CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE VERITER c. FRANCE, 14 octobre 2010, 31508/07

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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Lexbase · 4 janvier 2011

CEDH · 14 octobre 2010

Communiqué de presse sur les affaires 65631/01, 31508/07, 4260/04, 24271/03, 45196/04, 10111/06, 38717/04, 16474/03, 23759/03, 37943/06, …

 

CEDH · 4 octobre 2010

Communiqué de presse sur les affaires 184/06, 21978/02, 476/07, 35836/05, 30767/05, 33800/06, 24397/03, 15685/07, 29608/05, 36239/05, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 14 oct. 2010, n° 31508/07
Numéro(s) : 31508/07
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Amuur c. France, 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III
Broca et Texier-Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, 21 octobre 2003
Vaney c. France, no 53946/00, arrêt du 30 novembre 2004
Frydlender c. France [GC], no 30979/96, CEDH 2000-VII
Sartory c. France, no 40589/07, 24 septembre 2009
Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003-IV
Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, CEDH 2006-VII
X c. France, 31 mars 1992, série A no 234-C
Références à des textes internationaux :
Article 48 §§ 1 et 2 (devenu l’article 39) du Traité instituant la Communauté européenne
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Non-violation de l’art. 6-1
Identifiant HUDOC : 001-101035
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:1014JUD003150807
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE VERITER c. FRANCE

(Requête no 31508/07)

ARRÊT

STRASBOURG

14 octobre 2010

DÉFINITIF

14/01/2011

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Veriter c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ganna Yudkivska, juges,
Gilbert Guillaume, juge ad hoc,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 septembre 2010,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 31508/07) dirigée contre la République française et dont un ressortissant français et belge, M. Bernard Veriter (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 juillet 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le 15 octobre 2008, le requérant a été autorisé à assumer lui-même la défense de ses intérêts devant la Cour. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  A la suite du déport de M. Jean-Paul Costa, juge élu au titre de la France, le Gouvernement a désigné M. Gilbert Guillaume pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

4.  Le requérant allègue que la durée des procédures devant les juridictions administratives a dépassé le délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

5.  Le 25 septembre 2008, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de la durée des procédures au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

6.  Le gouvernement belge ne s'est pas prévalu de son droit d'intervenir dans la procédure, dont il a été informé par lettre du 1er octobre 2008.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7.  Le requérant est né en 1946 et réside à Champigneulles. Il a la double nationalité française et belge.

8.  Il effectua son service national dans les forces armées belges du 2 octobre 1967 au 31 octobre 1968.

9. Après avoir obtenu la nationalité française en raison de son mariage, il entra dans la fonction publique française et obtint successivement les grades d'attaché, puis d'attaché principal de préfecture.

10.  Se prévalant des dispositions de l'article 48 du Traité instituant la Communauté européenne[1] (numéroté sous l'article 39 par le traité d'Amsterdam) relatives à l'égalité de traitement des salariés quelle que soit leur nationalité, ainsi que du droit communautaire dérivé (en particulier le règlement no 1412/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté), le requérant demanda à plusieurs reprises, en vain, la prise en compte de la période de service militaire qu'il avait effectuée dans l'armée belge pour ses droits à l'avancement à l'ancienneté et ses droits à pension.

11.  Il engagea successivement deux procédures devant les juridictions administratives et saisit parallèlement la Commission des Communautés européennes.

A.  Les procédures relatives à la prise en compte de la période de service militaire du requérant dans l'armée belge

1.  La première procédure

12.  Le 11 juillet 1988, le requérant demanda au ministre de l'Intérieur la prise en compte de sa période de service militaire dans l'armée belge pour ses droits à l'avancement à l'ancienneté et ses droits à pension.

13.  Le 8 novembre 1988, il saisit le tribunal administratif de Strasbourg d'une requête en annulation de la décision implicite de refus du ministre. Le ministre produisit le 7 juillet 1989 un mémoire en défense auquel le requérant répliqua le 20 juillet 1989. Il adressa des pièces complémentaires le 6 mai 1991.

14.  Le 13 mai 1991, il présenta au tribunal une demande de sursis à l'exécution de la décision du ministre. Celui-ci déposa un mémoire le 11 juin 1991.

15.  L'audience eut lieu le 13 juin 1991. Par jugement du 5 septembre 1991, le tribunal administratif rejeta la requête, aux motifs que les règlements communautaires invoqués par le requérant ne concernaient que les ressortissants d'un Etat membre travaillant dans un autre Etat membre et que le droit applicable (article L. 63 du code du service national) ne permettait pas de prendre en compte les services accomplis dans l'armée belge.

16.  Le 23 septembre 1991, le requérant fit appel du jugement devant le Conseil d'Etat ; il déposa des pièces complémentaires les 14 octobre et 6 novembre 1991. Les ministres de l'Intérieur, des Affaires étrangères et de la Défense déposèrent leurs mémoires en défense respectivement les 12, 20 et 26 mars 1992. Le requérant produisit deux mémoires en réplique les 3 et 8 avril 1992 et déposa de nouvelles pièces le 3 août 1992.

17.  Par lettre du 7 juin 1993, le président de 10e sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat informa le requérant que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité de la requête, au motif que la décision attaquée ne constituerait pas un acte faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir, et qu'il disposait d'un délai de quinze jours pour présenter d'éventuelles observations. Le requérant n'a pas précisé s'il avait déposé de telles observations.

18.  L'audience eut lieu le 18 mai 1994. Par arrêt du 15 juin 1994, le Conseil d'Etat rejeta le recours du requérant, au motif que sa demande adressée au ministre de l'Intérieur n'indiquait pas quelle décision précise il entendait contester ou obtenir et que, dès lors, le silence gardé par le ministre n'avait pu faire naître une décision lui faisant grief.

2.  La plainte auprès de la Commission des Communautés européennes

19.  Parallèlement, le requérant avait saisi la Commission des Communautés européennes (ci-après la Commission) d'une plainte relative à sa situation.

20.  Par lettre du 18 novembre 1991, la Commission adressa au gouvernement français une demande d'information, dans laquelle elle estimait que le refus de validation du service militaire accompli par le requérant rompait manifestement l'égalité de traitement devant exister entre les travailleurs des différents Etats membres. La Commission précisait que, dans l'hypothèse où le requérant ne pourrait pas se prévaloir de la nationalité belge, la réponse donnée à sa demande par le tribunal administratif de Strasbourg était à tout le moins incomplète et qu'il serait contraire à l'esprit de l'article 48 du traité CE de priver le ressortissant d'un Etat membre ayant acquis la nationalité de l'Etat membre d'accueil après avoir exercé son droit à la libre circulation des droits fondamentaux garantis par cet article. La Commission citait notamment l'arrêt Ugliola rendu le 15 octobre 1969 par la Cour de Justice des Communautés européennes (Aff. 15/69, Rec. 1969, 363)

21.  Dans leur réponse du 19 février 1992, les autorités françaises (services du Premier ministre) indiquèrent avoir considéré avec attention l'arrêt Ugliola, et avoir conscience que, dans le cadre de l'ouverture de certains secteurs de la fonction publique française aux ressortissants communautaires, l'administration serait conduite à prendre en considération les règles relatives à la libre circulation des travailleurs. Elles admirent la nécessité de modifier les dispositions du droit national de façon à pouvoir prendre en compte, dans l'ancienneté des fonctionnaires ressortissants d'un autre Etat membre de la communauté, la période de service national obligatoire accomplie dans leur pays d'origine ; elles précisèrent que la réflexion engagée sur ce point par le gouvernement français devrait permettre de donner satisfaction au requérant.

22.  Cette modification fut mise en œuvre par la loi no 96-1093 du 16 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire. Désormais, le nouvel article 5 ter de la loi no 83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires prévoit que le temps de service militaire accompli dans un autre Etat membre « est retenu pour le calcul de l'ancienneté de service exigé pour l'avancement dans les fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ».

3.  La seconde procédure

23.  Le 15 janvier 1997, le requérant, se prévalant de ces nouvelles dispositions législatives, demanda une reconstitution de carrière prenant en compte sa période de service militaire dans l'armée belge. Par décision du 20 mai 1997, le ministre de l'Intérieur refusa d'y faire droit, au motif que le requérant ne pouvait se prévaloir d'une loi qui n'était pas en vigueur au moment de son recrutement.

24.  Le 16 juillet 1997, le requérant saisit le tribunal administratif de Strasbourg d'un recours en annulation de cette décision. Le ministre produisit le 6 août 1997 un mémoire en défense ; le requérant y répliqua le 28 août suivant et déposa des pièces complémentaires le 13 octobre 1997.

Le requérant a communiqué une note juridique relative à ce recours, adressée à une date non précisée par la direction de l'administration du ministère de l'Intérieur au bureau du contentieux de la fonction publique de ce même ministère. Cette note précisait que, si la position de l'administration se justifiait au regard du droit interne, puisque la loi du 16 décembre 1996 précitée n'était pas rétroactive, elle soulevait des doutes au regard du droit communautaire. La note posait le problème de l'éventuelle application du droit communautaire aux emplois de la fonction publique française relevant de l'exception de l'article 48 § 4 du traité CEE et soulignait qu'en vertu de l'interprétation donnée par la Cour de Justice des Communautés européennes de cette disposition, les emplois du cadre national des préfectures (auquel appartient le requérant) étaient fermés aux ressortissants de la Communauté européenne. La note se concluait ainsi :

« M. Veriter peut-il arguer de sa qualité de ressortissant d'un autre Etat membre pour obtenir des droits dans une situation qui n'a pu lui être ouverte qu'au titre de la nationalité française, et qui lui aurait été fermée en tant que ressortissant d'un autre Etat membre ? Les emplois du C.N.P. [cadre national des préfectures] ne pouvant être ouverts qu'à des français, aucun élément d'extranéité ne devrait pouvoir y être considéré.

Mais l'intéressé est-il recevable, du fait de sa double nationalité, à invoquer l'application du droit communautaire ? Il ne semble pas exister à ce jour, sur ce point, de jurisprudence de la CJCE. Compte tenu de ces éléments, je vous laisse juge de défendre l'administration au mieux de ses intérêts. »

25.  Par lettre du 20 février 1998, le ministre de l'Intérieur informa le président du tribunal administratif qu'après un nouvel examen de l'affaire, il avait été décidé de faire droit à la demande du requérant, dont la requête était ainsi devenue sans objet. Le ministre demandait en conséquence au tribunal de dire qu'il n'y avait plus lieu à statuer. A cette lettre était jointe une note du 19 février 1998 adressée par ses services à ceux du premier ministre, indiquant que le requérant pouvait effectivement bénéficier des prescriptions de l'article 48 de la loi du 16 décembre 1996 précitée et que sa situation administrative serait régularisée en conséquence, après avis du contrôleur financier, et interviendrait au moment de sa prochaine promotion.

26.  Le 2 septembre 1998, le requérant demanda au président du tribunal administratif la fixation d'une date d'audience, en soulignant que le ministre n'avait plus produit de conclusions depuis son mémoire du 20 février 1998. Il déposa des pièces complémentaires le 18 octobre 1998.

27.  Le 23 mars 2001, le ministre transmit au président du tribunal administratif un arrêté du 16 mars 2001 selon lequel les treize mois de service militaire du requérant étaient reconnus au titre de l'ancienneté lors de sa promotion au sixième échelon du corps des attachés principaux de préfecture le 11 décembre 2000. Le ministre demandait en conséquence au tribunal de dire qu'il n'y avait plus lieu à statuer.

Le 27 mars 2001, le ministre déposa un nouveau mémoire, auquel le requérant répondit le 2 avril suivant.

28.  L'audience devant le tribunal administratif se tint le 22 juin 2001 et le jugement fut rendu le 6 juillet 2001. Le tribunal considéra en premier lieu que le recours conservait son objet, dans la mesure où la période de service militaire du requérant n'avait été prise en compte que pour l'intervention de la prochaine promotion et où le litige sur sa reconstitution de carrière subsistait.

29.  Sur le fond, le tribunal estima que l'absence de prise en compte du service national du requérant au seul motif qu'il l'avait effectué dans l'armée belge constituait une discrimination contraire aux prescriptions du droit communautaire directement applicable en France (article 48 du Traité instituant la Communauté européenne et règlement CEE no 1612/68 précité) qui étaient déjà en vigueur à la date d'intégration du requérant dans la fonction publique française. Le tribunal annula en conséquence la décision du ministre du 20 mai 1997 ainsi que son arrêté du 16 mars 2001, et lui donna injonction de procéder à la reconstitution de carrière du requérant.

30.  Le 19 octobre 2001, le ministre adopta un arrêté portant reconstitution de la carrière du requérant. Il lui versa également une indemnité représentative de la perte de rémunération subie.

B.  Les procédures en responsabilité de l'Etat

1.  Procédure visant l'administration

31.  A une date indéterminée, le requérant adressa au ministre de l'Intérieur une demande préalable d'indemnisation pour le préjudice causé par la discrimination subie en raison de sa nationalité.

32.  Le 27 novembre 2001, il saisit le tribunal administratif de Strasbourg d'un recours en vue de l'annulation de la décision implicite de refus du ministre et de la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 2 500 euros (EUR).

33.  Par jugement du 6 novembre 2003, le tribunal fit droit à sa demande, aux motifs qu'eu égard aux principes d'effet direct et de primauté du droit communautaire, les dispositions de l'article 48 du traité CE et du règlement CEE no 1612/68 précité impliquaient nécessairement que le requérant se voie reconnaître la prise en compte de sa période de service national dans le calcul de son ancienneté à compter de son intégration dans la fonction publique française, et qu'en attendant pour donner satisfaction à sa demande, au surplus après plusieurs années de procédure supplémentaires, l'administration avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité. En conséquence, le tribunal condamna l'Etat à verser au requérant 1 500 EUR en réparation du préjudice moral et du trouble dans ses conditions d'existence causés par cette reconnaissance tardive de ses droits.

34.  Ce jugement devint définitif faute de recours de l'Etat.

2.  Procédure visant les juridictions administratives

35.  Le 19 novembre 2003, le requérant saisit le ministre de la Justice d'une demande préalable de réparation des préjudices causés par les dysfonctionnements de la juridiction administrative. Il se plaignait, d'une part, de la méconnaissance de son droit à une durée raisonnable de procédure dans le litige relatif à la prise en compte de sa période de service militaire et, d'autre part, de ce que les juridictions en cause auraient rendu des décisions contradictoires au regard de l'application du droit communautaire et dans des conditions irrégulières.

36.  Le 16 mars 2004, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris d'un recours visant l'annulation de la décision implicite de rejet de cette demande et le versement d'une indemnité de 13 000 EUR. Le 9 avril 2004, la requête fut transmise au Conseil d'Etat pour désignation du tribunal compétent. Par ordonnance du 9 juin 2004, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat attribua le jugement de l'affaire au tribunal administratif de Dijon.

37.  Après l'intervention le 27 mai 2004 d'une décision explicite de rejet par le ministre de la Justice de sa demande du 19 novembre 2003, le requérant saisit le 21 juin 2004 le tribunal administratif de Strasbourg d'une requête aux mêmes fins. Le 25 juin 2004, la requête fut transmise pour désignation du tribunal compétent au Conseil d'Etat qui, par ordonnance du 19 août 2004, attribua le jugement de l'affaire au tribunal administratif de Dijon.

38.  Le 14 octobre 2004, le greffe de ce tribunal invita le requérant, sous peine d'irrecevabilité, à nommer un mandataire pour le représenter. Le requérant désigna un avocat, qui déposa un mémoire complémentaire le 28 octobre 2004. Le ministre produisit un mémoire en réplique le 28 janvier 2005.

39.  Le 28 juillet 2005 fut adopté le décret no 2005-911, dont l'article 6 § 2 modifiait à compter du 1er septembre 2005 l'article R. 311-1 du code de justice administrative en donnant compétence en premier et dernier ressort au Conseil d'Etat pour connaître des actions en responsabilité dirigées contre l'Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative, et dont l'article 10 prévoyait que ces dispositions étaient applicables aux requêtes n'ayant pas encore été inscrites, à la date de sa publication, au rôle d'une audience d'un tribunal administratif.

40.  Les requêtes précitées furent transmises par deux ordonnances du 13 septembre 2005 à la section du contentieux du Conseil d'Etat, où elles furent enregistrées le 21 septembre suivant.

41.  Le 27 septembre 2005, le requérant fut informé que son recours devait être présenté par un avocat au Conseil d'Etat. Le 9 février 2006, l'avocat du requérant déposa un mémoire ampliatif et en réplique.

42.  L'audience devant le Conseil d'Etat eut lieu le 26 avril 2007. Par arrêt du 25 mai 2007, le Conseil d'Etat joignit les requêtes et les rejeta, avec la motivation suivante :

« Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que [le requérant] a saisi le tribunal administratif de Strasbourg, le 18 novembre 1988, d'un recours tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet du ministre de l'intérieur de sa demande du 11 juillet 1988 (...) ; que sa demande a été rejetée par un jugement du 5 septembre 1991 ; qu'il a fait appel de ce jugement par une requête enregistrée au greffe du secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 23 septembre 1991 et qui a été rejetée le 15 juin 1994 ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, la durée de cinq ans et sept mois mise, au total, par la juridiction administrative pour statuer sur cette affaire n'est pas excessive ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que [le requérant] a saisi le tribunal administratif de Strasbourg, le 16 juillet 1997, d'un recours tendant à l'annulation de la décision du 20 mai 1997 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande du 15 janvier 1997, identique à celle formulée le 11 juillet 1988 ; que la circonstance que cette demande ait le même objet que celle formulée à l'occasion de la première instance ne saurait rendre ces deux instances identiques, dès lors que la première instance avait été close par l'arrêt du Conseil d'Etat le 15 juin 1994, devenu définitif ; que [le requérant] a produit, au cours de cette instance, cinq mémoires datés des 16 juillet et 28 août 1997, du 4 mars 1998, du 2 mars et du 2 avril 2001 ; que le ministre de l'intérieur a pris, le 16 mars 2001, un arrêté faisant partiellement droit à ses conclusions ; que cet arrêté a conduit le tribunal administratif de Strasbourg à se prononcer sur la question du non lieu à statuer ; qu'il a été fait droit à sa demande par un jugement du 6 juillet 2001 ;

Considérant que la durée de quatre ans mise par le tribunal administratif de Strasbourg pour statuer sur la demande [du requérant] s'explique notamment par les nombreuses productions effectuées par celui-ci ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, cette durée n'est pas excessive. »

43.  Le Conseil d'Etat rejeta les autres conclusions de la requête.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS

A.  Le droit européen

1.  Les textes

44.  L'article 48 §§ 1 et 2 (devenu l'article 39) du Traité instituant la Communauté européenne se lit ainsi :

« 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté.

2.  Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. »

Le paragraphe 4 du même article dispose :

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique. »

L'article 7 § 1 du Règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs est ainsi libellé :

« Le travailleur ressortissant d'un Etat membre ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage. »

2.  La jurisprudence

45.  Dans l'arrêt Ugliola précité du 15 octobre 1969, la Cour de Justice des Communautés européennes a jugé que « le principe de l'égalité de traitement (...) impliqu(ait) qu'un travailleur migrant, ressortissant d'un Etat membre, qui a(vait) dû interrompre son activité dans une entreprise d'un autre Etat membre afin de remplir ses obligations militaires nationales, a(vait) le droit de voir prendre en compte la période ainsi passée sous les drapeaux pour le calcul de son ancienneté dans cette entreprise, pour autant que les périodes de service militaire accomplies dans le pays de l'emploi soient elles aussi prises en compte au bénéfice des travailleurs nationaux. »

46.  Dans l'arrêt Sotgiu du 12 février 1974 (Aff. 152/73, Rec. 1974, 153), la Cour de Justice a précisé ce qui suit, relativement à la portée de l'exception prévue par l'article 48 § 4 du Traité :

« Attendu que, compte tenu du caractère fondamental, dans le système du traité, des principes de libre circulation et d'égalité de traitement des travailleurs à l'intérieur de la communauté, les dérogations admises par le paragraphe 4 de l'article 48 ne sauraient recevoir une portée qui dépasserait le but en vue duquel cette clause d'exception a été insérée ;

que les intérêts que celle-ci permet aux Etats membres de protéger sont satisfaits par la possibilité de restreindre l'admission de ressortissants étrangers à certaines activités dans l'administration publique ;

que, par contre, cette disposition ne saurait justifier des mesures discriminatoires en matière de rémunération ou d'autres conditions de travail à l'encontre de travailleurs une fois admis au service de l 'administration (...) »

B.  Le droit interne

1.  Le code du service national

47.  L'article L. 63 § 2 du code est ainsi rédigé :

« Le temps de service national actif (...) est compté, dans la fonction publique, pour sa durée effective dans le calcul de l'ancienneté de service exigée pour l'avancement et pour la retraite. »

2.  La loi no 96-1093 du 16 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire

48.  L'article 48 de cette loi a introduit dans la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires un nouvel article 5 ter, qui se lit ainsi :

« Pour les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne (...) qui accèdent aux corps, cadres d'emplois et emplois des administrations de l'Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics, la limite d'âge est reculée d'un temps égal à celui passé effectivement dans le service national actif obligatoire accompli dans les formes prévues par la législation de l'Etat membre de la Communauté européenne (...) dont ils relevaient au moment où ils ont accompli le service national.

Ce temps est retenu pour le calcul de l'ancienneté de service exigée pour l'avancement dans les fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière. »

3.  Le code de justice administrative

a)  Actions en responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice

49.  A compter de l'arrêt Magiera du Conseil d'Etat (cf. Broca et Texier‑Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, §§ 12 et 19, 21 octobre 2003) et préalablement à l'entrée en vigueur du décret no 2005‑911 du 28 juillet 2005, les justiciables pouvaient saisir le tribunal administratif compétent d'un recours en responsabilité de l'Etat pour se plaindre du délai déraisonnable d'une procédure devant les juridictions administratives.

L'article R. 311-1 7 du code de justice administrative, institué par le décret précité et entré en vigueur le 1er septembre 2005, se lit comme suit :

« Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort :

7.  Des actions en responsabilité dirigées contre l'Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative (...) »

b)  Autres règles de compétence

50.  L'article R. 312-12 § 1 du code de justice administrative dispose que tous les litiges d'ordre individuel intéressant les fonctionnaires relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve leur lieu d'affectation.

L'article R. 312-14 du code attribue compétence pour connaître des actions en responsabilité dirigée notamment contre l'Etat au tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu où le fait générateur du dommage s'est produit.

51.  Les articles R. 351-2 et R. 351-3 prévoient les modalités de transferts d'affaires entre juridictions administratives pour raison de compétence :

Article R. 351-2

« Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence du Conseil d'Etat, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d'Etat qui poursuit l'instruction de l'affaire (...) »

Article R. 351-3

« Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'une juridiction administrative autre que le Conseil d'Etat, son président, ou le magistrat qu'il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu'il estime compétente.

Toutefois, en cas de difficultés particulières, il peut transmettre sans délai le dossier au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat qui règle la question de compétence et attribue le jugement de tout ou partie de l'affaire à la juridiction qu'il déclare compétente. »

52.  L'article R.312-5 du code régit la procédure applicable lorsqu'un tribunal est saisi d'un litige mettant en cause l'un de ses membres ou son impartialité :

« Lorsque le président d'un tribunal administratif saisi d'un litige relevant de sa compétence constate qu'un des membres du tribunal est en cause ou estime qu'il existe une autre raison objective de mettre en cause l'impartialité du tribunal, il transmet le dossier au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat qui en attribue le jugement à la juridiction qu'il désigne. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

53.  Le requérant se plaint de la durée excessive des procédures devant les juridictions administratives qui ont donné lieu aux arrêts du Conseil d'Etat des 15 juin 1994 et 25 mai 2007, ainsi qu'au jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2001. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

54.  Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité du grief tiré de la durée de la procédure qui a pris fin le 25 mai 2007. Il estime que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes, au sens de l'article 35 § 1 de la Convention, dans la mesure où il n'a pas fait usage du recours prévu par l'article R. 311-1 du code de justice administrative.

55.  Le requérant considère qu'il ne lui appartenait pas d'exercer le recours prévu par l'article R. 311-1 précité, dès lors que celui-ci est de création récente et que son utilisation est limitée en raison de l'exigence d'une faute lourde.

56.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 précité, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes. Toutefois, ces recours doivent exister non seulement en théorie mais aussi en pratique. De même, ces dispositions doivent s'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif et, selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l'obligation d'épuiser les recours internes s'offrant à lui (voir, parmi beaucoup d'autres, Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003‑IV).

57.  La Cour rappelle également qu'elle a déjà jugé que le recours en responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice permettait aux justiciables parties à une procédure devant les juridictions administratives d'obtenir, le cas échéant, un constat de violation de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, ainsi que l'indemnisation du préjudice en résultant. Cela vaut pour les procédures pendantes comme pour les procédures achevées au plan interne (arrêt Broca et Texier-Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, § 19, 21 octobre 2003).

58.  Cependant, en l'espèce, le requérant se plaint de la durée excessive du recours en responsabilité de l'Etat qu'il a engagé pour obtenir réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi en raison de la longueur déraisonnable des procédures administratives antérieures.

59.  La Cour rappelle que, dans l'affaire Vaney c. France (no 53946/00, arrêt du 30 novembre 2004), dans laquelle le requérant soulevait un grief similaire relativement au recours prévu par l'article L.781-1 (devenu l'article L.141-1) du code de l'organisation judiciaire, elle a considéré qu'exiger du requérant qu'il forme un nouveau recours en responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement du service de la justice devant les juridictions internes, comme le suggérait le Gouvernement, serait déraisonnable et constituerait un obstacle disproportionné à l'exercice efficace de son droit de recours individuel, tel que défini à l'article 34 de la Convention. Elle estime que cette approche peut être transposée à la présente affaire, où le requérant a saisi la juridiction administrative pour la première fois le 11 juillet 1988, soit plus de dix-huit ans et neuf mois avant l'arrêt du Conseil d'Etat du 25 mai 2007.

60.  En conséquence, et sans remettre en cause l'arrêt Broca et Texier‑Micault précité sur l'effectivité du recours en responsabilité de l'Etat, la Cour estime que les circonstances particulières de la cause étaient telles que le requérant était dispensé de l'obligation d'épuiser le recours interne qui s'offrait à lui (Vaney précité, § 53). Il s'ensuit que l'exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

61.  Constatant que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Sur la durée des procédures administratives relatives au calcul de l'ancienneté du requérant et de ses droits à avancement et à pension

a)  La première procédure

62.  Le requérant souligne que, si le tribunal administratif avait fait droit à la demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice des Communautés européennes qu'il avait formulée dans son mémoire du 4 novembre 1988, l'affaire aurait été terminée beaucoup plus tôt. Il estime avoir fait tout ce que l'on pouvait attendre de lui pour accélérer la procédure. Il précise que tant le premier ministre que le ministre des Affaires étrangères étaient favorables à sa demande, contrairement aux ministres de l'Intérieur et de la Défense. Il ajoute que le litige ne saurait être considéré comme complexe, la Cour de justice des Communautés européennes ayant déjà jugé des cas similaires dès 1969 ; il cite à cet égard les arrêts Ugliola et Sotgiu précités, dont il a informé le tribunal.

63.  Le Gouvernement considère que la durée de cette procédure n'est pas excessive. Il observe que plusieurs mémoires ont été échangés entre les parties tout au long de la procédure et estime que le litige n'appelait pas, en 1991, de réponse évidente. Il fait valoir que les questions juridiques soulevées étaient complexes, en particulier quant à l'application et l'interprétation de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, et souligne qu'elles ont nécessité l'intervention en défense de trois ministères différents.

64.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes, ainsi que, le cas échéant, l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

65.  La Cour constate que la période à considérer sous l'angle du  délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, a débuté le 18 novembre 1988, date de la saisine du tribunal administratif, et s'est achevée le 15 juin 1994, date de l'arrêt du Conseil d'Etat. Elle a donc duré cinq ans et six mois environ pour deux degrés de juridiction.

66.  La Cour observe tout d'abord que, si le litige ressortissait au droit du travail, il n'était pas de nature à appeler une célérité particulière (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 133, CEDH 2006‑VII).

67.  La Cour estime que l'affaire revêtait une complexité certaine, comme le montrent les échanges entre les autorités françaises et la Commission européenne (paragraphes 20-21 ci-dessus), en raison des questions d'application et d'interprétation du droit communautaire qu'elle posait. Il s'agissait en effet de savoir si le requérant, également de nationalité belge, mais recruté en vertu de sa nationalité française dans la fonction publique française, relevant à ce titre de l'exception prévue par l'article 48 § 4 du traité CE, pouvait néanmoins se prévaloir des dispositions du droit communautaire relatives à la libre circulation et à l'égalité de traitement des travailleurs. En outre, l'arrêt Ugliola rendu par la Cour de justice des Communautés européennes concernait un salarié de droit privé et il ne semblait pas y avoir, à l'époque des faits, de jurisprudence sur ce point précis.

68.  Pour ce qui est du comportement des parties, la Cour note qu'elles ont échangé plusieurs mémoires. S'agissant plus particulièrement du requérant, la Cour estime que l'on ne peut lui reprocher de manque de diligence.

69.  Pour ce qui est du comportement des autorités, la Cour relève une période d'inactivité d'un an et plus de neuf mois devant le tribunal administratif après le dépôt du mémoire en réplique du requérant.

70.  Toutefois, tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la complexité du litige, la Cour estime que la durée de la procédure, prise globalement, n'a pas dépassé le délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1.

b) La seconde procédure

71.  Le requérant estime que le décret du ministre de l'Intérieur du 16 mars 2001 faisant partiellement droit à sa demande était un subterfuge afin de provoquer son désistement, puisqu'il n'y avait pas de promotion possible pour un agent arrivé, comme lui, au dernier échelon de son grade. Il considère que la lettre du 18 novembre 1991 de la Commission européenne et la réponse des autorités françaises démontrent que l'affaire n'était nullement complexe et que l'application de nouvelles dispositions de droit interne ne prêtait pas à confusion.

72.  Le Gouvernement considère que la durée de cette procédure, s'explique pour l'essentiel par le comportement des parties et le nécessaire respect du contradictoire, puisque dix mémoires ont été échangés. Il souligne à cet égard que, bien que l'administration soit revenue sur son refus initial et ait partiellement fait droit à sa demande, le requérant a refusé de se désister, et a persisté à contester l'interprétation de l'administration, donnant ainsi lieu à de nouveaux échanges d'écritures. Le Gouvernement souligne que le jugement est intervenu seulement trois mois après le dernier mémoire du requérant et a fait entièrement droit à ses demandes. Il fait en outre valoir que l'affaire était complexe en raison de l'application de dispositions législatives nouvelles (article 5 ter de la loi du 16 décembre 1996), et qu'il était indispensable de laisser la possibilité au requérant de produire les mémoires qu'il jugeait utiles dès lors que l'enjeu du litige était important pour le calcul de son ancienneté ainsi que ses droits à avancement.

73.  La Cour relève que la période à considérer a débuté le 16 juillet 1997, date de la saisine du tribunal administratif de Strasbourg et s'est achevée le 6 juillet 2001, date du jugement. Elle est donc d'environ quatre ans pour une seule instance.

74.  La Cour constate que l'affaire revêtait une certaine complexité, comme en témoigne la note juridique communiquée par le requérant (paragraphe 24 ci-dessus), dans la mesure où la loi du 16 décembre 1996 précitée mettant le droit français en conformité avec le droit communautaire ne s'appliquait pas rétroactivement. La Cour observe d'ailleurs à cet égard que trois ministères différents (de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères) ont déposé des observations devant le tribunal administratif.

75.  Pour ce qui est du comportement des parties, la Cour constate avec le Gouvernement que de nombreux mémoires ont été échangés entre elles, ce qui a nécessairement contribué à la durée de la procédure. Il ne peut par ailleurs être reproché au requérant de ne pas s'être désisté de sa requête, dès lors que le tribunal lui a donné raison et a annulé le décret du 16 mars 2001. Enfin, la Cour note qu'il a fait preuve de diligence et a demandé le 2 septembre 1998 la fixation d'une audience.

76.  S'agissant du comportement des autorités, si la Cour ne note pas de manque de diligence du tribunal, elle relève une longue période d'inactivité de près de trois ans, imputable à l'administration, entre le 20 février 1998, date de la lettre du ministre de l'Intérieur informant le tribunal qu'il avait été décidé de faire droit à la demande du requérant et le 23 mars 2001, date à laquelle le ministre a transmis au tribunal l'arrêté du 16 mars 2001.

77.  La Cour estime toutefois devoir tenir compte de ce que, dans son jugement du 6 novembre 2003, le tribunal administratif de Strasbourg a considéré que l'administration avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en tardant à donner satisfaction au requérant, et a alloué à ce dernier une somme de 1500 EUR en réparation de l'ensemble des dommages matériels et moraux causés par cette reconnaissance tardive de ses droits.

78.  Dès lors, la Cour considère que le requérant ne peut plus se prétendre victime de la durée de la procédure imputable au seul comportement de l'administration, dans la mesure où la violation a été en l'espèce reconnue et réparée (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III).

79.  La Cour observe pour le surplus qu'aucun retard ne peut être relevé à l'encontre du tribunal administratif, qui a tenu son audience un peu plus de deux mois après le dernier échange de mémoire des parties et a rendu son jugement deux semaines plus tard.

80.  La Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 relativement à la durée de cette procédure.

2.  Sur la durée de la procédure en responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice

81. Le requérant souligne que, selon la procédure en vigueur au moment des faits, un tribunal ne pouvait pas juger ses propres imperfections, raison pour laquelle le Conseil d'Etat a désigné le tribunal administratif de Dijon. Il considère que la réforme procédurale introduite par le décret du 28 juillet 2005 n'aurait pas dû s'appliquer aux procédures en cours, et que les autorités doivent assumer les conséquences de cette modification de procédure.

82.  Le Gouvernement considère que la durée de cette procédure n'est pas déraisonnable. Il estime que le requérant a contribué à l'allonger en saisissant à tort des juridictions incompétentes : sa requête du 16 mars 2004 devant le tribunal administratif de Paris, comme celle du 23 juin 2004 devant le tribunal administratif de Strasbourg, ont été transmises au Conseil d'Etat, selon la procédure alors applicable afin qu'il désigne la juridiction territorialement compétente. Le Gouvernement fait valoir par ailleurs que le renvoi de ces affaires devant la haute juridiction le 13 septembre 2005 est imputable à une modification de la procédure étrangère au fonctionnement de la juridiction administrative.

83.  La Cour relève que la procédure a débuté le 19 novembre 2003, date de la demande préalable d'indemnisation adressée par le requérant au ministre de la Justice (X c. France, 31 mars 1992, § 31, série A no 234‑C), et a pris fin le 25 mai 2007 par l'arrêt du Conseil d'Etat. Elle a donc duré trois ans et plus de cinq mois.

84.   La Cour relève que le litige ne présentait pas de complexité particulière.

85.  S'agissant du comportement du requérant, il ne peut lui être reproché, comme le fait le Gouvernement, d'avoir saisi des juridictions incompétentes, puisqu'il a fait application des règles de compétence prévues par le code de justice administrative.

86.  Pour ce qui est du comportement des autorités, il y a lieu de distinguer plusieurs périodes : la période allant de mars à août 2004 s'explique par la nécessité pour les tribunaux initialement saisis de transmettre au Conseil d'Etat, dans un but de bonne administration de la justice, les deux requêtes formées par le requérant, et par la désignation du tribunal administratif de Dijon. Par ailleurs, la période allant du 28 juillet 2005 au 13 septembre 2005 découle de l'entrée en vigueur du décret donnant compétence au Conseil d'Etat, en vertu duquel les requêtes lui ont été transmises. La Cour n'a pas relevé de retard significatif dans la procédure devant le tribunal administratif de Dijon et note en particulier que ce dernier a transmis les requêtes au Conseil d'Etat avec célérité (a contrario Sartory c. France, no 40589/07, § 25, 24 septembre 2009). S'agissant de la procédure devant le Conseil d'Etat, la Cour estime que sa durée, qui est d'un an et huit mois environ, n'a pas dépassé le délai raisonnable.

87.  La Cour conclut qu'il n'y a pas eu, en l'espèce, violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare le restant de la requête recevable ;

2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 octobre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident


[1] La terminologie utilisée pour les textes et institutions de la Communauté européenne, devenue Union européenne, est celle en vigueur au moment des faits.

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE VERITER c. FRANCE, 14 octobre 2010, 31508/07