CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE SOROS c. FRANCE, 6 octobre 2011, 50425/06

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 6 oct. 2011, n° 50425/06
Numéro(s) : 50425/06
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Achour c. France, [GC], no 67335/01, § 42, CEDH 2006-IV
Cantoni c. France, 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V
C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, §§ 35 à 44, série A no 335-C
Groppera Radio AG et autres c. Suisse, 28 mars 1990, § 68, série A no 173
K.-H.W. c. Allemagne, [GC], no 37201/97, §§ 44 et 45, CEDH 2001-II
Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 40, série A no 260-A
S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, §§ 37 à 47, série A no 335-B
Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 37, série A no 316-B
Organisation mentionnée :
  • Cour de justice de l'Union européenne
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusion : Non-violation de l'art. 7
Identifiant HUDOC : 001-106659
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2011:1006JUD005042506
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SOROS c. FRANCE

(Requête no 50425/06)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81 du règlement de la Cour

le 19 octobre 2011

STRASBOURG

6 octobre 2011

DÉFINITIF

08/03/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Soros c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ganna Yudkivska,
Angelika Nußberger, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 août 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50425/06) dirigée contre la République française et dont un ressortissant américain, M. George Soros (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 décembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me R. Soffer, avocat à Paris, à New York et en Israël et par Lord A. Lester of Herne Hill QC[1]. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant alléguait en particulier une violation de l’article 7 de la Convention en raison de l’imprécision des textes ayant servi de fondement à sa condamnation pénale.

4.  Le 9 février 2009, le président de la section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. En vertu de l’article 29 § 1 de la Convention, il a été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

5.  Par une décision du 31 août 2010, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable et a décidé de mettre fin à l’application de l’article 29 § 1 de la Convention.

6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.  Le requérant est né en 1930 et réside à New York.

8.  Le requérant fonda en 1988 la société Q.F., un important fonds d’investissement intervenant sur les marchés boursiers américains, européens et asiatiques. Le 12 septembre 1988, le requérant tint une réunion à New York avec plusieurs investisseurs. A l’issue de celle-ci, un banquier suisse, M., demanda au requérant s’il souhaitait rencontrer P. qui envisageait, avec d’autres investisseurs, d’acquérir des titres d’une grande banque française, S., afin d’en prendre le contrôle.

9.  Le requérant mandata l’un de ses conseillers, T., afin d’étudier cette proposition. Le 14 septembre 1988, T. rencontra B., une collaboratrice de P., ainsi que P. lui-même, qui lui présentèrent le projet envisagé sous ses différentes branches et les objectifs poursuivis par P., à savoir l’acquisition de 35 % des parts de la banque S. Il fut précisé à T. que cette opération avait reçu l’appui du gouvernement. Aucune lettre de confidentialité de ce projet ne fut signée entre les participants à cette réunion, bien que le projet n’ait pas été porté à la connaissance du grand public. A l’occasion de contacts qui se poursuivirent pendant une dizaine de jours, T. reçut par télécopie des projets d’accord de la part de B. Le requérant décida cependant de ne pas participer à la prise de contrôle de la banque S. car les explications données quant à la stratégie d’investissement et la gestion ultérieure de la banque étaient vagues et le projet manquait, selon lui, de sérieux.

10.  Le 19 septembre 1988, après avoir refusé l’offre de P., le requérant décida de faire acquérir par sa société Q.F. un bouquet d’actions de quatre sociétés françaises récemment privatisées, dont la banque S., pour un montant global de 50 millions de dollars. Il laissa à ses traders le soin de déterminer le lieu d’achat et les proportions entre les sociétés. Ainsi, Q.F. acquit, entre le 22 septembre et le 17 octobre 1988, 160 000 actions de la banque S. pour un montant de 11,4 millions de dollars. Sur cette somme, 7 millions de dollars furent investis sur le marché français et 4,4 sur le marché de la bourse de Londres.

11.  Entre le 19 et le 27 octobre 1988, c’est-à-dire quelques jours après les avoir acquises, la société Q.F. décida de vendre une partie des actions de la banque S., soit 95 000 d’entre elles. Les 65 000 restantes furent cédées un mois plus tard, le 21 novembre 1988. Q.F. réalisa un profit approximatif de 2,28 millions de dollars en achetant et en revendant rapidement ces actions, dont 1,1 million de dollars sur le marché français.

12.  La tentative de prise de contrôle de la banque fut révélée au grand public le 28 octobre 1988 par un article de presse. Elle échoua en raison d’une stratégie de défense de la banque.

13.  Le 1er février 1989, la Commission des opérations de bourse (COB) décida d’enquêter sur l’activité des titres de la banque S. entre le 1er juin et le 21 décembre 1988 afin d’examiner si certaines transactions étaient consécutives à un délit d’initié. L’enquête porta sur trois points distincts : le montage et les opérations effectuées par P., le comportement de plusieurs personnes physiques informées de l’opération projetée par P. ou susceptibles de l’avoir été, ainsi que le comportement de la banque S. elle‑même.

14.  Au cours de son enquête, la COB interrogea par écrit le requérant et T. à propos du déroulement des faits litigieux. Le 31 juillet 1989, après que son enquête eut été achevée, la COB prit une délibération dont les passages pertinents concernant le comportement des personnes physiques informées de l’opération projetée par P., dont le requérant, se lisent comme suit :

« (...)

a.  Il n’existe, en jurisprudence, aucun précédent applicable à des situations analogues, que le développement des pratiques et des structures financières rend de plus en plus fréquentes ;

b.  Au regard de ces pratiques et de ces structures, l’actuelle rédaction de l’article 10-1 [de l’ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967], ne permet pas, à ses yeux, de tracer, avec certitude, une frontière précise entre le licite et l’illicite ;

c.  Il est donc indispensable que les dispositions de l’article 10-1 soient précisées, par toute voie appropriée pour ce faire, de manière à lever, pour l’avenir, toute ambiguïté en pareilles matières (...) »

15.  A l’issue de sa délibération, la COB, qui avait relevé certaines infractions, notamment un manquement de la banque S. dans ses obligations de déclaration de certaines transactions, décida de communiquer au parquet l’intégralité de son rapport d’enquête.

16.  Par un courrier du 5 septembre 1989, le parquet demanda de plus amples précisions à la COB sur la commission, par le requérant, d’un délit d’initié au sens de l’article 10-1 de l’ordonnance no 67‑833 du 28 septembre 1967 alors applicable. Par un courrier du 12 septembre 1989, le président de la COB répondit comme suit :

« Je ne puis ainsi que vous confirmer, que, s’agissant des opérations effectuées par quatre personnes physiques [dont le requérant], ayant expressément été invitées par [P.] à s’associer à la réalisation de son projet, la COB a estimé qu’en l’absence d’une règle écrite, d’un usage reconnu en jurisprudence ou d’une déontologie admise par la profession, dont la violation aurait été établie, le faisceau d’éléments apportés par l’enquête ne lui permettait pas, aux cas d’espèce, de tracer avec certitude une frontière précise entre le licite et l’illicite. »

17.  A cette époque, le ministre des Finances, M. Bérégovoy, prit des mesures dans le but d’apporter plus de lisibilité aux opérations boursières. Il créa notamment une commission de déontologie boursière chargée de préciser les limites entre les pratiques licites et illicites. Cette commission déposa son rapport le 10 janvier 1990 (paragraphes 33 et 34 ci-dessous).

18.  A l’issue des travaux de cette commission, le ministre des Finances prit un arrêté le 17 juillet 1990 portant homologation du règlement no 90/08 de la COB relatif à l’utilisation d’une information privilégiée (paragraphe 35 ci-dessous). Ce règlement visait à préciser les différentes catégories d’initiés ainsi que les comportements qui pouvaient leur être reprochés. Selon le requérant, l’adoption de ce texte serait consécutive à la présente affaire.

19.  Par ailleurs, le Conseil des Communautés européennes adopta une directive le 13 novembre 1989 destinée à préciser et à harmoniser au niveau des Etats membres les notions d’« information privilégiée » et d’« initié » (paragraphe 38 ci-dessous).

20.  Dans un courrier du 15 décembre 1989, le requérant répondit aux questions posées dans le cadre de l’enquête menée par la COB et tenta de justifier son investissement.

21.  Une procédure d’instruction fut ouverte en 1990 à l’encontre de plusieurs personnes, dont le requérant, suspectées d’avoir commis un délit d’initié en profitant d’une information privilégiée pour intervenir sur le marché boursier. Le requérant, ainsi que deux autres coïnculpés, fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris le 20 décembre 2000 pour avoir acquis des titres de la banque S. alors qu’il disposait, de par ses fonctions, d’une information privilégiée sur l’évolution de ces titres. L’ordonnance de renvoi se fondait notamment sur les déclarations de M. et de T.

22.  Devant le tribunal de grande instance de Paris, le requérant souleva une exception d’illégalité de la poursuite tirée du manque de prévisibilité de la loi applicable au délit d’initié. Il fit notamment valoir qu’il n’avait jamais entretenu de relations professionnelles avec la banque S. contrairement à ce qu’exigerait le libellé de l’article 10-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967.

23.  Sur le fond, il soutint que le projet de P. lui avait été présenté dans des termes très vagues, qu’à aucun moment il ne lui avait été précisé que ce projet était confidentiel et, qu’en conséquence, il n’avait jamais considéré avoir été détenteur d’une information privilégiée, sans quoi il se serait abstenu d’investir sur ce titre. Il estima qu’au vu de la rédaction de l’article 10-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967 son comportement ne pouvait être considéré comme répréhensible au moment où il avait passé les ordres d’achat.

24.  Dans son jugement du 20 décembre 2002, le tribunal rejeta l’exception d’irrecevabilité au motif que le délit d’initié, tel qu’il était défini à l’époque des faits, n’exigeait pas que les initiés secondaires (c’est-à-dire ceux qui, comme le requérant, ne font pas partie des dirigeants de la société émettrice, mais qui sont considérés comme ayant disposé d’informations privilégiées, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions) aient été en relation professionnelle avec l’émetteur de titres. Selon le tribunal, il suffisait simplement que le requérant ait été amené, de par sa profession ou ses fonctions, à connaître l’information privilégiée pour être considéré comme un initié secondaire.

25.  Sur le fond, le tribunal considéra que « le requérant avait bien été informé sur la cible et les moyens pour mener à bien l’opération, l’ampleur de celle-ci, les investisseurs participants, les ramassages d’actions, ce qui expliquait les mouvements constatés sur le titre (...) ; le projet exposé, même s’il pouvait évoluer, n’était donc pas hypothétique et contenait suffisamment de précision pour que l’on puisse considérer que l’information donnée était privilégiée ».

26.  Le requérant fut déclaré coupable de délit d’initié et condamné à verser une amende délictuelle de 2,2 millions d’euros (EUR). Il interjeta appel de cette décision.

27.  Le 22 décembre 2003, la Commission européenne adopta une directive no 2003/124/CE portant application d’une précédente directive (no 2003/6/CE) du Parlement européen relative notamment à la définition des informations privilégiées (paragraphes 39 et 40 ci-dessous).

28.  Par un arrêt rendu le 24 mars 2005, la cour d’appel de Paris reprit les mêmes arguments que le tribunal de grande instance et confirma le jugement dans toutes ses dispositions.

29.  Le pourvoi du requérant, fondé notamment sur l’impossibilité de savoir par avance que son comportement était répréhensible et sur la non‑application rétroactive de la directive no 2003/6/CE, fut rejeté le 14 juin 2006 au motif que « la cour d’appel, procédant par une appréciation souveraine des faits de la cause et qui caractérisent en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont le prévenu a été déclaré coupable (...), a justifié sa décision ». En revanche la Cour de cassation considéra que les opérations d’acquisition de titres passées sur le marché boursier londonien ne pouvaient constituer un délit d’initié selon le droit français. Elle renvoya donc l’affaire devant la cour d’appel de Paris autrement composée pour qu’il soit statué à nouveau sur le montant de l’amende.

30.  Par un nouvel arrêt du 20 mars 2007, la cour d’appel de Paris condamna le requérant à payer une amende de 940 507,22 EUR pour l’acquisition des titres de la banque S. sur le seul marché de la bourse de Paris.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS

A.  Le droit français

31.  L’ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 (dans sa version issue de la loi du 22 janvier 1988, applicable à l’époque des faits) se lit ainsi :

Article 1

« Il est institué une Commission des opérations de bourse chargée de veiller à la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières ou tous autres placements donnant lieu à appel public à l’épargne, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés de valeurs mobilières, de produits financiers cotés ou de contrats à terme négociables.

(...)

La commission perçoit sur les personnes publiques ou privées des redevances, dans la mesure où ces personnes physiques ou privées rendent nécessaire ou utile l’intervention de la commission ou dans la mesure où elles y trouvent leur intérêt. Un décret en Conseil d’Etat fixe les modalités d’application du présent alinéa. »

Article 2

« La commission est composée d’un président nommé par décret en conseil des ministres et de quatre membres nommés par arrêté du ministre de l’économie et des finances pour une durée de quatre ans (...) »

Article 3

« La commission s’assure que les publications prévues par les dispositions législatives ou réglementaires sont régulièrement effectuées par les sociétés dont les actions sont admises à la cote officielle des bourses de valeurs ou figurent au relevé quotidien des valeurs non admises à la cote.

Elle vérifie les informations que fournissent aux actionnaires ou publient lesdites sociétés.

Elle peut ordonner à ces sociétés de procéder à des publications rectificatives dans le cas où des inexactitudes ou des omissions auraient été relevées dans les documents publiés.

La commission peut porter à la connaissance du public les observations qu’elle a été amenée à faire à une société ou les informations qu’elle estime nécessaires. »

Article 4

« La commission est habilitée à recevoir de tout intéressé les réclamations, pétitions, plaintes qui entrent par leur objet dans sa compétence et à leur donner la suite qu’elles comportent (...) »

Article 4-1

« Pour l’exécution de sa mission, la commission peut prendre des règlements concernant le fonctionnement des marchés placés sous son contrôle ou prescrivant des règles de pratique professionnelle qui s’imposent aux personnes faisant publiquement appel à l’épargne, ainsi qu’aux personnes qui, à raison de leur activité professionnelle, interviennent dans des opérations sur des titres placés par appel public à l’épargne ou assurent la gestion individuelle ou collective de portefeuilles de titres.

(...)

Ces règlements sont publiés au Journal officiel de la République française, après homologation par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances. »

Article 4-2

« Lorsqu’une pratique contraire aux dispositions législatives ou réglementaires est de nature à porter atteinte aux droits des épargnants, le président de la commission peut demander en justice qu’il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets.

(...)

Lorsque la pratique relevée est passible de sanctions pénales, la commission informe le procureur de la République de la mise en œuvre de la procédure devant le président du tribunal de grande instance de Paris. »

Article 5

« [L]es agents [de la COB] peuvent également recueillir toutes informations utiles à l’exercice de leur mission auprès des tiers qui ont accompli des opérations pour le compte des émetteurs des valeurs, produits ou contrats sur lesquels porte l’enquête ou pour le compte des personnes intervenant sur les marchés placés sous le contrôle de la commission.

La commission des opérations de bourse peut, après une délibération particulière, procéder ou faire procéder par ses agents à la convocation et à l’audition de toute personne susceptible de lui fournir des informations concernant les affaires dont elle est saisie (...) »

Article 5A

« Afin d’assurer l’exécution de sa mission, la commission des opérations de bourse peut, par une délibération particulière, charger des agents habilités de procéder à des enquêtes auprès des sociétés faisant appel public à l’épargne, des établissements de crédit et des intermédiaires en opérations de banque, des sociétés de bourse ainsi que des personnes qui, en raison de leur activité professionnelle, apportent leur concours à des opérations sur valeurs mobilières ou sur des produits financiers cotés ou sur des contrats à terme négociables ou assurent la gestion de portefeuilles de titres (...) »

Article 10-1
(devenu aujourd’hui l’article L. 465-1 du code monétaire et financier)

« Seront punies d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 6 000 à 5 millions de francs, dont le montant pourra être porté au-delà de ce chiffre jusqu’au quadruple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende ne puisse être inférieure à ce même profit, ou de l’une de ces deux peines seulement, les personnes mentionnées à l’article 162-1 de la loi no 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales et les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un émetteur de titres ou sur les perspectives d’évolution d’une valeur mobilière ou d’un contrat à terme négociable, qui auront réalisé, ou sciemment permis de réaliser, sur le marché, soit directement, soit par une personne interposée, une ou plusieurs opérations, avant que le public ait connaissance de ces informations.

Dans le cas où les opérations auront été réalisées par une personne morale, les dirigeants de droit ou de fait de celle-ci seront pénalement responsables des infractions commises. »

32.  L’article 162-1 de la loi no 66-537 du 24 juillet 1966 est rédigé comme suit :

« Le président, les directeurs généraux, les membres du directoire d’une société, les personnes physiques ou morales exerçant dans cette société les fonctions d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance ainsi que les représentants permanents des personnes morales qui exercent ces fonctions sont tenus, dans les conditions déterminées par décret, de faire mettre sous la forme nominative ou de déposer les actions qui appartiennent à eux-mêmes ou à leurs enfants mineurs non émancipés et qui sont émises par la société elle-même, par ses filiales, par la société dont elle est la filiale ou par les autres filiales de cette dernière société, lorsque ces actions sont admises à la cote officielle des bourses de valeurs ou figurent au relevé quotidien des valeurs non admises à la cote. »

33.  Le rapport de la commission de déontologie boursière rendu public le 10 janvier 1990 contient les passages suivants à propos de la directive du 13 novembre 1989 du Conseil des Communautés européennes :

« [Cette directive introduit] une nouvelle catégorie, celle des initiés secondaires, encore mal explicitée dans le droit français (...). Si certains considèrent que cette catégorie d’initiés pourrait être poursuivie en tant que « receleur » d’informations privilégiées, il n’existe actuellement aucune jurisprudence en France pour confirmer cette analyse. »

34.  Quant aux principes relatifs à l’utilisation et à la transmission d’informations privilégiées, le rapport poursuit ainsi :

« Malgré les efforts conjoints et considérables du législateur et des juges, il existe encore des situations pour lesquelles ni le texte [de l’ordonnance du 28 septembre 1967], ni les dispositions de la directive européenne [du 13 novembre 1989], ni le contenu de la jurisprudence ne permettent de caractériser a priori l’illégalité de certains comportements alors que les professionnels peuvent être confrontés à des situations dans lesquelles ils ont besoin d’indications claires et préalables pour exercer leur métier dans de bonnes conditions.

A cet effet, la commission (...) s’est attachée à clarifier cette difficulté d’interprétation des dispositions existantes en dégageant des principes pouvant servir à la fois de guide de bonne conduite pour les professionnels, de fondement aux règlements des autorités, de critère d’appréciation de ces comportements par les instances chargées de les contrôler ou de les sanctionner.

(...)

Principe no 3 :

Est répréhensible la transmission ou l’utilisation d’une information privilégiée à des fins autres ou pour une activité autre que celles à raison desquelles elle a été communiquée (...).

Une très grande variété de professionnels sont amenés, dans le cadre de leur activité, à bénéficier d’informations privilégiées sur une entreprise : intermédiaires financiers, investisseurs institutionnels, prestataires de service (...).

Ces personnes ont, à raison même de leur détention d’information privilégiée, [l’obligation de respecter] le principe no 3.

(...)

Une autre situation est celle des professionnels (investisseurs, banquiers par exemple) sollicités pour participer à un projet commun susceptibles d’entraîner des variations importantes dans le prix d’un titre (...).

Si une information est recueillie, [ces professionnels] ne peuvent l’utiliser à d’autres fins que celles pour lesquelles ils ont été sollicités.

Ce devoir d’abstention ne doit cependant pas être général. La vie des affaires ne doit pas être bloquée par des manœuvres de personnes qui dévoileraient leurs projets à leurs concurrents uniquement pour les neutraliser, à partir d’une information insuffisamment précise sérieuse et crédible.

D’une manière générale, une grille d’analyse, issue de la jurisprudence américaine (...) pourra être utilisée dans de nombreux cas. »

35.  Le règlement de la COB no 90-08 paru au Journal officiel le 20 juillet 1990 se lit comme suit :

Article 3

« Les personnes disposant d’une information privilégiée à raison de la préparation et de l’exécution d’une opération financière ne doivent pas exploiter, pour compte propre ou pour compte d’autrui, une telle information sur le marché ni la communiquer à des fins autres ou pour une activité autre que celles à raison desquelles elle est détenue. »

Article 4

« Les personnes auxquelles a été communiquée une information privilégiée à l’occasion de l’exercice de leurs profession ou de leurs fonctions ne doivent pas exploiter pour compte propre ou pour le compte d’autrui une telle information sur le marché ou la communiquer à des fins autres ou pour une activité autre que celles à raison desquelles elle a été communiquée. »

36.  L’article L. 465-1 du code monétaire et financier, tel qu’il résulte notamment de la loi no 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, se lit aujourd’hui comme suit :

« Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 500 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait, pour les dirigeants d’une société mentionnée à l’article L. 225-109 du code de commerce, et pour les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations.

Est puni d’un an d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait, pour toute personne disposant dans l’exercice de sa profession ou de ses fonctions d’une information privilégiée sur les perspectives ou la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de la communiquer à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions.

Est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait pour toute personne autre que celles visées aux deux alinéas précédents, possédant en connaissance de cause des informations privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, directement ou indirectement, une opération ou de communiquer à un tiers ces informations, avant que le public en ait connaissance. Lorsque les informations en cause concernent la commission d’un crime ou d’un délit, les peines encourues sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 1 500 000 euros si le montant des profits réalisés est inférieur à ce chiffre. »

37.  La jurisprudence pertinente, notamment l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 26 juin 1995, dit de la « Ruche méridionale », se lit ainsi :

« Attendu que si les dispositions de l’article 10-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967, comme celles de la directive no 89/592/CEE du 13 novembre 1989 avec lesquelles elles sont compatibles, interdisent aux personnes qui disposent, en raison de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives d’évolution d’une valeur mobilière, de réaliser des opérations sur le marché avant que le public en ait eu connaissance, c’est à la condition que lesdites informations soient précises, confidentielles, de nature à influer sur le cours de la valeur et déterminantes des opérations réalisées. »

B.  Le droit communautaire

38.  La directive 89/592/CEE du Conseil du 13 novembre 1989 concernant la coordination des réglementations relatives aux opérations d’initiés est rédigée comme suit :

Article 1

« Aux fins de la présente directive, on entend par information privilégiée : une information qui n’a pas été rendue publique, qui a un caractère précis et concerne un ou plusieurs émetteurs de valeurs mobilières, ou une ou plusieurs valeurs mobilières et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours de cette ou de ces valeurs mobilières (...) »

Article 2

« 1.  Chaque État membre interdit aux personnes qui (...) parce qu’elles ont accès à cette information en raison de l’exercice de leur travail, de leur profession ou de leurs fonctions, disposent d’une information privilégiée, d’acquérir ou de céder pour compte propre ou pour compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les valeurs mobilières de l’émetteur ou des émetteurs concernés par cette information, en exploitant en connaissance de cause cette information privilégiée.

2.  Lorsque les personnes visées au paragraphe 1 sont des sociétés ou d’autres personnes morales, l’interdiction prévue à ce paragraphe s’applique aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder à la transaction pour le compte de la personne morale en question. »

Article 4

« Chaque État membre impose l’interdiction prévue à l’article 2 également à toute personne, autre que celles visées audit article, qui, en connaissance de cause, possède une information privilégiée, dont l’origine directe ou indirecte ne pourrait qu’être une personne visée à l’article 2. »

Article 6

« Chaque État membre peut fixer des dispositions plus rigoureuses que celles prévues par la présente directive ou des dispositions supplémentaires, à condition que ces dispositions soient d’application générale (...) »

Estimant que sa législation était conforme à cette directive, la France ne la transposa pas en droit interne. Par un arrêt du 26 juin 1995, la Cour de cassation jugea les dispositions internes compatibles avec celles de la directive (paragraphe 37 ci-dessus).

39.  La directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché est ainsi rédigée :

Article 1

« Aux fins de la présente directive, on entend par (...) « information privilégiée » : une information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés (...) »

Article 2

« 1.  Les États membres interdisent à toute personne visée au deuxième alinéa qui détient une information privilégiée d’utiliser cette information en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, soit directement, soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information.

Le premier alinéa s’applique à toute personne qui détient une telle information :

a)  en raison de sa qualité de membre des organes d’administration, de gestion ou de surveillance de l’émetteur, ou

b)  en raison de sa participation dans le capital de l’émetteur, ou

c)  en raison de son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions (...) »

Article 14

« Sans préjudice de leur droit d’imposer des sanctions pénales, les États membres veillent à ce que, conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de la présente directive (...) »

40.  La directive 2003/124/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché se lit ainsi :

Article 1

« Information privilégiée

1.  Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE, une information est réputée « à caractère précis » si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés ou d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

2.  Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE, on entend par « information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés », une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement. »

41.  La jurisprudence communautaire pertinente peut se résumer ainsi :

Dans l’affaire Spector Photo Group NV et Chris Van Raemdonck c/ Commissie voor het Bank-, Financie- en Assurantiewezen (CBFA) (affaire C-45/08) du 23 décembre 2009, la Cour de justice de l’Union européenne s’est exprimée comme suit :

« (...) Certes, l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 n’impose pas aux États membres de prévoir des sanctions pénales à l’encontre des auteurs d’opérations d’initiés mais se limite à énoncer que ces États sont tenus de veiller à ce que « des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de [cette] directive », les États membres étant, en outre, tenus de garantir que ces mesures sont « effectives, proportionnées et dissuasives ». Néanmoins, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’au degré de sévérité des sanctions qu’elles sont susceptibles d’entraîner, de telles sanctions peuvent être, aux fins de l’application de la CEDH, qualifiées de sanction pénales (voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 150, ainsi que Cour eur. D. H., arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A no 22, § 82, Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A no 73, § 53, et Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A no 123, § 54) (...) »

EN DROIT

SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

42.  Le requérant allègue une double violation de l’article 7 de la Convention qui se lit comme suit :

« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

2.  Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

A.  Sur le grief tiré de l’imprévisibilité de la loi au moment des faits

43.  Le requérant se plaint d’abord de l’insuffisante précision des éléments constitutifs de l’infraction de délit d’initié au moment où il a été condamné.

1.  Thèses des parties

44.  Le requérant fait valoir qu’à l’époque des faits, la loi incriminant le délit d’initié était rédigée de manière trop imprécise pour pouvoir déterminer avec certitude la frontière entre les opérations permises et celles qui étaient interdites. Il renvoie à cet égard à l’arrêt Liivik c. Estonie (no 12157/05, 25 juin 2009). Il estime que, selon la définition de l’article 10‑1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967, un délit d’initié ne pouvait être commis que par un professionnel ayant un lien avec la société cible, ce qui n’était pas son cas. Il insiste sur le manque de jurisprudence relative au délit d’initié en 1988 et constate à ce sujet que les exemples cités par le Gouvernement ne concernent que des initiés ayant un lien professionnel avec la société cible, contrairement à sa situation en 1988.

45.  Le requérant souligne également que, suite aux poursuites engagées à son encontre, les autorités gouvernementales ont commandé un rapport sur la déontologie boursière et ont modifié la législation sur le délit d’initié afin de la rendre plus précise.

46.  Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle il revient en premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne. Il estime qu’en l’espèce seul le juge national est compétent pour interpréter l’ordonnance du 28 septembre 1967, la Cour ne pouvant interpréter que le texte conventionnel. Il souligne que, dans cette affaire, les juges n’ont pas dépassé le cadre de leur office et ont constaté que les éléments constitutifs de l’infraction reprochée étaient réunis.

47.  Sur la qualité de la loi, le Gouvernement estime que les dispositions critiquées étaient suffisamment claires et précises pour savoir si le comportement adopté par le requérant était licite ou non. Il cite notamment quatre décisions de jurisprudence interne, antérieures aux faits de l’espèce, dans lesquelles le dirigeant d’une société, informé du ramassage d’actions d’une autre société, un journaliste financier, le directeur financier d’une banque et un fonctionnaire ont été condamnés pour délit d’initié dans des circonstances proches de celles du requérant. Il estime que ces décisions de justice auraient pu lui permettre de prévoir que son comportement était répréhensible. Il cite également plusieurs articles publiés par la doctrine avant 1988 et qui tendaient à incriminer le comportement du requérant.

48.  Le Gouvernement précise que le rapport sur la déontologie boursière, sur lequel se fonde le requérant, n’est en réalité qu’un « guide de comportement » rédigé dans une optique pédagogique de clarification et destiné aux investisseurs.

49.  Concernant l’avis émis par la COB, le Gouvernement rappelle qu’il est de nature purement consultative et ne s’impose pas aux juridictions internes. En l’espèce, il visait à aider les magistrats à comprendre les faits dans leurs aspects techniques et leur intégration dans les mécanismes financiers. Il précise que l’enquête menée par la COB à propos des faits litigieux était rapide et, par conséquent, incomplète, tandis que l’information judiciaire qui s’en est suivie a, elle, été beaucoup plus approfondie. Il signale également que si la COB a décidé de transmettre le dossier du requérant à la justice, c’est parce qu’elle considérait que les faits qui lui étaient reprochés pouvaient constituer une infraction pénale.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

50.  La Cour renvoie principalement aux affaires C.R. c. Royaume-Uni (22 novembre 1995, §§ 35 à 44, série A no 335‑C), S.W. c. Royaume-Uni, (22 novembre 1995, §§ 37 à 47, série A no 335‑B), Cantoni c. France (15 novembre 1996, §§ 29 à 32, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V), Achour c. France ([GC], no 67335/01, § 42, CEDH 2006‑IV) et K.-H.W. c. Allemagne ([GC], no 37201/97, §§ 44 et 45, CEDH 2001‑II).

51.  Elle a déjà constaté qu’en raison même du principe de généralité des lois, le libellé de celles-ci ne peut présenter une précision absolue. L’une des techniques types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu’à des listes exhaustives. Aussi de nombreuses lois se servent-elles par la force des choses de formules plus ou moins floues, afin d’éviter une rigidité excessive et de pouvoir s’adapter aux changements de situation. L’interprétation et l’application de pareils textes dépendent de la pratique (voir, parmi d’autres, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 40, série A no 260‑A).

52.  L’utilisation de la technique législative des catégories laisse souvent des zones d’ombre aux frontières de la définition. A eux seuls, ces doutes à propos de cas limites ne suffisent pas à rendre une disposition incompatible avec l’article 7, pour autant que celle-ci se révèle suffisamment claire dans la grande majorité des cas. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes, en tenant compte des évolutions de la pratique quotidienne (voir, mutatis mutandis, Cantoni, précité, § 32).

53.  La Cour rappelle enfin que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (voir, mutatis mutandis, Groppera Radio AG et autres c. Suisse, 28 mars 1990, § 68, série A no 173). La prévisibilité́ de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (voir, parmi d’autres, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 37, série A no 316‑B). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte.

b)  Application au cas d’espèce

54.   La Cour est appelée à rechercher si, en l’espèce, le texte de la disposition légale litigieuse, lu à la lumière de la jurisprudence interprétative dont il s’accompagne, pouvait, à l’époque des faits, passer pour prévisible. Elle observe que comme beaucoup de définitions légales, celle du terme « initié » contenue dans l’ordonnance du 28 septembre 1967 est assez générale et qu’en l’espèce les parties sont en désaccord sur la portée de l’expression « à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions » contenue dans cette ordonnance.

55.  La Cour observe qu’en l’espèce, le requérant a soulevé le grief tiré de l’insuffisante prévisibilité de la loi réprimant le délit d’initié devant toutes les juridictions appelées à le juger. Or, chacune d’entre elles a estimé que la loi applicable était suffisamment précise pour lui permettre de savoir qu’il ne devait pas investir dans des titres de la banque S. après avoir été contacté par P.

56.  La Cour prend acte des jurisprudences citées par le Gouvernement et antérieures à la commission des faits. Celles-ci concernent notamment un journaliste financier, professionnellement chargé de suivre la marche technique, commerciale et financière de plusieurs entreprises et d’en rencontrer les dirigeants qui fut condamné pour avoir utilisé plusieurs informations privilégiées acquises au cours d’entretiens avec ces dirigeants (tribunal correctionnel de Paris, 12 mai 1976). Il s’agit également d’un attaché de direction, d’un conseiller technique et du directeur d’une société d’architecture qui, à l’occasion de leurs fonctions, ont eu connaissance du rapprochement de deux sociétés et exploité cette information (tribunal correctionnel de Paris, 15 octobre 1976) ou d’un administrateur de plusieurs sociétés qui avait appris, au cours d’une séance du conseil d’administration de l’une d’entre elles, que le montant des bénéfices permettait d’envisager une hausse du cours de l’action et qui a fait fructifier cette information avant qu’elle ne soit rendue publique (tribunal correctionnel de Paris, 19 octobre 1976).

57.  Elle observe avec le requérant que ces affaires ne concernent pas des situations analogues à la sienne puisque les personnes auxquelles elles se rapportent avaient toutes un lien professionnel avec la société convoitée. Toutefois, de l’avis de la Cour, ces jurisprudences, même si elles émanent de juridictions de première instance, ont trait à des situations suffisamment proches de celle du requérant pour lui permettre de savoir, ou à tout le moins de se douter, que son comportement était répréhensible. En effet, s’il était interdit aux professionnels qui, de par l’exercice de leurs fonctions, avaient connaissance d’une information privilégiée, d’intervenir sur le marché boursier, une interprétation raisonnable de cette jurisprudence permettait de penser que le requérant pouvait être concerné par cette interdiction, qu’il soit ou non lié contractuellement à la banque S.

58.  Au demeurant, s’il est avéré que le requérant a été le premier justiciable à être poursuivi en France pour délit d’initié, sans être lié ni professionnellement ni contractuellement à la société dont il a acquis les titres, la Cour estime qu’on ne saurait pour autant reprocher en l’espèce un manquement de l’Etat pour ce qui est de la prévisibilité de la loi car faute de situation strictement identique soumise précédemment aux juges, les juridictions nationales n’avaient pas jusqu’alors été mises en mesure de préciser la jurisprudence sur ce point. En tout état de cause, même si aucune affaire n’avait été examinée en appel ou en cassation, des juridictions de première instance s’étaient prononcées sur des situations connexes (voir paragraphe 56 ci-dessus). La Cour observe que depuis les faits de la présente espèce, cette jurisprudence s’est progressivement développée en fonction des affaires soumises aux juridictions internes.

59.  Surtout, et quel que soit le niveau de développement de la jurisprudence interne à l’époque des faits, la Cour note que le requérant était un « investisseur institutionnel », familier du monde des affaires et habitué à être contacté pour participer à des projets financiers de grande envergure. Compte tenu de son statut et de son expérience, il ne pouvait ignorer que sa décision d’investir dans les titres de la banque S. pouvait le faire tomber sous le coup du délit d’initié prévu par l’article 10-1 précité. Ainsi, sachant qu’il n’existait aucun précédent comparable, il aurait dû faire preuve d’une prudence accrue lorsqu’il a décidé d’investir sur les titres de la banque S.

60.  Enfin, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du requérant selon lequel son comportement serait à l’origine d’une modification de la législation applicable. En effet, aucune pièce du dossier ne permet d’établir avec certitude l’existence d’un lien de causalité entre sa situation personnelle et l’élaboration d’un rapport sur la déontologie boursière à la demande du ministre des Finances de l’époque ainsi que les modifications de la loi qui s’ensuivirent.

61.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la loi applicable à l’époque des faits était suffisamment prévisible pour permettre au requérant de se douter que sa responsabilité pénale était susceptible d’être engagée du fait des opérations financières réalisées auprès de la banque S.

62.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.

B.  Sur le grief tiré de la non-application de textes communautaires

63.  Le requérant se plaint en outre de la non-application, au cours de la procédure, de textes communautaires qui lui étaient plus favorables car plus précis que le droit interne. Il invoque l’article 7 de la Convention.

1.  Thèses des parties

64.  Le requérant soutient que la directive de 1989 contenait des dispositions spécifiques permettant de définir avec plus de précision la notion d’information privilégiée. Elle réduisait donc le champ d’application de l’infraction pour laquelle il a été condamné en clarifiant ses éléments constitutifs. En cela, le requérant considère que ce texte lui était plus favorable.

65.  S’agissant de la matière concernée par les directives communautaires, le requérant rappelle que si ces textes visent effectivement la matière administrative, ils ont toutefois des effets indéniables sur le droit pénal interne dans la mesure où les juridictions nationales sont fréquemment amenées à faire application ou référence au droit communautaire, comme ce fut notamment le cas dans l’arrêt dit de la « Ruche méridionale » du 26 juin 1995 (paragraphe 37 ci-dessus).

66.  Le Gouvernement souligne d’emblée que seule la directive de 1989 est invoquée par le requérant devant la Cour alors que celle de 2003 avait été citée devant la Cour de cassation.

67.  Il estime également que le contrôle de la conformité du droit national au droit communautaire ne relève pas de la compétence de la Cour et rappelle qu’aucun recours en manquement n’a été introduit contre l’Etat français à la suite de l’adoption de la directive de 1989.

68.  Sur le fond, il fait valoir que les textes communautaires invoqués ne visent que la matière administrative et non les infractions pénales. Sur ce point, il renvoie à l’arrêt Spector Photo Group NV rendu le 23 décembre 2009 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) (paragraphe 41 ci-dessus). Le Gouvernement soutient également que les directives litigieuses ne contiennent pas d’éléments plus favorables au requérant que le droit interne applicable au moment des faits. En particulier, s’agissant de la directive de 1989, il précise que son article 6 dispose que chaque Etat membre peut prévoir des dispositions plus rigoureuses que celles de la présente directive. Il en conclut qu’il n’existe pas de divergence entre la définition nationale et la définition communautaire de la notion d’initié.

2.  Appréciation de la Cour

69.  La Cour rappelle qu’elle a précédemment conclu à la non-violation de l’article 7 de la Convention à propos du grief tiré de l’insuffisante prévisibilité du droit national réprimant le délit d’initié à l’époque des faits. Elle a ainsi considéré que le droit applicable en 1988 était suffisamment prévisible pour permettre au requérant de se douter que son comportement pouvait être répréhensible.

70.  A supposer, comme le prétend le requérant, que la directive communautaire de 1989 lui soit plus favorable dans la mesure où elle apporterait de plus amples précisions sur la notion d’« initié », la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce grief puisqu’en tout état de cause la législation interne était, en elle-même, suffisamment prévisible.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention en raison de la prétendue insuffisante prévisibilité de la loi ;

2.  Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 7 de la Convention en raison de la non-application alléguée de textes communautaires.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Claudia WesterdiekDean Spielmann
Greffière Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente des juges Villiger, Yudkivska et Nußberger.

D.S.

C.W.


OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES VILLIGER, YUDKIVSKA ET NUSSBERGER

(Traduction)

Le principe de la sécurité juridique est un pilier de l’Etat de droit. Il revêt d’autant plus d’importance en droit pénal et en ce qui concerne la prévisibilité de la responsabilité pénale. Bien qu’elle relève plus précisément du droit pénal des affaires, la question soulevée par le cas d’espèce est importante aux fins de l’appréciation de la responsabilité pénale en général.

Le principe de la sécurité juridique inclut la règle fondamentale nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege (« pas de crime, pas de peine sans loi »). Cet adage veut que la loi pénale soit formulée avec précision, ne puisse être étendue par analogie et tranche tout doute en faveur de l’accusé (in dubio pro reo). L’interprétation stricte d’une règle pénale a pour effet que, lorsqu’un terme équivoque ou une phrase ambiguë fait naître un doute raisonnable quant à sa signification, c’est le sujet qui doit en bénéficier et non le législateur qui ne s’est pas exprimé clairement[2].

Aussi la Cour doit-elle opérer un contrôle très strict lorsqu’elle est saisie des questions relevant de l’article 7 de la Convention. A l’inverse de la majorité, nous ne sommes pas persuadés que la condamnation pénale du requérant dans le cas d’espèce soit à la hauteur des exigences de la Convention.

Il est vrai que les lois ne peuvent être libellées avec une précision absolue. C’est pourquoi la Cour a jugé que la nécessité d’éviter une rigidité excessive et de s’adapter aux changements de situation avait pour conséquence que bien des lois se servaient inévitablement de formules plus ou moins floues dont l’interprétation et l’application relevaient de la pratique (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 40, série A no 260‑A).

Il est néanmoins important d’établir une distinction entre ce que l’on pourrait appeler « l’imprécision inévitable » et « l’imprécision évitable ». En l’espèce, il n’était pas nécessaire de retenir un libellé imprécis pour définir le délit d’initié et prévoir les différentes manières dont il peut être commis. En effet, la modification de la définition du délit d’initié peu après la condamnation du requérant montre qu’un libellé plus clair avait été jugé non seulement nécessaire mais aussi possible.

Il est vrai que la sanction pénale infligée au requérant était fondée sur des dispositions légales, en l’occurrence celles de l’article 10-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967. Toujours est-il que, selon la jurisprudence de la Cour, la seule existence d’une loi ne suffit pas. En effet, la loi doit aussi être d’une certaine qualité : elle doit être accessible aux personnes concernées et formulée avec une précision leur permettant – en s’entourant, au besoin, de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (Margareta et Roger Andersson c. Suède, 25 février 1992, § 75, série A no 226‑A). Dans l’arrêt Cantoni c. France (15 novembre 1996, § 35, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V), la Cour a dit que l’on pouvait attendre d’un particulier qu’il mette un soin particulier à évaluer les risques qu’une activité comporterait dans le domaine pénal. Apporter un soin particulier veut généralement dire analyser la jurisprudence et recueillir l’avis d’un professionnel avant d’agir.

Cependant, en l’espèce, les textes ne précisaient pas suffisamment qui pouvait être considéré comme une personne « disposant, à l’occasion de l’exercice de [sa] profession ou de [ses] fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un émetteur de titre ». A ce titre, la conclusion tirée au paragraphe 57 de l’arrêt, selon laquelle les situations des personnes qui avaient été condamnées auparavant pour délit d’initié, lesquelles avaient un lien professionnel avec la société convoitée, étaient suffisamment proches de celle du requérant, est selon nous erronée. Comme il est indiqué ci-dessus, la Cour a reconnu la possibilité d’une clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre « à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible » (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 101, 17 septembre 2009).

Or élargir le cercle des délinquants aux « initiés secondaires » comme une « nouvelle catégorie » (selon les mots de la commission de déontologie boursière – voir paragraphe 33) ne saurait être considéré comme cohérent avec la substance de l’infraction. Les personnes auparavant condamnées par les tribunaux français pour délit d’initié avaient toutes un lien professionnel, voire contractuel, avec la société cible, mais pas le requérant. Nous ne pouvons nous associer à la majorité lorsqu’elle dit que, « s’il était interdit aux professionnels qui, de par l’exercice de leurs fonctions, avaient connaissance d’une information privilégiée, d’intervenir sur le marché boursier, une interprétation raisonnable de cette jurisprudence permettait de penser que le requérant pouvait être concerné par cette interdiction ». Les exactions des « initiés secondaires » ne présentent pas forcément pour la société les mêmes risques que celles des « initiés primaires » et, dès lors que la loi visait au départ certaines catégories précises de personnes dont le comportement répondait aux éléments de l’infraction, le juge aurait dû se garder d’étendre ces catégories, afin d’éviter une application arbitraire ou discriminatoire de la loi.

Ni l’avis d’un juriste ni l’analyse de la jurisprudence n’auraient permis au requérant de voir clairement que les activités qu’il projetait étaient interdites sur le fondement du droit alors applicable. C’est ce que montrent les expertises produites par la COB ainsi que la jurisprudence des tribunaux français antérieure auxdites activités.

Dans sa délibération du 31 juillet 1989 ainsi que dans la réponse apportée par son président à la demande d’information du parquet, la COB avait émis des doutes sur la possibilité d’incriminer les faits reprochés au requérant. Elle avait en effet clairement précisé à deux reprises qu’à ses yeux, la rédaction de la loi applicable ne permettait pas, en l’espèce, de déterminer avec certitude la frontière entre le licite et l’illicite.

Dans ce contexte il est nécessaire de souligner que, si son avis n’était pas purement consultatif, la COB était une autorité de référence en matière boursière chargée de veiller à la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés boursiers.

Si même le gendarme de la bourse, dans ses réponses, n’était pas parvenu à apporter des éclaircissements sur l’interprétation des dispositions pertinentes, un avocat consulté n’aurait pas pu faire mieux.

L’analyse de la jurisprudence des tribunaux français, répétons-le, n’aurait pas davantage permis de révéler que les activités projetées par le requérant tomberaient sous le coup de l’article 10-1 de l’ordonnance. Bref, l’intéressé pouvait légitimement croire que son comportement ne serait pas illégal.

Certes, le requérant, un financier international averti, sait ce qu’est un délit d’initié. Mais nul ne saurait en conclure qu’il aurait dû savoir que ses activités seraient réprimées par le droit pénal français. Les règles en la matière sont tout sauf uniformes, la définition du délit et l’établissement des responsabilités variant encore notablement d’un pays à l’autre. A l’époque des faits, il n’existait manifestement aucune règle précise communément admise concernant le délit d’initié. Comme le montre le dossier en l’espèce, les mêmes faits ont engagé la responsabilité pénale du requérant en France mais pas au Royaume-Uni.

Enfin, sans oublier que la Cour joue un rôle subsidiaire et que c’est au juge national qu’il revient d’interpréter le droit et de l’appliquer dans chaque cas d’espèce, nous rappellerons que la Cour est censée assurer la compatibilité avec la Convention des décisions judiciaires internes et ne s’attacher donc à la question de la prévisibilité d’une condamnation pénale qu’en se fondant sur le libellé de la disposition pénale en cause à l’aune de la pratique pendant la période considérée.

A nos yeux, les règles françaises alors en vigueur, qui remontaient à 1967, étaient inutilement imprécises et vagues : elles ne distinguaient pas nettement les activités légales des activités illégales et ne protégeaient pas adéquatement le justiciable des ingérences arbitraires. Aussi la condamnation pénale du requérant doit-elle être regardée comme constitutive d’une violation de l’article 7 de la Convention.


[1] Rectifié le 19 octobre 2011 : « et par Lord A. Lester of Herne Hill QC » a été ajouté.

[2] Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie ; Le procureur c. Delalic, Mucic, Delic et Landzo, IT-96-21-T (16 novembre 1998), § 413.

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE SOROS c. FRANCE, 6 octobre 2011, 50425/06