CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE TAXQUET c. BELGIQUE, 13 janvier 2009, 926/05

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Chronologie de l’affaire

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Conseil Constitutionnel · Conseil constitutionnel · 2 mars 2018

Commentaire Décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018 M. Ousmane K. et autres Question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale (Motivation de la peine dans les arrêts de cour d'assises) Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 décembre 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3356 du 13 décembre 2017) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Ousmane K. et autres relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 362 et 365-1 …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 13 janv. 2009, n° 926/05
Numéro(s) : 926/05
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : A.M. c. Italie, no 37019/97, § 25, CEDH 1999-IX
Askis et 106 autres c. Grèce, no 48229/99, 22 juin 2000
Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V
Budak et autres c. Turquie (déc.), no57345/00, 7 septembre 2004
Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, §§ 47, 49, série A no 238
Isgrò c. Italie, arrêt du 19 février 1991, § 34, série A no 194-A
Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, §§ 43-44, série A no 261-C
Garcia Ruiz c. Espagne, no 30544/96, [GC], § 26, arrêt du 21 janvier 1999, CEDH 1999-I
Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, §§ 50, 51, Recueil 1997-III
Van Mechelen c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil 1997-III
Bricmont c. Belgique, arrêt du 7 juillet 1989, § 89, série A no 158
Craxi c. Italie, no 34896/97, 5 décembre 2002
De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004
Deperrois c. France (déc.), no 48203/99, 22 juin 2000
Destrehem c. France, no 56651/00, 18 mai 2004
Doorson c. Pays-Bas du 26 mars 1996, § 69, Recueil 1996-II
Entreprises Robert Delbrassine S.A. et autres c. Belgique, no 49204/99, § 35, 1er juillet 2004
Erich Priebke c. Italie (déc.), no 48799/99, 5 avril 2001
Pesti et Frodl c. Autriche (déc.), nos 27618/95 et 27619/95, CEDH 2000-I
Garaudy c. France (déc.) no 65831/01, 24 juin 2003
Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003
Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, CEDH 1999-I, § 27
Goktepe c. Belgique, no 50372/99, 2 juin 2005
Helle c. Finlande du 19 décembre 1997, §§ 59-60, Recueil 1997-VIII
Higgins et autres c. France du 19 février 1998, § 42, Recueil 1998-I
Kostovski c. Pays-Bas du 20 novembre 1989, § 44, série A no 166
Loewenguth c. France (déc.), no 53183/99, CEDH 2000-VI
Ocalan c. Turquie, [GC], no 46221/99, ECHR 2005-IV
Papon c. France (déc.) no 54210/00, 15 novembre 2001
Ramos Ruiz c. Espagne (déc.), no 65892/01, 19 février 2002
Ruiz Torija et Hiro Balani c. Espagne du 9 décembre 1994, § 29 et § 27 respectivement, série A nos 303-A et 303-B
Samogyi c. Italie, no 67972/01, § 86, 18 mai 2004
Tahir Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004
Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, § 61, série A no 288
Windisch c. Autriche du 27 septembre 1990, § 30, série A no 186
Zarouali c. Belgique, no 20664/92, décision de la Commission du 29 juin 1994, DR 78, p. 97
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 6-1 et 6-3-d ; Préjudice moral - réparation ; Dommage matériel - demande rejetée
Identifiant HUDOC : 001-90517
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2009:0113JUD000092605
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TAXQUET c. BELGIQUE

(Requête no 926/05)

ARRÊT

STRASBOURG

13 janvier 2009

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 16/11/2010

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Taxquet c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Ireneu Cabral Barreto, président,
Françoise Tulkens,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 décembre 2008,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 926/05) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Richard Taxquet (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 décembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me L. Misson et Me J. Pierre, avocats à Liège. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Daniel Flore, Directeur général au Service public fédéral de la Justice.

3.  Le requérant alléguait en particulier une violation de l’article 6 § 1 et 6 § 3 d) de la Convention, en raison du défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’assises, de l’impossibilité d’interroger ou faire interroger le témoin anonyme et du refus de la cour d’assises d’entendre ou ré-entendre certains témoins.

4.  Le 10 décembre 2007, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs susmentionnés. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1957 et réside à Angleur.

6.  Le 17 octobre 2003, le requérant comparut (avec sept autres accusés) devant la cour d’assises de Liège afin d’être jugé du chef d’assassinat d’un ministre d’Etat, A.C., et de tentative d’assassinat de la compagne de ce dernier, M-H J., le 18 juillet 1991. Selon les termes mêmes de l’acte d’accusation, il leur était reproché d’avoir :

« 1. volontairement, avec intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [A.C.], avec la circonstance que le meurtre a été commis avec préméditation, crime qualifiée d’assassinat par la loi ;

2. tenté de, volontairement, avec l’intention de donner la mort et avec préméditation, commettre un homicide sur la personne de [M-H. J.], la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté des auteurs ; crime qualifié tentative d’assassinat par la loi. »

7.  De plus, aux pages 11-12, l’acte d’accusation précisait :

« Carlo T. accuse Richard Taxquet, P.D.M. et A.V.D.B. d’être les commanditaires de l’assassinat d’A.C. (...)

En avril 1991, Richard Taxquet lui a fait part d’une altercation qu’il avait eue avec A.C.. Celui-ci ayant dû découvrir certaines choses, avait dit à Richard Taxquet « qu’il l’aurait ».

Richard Taxquet confie aussi à son oncle que quelqu’un le menaçait de mort, ajoutant, « ce sera lui ou moi ». »

8.  Durant le mois de juin 1996, une personne, qualifiée par le requérant de témoin anonyme, avait transmis certains renseignement aux enquêteurs. Le procès-verbal du 3 septembre 1996 faisait état de la volonté de cet informateur de conserver l’anonymat qu’il motivait par la crainte pour sa sécurité « eu égard à l’importance de ses informations et au déchaînement médiatique qui a toujours entouré l’affaire C. ». Cette personne ne fut jamais entendue par le juge d’instruction. Elle avait donné aux enquêteurs des informations recueillies à l’occasion de confidences émanant d’une personne dont elle refusait de dévoiler l’identité. Au cours des débats devant la cour d’assises, les enquêteurs furent interrogés à l’initiative de plusieurs accusés quant à l’identité de cet informateur. Ceux-ci précisèrent que leur informateur n’était pas l’un des accusés et qu’il n’avait pas été lui-même témoin des faits reprochés. Selon les informations fournies, présentées sous forme de quinze points, l’assassinat d’A.C. aurait été organisé par six personnes, dont le requérant, ainsi qu’un autre personnage politique important. Le seul point incriminant le requérant indiquait ce qui suit :

« V.der B. et Taxquet auraient insisté particulièrement sur l’urgence d’abattre C. avant les vacances 91 parce qu’il promettait de faire des révélations importantes à la rentrée. »

9.  Le 7 janvier 2004, la cour d’assises condamna le requérant (ainsi que les autres accusés) à une peine d’emprisonnement de vingt ans.

10.  Le jury était appelé à répondre à trente-et-une questions soumises par le président de la cour d’assises. Quatre d’entre elles concernaient le requérant et étaient libellées comme suit :

« Question no 25 – FAIT PRINCIPAL

TAXQUET Richard, accusé ici présent, est-il coupable,

Comme auteur ou coauteur de l’infraction,

– soit pour avoir exécuté l’infraction ou avoir coopéré directement à son exécution,

– soit pour avoir, par un fait quelconque, prêté pour son exécution une aide telle que sans son assistance l’infraction n’eût pu être commise,

– soit pour avoir par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machination ou artifices coupables, directement provoqué à l’infraction,

– soit pour avoir soit par des discours tenus dans des réunions ou des lieux publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou des emblèmes quelconques affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public directement provoqué à commettre l’infraction,

D’avoir à Liège, le 18 juillet 1991, volontairement, avec l’intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [C.A.] ?

REPONSE : oui

Question no 26 – CIRCONSTANCE AGGRAVANTE :

L’homicide volontaire avec l’intention de donner la mort repris à la question précédente a-t-il été commis avec préméditation ?

REPONSE : oui

Question no 27 – FAIT PRINCIPAL

TAXQUET Richard, accusé ici présent, est-il coupable,

Comme auteur ou coauteur de l’infraction,

(...)

D’avoir à Liège, le 18 juillet 1991, volontairement, avec l’intention de donner la mort, tenté de commettre un homicide sur la personne de [J. M-H], la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur ?

REPONSE : oui

Question no 28 – CIRCONSTANCE AGGRAVANTE :

La tentative d’homicide volontaire avec l’intention de donner la mort reprise à la question précédente a-t-elle été commise avec préméditation ?

REPONSE : oui »

11.  De nombreux incidents ayant émaillé le procès, la cour d’assises prononça treize arrêts interlocutoires :

1) l’arrêt du 17 octobre 2003 constatant l’absence de certains accusés et prononçant le défaut à leur encontre ;

2) l’arrêt du 20 octobre sur les conclusions d’un co-accusé sur la problématique des cassettes d’une vidéo-conférence ;

3) l’arrêt du 27 octobre 2003 concernant l’audition des témoins hors la présence d’un co-accusé ;

4) l’arrêt du 18 décembre 2003 rendu sur les conclusions des parties civiles sur l’audition de certains témoins ;

5) l’arrêt du 3 novembre 2003 concernant l’audition à huis clos d’un témoin ;

6) l’arrêt du 6 novembre 2003 rabattant le défaut à charge d’un co-accusé ;

7) l’arrêt du 13 novembre 2003 refusant le huis clos suite à la demande formulée par le ministère public ;

8) l’arrêt du 19 novembre 2003 sur l’audition à huis clos de certains témoins ;

9) l’arrêt du 18 décembre 2003, rendu sur conclusions d’un co-accusé par lesquelles il s’opposait à la projection d’une vidéo-conférence ;

10) l’arrêt du 18 décembre 2003 rendu sur conclusion d’un co-accusé sur la problématique des témoins défaillants et des témoins à réentendre ;

11) l’arrêt du 18 décembre 2003 rendu sur les conclusions d’un co-accusé sur la problématique du témoin anonyme ;

12) l’arrêt du 18 décembre 2003 rendu sur les conclusions du requérant quant à la problématique de l’informateur anonyme ;

13) l’arrêt du 18 décembre 2003 rendu sur les conclusions du requérant quant à la problématique des témoins défaillants et des témoins à réentendre.

12.  Concernant la demande d’audition ou de ré-audition par un juge d’instruction de la personne ayant fourni, sous couvert d’anonymat, des renseignements consignés par deux sous-officiers de gendarmerie, la cour d’assises jugea ainsi :

« Attendu que ces renseignements obtenus sous couvert de l’anonymat par les membres de service de police sont dépourvus en tant que tels de toute valeur probante ; qu’ils ont ainsi, en l’espèce, simplement constitué des informations susceptibles de redynamiser ou réorienter l’enquête et de collecter des preuves régulières de manière autonome ;

Qu’entendus à l’audience en qualité de témoins, [les deux sous-officiers de gendarmerie] ont précisé que leur informateur n’était pas un des accusés et qu’il n’avait pas lui-même constaté l’un ou l’autre des faits qu’il décrit ; qu’il se borne à relater des renseignements qu’il dit avoir recueillis sur la base de confidences qu’il aurait reçues d’une personne dont il refuse de dévoiler l’identité ;

(...)

Attendu que, pour des enquêteurs, le procédé qui consiste à consigner dans un procès-verbal les renseignements qui leur ont été donnés par un informateur anonyme n’est, en soi, constitutif d’aucune atteinte aux droits de défense des personnes citées par ledit informateur ; qu’il s’agit uniquement, à ce stade, de faire apparaître, en vue de leur exploitation et leur vérification, des éléments susceptibles d’intéresser l’enquête et de contribuer à l’éclaircissement des faits ; qu’isolés de toute donnée objective qui viendrait, le cas échéant, les confirmer, ces éléments ne constituent pas une preuve des faits imputés aux personnes dont l’identité est mentionnée par l’informateur ;

(...)

Attendu qu’enfin (...) il ne peut être question d’une ré-audition dans la mesure où il ne ressort pas du dossier et des débats que [la personne qualifiée de témoin anonyme] a été entendue sous la foi du serment par un juge d’instruction ;

Qu’en ce qui concerne la demande d’audition de celle-ci, d’une part, la cour ignore son identité et, d’autre part, quelles que soient les considérations émises par les juridictions d’instruction à cet égard, elle n’apparaît pas utile à la manifestation de la vérité et retarderait inutilement les débats sans espérer plus de certitude dans les résultats. »

13.  Dans un autre arrêt interlocutoire de la même date, la cour d’assises se prononça ainsi concernant la demande du requérant tendant à obtenir une seconde audition de certains témoins :

« Attendu que les témoins S.N., J.M., L.L. et A.R. ont été entendus par la cour d’assises, que l’accusé Richard Taxquet et ses conseils ont eu l’occasion de leur poser toutes les questions qu’ils souhaitaient et de contredire librement tous les éléments apportés par le ministère public et les parties civiles ;

Qu’en tout état de cause, en l’état actuel, une nouvelle comparution de ces témoins n’est pas susceptible de contribuer à la manifestation de la vérité et tendrait à prolonger inutilement les débats sans donner lieu d’espérer plus de certitude dans les résultats ;

(...)

Attendu enfin que les auditions sollicitées du témoin E.G., cité mais ayant refusé de comparaître, et d’un nouveau témoin, F.R., ne sont pas davantage nécessaires à la manifestation de la vérité et tendraient à prolonger inutilement les débats sans donner lieu d’espérer plus de certitude dans les résultats, le jury disposant de tous les éléments propres à faire sa conviction. »

14.  Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de condamnation de la cour d’assises du 7 janvier 2004 et contre tous les arrêts interlocutoires prononcés par celle-ci.

15.  Par un arrêt du 16 juin 2004, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. La Cour de cassation jugea notamment que :

– la comparution tardive d’un co-accusé n’était pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense des demandeurs car ils avaient pu librement contredire tant les déclarations faites par cet accusé au cours de l’instruction préparatoire et rapportées à l’audience par les personnes qui les avaient reçues, que les déclarations faites directement par l’accusé devant le jury ;

– la cour d’assises avait à bon droit ordonné l’audition à huis clos des deux témoins par crainte que ceux-ci ne puissent s’exprimer librement si l’audience était publique, ce qui nuirait à une bonne administration de la justice ;

– en refusant comme étant de nature à retarder inutilement les débats, la projection du film de la confrontation, la cour d’assises n’a pas méconnu le principe du respect des droits de la défense et de l’oralité des débats car ce refus s’appuyait sur la circonstance que les protagonistes de la confrontation, ayant comparu à l’audience, avaient pu être directement confrontés aux accusés ;

– en ordonnant de poursuivre la procédure au motif que l’audition de certains témoins absents (et régulièrement appelés aux débats) n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité et en énonçant qu’une nouvelle comparution de certains autres témoins « tendrait à prolonger inutilement les débats sans donner lieu d’espérer plus de certitude dans les résultats », la cour d’assisses n’a pas violé l’article 6 de la Convention et le principe de l’oralité des débats ;

– la présomption d’innocence concernant avant tout l’attitude du juge appelé à connaître d’une accusation en matière pénale, les propos d’un enquêteur et les reportages de la presse, fussent-ils erronés, malveillants ou d’origine délictueuse, ne sauraient à eux seuls entacher le jugement de la cause d’une violation des articles 6 § 1 et 6 § 2 de la Convention ;

– de l’inexpérience prêtée à des jurés, de la rapidité de leur délibération, ou de l’absence de motivation de leur verdict, il ne saurait se déduire l’inaptitude du jury à statuer de manière impartiale dans une cause dont la presse s’est emparée ;

– le mode de désignation des jurés et le fait que ceux-ci forment leur déclaration sur la culpabilité sans en délibérer avec la cour ne signifie pas que la cour d’assises n’est pas un tribunal indépendant et impartial et établi par la loi au sens de l’article 6 § 1 de la Convention ni que la présomption d’innocence de l’accusé n’y puisse être légalement renversée ;

– ni l’article 6 ni l’article 13 de la Convention ne garantissent le droit à un double degré de juridiction ;

– les articles 6 § 1 et 6 § 3 b) de la Convention et 14 § 3 b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que l’article 149 de la Constitution, même lu en combinaison avec ces dispositions conventionnelles, n’imposent au jury aucune obligation de motiver ses réponses ;

– le moyen tiré de l’article 6 § 3 b) de la Convention (impossibilité de communiquer librement avec son avocat par suite de son incarcération à la veille de l’ouverture des débats) était irrecevable car il n’apparaissait pas des pièces du dossier que le requérant avait conclu devant la cour d’assises à la violation du droit de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

– les articles 10 et 11 de la Constitution, 6 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 14 de la Convention n’imposent ni la motivation de la déclaration de culpabilité, ni le double degré de juridiction, ni la comparution devant des juridictions composées exclusivement de magistrats permanents ; la souveraineté du jury populaire, au demeurant limité par les articles 351, 352, 364 et 364bis du code d’instruction criminelle, ne crée pas entre les accusés et les prévenus une inégalité de traitement arbitraire au sens de l’article 14 de la Convention.

16.  Quant au moyen selon lequel la condamnation des demandeurs reposerait, de manière déterminante ou adventice, sur les déclarations d’un informateur anonyme, la Cour de cassation précisa :

« Attendu qu’en tant qu’ils critiquent la considération d’après laquelle la cour d’assises ignorait l’identité de la personne dont l’audition fut demandée de sorte qu’elle ne pouvait la prescrire, les moyens, dirigés contre un motif surabondant, sont dénués d’intérêt ;

Qu’à cet égard, ils sont irrecevables ;

Attendu que, pour le surplus, la présence au dossier répressif d’un procès-verbal consignant des renseignements dont la source n’est pas identifiée n’oblige pas la juridiction de jugement, à peine de nullité ou d’irrecevabilité des poursuites, à faire identifier et entendre l’informateur selon la procédure prévue aux articles 189bis et 315bis du code d’instruction criminelle ; que ces dispositions laissent, en effet, au juge du fond la faculté de désigner un juge d’instruction à cette fin si ce devoir apparait utile à la manifestation de la vérité ;

Que les arrêts considèrent, par une appréciation de fait qu’il n’est pas au pouvoir de la Cour de censurer, que l’audition sollicitée retarderait inutilement les débats sans donner lieu d’espérer plus de certitude dans les résultats ;

Que les arrêts constatent également que les renseignements obtenus sous couvert de l’anonymat ne s’identifiaient pas aux éléments de preuve recueillis de manière régulière et autonome contre les accusés ;

Qu’il ne résulte pas de la réponse donnée par la cour d’assises aux conclusions des demandeurs que les juges du fond leur auraient contesté le droit de réfuter les éléments produits aux débats ;

Qu’à cet égard, les moyens ne peuvent être accueillis ;

Attendu que, pour le surplus, l’article 6 § 3 d) de la Convention (...) n’est pas méconnu du seul fait que le juge du fond a estimé ne pas devoir ou ne pas pouvoir ordonner une audition contradictoire de l’informateur anonyme dont les révélations ont permis d’orienter utilement les recherches ;

Qu’à cet égard, les moyens manquent en droit ; »

17.  Répondant à un autre moyen, la Cour de cassation releva :

« Attendu que le demandeur [un autre co-accusé] énonce qu’avant l’ouverture des débats, le président de la cour d’assises, agissant en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 298 du code d’instruction criminelle, avait « convoqué une série d’intervenants dont le dossier répressif établissait qu’ils avaient eu à traiter de la problématique du témoin anonyme » ; que le demandeur constate que la session s’est toutefois ouverte sans que ces personnes aient été entendues et en déduit que son procès ne fut pas équitable au sens de l’article 6 de la Convention (...) ;

Mais attendu que les devoirs d’instruction décrits par le demandeur pouvaient également être ordonnés après l’ouverture des débats, fût-ce selon une procédure différente, par le président de la cour d’assises agissant en vertu de son pouvoir discrétionnaire ;

Qu’il n’apparaît pas des pièces de la procédure que, devant la cour d’assises, le demandeur ait sollicité du président qu’il prescrive les auditions dont le moyen dénonce l’absence ;

Que, ne pouvant être invoqué pour la première fois devant la Cour, le moyen est irrecevable ; »

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1.  Les dispositions pertinentes du code judiciaire relatives à la procédure d’assises

18.  La cour d’assises comprend un président et deux assesseurs ; elle siège avec l’assistance du jury. Pour l’instruction et le jugement des actions civiles, elle siège sans l’assistance du jury (article 119). Pour être porté sur la liste des jurés, il faut être inscrit sur la liste des électeurs, jouir des droits civils et politiques, être âgé de trente ans accomplis et de moins de soixante ans et savoir lire et écrire (article 217). Les jurés sont tirés au sort dans la liste des personnes inscrites au registre des électeurs (article 218). La procédure de composition de la liste des jurés comprend plusieurs étapes.

19.  L’article 223 prescrit que le bourgmestre est tenu de procéder à une enquête à propos de chacun des électeurs inscrits sur la liste préparatoire, aux fins de déterminer si le juré sait lire et écrire, s’il est capable de suivre les débats de la cour d’assises dans la langue de la région, s’il exerce effectivement une profession et laquelle, s’il exerce une fonction publique, s’il est ministre d’un culte, s’il est un militaire en service actif, quels sont les diplômes qu’il a obtenus, s’il est ancien mandataire national, provincial ou municipal, s’il est membre d’un des conseils énumérés au no 9 de l’article et s’il existe pour lui des empêchements qui rendent impossible l’exercice des fonctions de juré. Les électeurs sont tenus de remplir avec exactitude le formulaire établi à cette fin.

20.  Quarante-huit heures au moins avant l’ouverture des débats, la liste des jurés est, à la diligence du ministère public, notifiée à chaque accusé et les documents de l’enquête prévue par l’article 223 qui concernent les jurés effectifs et les jurés de complément appelés à siéger, sont annexés au dossier répressif ; ils y demeurent jusqu’au moment où le jury de jugement est formé (article 241).

21.  Avant l’ouverture des débats de chaque affaire, au jour indiqué pour ceux-ci, les jurés sont appelés devant la cour d’assises en présence du procureur général et de l’accusé assisté de son conseil (article 242). Le président de la cour d’assises tire un à un de l’urne les noms des jurés. L’accusé en premier lieu, le procureur général ensuite peuvent récuser un nombre égal de jurés. Ni l’accusé ni le procureur général ne peuvent faire connaître leurs motifs de récusation (article 247). Le jury est formé à l’instant où il est sorti de l’urne douze noms de jurés non récusés. Ensuite, le président de la cour tire au sort les jurés suppléants (article 248). L’examen de l’affaire commencera immédiatement après la formation du jury (article 252).

2.  Les dispositions pertinentes du code d’instruction criminelle

22.  Le président s’adressant aux jurés debout, leur demande de prêter le serment suivant : "Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre (N.), de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ni la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre" (article 312). Chacun des jurés, appelé individuellement par le président, répondra, en levant la main, "Je le jure", à peine de nullité.

23.  Le président peut ordonner au greffier de lire l’arrêt de renvoi. Il fait distribuer à chaque juré une copie de l’acte d’accusation et, s’il en existe, de l’acte de défense. Le procureur général lit l’acte d’accusation et l’accusé ou son conseil l’acte de défense (article 313).

24.  Le témoin dont l’identité a été tenue secrète en application des articles 86bis et 86ter, ne peut pas être cité comme témoin à l’audience, à moins qu’il n’y consente. Le président fait la lecture de ce témoignage à l’audience et mentionne que les données d’identité du témoin ont été tenues secrètes en application des articles 86bis et 86ter. Si le témoin consent à témoigner à l’audience, il conserve son anonymat complet. Dans ce cas, le président prend les mesures nécessaires pour garantir l’anonymat du témoin. Le président peut ordonner au juge d’instruction, soit d’office, soit sur réquisition du ministère public, soit à la demande de l’accusé, de la partie civile ou de leurs conseils, de réentendre ce témoin ou d’entendre un nouveau témoin en application des articles 86bis et 86ter aux fins de manifestation de la vérité. Le président peut décider qu’il sera présent à l’audition du témoin par le juge d’instruction (article 315).

25.  Après les dépositions des témoins, la partie civile et le procureur général sont entendus. L’accusé peut leur répondre et la réplique est permise à la partie civile et au procureur général, mais l’accusé a toujours la parole en dernier. Ensuite le président déclare les débats terminés (article 335).

26.  Le président rappellera aux jurés les fonctions qu’ils auront à remplir. Par la suite, il leur posera les questions. La question résultant de l’acte d’accusation sera posée en ces termes : « L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre, tel vol, ou tel autre crime ? » (articles 336 et 337).

27.  Le président, après avoir posé les questions, les remettra aux jurés dans la personne du chef du jury; il leur remettra en même temps l’acte d’accusation, les procès-verbaux qui constatent le délit et les pièces du procès, autres que les déclarations écrites des témoins. Il avertira les jurés que si l’accusé est déclaré coupable du fait principal à la simple majorité, ils doivent en faire mention en tête de leur déclaration. (Le cas échéant, le président avertira les jurés que les témoignages qui ont été obtenus en application des articles 86bis et 86ter, ne peuvent être pris en considération comme preuve que pour autant qu’ils soient corroborés dans une mesure déterminante par d’autres moyens de preuve) (article 341).

28.  Les questions étant posées et remises aux jurés, ils se rendront dans leur chambre pour y délibérer. Leur chef sera le premier juré sorti par le sort, ou celui qui sera désigné par eux et du consentement de ce dernier. Avant de commencer la délibération, le chef des jurés leur fera lecture de l’instruction suivante, qui sera, en outre, affichée en gros caractères dans le lieu le plus apparent de leur chambre; « La loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus; elle ne leur prescrit point de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur dit point : « Vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel ou tel nombre de témoins »; elle ne leur dit pas non plus : « Vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve, qui ne sera pas formée de tel procès-verbal, de telles pièces, de tant de témoins ou de tant d’indices »; elle ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction ... » (article 342).

29.  Les jurés ne pourront sortir de leur chambre qu’après avoir formé leur déclaration (article 343).

30.  Lorsque les jurés déclarent l’accusé coupable, le procureur général fait réquisition pour l’application de la loi. L’accusé a la possibilité de se défendre, étant entendu qu’il ne peut plus contester les faits, mais seulement invoquer qu’un fait n’est pas défendu ou qualifié infraction par la loi ou qu’il ne mérite pas la peine dont le procureur a requis l’application (article 362).

31.  Le collège constitué par la cour et le jury délibère ensuite sur la peine à prononcer conformément à la loi pénale. Par la suite, la cour rend son arrêt (article 366).

EN DROIT

I.  SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

32.  Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de la requête faute pour le requérant d’avoir introduit sa requête dans les formes prescrites et dans le délai de six mois, à savoir avant le 16 décembre 2004.

33.  Le Gouvernement souligne qu’une requête, établie sur la base du formulaire de la Cour, a été signée, le 16 novembre 2005, par le requérant lui-même à la prison de Lantin. Cette requête a été enregistrée par la Cour, le 13 décembre 2005, soit presqu’une année après l’expiration du délai pour saisir la Cour. De plus, dans un courrier adressé, le 6 décembre 2005, au greffe de la cour d’appel de Liège, le requérant indiquait qu’il n’avait plus aucun contact avec ses conseils depuis treize mois, soit depuis le 6 novembre 2004. Tant ce courrier que la requête du 16 novembre 2005 laissent penser que « ses avocats » ne disposaient pas du mandat requis de la part du requérant. Qui plus est, n’étant pas signé, ce document serait dépourvu de toute valeur juridique et ne serait, par conséquent, pas de nature à saisir dûment la Cour.

34.  La Cour relève, avec le requérant, que les avocats de ce dernier ont envoyé, par fax du 16 décembre 2004 et lettre recommandée, parvenue au greffe le 3 janvier 2005, sur du papier à en-tête du cabinet d’avocats « Misson », un document par lequel ils indiquaient introduire au moyen de celui-ci une requête. Dans ce document, il était précisé que le requérant élisait domicile au cabinet de Me Misson. Ce premier document contenait un exposé des faits et des violations alléguées. Cette première communication a interrompu le délai de six mois (article 47 § 5 du règlement). Le 16 novembre 2005, le requérant a déposé le formulaire de requête auquel se trouvait annexée une copie, non signée, du premier document fourni au requérant par ses conseils pour information.

35.  La requête ayant été introduite le 14 décembre 2004 et la décision finale étant celle de la Cour de cassation du 16 juin 2004, la Cour ne saurait donc reprocher au requérant de ne pas avoir respecté les exigences de l’article 35 § 1 de la Convention et rejette alors l’exception dont il s’agit.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

36.  Le requérant prétend que son droit à un procès équitable n’a pas été respecté en l’espèce, compte tenu du fait que l’arrêt de la cour d’assises qui l’a condamné ne comportait pas de motifs et ne pouvait pas faire l’objet d’un recours devant un organe de pleine juridiction. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A.  Sur la recevabilité

37.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

38.  Le Gouvernement se prévaut de l’affaire Zarouali c. Belgique (requête no 20664/92, décision de la Commission du 29 juin 1994, DR 78, p. 97) pour affirmer la compatibilité du système criminel belge avec l’article 6 § 1 de la Convention. Les garanties procédurales évoquées dans cette décision permettent de palier à l’absence de motivation plus précise de la déclaration de culpabilité formulée par le jury. Le Gouvernement souligne que les principes dégagés dans cette affaire sont applicables mutatis mutandis au cas d’espèce. En effet, les quatre questions formulées à l’issue des débats par le président de la cour d’assises étaient suffisamment précises pour servir adéquatement de fondement à la décision de celle-ci. Les éléments constitutifs des infractions, les faits incriminés et les circonstances aggravantes étaient précisément relatés et décrits dans ces questions. Or ces questions n’ont, à aucun moment du procès, fait l’objet de critiques de la part du requérant. Enfin, la peine prononcée à l’encontre du requérant était motivée et cette motivation n’a fait non plus l’objet d’aucune critique.

39.  Le requérant soutient que son cas ne peut être assimilé à l’affaire Papon c. France ((déc.) no 54210/00, 15 novembre 2001), dans la mesure où ce dernier, seul à son procès, a reçu 768 réponses à 768 questions qui abordaient également les aspects factuels de son procès. Ces réponses permettaient de lui indiquer – compte tenu de l’intensité et de la précision de la démarche de président de la cour vis-à-vis du jury – pourquoi la justice reconnaissait sa culpabilité et lui infligeait une peine. Or, en l’espèce, il est évident que sa culpabilité n’a pas été motivée par la cour d’assises. Le requérant souligne que l’enquête dans la présente affaire s’est déroulée dans un climat passionné qui ne fut pas bénéfique au cours serein de la justice. De plus, il a toujours nié avoir participé à l’assassinat du ministre et aucune preuve établissant, sans discussion possible, sa culpabilité n’a pu être fournie. Les enquêteurs avaient pris en considération de simples indices dont il contestait la valeur probante et la pertinence. Mais il n’a reçu aucune réponse à ses arguments.

40.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (arrêts Ruiz Torija et Hiro Balani c. Espagne du 9 décembre 1994, § 29 et § 27 respectivement, série A nos 303-A et 303-B et Higgins et autres c. France du 19 février 1998, § 42, Recueil 1998-I). Si l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (arrêt Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, § 61, série A no 288). Ainsi, en rejetant un recours, la juridiction d’appel peut, en principe, se borner à faire siens les motifs de la décision entreprise (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Helle c. Finlande du 19 décembre 1997, §§ 59-60, Recueil 1997-VIII et Garcia Ruiz c. Espagne, no 30544/96, [GC], § 26, arrêt du 21 janvier 1999, CEDH 1999-I).

41.  L’exigence de motivation doit aussi s’accommoder de particularités de la procédure, notamment devant les cours d’assises où les jurés ne doivent pas motiver leur intime conviction.

42.  La Cour rappelle que dans les affaires Zarouali c. Belgique et Papon c. France précitées, la Commission et la Cour ont considéré que « si le jury n’a pu répondre par « oui » ou par « non » à chacune des questions posées par le président, ces questions formaient une trame sur laquelle s’est fondée sa décision », que « la précision de ces questions permet de compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury » et que « cette appréciation se trouve renforcée par le fait que la cour d’assises doit motiver le refus de déférer une question de l’accusation ou de la défense au jury ».

43.  Toutefois, depuis l’affaire Zarouali, une évolution se fait sentir tant sur le plan de la jurisprudence de la Cour que dans les législations des Etats Contractants. Dans sa jurisprudence, la Cour ne cesse d’affirmer que la motivation des décisions de justice est étroitement liée aux préoccupations du procès équitable car elle permet de préserver les droits de la défense. La motivation est indispensable à la qualité même de la justice et constitue un rempart contre l’arbitraire. Ainsi, certains Etats, à l’instar de la France, ont institué un double degré de juridiction pour les procès en assises ainsi que la mise en forme des raisons dans les décisions des juridictions d’assises.

44.  La Cour considère que si l’on peut admettre qu’une juridiction supérieure motive ses décisions de manière succincte, en se bornant à faire sienne la motivation retenue par le premier juge, il n’en va pas forcément de même pour une juridiction de première instance, statuant au plus au pénal.

45.  La Cour relève que l’arrêt de la cour d’assises repose sur trente-deux questions posées au jury dans le cadre du procès litigieux. Le requérant est visé par quatre d’entre elles que la Cour estime utile de rappeler :

« Question no 25 – FAIT PRINCIPAL

TAXQUET Richard, accusé ici présent, est-il coupable,

Comme auteur ou coauteur de l’infraction,

D’avoir à Liège, le 18 juillet 1991, volontairement, avec l’intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [C.A.] ?

Question no 26 – CIRCONSTANCE AGGRAVANTE :

L’homicide volontaire avec l’intention de donner la mort repris à la question précédente a-t-il été commis avec préméditation ?

Question no 27 – FAIT PRINCIPAL

TAXQUET Richard, accusé ici présent, est-il coupable,

Comme auteur ou coauteur de l’infraction,

D’avoir à Liège, le 18 juillet 1991, volontairement, avec l’intention de donner la mort, tenté de commettre un homicide sur la personne de [J. M-H], la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur ?

Question no 28 – CIRCONSTANCE AGGRAVANTE :

La tentative d’homicide volontaire avec l’intention de donner la mort reprise à la question précédente a-t-elle été commise avec préméditation ? »

46.  Le jury a répondu par l’affirmative à toutes les questions.

47.  La Cour note, de surcroît, que des questions identiques ont été posées au jury pour les huit inculpés, sans que celles-ci soient individualisées. A cet égard, certes s’agissant des circonstances aggravantes objectives, la Cour rappelle que dans l’affaire Goktepe c. Belgique (no 50372/99, 2 juin 2005), elle a conclu à une violation de l’article 6 en raison du refus de la cour d’assises de poser des questions individualisées sur l’existence de celles-ci privant ainsi le jury de la possibilité de déterminer individuellement la responsabilité pénale du requérant.

48.  Or, en l’espèce, la formulation des questions posées au jury était telle que le requérant était fondé à se plaindre qu’il ignorait les motifs pour lesquels il avait été répondu positivement à chacune de celles-ci, alors qu’il niait toute implication personnelle dans les faits reprochés. La Cour estime que ces réponses laconiques à des questions formulées de manière vague et générale ont pu donner au requérant l’impression d’une justice arbitraire et peu transparente. Sans au moins un résumé des principales raisons pour lesquelles la cour d’assises s’est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant, celui n’était pas à même de comprendre – et donc d’accepter – la décision de la juridiction. Cela revêt toute son importance en raison du fait que le jury ne tranche pas sur base du dossier mais sur base de ce qu’il a entendu à l’audience. Il est donc important, dans un souci d’expliquer le verdict à l’accusé mais aussi à l’opinion publique, au « peuple », au nom duquel la décision est rendue, de mettre en avant les considérations qui ont convaincu le jury de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé et d’indiquer les raisons concrètes pour lesquelles il a été répondu positivement ou négativement à chacune des questions.

49.  Dans ces conditions, la Cour de cassation n’a pas été en mesure d’exercer efficacement son contrôle et de déceler, par exemple, une insuffisance ou une contradiction des motifs.

50.  La Cour conclut qu’il y a eu violation du droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 3 d) DE LA CONVENTION

51.  Le requérant se plaint du fait qu’il n’a pu à aucun moment de la procédure interroger ou faire interroger le témoin anonyme, dont les déclarations ont été déterminantes pour aboutir à sa condamnation et, qu’en toute hypothèse, il était impossible de savoir si tel était le cas dès lors que le verdict de culpabilité rendu par les jurés n’était pas motivé. Le requérant se plaint aussi du refus de la cour d’assises d’entendre ou de ré-entendre certains témoins. Il invoque l’article 6 § 3 d) qui se lit ainsi :

« Tout accusé a droit notamment à :

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; »

A.  Le témoin anonyme

1.  Sur la recevabilité

52.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2.  Sur le fond

a.  Arguments des parties

53.  Le Gouvernement soutient que, contrairement à ce que le requérant prétend, les renseignements fournis par l’informateur anonyme n’ont pas été déterminants pour aboutir à sa condamnation. Il en va d’autant plus ainsi que la cour d’assises a conclu, dans son arrêt interlocutoire du 18 décembre 2003, que les renseignements délivrés par cet informateur ne pouvaient pas être considérés comme des éléments de preuve et n’étaient pas fiables car non corroborés par d’autres éléments. Il importe, à cet égard, de souligner que l’un des co-accusés avait incriminé directement le requérant.

54.  Le Gouvernement relève que le requérant ne précise pas l’identité des témoins dont il n’a pu obtenir la ré-audition mais présume qu’il fait allusion aux témoins dont il souhaitait obtenir une seconde audition d’après ses conclusions déposées à l’audience du 12 décembre 2003, à savoir S.N, J.M., L.L. et A.R. Or, ces témoins ont tous été entendus par la cour d’assises et le requérant et ses conseils ont pu leur poser toutes les questions qu’ils souhaitaient et contredire tous les éléments apportés par le ministère public et les parties civiles. Quant aux personnes ne figurant pas sur la liste des témoins soumise à la cour d’assises avant l’ouverture du procès et au témoin qui a refusé de comparaître, le Gouvernement souligne que la cour d’assises a jugé que l’audition de ces témoins tendrait à prolonger inutilement les débats et n’y apporterait rien. Il rappelle que l’article 6 § 3 d) laisse le soin, en principe, aux juridictions internes de décider quant à la nécessité de l’audition de témoins.

55.  Le requérant prétend que le problème du témoignage anonyme prend dans son cas une ampleur particulière car il est lié au grief précédent relatif à l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises. Pour pouvoir considérer qu’un témoignage est intervenu de manière déterminante pour fonder la culpabilité de quelqu’un, il faut connaître la motivation de la décision qui fait défaut en l’espèce. Si cette motivation était connue, les renseignements anonymes auraient peut-être pu être identifiés comme ayant été déterminants ou ayant fondé de manière unique sa culpabilité.

56.  Le requérant affirme ne pas avoir eu toutes les garanties utiles de ce que les jurés étaient intellectuellement capables de raisonner en termes déterminants ou non, même si des magistrats professionnels ont attiré leur attention antérieurement sur ce point. Selon le requérant, il aurait été possible de procéder de manière à protéger les droits de chacun : une audition de témoins masqués ou occultés dans le cadre d’une audience publique d’assises – ou lors d’une instruction – n’était pas irréalisable comme en témoigne l’affaire Van Mechelen c. Pays-Bas (arrêt du 23 avril 1997, Recueil 1997-III).

b.  Appréciation de la Cour

i  Principes généraux

57.  La Cour rappelle que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles de droit interne, et il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles. La mission confiée à la Cour par la Convention ne consiste pas à se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, précité, § 50, et De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004). Comme les exigences du paragraphe 3 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l’article 6, la Cour examinera la présente affaire sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, CEDH 1999-I, § 27).

58.  Les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l’accusé en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, les paragraphes 1 et 3 d) de l’article 6 commandent d’accorder à l’accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d’en interroger l’auteur, au moment de la déposition ou plus tard (voir Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, § 49, série A no 238 et Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, § 51, Recueil 1997-III). Comme la Cour l’a précisé à plusieurs reprises (voir, entre autres, Isgrò c. Italie, arrêt du 19 février 1991, § 34, série A no 194-A, et Lüdi précité, § 47), dans certaines circonstances il peut s’avérer nécessaire, pour les autorités judiciaires, d’avoir recours à des dépositions remontant à la phase de l’instruction préparatoire. Si l’accusé a eu une occasion adéquate et suffisante de contester pareilles dépositions, au moment où elles sont faites ou plus tard, leur utilisation ne se heurte pas en soi à l’article 6 §§ 1 et 3 d). Il s’ensuit, cependant, que les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l’article 6 lorsqu’une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur des dépositions faites par une personne que l’accusé n’a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l’instruction ni pendant les débats (voir A.M. c. Italie, no 37019/97, § 25, CEDH 1999-IX et Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, §§ 43-44, série A no 261-C).

59.  Il en va d’autant plus en cas des dépositions faits par de témoins anonymes. Si la Convention n’empêche pas de s’appuyer, au stade de l’instruction préparatoire, sur des sources telles que des indicateurs occultes, l’emploi ultérieur de leurs déclarations par la juridiction de jugement pour asseoir une condamnation peut soulever des problèmes au regard de la Convention (voir les arrêts Kostovski c. Pays-Bas du 20 novembre 1989, § 44, série A no 166, Windisch c. Autriche du 27 septembre 1990, § 30, série A no 186 et Doorson c. Pays-Bas du 26 mars 1996, § 69, Recueil 1996–II).

60.  La Cour rappelle également que l’article 6 § 3 d) de la Convention laisse aux juridictions internes, toujours en principe, le soin de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins. Cet article n’exige pas la convocation et l’interrogation de tout témoin à décharge : ainsi que l’indiquent les mots « dans les mêmes conditions », il a pour but essentiel une complète égalité des armes en la matière. La notion d’« égalité des armes » n’épuise pourtant pas le contenu du paragraphe 3 d) de l’article 6, pas plus que du paragraphe 1 dont cet alinéa représente une application parmi beaucoup d’autres. En effet, il ne suffit pas de démontrer que « l’accusé » n’a pas pu interroger un certain témoin à décharge. Encore faut-il que l’intéressé rende vraisemblable que la convocation dudit témoin était nécessaire à la recherche de la vérité et que le refus de l’interroger a causé un préjudice aux droits de la défense (voir, parmi d’autres, Erich Priebke c. Italie (déc.), no 48799/99, 5 avril 2001). Ainsi, seules des circonstances exceptionnelles peuvent conduire la Cour à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la non-audition d’une personne comme témoin » (voir Bricmont c. Belgique, arrêt du 7 juillet 1989, § 89, série A no 158 et Destrehem c. France, no 56651/00, 18 mai 2004).

ii  Application des principes en l’espèce

61.  La Cour souligne d’emblée qu’elle est appelée à appliquer les principes susmentionnés dans le cadre particulier de la procédure telle qu’elle s’est déroulée devant la cour d’assises.

62.  Concernant la partie du grief se rapportant au témoin anonyme, la Cour rappelle que le requérant estime avoir été condamné dans une mesure déterminante sur la base des déclarations de ce témoin, qu’il n’a pu, à aucun stade de la procédure, ni interroger ni faire interroger. Le Gouvernement affirme que ces déclarations ne constituaient pas un élément de preuve devant la cour d’assises.

63.  La Cour relève d’abord que le requérant, dans le cadre de sa défense, a sollicité l’audition par un juge d’instruction du témoin anonyme qui avait fourni des renseignements consignés par deux sous-officiers de gendarmerie. Ces renseignements, qui portaient sur l’organisation de l’assassinat d’A.C. et se présentaient sous la forme de quinze points, ne visaient le requérant que dans un seul point où son nom figurait parmi ceux d’autres personnes dénoncées comme organisateurs de l’assassinat. Il ressort de l’arrêt interlocutoire du 18 décembre 2003 que ce témoin, dont l’identité n’était pas connue de la cour d’assises, n’avait pas été entendu par un juge d’instruction et que les informations qu’il a fournies n’avaient servi qu’à « redynamiser ou réorienter l’enquête et collecter des preuves régulières de manière autonome ».

64.  La Cour note en outre que pour conserver son anonymat, le témoin s’est prévalu de l’importance de ses informations et de l’impact médiatique de l’affaire. A cet égard, l’ordre juridique belge permet aux officiers de police judiciaire de refuser de divulguer l’identité d’un indicateur en vue de la protection de celui-ci. Toutefois, la Cour estime souhaitable que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, les déclarations anonymes soient examinées par un juge qui connaisse l’identité du témoin, qui contrôle les raisons justifiant l’anonymat et qui puisse exprimer son avis quant à la crédibilité du témoin, afin de déceler d’éventuels liens d’inimitié avec la personne poursuivie.

65.  Le fait que les jurés, qui ne sont pas des juges professionnels, se fondent sur leur intime conviction et le fait que leur décision n’a pas à être motivée a pour effet de permettre à ceux-ci de ne pas être tributaires d’une hiérarchie dans les modes de preuve qu’ils prennent en considération. En revanche, ces spécificités procédurales ne permettent pas non plus de vérifier si la condamnation se fonde, dans une mesure importante sur d’autres preuves, non obtenues de sources anonymes.

66.  Or, en l’espèce, il ne ressort pas du dossier si la condamnation du requérant, qui a toujours nié les faits reprochés, s’est fondée sur des éléments de preuve objectifs ou encore sur la seule information fournie par le témoin anonyme ou sur la simple déclaration d’un des co-inculpés incriminant le requérant, telle que formulée dans l’acte d’accusation. Le Gouvernement soutient que l’enquête avait révélé qu’une partie des renseignements donnés par le témoin anonyme était dépourvue de toute pertinence. Toutefois, il n’avance pas d’éléments de nature à démontrer que le constat de culpabilité du requérant était fondé sur d’autres preuves matérielles, sur des faisceaux d’indices résultant d’autres auditions ou sur d’autres faits non contestés.

67.  N’ayant pu interroger ou faire interroger le témoin anonyme à aucun stade de la procédure et compte tenu de l’absence de contrôle de la fiabilité de ce témoignage par un juge d’instruction, les craintes du requérant, quant à l’utilisation faite des déclarations du témoin, peuvent être considérées comme justifiées.

68.  Dans ces conditions, la Cour estime que la procédure devant la cour d’assises en l’espèce, considérée dans sa globalité et sa particularité, a été préjudiciable à l’exercice des droits de la défense du requérant. Ce dernier n’a donc pas bénéficié d’un procès équitable.

69.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention en ce que le requérant n’a pu à aucun moment de la procédure interroger ou faire interroger le témoin anonyme, dont les déclarations on été déterminantes pour aboutir à la condamnation.

B.  Les autres témoins

70.  Quant à l’audition ou la ré-audition de certains autres témoins mentionnés par le requérant, la Cour relève que celui-ci n’indique, en aucune manière, en quoi la comparution de ces témoins aurait contribué, si elle avait été autorisée, à apporter des éléments nouveaux et pertinents pour sa défense et à changer le verdict prononcé contre lui par la cour d’assises. Il s’ensuit que cette partie du grief doit être déclarée irrecevable comme étant manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

A.  Qualité du « tribunal »

71.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, le requérant se plaint qu’il n’a pas été jugé par un « tribunal » au sens de l’article 6 § 1, car les douze personnes, âgées de trente à soixante ans, qui composent le jury de la cour d’assises, qui n’ont aucune connaissance juridique et qui sont choisis par tirage dans une liste électorale n’est pas une garantie suffisante quant à la composition d’un « tribunal », et que sa culpabilité n’a pas été « légalement établie » car les jurés délibèrent seuls hors la présence d’un magistrat ou d’un juriste conseiller.

72.  La Cour note que ce grief est similaire à celui que la Commission a eu à connaitre dans l’affaire Zarouali c. Belgique précitée. La Commission a relevé ce qui suit :

« La Commission note que la cour d’assises comprend un président et deux assesseurs et qu’au pénal elle siège avec l’assistance du jury (article 119 du Code judiciaire). Le jury s’exprimant sur la culpabilité de l’accusé, la peine est fixée à l’issue d’une délibération du collège constitué par la cour et le jury.

La Commission rappelle qu’un tribunal, au sens de l’article 6 (art. 6) de la Convention, ne doit pas nécessairement être composé uniquement de juges de carrière ou de juristes (notamment No 4622/70, déc. 22.3.72, Recueil 1).

La Commission rappelle que "pour établir si un organe peut passer pour ‘indépendant’, il échet de prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance. (...)

La Commission observe ensuite qu’exception faite de la constatation que les jurés ne sont pas des magistrats de carrière, le requérant n’apporte aucun autre élément concret et précis justifiant ses raisons légitimes de redouter chez les jurés un manque d’indépendance et d’impartialité.

Rappelant que "les trois magistrats que comprennent les cours d’assises belges jouissent, en vertu de la Constitution (articles 99 et 100) et des lois, de larges garanties destinées à les prémunir contre les pressions extérieures, but dont procèdent aussi certaines des règles strictes auxquelles obéit la désignation des jurés", la Commission estime que le requérant "ne saurait légitimement prétendre avoir été jugé par un tribunal qui ne remplissait pas l’exigence de l’impartialité" (Cour eur. D.H., arrêt Piersack du 1 octobre 1982, série A, no 53, p. 2, par. 27).

Considérant que la constitution du jury se fait par tirage au sort, qu’avant que le procès ne débute chacune des parties a l’occasion de récuser un nombre égal de jurés, qu’en l’espèce chaque juré s’est engagé par serment à s’acquitter de ses tâches au mieux de ses capacités et en toute impartialité, que le requérant avait la possibilité d’introduire une requête en dessaisissement du chef de suspicion légitime et à défaut d’arguments suffisamment étayés invoqués à l’appui de l’allégation concernant le manque d’impartialité du jury, la Commission estime qu’en l’espèce, cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, par application de l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. »

73.  La Cour considère que la présente affaire ne présente pas d’éléments susceptibles de la distinguer de l’espèce Zarouali.

74.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B.  Impartialité

75.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, le requérant allègue un manque d’impartialité de la cour d’assise en raison de la médiatisation à outrance de l’affaire qui a défrayé la chronique pendant plus de douze ans et en raison du fait que la cour d’assises a refusé la reprise des débats ab initio lorsqu’un co-accusé, qui faisait défaut à l’ouverture de l’audience, a été intégré en cours des débats.

76.  La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question, notamment dans les affaires Craxi c. Italie (no 34896/97, 5 décembre 2002), Garaudy c. France ((déc.) no 65831/01, 24 juin 2003 et Papon précitée. La Cour avait considéré qu’une campagne de presse virulente était dans certains cas susceptible de nuire à l’équité du procès, en influençant l’opinion publique et, par là même, les jurés appelés à se prononcer sur la culpabilité d’un accusé.

77.  Toutefois, la Cour note qu’en l’espèce, le requérant ne démontre pas qu’il y a eu contre lui personnellement une campagne médiatique d’une virulence telle qu’elle aurait influencé l’issue du délibéré de la cour d’assises à son encontre. Il se plaint en fait du rôle de la presse qui aurait interrogé de nombreux témoins, publié leurs déclarations et divulgué des informations directement issues du dossier de l’instruction, arguments soumis aussi à la Cour de cassation qui a considéré que « les reportages de la presse, fussent-ils erronés, malveillants ou d’origine délictueuse, ne sauraient à eux seuls entacher le jugement de la cause d’une violation des articles 6 § 1 et 6 § 2 de la Convention ».

78.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C.  Communication avec l’avocat

79.  Invoquant l’article 6 § 3 b) de la Convention, le requérant allègue qu’il n’a pas eu l’occasion adéquate de communiquer librement avec son conseil dès lors qu’il a été incarcéré à la veille de l’audience de la cour d’assises et que l’utilisation matérielle du dossier répressif (composé de plusieurs centaines de milliers de pages, mises sur CD-ROM) lors des visites de son conseil à l’établissement pénitentiaire lui a été refusée.

80.  La Cour rappelle que les voies de recours internes ne sont pas épuisées lorsqu’un recours est rejeté par suite d’une informalité commise par l’auteur du recours (voir, parmi beaucoup d’autres, Askis et 106 autres c. Grèce, no 48229/99, 22 juin 2000). Or, en l’espèce, elle note que la Cour de cassation a rejeté ce moyen invoqué devant elle au motif que le requérant ne l’avait pas soulevé devant la cour d’assises.

81.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

D.  Recours effectif

82.  Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, le requérant se plaint que l’arrêt de la cour d’assises n’est susceptible de recours que devant la Cour de cassation qui ne connaît pas du fond des affaires.

83.  La Cour rappelle que ces articles ne garantissent aucun droit à un double degré de juridiction et, de surcroît, la Belgique n’est pas partie au Protocole no 7. La Cour a, du reste, à plusieurs reprises, affirmé que le fait que le réexamen auquel procède une juridiction suprême soit limité aux questions de droit, n’est pas contraire à l’article 6 § 1 (mutatis mutandis, Loewenguth c. France (déc.), no 53183/99, CEDH 2000-VI, Pesti et Frodl c. Autriche (déc.), nos 27618/95 et 27619/95, CEDH 2000-I, Deperrois c. France (déc.), no 48203/99, 22 juin 2000, et Ramos Ruiz c. Espagne (déc.), no 65892/01, 19 février 2002).

84.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

E.  Distinction de traitement

85.  Invoquant les articles 6 § 1 et 14 de la Convention, le requérant allègue que la différence de traitement de l’accusé devant la cour d’assises par rapport à l’accusé devant une juridiction pénale ordinaire, en ce qui concerne les possibilités d’appel, ne revêt pas un caractère objectif et raisonnable dès lors que le premier se trouve dans une situation juridique plus complexe où on lui reproche des infractions plus graves.

86.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 14 complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, et produit donc un effet uniquement quand il est combiné à « la jouissance des droits et libertés » garantis par les autres articles. Certes, l’article 14 peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses.

87.  La Cour note que le grief du requérant sous l’angle de l’article 14 concerne les modalités et le déroulement de la procédure devant la cour d’assises et la composition de celle-ci. Elle constate que, dans la présente affaire, la distinction s’opère, non pas entre différents groupes de personnes, mais sur la base du type de l’infraction et de la gravité que lui a attribué le législateur (voir, mutatis mutandis, Budak et autres c. Turquie (déc.), no57345/00, 7 septembre 2004). La Cour ne considère pas qu’il s’agit là d’une pratique qui constituerait une forme de discrimination contraire à la Convention. Il convient donc de rejeter cette partie de la requête conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

88.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

89.  Le requérant réclame 150 000 euros (EUR) pour préjudice matériel, somme qu’il aurait pu gagner en continuant à travailler durant les cinq années d’emprisonnement à raison de 2 500 EUR par mois. Il demande aussi 100 000 EUR pour préjudice moral pour l’anéantissement de son honneur et de sa réputation.

90.  Le Gouvernement soutient que le requérant manque de démontrer le lien de causalité nécessaire entre la violation dénoncée et le préjudice matériel allégué. Quant au dommage moral, le montant lui paraît excessif.

91.  La Cour estime que la base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que le requérant n’a pu jouir d’un procès équitable en raison du défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’assises et de la non-audition d’un témoin anonyme. Elle ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue du procès si le requérant avait pu bénéficier des garanties de l’article 6 de la Convention. Elle rejette donc la prétention au titre du dommage matériel. En revanche, même s’il est difficile de l’évaluer, le requérant a incontestablement subi un tort moral en raison de ce manquement. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour lui alloue donc la somme de 4 000 EUR.

92.  Enfin, la Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas de violation de l’article 6 § 1 de la Convention, il faut placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition. La Cour rappelle que, lorsqu’elle conclut que la condamnation d’un requérant a été prononcée en violation d’une des garanties du procès équitable, le redressement le plus approprié serait en principe de faire rejuger l’intéressé ou de rouvrir la procédure en temps utile et dans le respect des exigences de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 ; Tahir Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004 ; Samogyi c. Italie, no 67972/01, § 86, 18 mai 2004 et Ocalan c. Turquie, [GC], no 46221/99, ECHR 2005-IV).

B.  Frais et dépens

93.  Pour frais et dépens devant la Cour, il réclame 8 173,22 EUR.

94.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

95.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Entreprises Robert Delbrassine S.A. et autres c. Belgique, no 49204/99, § 35, 1er juillet 2004, et Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V). En l’espèce et compte tenu des documents déposés par le requérant et des critères susmentionnés, la Cour estime le montant réclamé raisonnable et l’accorde en entier.

C.  Intérêts moratoires

96.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 (défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’assises) et 6 § 3 d) de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation du droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, en raison du défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’assises ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, en raison de la non-audition du témoin anonyme ;

4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral;

ii.  8 173,22 EUR (huit mille cent soixante-treize euros et vingt-deux cents), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 janvier 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Sally DolléIreneu Cabral Barreto
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. CODE PENAL
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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE TAXQUET c. BELGIQUE, 13 janvier 2009, 926/05