8 septembre 1993 en présence de

      MM.  C.A. NØRGAARD, Président

           S. TRECHSEL

           A. WEITZEL

           F. ERMACORA

           E. BUSUTTIL

           G. JÖRUNDSSON

           A.S. GÖZÜBÜYÜK

           J.-C. SOYER

           H.G. SCHERMERS

           H. DANELIUS

      Mme  G.H. THUNE

      MM.  F. MARTINEZ

           C.L. ROZAKIS

      Mme  J. LIDDY

      MM.  L. LOUCAIDES

           J.-C. GEUS

           M.P. PELLONPÄÄ

           B. MARXER

           G.B. REFFI

           M.A. NOWICKI

           I. CABRAL BARRETO

           B. CONFORTI

           N. BRATZA

      M.  M. de SALVIA, Secrétaire adjoint de la Commission ;

      Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

      Vu la requête introduite le 30 juillet 1990 par Zénon BERNARD

et autres contre le Luxembourg et enregistrée le 20 septembre 1990 sous

le No de dossier 17187/90 ;

      Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

      Vu la décision de la Commission, en date du 30 mars 1992, de

communiquer la requête ;

      Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

22 juillet 1992 et les observations en réponse présentées par le

requérant le 18 septembre 1992 ;

      Après avoir délibéré,

      Rend la décision suivante :

EN FAIT

      Les requérants dont les noms figurent en annexe, sont domiciliés

au Luxembourg. Dans la procédure devant la Commission, ils sont

représentés par Maître Fernand Entringer, avocat inscrit au barreau de

Luxembourg.

      Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les

parties, peuvent se résumer comme suit :

      Par décisions prises le 1er août 1989, le conseil national de la

formation morale et sociale refusa aux enfants des requérants la

dispense du cours de formation morale et sociale au motif que les

demandes de dispense ne faisaient pas état d'une appartenance à une

croyance religieuse, seul motif susceptible d'autoriser une dispense,

conformément à l'article 48 de la loi du 10 mai 1968 portant réforme

de l'enseignement scolaire, et modifié par la loi du 16 novembre 1988.

      L'article 48 de la loi du 10 mai 1968 était rédigé comme suit :

      "L'enseignement secondaire comporte un cours d'instruction

      religieuse et morale et un cours de morale laïque.

      Sur déclaration écrite adressée au directeur de

      l'établissement par la personne investie du droit

      d'éducation, tout élève sera inscrit soit au cours

      d'instruction religieuse et morale, soit au cours de morale

      laïque.

      Sur déclaration écrite de la même personne, tout élève sera

      dispensé de la fréquentation de l'un et de l'autre de ces

      cours."

      L'article tel que libellé ayant permis une augmentation du nombre

des abstentionnistes aux deux cours, le Gouvernement prit l'initiative

de modifier cet article qui stipule désormais :

      "L'enseignement secondaire comporte un cours d'instruction

      religieuse et morale et un cours de formation morale et

      sociale.

      Sur déclaration écrite adressée au directeur de

      l'établissement par la personne investie du droit

      d'éducation ou de l'élève majeur, tout élève sera inscrit,

      soit au cours d'instruction religieuse et morale, soit au

      cours de formation morale et sociale.

      Seront dispensés des deux cours précités, les élèves qui se

      réclament d'une croyance religieuse dont les adhérents

      n'assurent pas de cours d'instruction religieuse et morale

      dans le cadre des horaires scolaires.

      ..."

      Le 19 octobre 1989, les requérants introduisirent un recours en

annulation devant le Conseil d'Etat contre les décisions prises par le

conseil national de la formation morale et sociale le 1er août 1989.

Les requérants faisaient valoir à l'appui de leurs recours que la loi

du 16 novembre 1988 précitée était contraire à l'article 9 de la

Convention et à l'article 2 du Protocole No 1 dans la mesure où seule

une croyance religieuse, c'est-à-dire une conviction basée sur la foi,

pouvait justifier une dispense du cours en question, alors qu'une

pensée philosophique basée sur la raison ne le pouvait pas. Or, selon

eux, les articles précités n'établissent aucune distinction entre la

liberté de pensée, de conscience et de religion ou entre les

convictions religieuses et les convictions philosophiques.

      Par arrêt du 21 mars 1990, le Conseil d'Etat rejeta le recours

introduit par les requérants. Il se détermina comme suit :

      "Considérant que les dispositions de l'article 9, de même

      que celles des articles 8 et 10 de la Convention européenne

      des Droits de l'Homme garantissent à toute personne 'le

      droit au respect de sa vie privée et familiale', 'à la

      liberté de pensée, de conscience et de religion', 'à la

      liberté d'expression' et 'à la liberté d'opinion et à la

      liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou

      des idées' ;

      Que ces mêmes droits sont garantis par l'article 18 du

      Pacte international relatif aux droits civils et

      politiques ;

      Considérant que les droits ainsi énoncés ne peuvent faire

      l'objet d'autres restrictions, aux termes de ces mêmes

      articles, que celles qui, prévues par la loi, constituent

      des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à

      la sûreté publique, à la protection de l'ordre, de la santé

      ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et

      libertés d'autrui ;

      Considérant que l'Etat doit dans l'organisation des cours

      se conformer aux dispositions de l'article 2 du Protocole

      précité ;

      Considérant que ces dispositions visent à sauvegarder la

      possibilité d'un pluralisme éducatif garantissant la

      diffusion d'une manière objective, critique et pluraliste

      des informations ou connaissances figurant au programme et

      écartant tout endoctrinement qui puisse être considéré

      comme ne respectant pas les convictions religieuses ou

      philosophiques des parents ;

      Considérant que les cours de formation morale et sociale

      tels qu'ils sont prévus par la loi du 16 novembre 1988

      doivent être axés sur l'étude des droits de l'homme et

      qu'ils doivent être organisés de façon à garantir le

      pluralisme d'opinions ;

      qu'il convient de conclure que la loi du 16 novembre 1988

      ne viole ni les dispositions de la Convention européenne de

      sauvegarde des Droits de l'Homme, ni l'article 2 du

      Protocole additionnel à cette Convention, ni l'article 18

      du Pacte international relatif aux droits civils et

      politiques ;

      qu'il en suit que le conseil national de la formation

      morale et sociale, en rejetant en date du 1er août 1989 les

            demandes des requérants visant à dispenser leurs enfants du cours

      de formation morale et sociale, a fait une application correcte

      de la loi."

GRIEFS

      Les requérants considèrent que le rejet par le conseil national

de la formation morale et sociale des demandes de dispense du cours de

formation morale et sociale aux motifs que l'article 48 de la loi du

16 novembre 1988 n'autorise une telle dispense que dans le cas où "les

élèves se réclament d'une croyance religieuse dont les adhérents

n'assurent pas de cours d'instruction religieuse ... dans le cadre des

horaires scolaires" favorise les convictions religieuses au détriment

des convictions philosophiques, établit ainsi une distortion entre ces

deux catégories de convictions et méconnaît à ce titre les dispositions

de l'article 9 de la Convention et de l'article 2 du Protocole No 1.

      D'autre part, les requérants estiment que le Conseil d'Etat, en

se basant sur le contenu de l'enseignement donné alors que la question

posée dans le mémoire visait à contrôler la compatibilité des articles

précités de la Convention avec l'article 48 de la loi du 16 novembre

1988, a également méconnu l'article 9 de la Convention et l'article 2

du Protocole No 1.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

      La requête a été introduite le 30 juillet 1990 et enregistrée le

20 septembre 1990.

      Le 30 mars 1992, la Commission a décidé de communiquer la requête

au Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter des observations

écrites sur le bien-fondé des griefs tirés de l'article 9 de la

Convention et de l'article 2 du Protocole No 1, combinés avec

l'article 14 de la Convention.

      Le Gouvernement a présenté ses observations le 22 juillet 1992

après prorogation du délai d'un mois.  Les requérants ont présenté

leurs observations en réponse le 18 septembre 1992.

EN DROIT

      Les requérants se plaignent des décisions par lesquelles leurs

demandes de dispense du cours de formation morale et sociale qu'ils

avaient présentées au nom de leurs enfants, ont été rejetées. Ils

considèrent que ces décisions prises en application de l'article 48 de

la loi du 16 novembre 1988 méconnaissent le principe d'égalité entre

les libertés de pensée, de conscience et de religion garanti par

l'article 9 (art. 9) de la Convention et l'article 2 du Protocole No

1 (P1-2).

      Selon eux, l'article 48 de la loi du 16 novembre 1988 autorise

l'Etat à privilégier les convictions religieuses par rapport aux

convictions philosophiques, puisque seule une croyance religieuse

permet aux élèves qui l'invoquent d'être dispensés des deux cours.

      Par conséquent, les requérants considèrent que c'est sous l'angle

de la différence de traitement que doit être analysée la question de

la prétendue violation des articles 9 de la Convention et 2 du

Protocole No 1 (art. 9, P1-2).

1.    Le Gouvernement excipe en premier lieu du défaut de qualité de

victime des requérants. Il fait valoir à ce titre que les requérants

ne précisent pas en quoi les décisions prises par le conseil  national

de la formation morale et sociale constituent une violation des droits

garantis par la Convention et notamment de son article 9 et de

l'article 2 du Protocole No 1 (art. 9, P1-2).

      Selon le Gouvernement, les requérants qui n'établissent à aucun

moment avoir été gênés dans la manifestation de leurs convictions

philosophiques rechercheraient plutôt un contrôle général et abstrait

de la législation litigieuse à la lumière de la Convention.

      Les requérants contestent la thèse du Gouvernement.  Ils

soutiennent à cet effet que le pluralisme et la tolérance exigent le

respect des opinions d'autrui et impliquent une égalité de traitement

entre les personnes, que celles-ci se réclament d'une conviction

religieuse ou philosophique.

      Or, pour les requérants, tel n'est pas le cas en l'espèce

puisque leurs enfants, qui invoquaient à l'appui de leur demande de

dispense des convictions philosophiques, n'ont pu l'obtenir

contrairement aux élèves qui se réclamaient d'une croyance religieuse

dont les adhérents n'assuraient pas de cours d'instruction religieuse

dans le cadre des horaires scolaires.

      La discrimination subie par leurs enfants suffit, selon les

requérants, à fonder leur intérêt à agir devant la Commission.

      La Commission rappelle qu'elle ne peut être saisie en vertu de

l'article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention d'une requête émanant

d'une personne physique, d'une organisation non gouvernementale ou d'un

groupe de particuliers, que si la personne, l'organisation ou le groupe

peut se prétendre victime d'une violation par l'une des Hautes Parties

Contractantes des droits reconnus dans la Convention.

      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence des organes de la

Convention, que la Commission n'est compétente pour examiner la

compatibilité de la législation interne avec la Convention qu'en ce qui

concerne son application dans un cas concret, et qu'elle n'est pas

compétente pour examiner in abstracto cette compatibilité avec la

Convention (cf. N° 11036/84, déc. 2.12.85 , D.R. 45 p. 211).

      Certes, en l'espèce, les décisions dont se plaignent les

requérants ont été prises par le conseil national de la formation

morale et sociale en application de l'article 48 de la loi du

16 novembre 1988. Toutefois, l'article 25 (art. 25) de la Convention

n'interdit pas aux particuliers de soutenir qu'une loi viole leurs

droits dans la mesure où ils montrent qu'ils ont été personnellement

affectés par l'application de la loi qu'ils critiquent (cf. N° 11036/84

citée ci-dessus).

      La Commission estime que les requérants en tant que représentants

légaux de leurs enfants peuvent effectivement se prétendre victimes du

refus de dispense du cours de formation morale et sociale car cette

décision affecte directement leurs enfants.

      Elle considère d'autre part que les requérants peuvent également,

à titre personnel et en qualité de parents, se prétendre victimes de

la décision prise par le conseil national de la formation morale et

sociale dans la mesure où cette décision influe sur l'éducation de

leurs enfants, domaine dans lequel l'Etat doit respecter le droit des

parents.

      Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut de

qualité de victime des requérants ne saurait être retenue.

2.    Quant au bien-fondé de la requête, la Commission note que les

griefs des requérants concernent pour l'essentiel les conséquences

prétendument discriminatoires de la législation sur la réforme de

l'enseignement secondaire luxembourgeois. Elle examine dès lors

l'affaire sous l'angle de l'article 14 de la Convention combiné avec

son article 9 et l'article 2 du Protocole No 1 (art. 14+9+P1-2).

      L'article 14 (art. 14) est ainsi libellé :

      "La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente

      Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée

      notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la

      religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions,

      l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité

      nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."

      L'article 9 (art. 9) dispose :

      "1) Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience

      et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de

      religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa

      religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en

      public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques

      et l'accomplissement des rites.

      2) (...)"

      Enfin, l'article 2 du Protocole N° 1 (P1-2) se lit ainsi :

      "Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat,

      dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de

      l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents

      d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à

      leurs convictions religieuses et philosophiques."

      Le Gouvernement considère que la requête est manifestement mal

fondée.

      Il rappelle que l'Etat doit dispenser dans l'accomplissement de

sa mission d'éducation et de formation des jeunes toutes les

connaissances théoriques et pratiques nécessaires au développement de

la personne humaine.  La mise en place de cours de formation morale

entre par conséquent et, selon le Gouvernement, dans l'exercice des

fonctions qu'il assume dans le domaine de l'éducation.

      Certes, le Gouvernement reconnaît que l'Etat doit dans

l'accomplissement de ses fonctions veiller à garantir le pluralisme

éducatif en écartant tout endoctrinement qui puisse être considéré

comme ne respectant pas les convictions religieuses ou philosophiques

des parents.

      S'attachant à décrire le contenu du cours de formation morale et

sociale dispensé aux élèves de l'enseignement secondaire et de

l'enseignement secondaire technique, le Gouvernement rappelle que

l'objectif principal est de sensibiliser les élèves aux problèmes qui

se posent dans le monde moderne.  Dans ce but, les élèves seront amenés

à réfléchir aux notions d'égalité et de liberté en se basant notamment

sur la Déclaration des Droits de l'Homme.

      Par ailleurs, le Gouvernement souligne que le conseil national

de la formation morale et sociale a pour mission, en vertu de

l'article 6 de la loi du 16 novembre 1988, de "veiller à ce que le

cours de formation morale et sociale soit dispensé dans un esprit

d'objectivité philosophique et idéologique".

      Pour le Gouvernement, ces éléments suffisent à démontrer que le

cours de formation morale et sociale vise à fournir aux élèves des

informations sur les diverses religions et philosophies morales.  Ne

se rattachant à aucune école ou opinion philosophique déterminée, le

Gouvernement estime difficile d'établir une quelconque violation par

l'Etat défendeur de la liberté de pensée et de conscience ainsi que des

convictions philosophiques des requérants.

      Enfin, s'agissant du droit pour les élèves "qui se réclament

d'une croyance religieuse dont les adhérents n'assurent pas de cours

d'instruction religieuse et morale" d'être dispensé du cours

d'instruction religieuse et morale et du cours de formation morale et

sociale, le Gouvernement estime que cette faculté ne constitue pas,

contrairement à ce qu'allèguent les requérants, un bénéfice ou un

avantage mais qu'il s'agit plutôt d'un "pis aller".

      Les requérants estiment pour leur part que les conclusions du

Gouvernement se caractérisent par une absence de réponse aux questions

qu'ils ont soulevées dans leur requête introductive.  Ils rappellent

à cet égard que le problème en cause était relatif à la différence de

traitement entre les élèves de convictions religieuses et ceux qui,

comme leurs enfants, invoquaient des convictions philosophiques.

      Selon eux, le Gouvernement, en se fondant sur le contenu du cours

de formation morale et sociale, a esquivé le problème de la

discrimination.

      La Commission rappelle que l'article 14 (art. 14) n'a pas

d'existence autonome, mais joue un rôle important pour compléter les

autres dispositions normatives de la Convention.  Une mesure qui serait

en elle-même compatible avec l'une des dispositions normatives peut

cependant enfreindre cette disposition combinée avec l'article 14

(art. 14) si elle est appliquée de manière discriminatoire ; il suffit

donc que la "matière" de la requête entre dans le domaine d'application

d'un article protégeant une liberté pour que l'on puisse valablement

alléguer la violation du principe de non-discrimination (voir

notamment, Cour eur. D.H., arrêts Marckx du 13 juin 1979, série A

n° 31, pp. 15-16, par. 32, et Inze du 28 octobre 1987, série A n° 126,

p. 17, par. 36).

      En ce qui concerne les libertés de pensée, de conscience et de

religion garanties par l'article 9 (art. 9) de la Convention, la

Commission estime que l'obligation pour les enfants des requérants de

suivre un cours de formation morale et sociale ne constitue pas une

ingérence dans l'exercice de la liberté de pensée ou de conscience.

Elle note par ailleurs que les requérants ne soutiennent pas qu'en participant à ces

cours, leurs enfants feraient l'objet d'un endoctrinement religieux ou

autre.

      Quant à l'obligation de l'Etat de respecter les droits des

parents, tels que prévus à l'article 2 du Protocole N° 1 (P1-2), la

Commission note que les requérants ne soutiennent non plus que

l'enseignement, tel qu'il est dispensé, heurte leurs convictions

philosophiques. Elle relève en outre que les requérants n'ont pas

précisé le concept de leur convictions philosophiques. Or, la

Commission rappelle que le mot "convictions" s'applique à des vues

atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et

d'importance (cf. Cour eur. D.H., arrêt Campbell et Cosans du 25

février 1982, série A n° 48, p. 16, par. 36).

      La Commission fait encore observer que les convictions des

parents, relevant de l'article 2 du Protocole N° 1 (P1-2), visent des

convictions qui ne vont pas à l'encontre du droit fondamental de

l'enfant à l'instruction. Lorsqu'au lieu de le conforter, les droits

des parents entrent en conflit avec le droit de l'enfant à

l'instruction, les intérêts de l'enfant priment (voir mutatis mutandis

N° 10233/83, déc. 6.3.84, D.R. 37 p. 105).

      A supposer même que les faits litigieux entrent dans le domaine

d'application de l'article 9 (art. 9) de la Convention ainsi que de

l'article 2 du Protocole N° 1 (P1-2), et que dès lors l'article 14

(art. 14) de la Convention trouve à s'appliquer, la Commission rappelle

que, dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la

Convention, l'article 14 (art. 14) interdit de traiter de manière

différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes

placées dans des situations comparables (voir, entre autres, Cour eur.

D.H., arrêt Sunday Times c/Royaume-Uni (n° 2) du 26 novembre 1991,

série A n° 217, p. 32, par. 58, et arrêt Hoffmann c/Autriche du 23 juin

1993, à paraître dans la série A n° 255-C, par.31).

      Il y a lieu de déterminer d'abord si les requérants peuvent se

plaindre d'une telle différence de traitement.

      L'article 48, tel que modifié par la loi du 16 novembre 1988, a

transformé la dispense pure et simple, prévue par la loi du 10 mai

1968, en une dispense conditionnelle et spécifique.  En effet, seuls

les élèves qui se réclament "d'une croyance religieuse dont les

adhérents n'assurent pas de cours d'instruction religieuse et morale"

pourront désormais obtenir une dispense des deux cours.

      La Commission note que la nouvelle législation introduit une

différence de traitement entre ceux qui se réclament d'une croyance

religieuse et ceux qui invoquent des convictions philosophiques ne

constituant pas des convictions religieuses.

      Pareille différence de traitement est discriminatoire en

l'absence de "justification objective et raisonnable", en d'autres

termes si elle ne poursuit pas un "but légitime" et s'il n'y a pas de

"rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et

le but visé" (voir notamment, Cour eur. D.H., arrêt Darby du

23 octobre 1990, série A n° 187, p. 12, par. 31).

           A la lumière de l'exposé des motifs annexé au projet de loi,

le but visé par le législateur en 1988 était de réduire le nombre

d'élèves abstentionnistes en vue de fournir à tous les jeunes une

instruction morale.  Le pourcentage d'élèves dispensés des deux cours

était en effet passé de 2 % en 1968 à presque 30 % en 1987.

      Ce but peut être considéré comme légitime dans la mesure où

l'obligation qui est faite aux élèves de choisir entre le cours

d'instruction religieuse et morale, d'une part, et le cours de

formation morale et sociale, d'autre part, permet de transmettre aux

jeunes des règles de vie nécessaires à la sauvegarde d'une société

démocratique.

      Il y a donc lieu de rechercher si la deuxième condition se trouve

elle aussi remplie.

      Le législateur national a instauré le principe d'une dispense

conditionnelle.  Ainsi, contrairement à ce qui était prévu sous

l'empire de la loi du 10 mai  1968, seuls les élèves "se réclamant de

convictions religieuses dont les adhérents n'assurent pas de cours

d'instruction religieuse et morale dans le cadre des horaires

scolaires" peuvent obtenir une dispense des deux cours. Toutefois, en

établissant comme condition de dispense, l'appartenance à une croyance

religieuse, le législateur n'a pas, ainsi que le prétendent les

requérants, favorisé la liberté de religion par rapport aux autres

libertés énoncées à l'article 9 (art. 9) de la Convention. La

Commission estime que la possibilité de dispense des deux cours en

cause offerte à la catégorie d'élèves qui se réclament d'une croyance

religieuse, s'inscrit dans l'obligation qui est faite aux Etats de

respecter les convictions religieuses et philosophiques.

       Or, la Commission ne voit pas dans quelle mesure les convictions

philosophiques des requérants pourraient être méconnues par le choix

du législateur d'imposer à leurs enfants l'obligation de participer au

cours de formation morale et sociale. La Commission se réfère dans ce

contexte à l'arrêt du Conseil d'Etat du 21 mars 1990 dans lequel

celui-ci a affirmé que les cours de formation morale et sociale, tels

qu'ils étaient prévus par la loi du 16 novembre 1988, devaient porter

plus particulièrement sur l'étude des droits de l'homme et que ces

cours devaient être organisés de façon à garantir le pluralisme

d'opinions. La Commission conclut dès lors à l'existence d'un rapport

raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but

visé.

      Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit

être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la

Convention.

      Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

      DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

      Le Secrétaire adjoint                   Le Président

        de la Commission                    de la Commission

          (M. de SALVIA)                     (C.A. NØRGAARD)

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