CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE UNEDIC c. FRANCE, 18 décembre 2008, 20153/04

  • Jurisprudence·
  • Revirement·
  • Sécurité juridique·
  • Créance·
  • Garantie·
  • Gouvernement·
  • Principe·
  • Salarié·
  • Travail·
  • Redressement

Chronologie de l’affaire

Commentaires14

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Cabinet Neu-Janicki · 10 avril 2023

La rétractation du promettant avant l'expiration du temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis et le bénéficiaire peut en demander l'exécution forcée. Pour mémoire, depuis le 1er octobre 2016, l'article 1124 al. 2 ne dispose que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis » ? Cependant, ce texte est inapplicable à des promesses consenties avant le 1er octobre 2016. Récemment, la 3e chambre avait estimé que le promettant « s'oblige définitivement à vendre dès la …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 18 déc. 2008, n° 20153/04
Numéro(s) : 20153/04
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Augusto c. France, no 71665/01, CEDH 2007 (extraits)
Brumarescu c. Roumanie, [GC], no 28342/95, §§ 61-62, ECHR 1999-VII
National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, § 112, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII
Radio France et autres c. France (déc.), no 53984/00, 23 septembre 2003
Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 49, série A no 301-B
Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, ECHR 2002-VII
Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Non-violation de l'art. 6-1
Identifiant HUDOC : 001-90350
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2008:1218JUD002015304
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE UNEDIC c. FRANCE

(Requête no 20153/04)

ARRÊT

STRASBOURG

18 décembre 2008

DÉFINITIF

18/03/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Unédic c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Volodymyr Butkevych,
Renate Jaeger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 novembre 2008,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20153/04) dirigée contre la République française et dont une association soumise au régime de la loi du 1er juillet 1901, chargée de la gestion du régime d’assurances des créances des salariés, l’A.G.S. Unédic, ayant son siège à Paris, (« la requérante »), a saisi la Cour le 18 mai 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Me F. Sicard, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante alléguait une violation de son droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

4.  Le 3 juillet 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

1.  Le régime d’assurance des créances des salariés

5.  La loi no 73-1194 du 27 décembre 1973 tendant à assurer, en cas de règlement ou de liquidation de biens, le paiement des créances résultant du contrat de travail, institua en France, à la charge des employeurs, une obligation d’assurance contre le risque de non-paiement des sommes dues aux salariés et plus généralement des sommes dues en exécution de leur contrat de travail, en cas de procédure collective (article L. 143-11-1 du code du travail).

6.  Par la suite, le régime légal de la garantie du paiement des créances résultant du contrat de travail fut modifié par la loi no 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, et est aujourd’hui codifié aux articles L. 143-11-1 et suivants du code du travail.

7.  L’obligation de garantie des salaires concerne alors tout employeur ayant la qualité de commerçant, d’artisan ou de personne morale de droit privé occupant un ou plusieurs salariés. Elle vise à garantir l’ensemble des salariés, y compris ceux détachés à l’étranger et les salariés français expatriés.

8.  Aux termes de l’article L. 143-11-4 du code du travail, le régime d’assurance est mis en œuvre et géré par une association relevant du régime de la loi du 1er juillet 1901, l’A.G.S., qui est financée par une cotisation à la charge exclusive des employeurs. Cette cotisation, basée sur les salaires servant d’assiette aux cotisations d’assurance chômage, est recouvrée en même temps que celles-ci par les Associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (« ASSEDIC »).

9.  Lorsqu’une procédure collective est ouverte, l’Unédic délégation A.G.S. a pour rôle de mettre à disposition du représentant des créanciers, par l’intermédiaire de son établissement local, du siège de l’entreprise, les sommes dues aux salariés lorsque ces sommes ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds propres disponibles de l’entreprise.

10.  L’Unédic délégation A.G.S. ayant effectué cette avance se trouve ensuite subrogée dans les droits des salariés bénéficiaires.

11.  Afin de garantir au plus juste, il est alors fait masse de toutes les créances salariales, indépendamment de la qualification de salaire de la somme en cause, le seul critère pertinent tenant à son rattachement au contrat de travail. Sont ainsi garantis : les salaires des six derniers mois, les indemnités compensatrices de congés payés, les indemnités de fin de contrat, les indemnités de rupture abusive, les indemnités de licenciement, les frais professionnels, les gratifications annuelles, les sommes dues en vertu d’un accord d’entreprise, etc.

12.  Si à l’origine, le législateur de 1973 avait repoussé l’instauration d’un plafond de paiement des salaires, en 1975 le Parlement s’est incliné. En effet, deux ans après l’instauration du régime A.G.S., les cotisations ayant dû être multipliées par dix (de 0.02% à 0.2%), il fut envisagé de créer un plafonnement des prestations, c’est‑à‑dire des paiements de sommes dues aux salariés. Tel fut l’objet de la loi no 75‑1251 du 27 décembre 1975, codifiée alors à l’article L. 43-11-6 devenu L. 143-11-8 du code du travail à l’occasion de la loi no 85-98 du 25 janvier 1985.

13.  L’article D 143-2, premier aliéna, dispose :

« Le montant maximum de la garantie prévue à l’article L. 143-11-8 du Code du travail est fixé à treize fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d’assurance chômage lorsque les créances résultent de dispositions législatives ou réglementaires ou des stipulations d’une convention collective et sont nées d’un contrat de travail dont la date de conclusion est antérieure de plus de six mois à la décision prononçant le redressement judiciaire. »

14.  Ce même article prévoit :

« Dans les autres cas, le montant de cette garantie est limitée à quatre fois le plafond mentionné ci-dessus. »

2.  La jurisprudence de la Cour de cassation

15.  La Cour de cassation, se conformant à la lettre du texte des articles L. 143-11-8 et D 143-2 du code du travail, appliquait le plafond 4 chaque fois que les créances étaient nées d’un contrat de travail de moins de six mois, lors de l’ouverture de la procédure collective, ou que des modifications économiques avaient été apportées à ce contrat dans ce délai. En revanche, lorsque le lien contractuel était de plus de six mois, le texte imposait de distinguer deux hypothèses : celle qui donne ouverture au plafond 13 et qui concerne « les créances résultant des dispositions législatives ou réglementaires ou de stipulations d’une convention collective » ; celle qui concerne « les autres cas » pour laquelle le plafond inférieur (plafond 4) est seul applicable. Cette jurisprudence avait pour effet d’exclure les créances contractuelles du plafond 13, puisque l’énumération figurant au texte ne comporte que les créances résultant des dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles.

16.  Dans cette ligne, par deux arrêts du 13 mai 1980 - Isabelle Adjani et Michel Piccoli -, la Cour de cassation décida que se trouvait exclue du plafond 13 « une rémunération dont le montant avait été librement débattu entre les parties » et que seul était éligible à ce plafond supérieur « le salaire minimum impérativement fixé par la loi, un règlement ou une convention collective ».

17.  Puis, dans des arrêts postérieurs, l’interprétation de la Cour de cassation s’est faite plus précise, en étendant aux indemnités la précédente règle applicable initialement aux salaires. La Cour de cassation exigea ainsi que « leur montant lui-même » soit fixé par la loi, le règlement ou la convention collective, quand bien même le principe de la créance trouvait son origine dans l’un de ces textes.

18.  Par un arrêt du 15 décembre 1998, A.G.S. de Paris, et Unédic c. Boue et Sudre, la chambre sociale de la Cour de cassation réunie en formation plénière effectua un revirement de jurisprudence en retenant dans son attendu de principe que les créances résultant des dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles au sens de ce texte (article D 143-2, alinéa 1er du Code du travail) étaient celles qui trouvaient leur fondement dans une loi, un règlement ou une convention collective, peu important que leur montant ne soit pas lui-même fixé par l’une de ces sources de droit ; que la rémunération du salarié, contrepartie de son travail, entrait dans les prévisions de l’article D 143-2, alinéa 1er du Code du travail, même lorsque son montant était fixé par l’accord des parties. Par conséquent, elle considéra que c’était à bon droit que la cour d’appel avait décidé que la créance du salarié, constituée des indemnités conventionnelles de rupture et d’un solde de rémunération, était garantie par l’A.G.S. dans la limite du plafond 13.

19.  L’avocat général de la Cour de cassation, ayant examiné l’équilibre des intérêts en jeu, estima que les conséquences financières du revirement de jurisprudence seraient modérées. Plus précisément, il souligna que la jurisprudence antérieure pouvait conduire à de graves inégalités entre salariés de la même entreprise en redressement judiciaire et qu’un renversement de jurisprudence, qui aurait nécessairement un effet rétroactif, provoquerait certes un alourdissement de la charge de l’AGS, mais qui serait contenu dans un cadre restreint.

20.  Au terme de cette nouvelle jurisprudence, la Cour de cassation fait masse de toutes les créances du salarié et applique le plafond 13 lorsque les créances résultent des dispositions législatives ou réglementaires ou des stipulations d’une convention collective, et sont nées d’un contrat de travail dont la date de conclusion est antérieure de plus de 6 mois à la décision prononçant le redressement judiciaire. Dans tous les autres cas, le montant de la garantie est limité au plafond 4.

21.  En outre, elle considéra que toutes les conséquences découlant du contrat de travail, y compris et surtout l’obligation de payer un salaire, étaient d’origine légale, seul le quantum étant conventionnellement fixé. Ainsi, au terme de cette nouvelle position introduite par l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 1998, la chambre sociale distingue la nature d’une créance et son quantum, et considère que le salaire fixé par le contrat doit être considéré comme ayant une origine légale et non contractuelle, bien que la loi n’en fixe pas le montant. Par cette nouvelle position, le plafond 13 devient le principe de garantie des créances salariales, le plafond 4 l’exception.

3.  La situation de M. H.

22.  M. H. fut engagé par la société La Mosaïque, société spécialisée dans la fourniture de revêtements et de carrelages, en qualité d’agent technico‑commercial.

23.  Par un jugement du 20 octobre 1997, le tribunal de commerce de Paris ouvrit une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société.

24.  Par une lettre du 5 janvier 1998, M. H. fut informé qu’il était licencié pour motif économique. La lettre se référait au jugement du tribunal de commerce de Paris, du 20 octobre 1997, qui avait prononcé le redressement judiciaire de la Sarl La mosaïque ainsi qu’à la nécessité de procéder à une restructuration du personnel afin de favoriser le redressement de l’entreprise.

25.  Le contrat de travail qui liait M. H. à la société fut rompu par adhésion à une convention de conversion à effet au 5 avril 1998.

26.  Dans le cadre de cette procédure collective, il fut demandé, pour le compte de M. H., les sommes suivantes : rappel de salaires du 6 septembre 1997 au 19 octobre 1997 : 69 996 francs (10 670,82 euros (EUR)) ; indemnité compensatrice de préavis : 30 207 francs (4 605,03 EUR) ; contribution à l’A.G.S. : 48 908 francs (7 608,43 EUR). Toutes ces sommes furent prises en charge, pour un total de 150 111 francs, soit 22 884,27 EUR. Par contre, l’indemnité de licenciement fit l’objet d’une demande spécifique de 457 425 francs, soit 69 734 EUR, et seule la somme de 76 329 francs, soit 11 636,28 EUR, fut prise en charge.

27.  La créance de M. H., d’un montant global de 606 536 francs, soit 92 465,82 EUR, fut garantie à hauteur de 225 440 francs, soit 34 368,11 EUR, correspondant à quatre fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d’assurance chômage (ci-après plafond 4).

28.  En effet, en l’état de la jurisprudence qui prévalait alors, la rémunération de M. H. était largement supérieure au barème de la convention collective pertinente applicable. Ainsi, ladite rémunération ne pouvait être analysée comme résultant de la convention collective au sens des dispositions applicables issues du premier alinéa de l’article D 143-2 du code du travail et de la jurisprudence établie de la Cour de cassation.

29.  L’A.G.S. estima alors devoir limiter l’étendue de sa prise en charge au plafond 4.

30.  Par un jugement du 25 mai 1998 du tribunal de commerce de Paris, la société La Mosaïque fut déclarée en liquidation judiciaire et Me J. fut désignée en qualité de mandataire liquidateur.

31.  Le 12 juin 1998, M. H. se renseigna auprès du liquidateur désigné des règles et quantum de garantie des créances salariales. M. H. accepta la règle de la garantie à hauteur du plafond 4 (225 440 francs, soit 34 368,11 EUR).

4.  La procédure devant les juridictions du travail

a)  Le Conseil de prud’hommes de Paris

32.  Le 16 avril 1999 M. H. saisit le conseil de prud’hommes de Paris afin que le solde de sa créance salariale, constitué du solde de l’indemnité de licenciement d’un montant de 381 096 francs (58 097,71 EUR) soit garanti dans la limite du plafond 13.

33.  Suite à l’audience du bureau de jugement en date du 26 octobre 1999, le conseil de prud’hommes de Paris se déclara en partage de voix.

34.  Par des conclusions récapitulatives, l’A.G.S. soutenait au principal l’existence d’une fin de non-recevoir d’ordre public conforme aux dispositions de l’article L. 143-11-7 du code du travail. Subsidiairement, elle affirmait que M. H. ne justifiait, outre l’invocation de la jurisprudence du 15 décembre 1998 contraire en elle-même à l’article 5 du code civil, d’aucun fondement juridique à sa demande de bénéficier du plafond 13. Par ailleurs, elle indiquait qu’en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, la jurisprudence ne pouvait être rétroactive sauf à nier le principe général du droit à la sécurité juridique. Enfin, une telle application était analysée par l’A.G.S. comme une rupture flagrante de l’égalité des salariés, au préjudice de ceux qui ont introduit une action judiciaire et qui se sont fait appliquer le seul plafond 4.

35.  Par un jugement du 18 juillet 2000, le conseil, suite à l’audience de départage, rejeta la fin de non-recevoir soulevée par l’A.G.S., ordonna la communication du dossier au procureur de la République et renvoya la cause et les parties à l’audience du 2 octobre 2000.

36.  Par un jugement du 6 novembre 2000, le conseil de prud’hommes de Paris considéra que la créance de M. H., constituée du solde de l’indemnité légale de licenciement, était garantie dans la limite du plafond 13 et déclara le jugement opposable à l’A.G.S.

37.  Les conseillers prud’homaux reprirent l’attendu de principe énoncé par la décision du 15 décembre 1998, A.G.S. de Paris, et Unédic c. Boue et Sudre et considérèrent qu’au sens des articles L 143-11-8 et D 143-2 du code du travail, les créances concernées étaient celles qui trouvaient leur fondement dans une loi, un règlement ou une convention collective peu important que leur montant ne soit pas lui-même fixé dans un tel texte. La rémunération du salarié, obligation de l’employeur définie par le code du travail, entrait dans les prévisions de l’article L 143-11-8 même lorsque son montant était fixé par l’accord des parties. Il en était de même pour l’indemnité de licenciement, prévue par la loi et dont la rémunération servait de base au calcul. En l’espèce, la créance de M. H. était constituée du solde de l’indemnité de licenciement. Le salarié bénéficiait d’un contrat de travail dont la conclusion était antérieure de plus de 6 mois à la décision prononçant le redressement judiciaire. Il y avait donc lieu de dire que la créance de M. H. devait être garantie par l’A.G.S. dans la limite du plafond 13.

b)  La cour d’appel de Paris

38.  L’Unédic délégation A.G.S., représentée par la délégation régionale d’Île-de-France, interjeta appel de cette décision. Dans ses conclusions d’appel, l’Unédic délégation A.G.S. soulevait plusieurs moyens à l’appui de sa contestation. En premier lieu, elle soutenait que l’application qui avait été faite de la nouvelle jurisprudence à des faits nés et constitués avant son intervention s’analysait en définitive en une application rétroactive de la jurisprudence de revirement. Quand bien même l’A.G.S. n’entendait pas contester les postulats et fondements de la nouvelle jurisprudence relative aux plafonds de garantie, cette dernière ne pouvait accepter qu’il en soit fait application à des situations définitivement réglées.

39.  En deuxième lieu, elle soulignait, sur le fondement de l’article 5 du code civil, qu’il était défendu aux juges « de se prononcer, par voie de dispositions générales et réglementaires, sur les causes qui leur sont soumises ». Or, le salarié visait simplement à l’appui de sa demande la jurisprudence du 15 décembre 1998, au même titre qu’une disposition légale ou réglementaire.

40.  En troisième lieu, il était soutenu également qu’une telle application violerait directement les dispositions de l’article 6 de la Convention, illustrant le principe général du droit à la sécurité juridique.

41.  En quatrième et dernier lieu, les conclusions d’appel soulevaient la question de l’imprévisibilité du revirement, nouvel obstacle à son application en vertu tant du principe de sécurité juridique que du principe communautaire de confiance légitime. Le régime était tout à fait incapable, au terme d’une jurisprudence constante de vingt ans, d’envisager cette nouvelle obligation de garantie.

42.  En outre, elle considérait que le passage du plafond 4 (34 368,11 EUR) au plafond 13 (111 696,35 EUR) contre toute attente, était de nature à mettre en péril gravement la situation financière de l’A.G.S. et l’équilibre même du système institué par la loi de 1973 tel que repris par la loi no 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises.

43.  Par un arrêt rendu le 3 juillet 2001, la cour d’appel de Paris confirma le jugement entrepris. Les juges d’appel relevaient que les premiers juges avaient correctement analysé les faits de la cause et considéré à juste titre que la créance de M. H., dont le montant, de 381 096 francs, n’était pas discuté, devait être garantie dans la limite du plafond 13. L’argumentation développée par l’AGS sur le fondement de l’article 2 du code civil était inopérante, le principe de garantie mis en œuvre ne découlant pas d’une loi postérieure aux faits de la cause. Par ailleurs, en application de l’article 5 du même code, la jurisprudence était par elle‑même dépourvue de portée sur un litige déterminé. Enfin il n’appartenait pas à une juridiction du fond de limiter de façon normative, dans un souci de sécurité juridique, la portée d’un revirement de jurisprudence.

c)  La Cour de cassation

44.  L’Unédic délégation A.G.S. se pourvut en cassation. Elle présenta un moyen unique de cassation selon lequel il était fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que le plafond 13 était applicable aux créances de M. H.

45.  L’A.G.S. soutenait qu’une jurisprudence ne pouvait avoir un effet rétroactif que dans la seule et unique mesure où elle ne remettrait pas en cause des situations juridiques qui ont épuisé leurs effets dans le passé, et cela, conformément au principe de sécurité juridique tel qu’interprété par les juges de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Elle considérait que toute interprétation contraire violerait l’article 6 de la Convention. M. H. avait bénéficié de la garantie de l’Unédic délégation A.G.S. dans la limite du plafond 4, avant que le revirement de jurisprudence de 1998 n’intervienne. Pourtant, la cour d’appel n’avait pas hésité à faire application de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation au solde de la créance salariale de M. H., alors même que la situation de l’intéressé avait été définitivement prise en charge et réglée par l’A.G.S.

46.  Par un arrêt du 26 novembre 2003, la chambre sociale de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par l’A.G.S. Elle considéra que le moyen unique de cassation développé par l’A.G.S. n’était pas fondé, en soulignant que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, prévu par l’article 6 de la Convention, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application de la loi.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

47.  La requérante se plaint d’une violation de son droit à un procès équitable, en raison du caractère rétroactif de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 1998. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention dont la partie pertinente dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur l’exception du Gouvernement tirée de l’incompatibilité ratione personae

48.  A titre principal, le Gouvernement soutient que la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention car la requérante ne peut être considérée comme une « organisation non gouvernementale » au sens de l’article 34 de la Convention.

49.  Le Gouvernement souligne les relations très étroites entre l’Etat et l’Unédic concernant l’assurance-chômage. Il joint à cet égard un extrait du rapport de la Cour des comptes de mars 2006 relatif à « l’évolution de l’assurance chômage, de l’indemnisation à l’aide au retour à l’emploi ».

50.  Ce régime d’assurance est entièrement déterminé par l’Etat. L’AG.S. a peu de prise sur l’évolution du régime et ses modalités de fonctionnement car le législateur est intervenu pour modifier le champ d’application du régime et les modalités d’avance et de récupération.

51.  L’A.G.S. dépend des pouvoirs publics pour préserver l’équilibre financier du régime en cas de conjoncture économique difficile. L’Etat intervient en cas de déséquilibre persistant pour lui donner les moyens d’assurer sa mission, comme il l’a déjà fait en 1975 et 2003.

52.  L’A.G.S. dispose des prérogatives de puissance publique. Elle procède à la récupération des fonds avancés dans les entreprises, à partir du suivi des plans de redressement et dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire et fixe unilatéralement le taux des cotisations que doivent verser les employeurs. Elle peut également agir en justice pour défendre les intérêts du régime. S’il est vrai que les autorités publiques ne disposent pas d’un pouvoir de tutelle, le système de garantie des salaires en cas de procédure collective a été instauré par le législateur : la loi du 27 décembre 1973 a posé le principe d’une assurance obligatoire et en a fixé les modalités de fonctionnement.

53.  La requérante soutient que le seul encadrement normatif d’une activité par les pouvoirs publics ne saurait conduire ipso facto à qualifier l’ensemble des acteurs du secteur concerné d’organisation gouvernementale. Les autorités de tutelle ne disposent d’aucun pouvoir de tutelle sur l’association requérante. En fait, l’A.G.S. bénéficie d’une totale indépendance organique, institutionnelle et financière. Si elle participe à une « mission de service public », elle ne détient pas des prérogatives de puissance publique.

54.  La Cour rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence qu’entrent dans la catégorie des « organisations gouvernementales », les personnes morales qui participent à l’exercice de la puissance publique ou qui gèrent un service public sous le contrôle des autorités. Pour déterminer si tel est le cas d’une personne morale donnée autre qu’une collectivité territoriale, il y a lieu de prendre en considération son statut juridique et, le cas échéant, les prérogatives qu’il lui donne, la nature de l’activité qu’elle exerce et le contexte dans lequel s’inscrit celle-ci, et son degré d’indépendance par rapport aux autorités politiques (Radio France et autres c. France (déc.), no 53984/00, 23 septembre 2003).

55.  La Cour relève, en premier lieu, que la requérante, la Délégation Unédic A.G.S., créée en 1996 au sein de l’Unédic afin de se consacrer à la réalisation opérationnelle des missions de l’A.G.S., est une personne morale de droit privé, une association régie par la loi du 1er juillet 1901, exclusivement soumise au droit privé, qu’il s’agisse de ses règles de gestion comptable et financière et ses modalités de fonctionnement et des règles d’engagement de sa responsabilité.

56.  La requérante est composée des membres d’organisations patronales représentatives qui sont indépendantes du pouvoir politique. Le fait que l’A.G.S. ait délégué à l’Unédic, par le biais d’une convention de gestion, la réalisation opérationnelle de ses missions ne saurait remettre en cause son indépendance. Son conseil d’administration est exclusivement composé de tels membres (seize membres du Medef, huit de la Confédération générale PME et deux du secteur agricole), sans qu’aucune autre autorité n’ait voie délibérative ou consultative. Le régime des garanties des créances des salariés, fondé sur la solidarité interprofessionnelle des employeurs, est exclusivement financé par les cotisations patronales assises sur les rémunérations servant de base au calcul des contributions d’assurance chômage. Si, en principe, le régime est financé par des contributions privées, le fait qu’il peut y avoir exceptionnellement financement par l’Etat, n’y change rien.

57.  La récupération des fonds avancés dans les entreprises ne peut s’analyser en une prérogative de puissance publique mais en une subrogation de plein droit dans les droits et actions des salariés qu’elle a contribué à désintéresser. En outre, la possibilité d’agir en justice pour défendre les intérêts du régime constitue une prérogative de droit commun détenue par l’A.G.S en sa seule qualité d’institution gestionnaire du régime. De plus, l’A.G.S. ne bénéficie pas du mécanisme protecteur de la prescription quadriennale, au terme duquel l’exécution d’une créance ne peut plus être obtenue après un délai de quatre ans ; les salariés peuvent rechercher auprès de la requérante la garantie de leurs créances salariales selon les règles de prescription du droit commun.

58.  Il y a donc lieu de considérer la requérante comme une « organisation non gouvernementale » au sens de l’article 34 de la Convention.

59.  La Cour constate, en outre, que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève, par ailleurs, que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le bien-fondé

1.  Thèses des parties

a)  La requérante

60.  Selon la requérante, il ressort de l’arrêt Brumarescu c. Roumanie, ([GC], no 28342/95, ECHR 1999-VII) que le principe de sécurité juridique est consacré par le droit à un procès équitable. Le raisonnement suivi en matière des lois de validation est tout à fait transposable en l’espèce dès lors qu’une telle loi remplit la même fonction que la modulation dans le temps d’une décision de justice.

61.  L’application rétroactive d’une jurisprudence nouvelle peut se trouver en contradiction avec les exigences de la Convention en matière d’accessibilité et de prévisibilité du droit. Puisque la Cour reconnait la violation des droits garantis par la Convention lorsqu’elle est confrontée à des textes produisant leurs effets sur des faits passés et modifiant les attentes légitimes des justiciables, elle pourrait aussi le faire lorsqu’elle constate que la modification des données jurisprudentielles emporte de facto les mêmes effets.

62.  La requérante prétend que tout revirement de jurisprudence apparaît contraire au droit à un procès équitable. Elle préconise la reconnaissance d’un droit transitoire des revirements de jurisprudence. A cet égard, elle se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes mais aussi à la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat qui ont consacré récemment le principe de sécurité juridique.

63.  La requérante suggère l’adoption de certains critères susceptibles d’être retenus par le juge pour apprécier les situations méritant ou non une modulation temporelle, tels qu’ils ont été relevés par la doctrine : le grand nombre de personnes concernées, les conséquences financières importantes, l’imprévisibilité du revirement, le soutien apporté aux pratiques antérieures et la sécurité juridique. Or, appliqués aux circonstances de l’espèce, ces critères étaient en tous points réunis : la décision de la Cour de cassation litigieuse a emporté des conséquences financières d’une lourdeur extrême, l’A.G.S. justifiant d’un déficit global de 107 505 000 euros sur les exercices 1999 et 2000 ; compte tenu de la grande stabilité de la solution antérieure, l’A.G.S. n’a pu utilement préparer et assurer, au moins financièrement, les conséquences de l’évolution prétorienne de ses règles de garantie ; l’équilibre général du régime de solidarité interprofessionnelle a été mis à mal par cette nouvelle jurisprudence, de nombreux salariés étant venus rechercher la garantie de l’A.G.S ; alors que leur situation était définitivement réglée ; aucun intérêt général ne semble présider à la remise en cause de la garantie.

b)  Le Gouvernement

64.  Selon le Gouvernement, le principe de la sécurité juridique possède deux dimensions distinctes mais complémentaires : une dimension formelle et une temporelle. La première a trait à la qualité de la norme juridique en la soumettant à des exigences d’intelligibilité et d’accessibilité. La seconde vise essentiellement à stabiliser les situations juridiques. En outre, l’interprétation jurisprudentielle a une portée rétroactive, puisque l’interprétation normative à laquelle se livre le juge à la date à laquelle il statue porte nécessairement sur des faits qui se sont déroulés dans le passé. A plus forte raison, un revirement de jurisprudence, quelle que soit la substance de la « règle » jurisprudentielle qu’il modifie, porte, par hypothèse, atteinte à la sécurité juridique. Malgré cette atteinte, l’utilité et même la nécessité des revirements de jurisprudence n’est plus à démontrer. La Cour elle-même a admis dans l’arrêt Vilho Eskelinen c. Finlande ([GC], no 63235/00, 29 avril 2007, § 56), que si elle devait faillir à maintenir une approche dynamique et évolutive, le fait de ne pas s’écarter de ses précédents risquerait de faire obstacle à toute réforme ou amélioration.

65.  Toutefois, l’atteinte à la sécurité juridique peut varier selon la nature des revirements car il y a des différences de degré.

66.  Le principe de la sécurité juridique est plus large que le droit au procès équitable. Il inspire et transcende les droits consacrés par la Convention qui doivent être interprétés, notamment, à la lumière de ce principe. Plusieurs arrêts de la Cour plaident pour une telle interprétation. Les deux notions vont de pair lorsque la violation du principe de sécurité juridique porte directement atteinte à l’un des droits garantis par l’article 6 § 1 (Brumarescu c. Roumanie, précité, § 62).

67.  Selon le Gouvernement, il existe un consensus fort en Europe sur le caractère exceptionnel que doit présenter le recours à la technique de la modulation des effets dans le temps de la jurisprudence. Comme l’a affirmé la Cour de justice des communautés européennes, cette faculté n’est préconisée qu’en cas d’atteinte grave à la sécurité juridique. Du reste, la Cour européenne des droits de l’homme s’y est référée dans l’affaire Marckx c. Belgique (arrêt du 13 juin 1979, série A no 31). Enfin, le Gouvernement conteste l’amalgame opéré par la requérante avec le contrôle par la Cour du caractère rétroactif d’une loi de validation, comme dans l’affaire Arnolin et autres c. France (no 20127/03, 9 janvier 2007).

68.  Le Gouvernement prétend qu’aucune des différentes composantes de l’article 6 § 1 n’a été méconnue, qu’il s’agisse des droits procéduraux, de l’égalité des armes ou du droit au juge. La requérante n’invoque aucun argument autre que la violation de la sécurité juridique. Le nouvel état du droit introduit par le revirement du 15 décembre 1998, antérieur à la naissance du litige opposant M. H. et l’Unédic, était parfaitement connu des deux parties qui ont été placées sur un strict pied d’égalité dans l’expression de leurs points de vue respectifs. En outre, la situation de M.H. n’était pas irrévocablement fixée avant le revirement. Le versement par l’A.G.S. des avances ne pouvait, indépendamment du revirement, priver M.H. de son droit de saisir le conseil des prud’hommes pour contester le montant des sommes accordées. M.H. a pu, en l’espèce, exercer ce droit, après le revirement, dès lors que la procédure collective n’était pas close.

69.  Le Gouvernement considère que le revirement opéré par la Cour de cassation le 15 décembre 1998 n’a pas été excessif pour la requérante, mais modéré au regard de l’amélioration apportée à la règle de droit concernée et du souci de justice sociale. D’une part, aucun droit définitivement acquis de l’Unédic n’avait pas été remis en cause rétroactivement et, d’autre part, la Cour de cassation a examiné soigneusement l’équilibre des intérêts en cause.

70.  Du reste, le revirement n’était pas aussi imprévisible que le prétend la requérante. De nombreuses critiques étaient émises par la doctrine, des parlementaires et le médiateur de la République sur l’interprétation adoptée par la Cour de cassation en 1980 et réaffirmée jusque là.

2.  Appréciation de la Cour

71.  Dans sa jurisprudence, la Cour a maintes fois réaffirmé que si, en principe, le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige (arrêts Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 49, série A no 301‑B, National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, § 112, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII et Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999‑VII). Dans l’arrêt Brumărescu précité, (§ 61-62), la Cour a également estimé que la Cour suprême roumaine, en accueillant le recours introduit par le procureur général de la Roumanie en vertu de son pouvoir d’attaquer un jugement définitif par la voie du recours en annulation, sans qu’il soit tenu par aucun délai, avait enfreint le principe de la sécurité juridique.

72.  En premier lieu, la Cour note que la présente affaire et le problème qu’elle soulève – les conséquences d’un revirement de jurisprudence sur la prévisibilité des situations juridiques – se distinguent clairement de l’affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis (arrêt précité), qu’invoquait la requérante dans sa requête, et dans laquelle était en cause l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le déroulement judiciaire d’un litige. Elle se distingue aussi de l’arrêt Sovtransavto Holding c. Ukraine (no 48553/99, ECHR 2002-VII), dans lequel la Cour avait conclu qu’un système judiciaire marqué par une procédure permettant l’annulation répétée de jugements définitifs était en tant que tel incompatible avec le principe de la sécurité des rapports juridiques.

73.  En deuxième lieu, elle rappelle que, dans son arrêt Marckx, précité (ibid. § 58), la Cour avait déclaré que le principe de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire, dispensait l’Etat belge de remettre en cause les actes ou situations juridiques antérieures au prononcé de l’arrêt de la Cour. Il s’agissait là d’un obiter dictum en réponse à l’intérêt qu’avait manifesté le Gouvernement belge à connaître la portée dans le temps de l’arrêt de la Cour dans cette affaire.

74.  La Cour considère cependant que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante.

75.  En l’espèce, la Cour estime que la situation de M.H. n’était pas définitivement réglée, même si celui-ci avait accepté le montant de la garantie en juin 1998. La situation de M.H. n’est pas comparable à celle de l’affaire Brumărescu précitée, où un jugement définitif réglait une situation donnée et en dépit de cela, le procureur général avait la faculté d’attaquer devant la cour suprême un arrêt passé en force de chose jugée. Le versement par l’AGS des avances ne pouvait, en toute hypothèse et indépendamment du revirement de jurisprudence, priver M.H de son droit de saisir le conseil des prud’hommes pour contester le montant des sommes qui lui avaient été accordées. M.H a pu exercer ce droit après l’intervention du revirement de jurisprudence, dès lors que la procédure collective n’était pas close. Le nouvel état du droit introduit par le revirement du 15 décembre 1998, antérieur à la naissance du litige opposant M.H à l’Unédic quant à l’obtention du solde de sa créance salariale, était parfaitement connu des deux parties. M.H n’a fait que saisir les juridictions, comme il en avait la possibilité, à la suite d’un arrêt qui lui était favorable et qui lui permettait de revendiquer un complément d’indemnité de licenciement. Si la requérante perçoit comme une injustice le fait que les tribunaux  ont donné gain de cause à M.H, cette injustice est inhérente à tout changement de solution juridique. L’application de la solution retenue dans l’arrêt du 15 décembre 1998 au cas d’espèce a eu pour seule conséquence d’augmenter le montant de la garantie que l’A.G.S. avait dû avancer ; elle n’a pas remis en cause des droits qui auraient été définitivement acquis par celle-ci (Augusto c. France, no 71665/01, CEDH 2007‑... (extraits)).

76.  Quant aux conséquences financières qu’aurait emportées la décision de la Cour de cassation, elles sont par la force des choses limitées au cas de la requérante.

77.  En outre, la Cour relève que l’avocat général de la Cour de cassation a examiné, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 décembre 1998, l’équilibre des intérêts en jeu et estimé que les conséquences financières du revirement de jurisprudence seraient modérées. Plus précisément, il a souligné que la jurisprudence antérieure pouvait conduire à de graves inégalités entre salariés de la même entreprise en redressement judiciaire et qu’un renversement de jurisprudence, qui aurait nécessairement un effet rétroactif, provoquerait certes un alourdissement de la charge de l’AGS, mais qui serait contenu dans un cadre restreint.

78.  En conclusion, la Cour constate que la requérante n’a subi aucune entrave à l’un des droits garantis par l’article 6, que ce soit l’accès à un tribunal, la certitude quant à l’état du droit au moment où les juridictions internes ont statué, ou le caractère équitable de la procédure. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 décembre 2008, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Extraits similaires à la sélection
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE UNEDIC c. FRANCE, 18 décembre 2008, 20153/04