CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE VONA c. HONGRIE, 9 juillet 2013, 35943/10

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Conclusions du rapporteur public · 2 juillet 2021

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Le présent texte correspond à la contribution réalisée lors du deuxième « séminaire alternatif » « Les états d'urgence : le rôle du Conseil d'Etat dans la protection des libertés », organisé par le CREDOF le 10 décembre 2020, dont le sujet était : « Le Conseil d'Etat et les libertés : remise en perspective historique ». Vous pouvez retrouver ce séminaire en ligne sur le site de la Revue des Droits et Libertés Fondamentaux en suivant le lien suivant. Cette contribution permet à son auteur de procéder à l'actualisation d'un article publié en 2015 sur le site de la Revue des Droits et …

 

www.revuedlf.com

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 9 juill. 2013, n° 35943/10
Numéro(s) : 35943/10
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2013
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Féret c. Belgique, n° 15615/07, § 52, 16 juillet 2009
Güneri et autres c. Turquie, nos 42853/98, 43609/98 et 44291/98, § 76, 12 juillet 2005
Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne, nos 25803/04 et 25817/04, CEDH-2009
Horváth et Kiss c. Hongrie, n° 11146/11, § 102, 29 janvier 2013
Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII
Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A n° 103
Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, Recueil 1998-I
Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, CEDH 2003-II
S.H. et autres c. Autriche [GC], n° 57813/00, § 84, CEDH-2011
Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juillet 1998, § 29, Recueil 1998-IV
Tammer c. Estonie, n° 41205/98, § 62, CEDH 2001-I
Vajnai c. Hongrie, n° 33629/06, § 25, CEDH 2008
Organisations mentionnées :
  • Commission de Venise
  • Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
  • Cour pénale internationale
  • Human Rights Watch
  • Comité des Ministres
  • FCNM
  • Comité consultatif
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusion : Non-violation de l'article 11 - Liberté de réunion et d'association (Article 11-1 - Liberté d'association)
Identifiant HUDOC : 001-122804
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:0709JUD003594310
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE VONA c. HONGRIE

(Requête no 35943/10)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juillet 2013

DÉFINITIF

9/12/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.


En l’affaire Vona c. Hongrie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juin 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35943/10) dirigée contre la République de Hongrie et dont un ressortissant de cet État, M. Gábor Vona (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 juin 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me T. Gaudi-Nagy, avocat à Budapest. Le gouvernement hongrois (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Z. Tallódi, du ministère de la Fonction publique et de la Justice.

3.  Sous l’angle de l’article 11 de la Convention, le requérant alléguait que la dissolution de l’association de la Garde hongroise, dont il était le président, avait emporté violation de son droit à la liberté d’association.

4.  Le 14 mars 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Il a également été décidé de statuer en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire, comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention.

5.  Le 12 juin 2012, en vertu des articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement de la Cour (« le règlement »), le président de la section a autorisé le Centre européen pour les droits des Roms à intervenir dans la procédure en tant que tierce partie.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1978 et réside à Budapest.

7.  Le 8 mai 2007, dix membres du parti politique Mouvement pour une Hongrie meilleure (Jobbik Magyarországért Mozgalom) fondèrent l’association de la Garde hongroise (Magyar Gárda Egyesület – « l’association »), dans le but affiché, entre autres, de préserver les traditions et la culture hongroises.

8.  L’association fonda à son tour le 18 juillet 2007 le mouvement de la Garde hongroise (Magyar Gárda Mozgalom – « le mouvement »). Le bureau de l’association déclara qu’il avait décidé de « créer la Garde hongroise, tout d’abord sous la forme d’un mouvement puis en l’intégrant si possible dans l’association sous la forme d’une section ». Il décida aussi que « afin que la Garde hongroise soit intégrée dans l’association, les statuts [de celle-ci] devaient être amendés (...) avant le 10 octobre 2007 ».

L’objectif du mouvement était de « défendre la Hongrie, qui est sans défense physiquement, spirituellement et intellectuellement ». Parmi les tâches entreprises par le mouvement, mentionnées dans son acte constitutif, figuraient la formation physique et psychologique de ses membres, la participation à la gestion de catastrophes et la protection de l’ordre public, ainsi que l’ouverture d’un dialogue social sur ces questions par l’intermédiaire d’événements publics.

9.  Le 4 octobre 2007, le parquet de Budapest adressa une notification à l’association pour la sommer de mettre fin à ses activités illégales. La notification indiquait que l’association avait mené des activités qui n’étaient pas conformes aux buts définis dans ses statuts. Elle faisait notamment observer que l’association avait organisé le 25 août 2007 la prestation de serment de cinquante-six « gardes » au château de Buda, et que celle-ci avait ensuite mené une campagne nationale destinée à populariser les tâches assignées au mouvement qui n’étaient pas conformes aux buts de l’association. Il était aussi noté que certains des buts du mouvement ne faisaient pas partie de ceux de l’association et qu’ils n’étaient d’ailleurs pas conformes avec la nature de l’association, qui visait à préserver la culture et les traditions.

Le 9 novembre 2007, le requérant, en sa qualité de président de l’association, informa le parquet qu’il avait été mis fin aux activités illégales grâce à la suppression de la partie litigieuse de l’acte constitutif du mouvement et qu’il avait entrepris de modifier les statuts de l’association. Ainsi, le 7 décembre 2007, l’assemblée générale de l’association avait décidé d’ajouter la disposition suivante au paragraphe 2 de ses statuts : « f)  Conformément à son nom, l’association de la Garde hongroise a pour but d’ouvrir un dialogue avec la société et d’organiser des événements publics et des rassemblements de citoyens sur des questions touchant à leur sécurité, comme la gestion des catastrophes, la défense nationale et les techniques permettant de sauver la vie. »

10.  Prétendument pour viser ces objectifs, des membres du mouvement en uniforme organisèrent par la suite des rassemblements et des manifestations dans toute la Hongrie, y compris dans des villages dont la population était en grande partie composée de Roms, et appelèrent à la défense des « Hongrois de souche » contre ce qu’ils appelaient la « criminalité tsigane ». Ces manifestations et rassemblement ne furent pas interdits par les autorités.

L’une de ces manifestations, à laquelle participaient quelque deux cents activistes, fut organisée le 9 décembre 2007 à Tatárszentgyörgy, un village d’environ 1 800 habitants. La police était sur place et n’autorisa pas le défilé à emprunter une rue habitée par des familles roms.

11.  Le 17 décembre 2007, en réaction à cet événement, le parquet principal de Budapest engagea une action en justice tendant à la dissolution de l’association, au motif que celle-ci avait abusé du droit à la liberté de réunion et mené des activités portant atteinte aux droits des Roms au travers de la peur provoquée chez eux par les discours et l’apparence, étant donné que les activistes portaient des uniformes, défilaient en formations et lançaient des ordres comme à l’armée.

Le parquet principal considérait que le mouvement constituait une subdivision de l’association et que ses activités représentaient en réalité une part importante de celles de l’association. Il estimait que le mouvement n’était pas une « communauté spontanée » au sens où ses membres étaient tous inscrits, soulignant que ledit mouvement avait été créé par la présidence de l’association, que les demandes d’adhésion à celui-ci étaient examinées par l’association et que son uniforme pouvait être acheté auprès de l’association.

12.  Au cours de la procédure qui s’ensuivit, l’association allégua toutefois qu’il n’y avait entre elle et le mouvement aucun lien organisationnel qui soit de nature à créer une unité entre eux, raison pour laquelle elle arguait qu’elle n’était nullement responsable du mouvement. Elle déclara aussi que, en tout état de cause, les activités du mouvement ne représentaient aucun danger objectif pour quiconque. D’après elle, d’une part, un sentiment subjectif de peur ne pouvait donner lieu à une limitation des droits fondamentaux, au nombre desquels figurait la liberté de réunion et, d’autre part, le comportement du mouvement n’avait d’un point de vue objectif rien eu d’intimidant.

13.  Après avoir tenu quatre audiences, le tribunal régional de Budapest adopta le 16 décembre 2008 un jugement donnant gain de cause au parquet général et prononça la dissolution de l’association en application de l’article 16 § 2 d) de la loi no II de 1989 sur le droit à la liberté d’association (paragraphe 18 ci-dessous).

Le tribunal rejeta les arguments relatifs à la distinction entre les deux entités et jugea qu’il existait entre elles une « relation symbiotique ». Il dit que l’association avait eu pour activité principale de fonder, faire fonctionner, guider et financer le mouvement, observant notamment que celui-ci recevait des dons par l’intermédiaire du compte en banque de l’association. L’effet juridique de ce jugement se limita toutefois à la dissolution de l’association ; étant donné que, selon le tribunal, le mouvement n’était pas doté d’une personnalité juridique, le jugement ne portait pas directement sur celui-ci.

Pour ce qui est du rassemblement qui s’était tenu à Tatárszentgyörgy, le tribunal régional déclara ce qui suit :

« Le but essentiel de cet événement était bien d’attirer l’attention sur la « criminalité tsigane ». L’utilisation de cette généralisation, clairement fondée sur des motifs raciaux et ethniques, a violé le principe de l’égale dignité de tous les êtres humains (...) De plus, cet événement n’a pas été unique (...) [Le mouvement] a fondé son programme sur la discrimination entre les personnes et l’a mis en pratique en organisant plusieurs défilés ; cela revient à faire une démonstration de force et à menacer autrui par le biais de l’apparence [des participants aux défilés] (...) Le tribunal estime que, d’un point de vue constitutionnel, susciter la peur, quasiment comme une mission, constitue un objectif ou un rôle inacceptable. »

14.  Le tribunal nota que les participants, qui étaient en uniforme, portaient des brassards présentant une forte ressemblance avec ceux portés par les officiers du mouvement des Croix fléchées (qui fit régner la terreur en Hongrie en 1944-1945). Il considéra que des défilés de personnes ainsi vêtues étaient objectivement susceptibles de blesser des « sensibilités historiques ».

Le tribunal ajouta que, en dépit du but affiché par l’association, ses actions avaient violé les lois de la Hongrie sur les associations et créé un climat d’hostilité envers les Roms. Pour lui, la démonstration de force verbale et visuelle constituait à elle seule une atteinte à la loi au vu de l’expérience historique ; ainsi, il n’était pas nécessaire que l’association ait commis une véritable infraction pour qu’elle soit dissoute ; le fait que son programme englobe une discrimination revenait à nuire aux droits d’autrui au sens de l’article 2 § 2 [de la loi no II de 1989] (paragraphe 18 ci-dessous).

15.  Le 2 juillet 2009, la cour d’appel de Budapest confirma le jugement du tribunal régional. Elle prit également en compte deux autres manifestations du même genre organisées par le mouvement, l’une dans le village de Fadd le 21 juin 2008 et l’autre dans le village de Sárbogárd à une date non précisée. Elle nota que les discours prononcés par des membres du mouvement au cours du rassemblement de Fadd contenaient de nombreuses remarques visant à l’exclusion des Roms. Quant à l’événement de Sárbogárd, la cour d’appel observa qu’on y avait entendu des propos antisémites.

La cour d’appel établit qu’il existait un lien très étroit entre les deux entités et élargit la portée de son arrêt au mouvement. Elle dit que l’association englobait en réalité le mouvement, qui en constituait une « unité », en conséquence de quoi son arrêt les concernait tous les deux. La dissolution de l’association démantelait aussi le cadre organisationnel fourni aux individus œuvrant au sein de tout mouvement lié à l’association dissoute.

La cour d’appel dit que le choix du lieu où s’étaient tenues les manifestations, à savoir des villages dont une grande partie de la population était constituée de Roms, ne pouvait être compris comme favorisant le dialogue social mais devait passer pour une forme d’expression extrême s’agissant d’une démonstration quasi militaire de force résultant de l’effet cumulé d’uniformes, de formations, d’ordres et de saluts de style militaire. Tout en confirmant en substance le raisonnement du tribunal régional, elle considéra que la population de ces villages avait été exposée à ces opinions extrêmes et porteuses d’exclusion en tant que « public captif », sans pouvoir s’y soustraire. Pour la cour d’appel, les événements organisés par le mouvement entraînaient des risques de violence, provoquaient le conflit, troublaient l’ordre public et violaient le droit à la liberté et à la sûreté des habitants de ces villages, alors même que toutes les manifestations, sévèrement contrôlées par la police, s’étaient terminées sans qu’aucun acte de violence se soit produit.

La cour d’appel se pencha aussi sur la liberté d’expression du requérant. Elle déclara, confirmant en cela les arguments du jugement de première instance et citant la jurisprudence de la Cour, que cette liberté n’englobait pas les discours de haine ou incitant à la violence.

16.  Le 15 décembre 2009, la Cour suprême confirma l’arrêt de la cour d’appel de Budapest. Elle souscrivit à la conclusion de celle-ci selon laquelle le mouvement était en fait une entité au sein de l’association. Elle approuva également la décision des juridictions inférieures quant à la nécessité de dissoudre l’association, faisant observer que les rassemblements organisés par le mouvement avaient créé des situations de conflit dont les protagonistes auraient potentiellement pu avoir recours à la violence.

Cette décision fut notifiée le 28 janvier 2010.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

17.  La Constitution, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, contenait les dispositions suivantes :

Article 2

« 3)  Les activités d’organisations sociales, d’organes de l’État ou de citoyens ne peuvent viser à l’acquisition par la force ou à l’exercice de la puissance publique, ou à la possession exclusive d’une telle puissance. Toute personne a le droit et l’obligation de résister à pareilles activités par les voies légales. »

Article 63

« 1)  En République de Hongrie, toute personne a le droit, sur la base du droit d’association, de créer des organisations dont les objectifs ne sont pas interdits par la loi et d’adhérer à de telles organisations.

2)  Le droit d’association ne permet pas de créer des organisations armées ayant des objectifs politiques.

3)  Un vote des députés à la majorité des deux tiers est requis pour l’adoption de la loi sur le droit de réunion et sur le financement et le fonctionnement des partis politiques. »

18.  La loi no II de 1989 sur le droit à la liberté d’association dispose :

Article 2

« 1)  En vertu du droit d’association, des personnes physiques ou morales et leurs entités dépourvues de personnalité juridique peuvent, sous réserve du but de leurs activités et des intentions de leurs fondateurs, créer et diriger des organisations au sein de la société civile.

2)  Le droit d’association ne peut pas être exercé en violation de l’article 2 § 3 de la Constitution, ni de manière à commettre une infraction pénale ou à inciter à en commettre une, et ne doit pas nuire aux droits et libertés d’autrui. »

Article 3

« 1)  Une organisation de la société civile est une organisation créée volontairement et autonome, visant le but exposé dans ses statuts, qui est dotée de membres inscrits et organise les activités de ses membres en vue d’atteindre son but.

2)  Les membres non inscrits peuvent aussi participer à des événements publics de grande ampleur. »

Article 4

« 1)  (...) une organisation de la société civile est créée au moyen de son enregistrement auprès des tribunaux. »

Article 5

« Une communauté de particuliers réalisée en vertu du droit d’association dont le fonctionnement n’est pas régulier ou qui ne dispose pas de membres inscrits ou de structure conformément à la présente loi n’est pas une organisation de la société civile. »

Article 16

« 2)  Sur une action du procureur, le tribunal

(...)

d)  dissout l’organisation de la société civile si son fonctionnement est contraire à l’article 2 § 2 ;

(...) »

On peut brièvement définir comme suit le statut juridique des associations. Celles dont les activités ne servent pas l’intérêt public ne peuvent être financées par des individus au moyen de dons déductibles des impôts et ne peuvent ni recevoir d’autres dons ni demander des subventions publiques, car ces avantages sont réservés aux organisations d’utilité publique conformément aux lois nos CXXVI de 1996 et CLXXV de 2011. Toutefois, la loi no LXXXI de 1996 dispose que les revenus provenant des activités non lucratives d’une association quelle qu’elle soit ne sont pas assujettis à l’impôt sur les sociétés et que les activités commerciales des associations sont soumises à l’impôt sur les sociétés à un taux préférentiel. En outre, en vertu de la loi no CXVII de 1995, des règles avantageuses en matière d’impôt sur le revenu s’appliquent à certains services fournis par les associations et à certaines rémunérations et prestations sociales perçues par elles. De surcroît, la loi no IV de 1959 (code civil) dispose que les membres d’une association ne sont pas responsables des dettes de celle-ci.

19.  La loi no LXXVII de 1993 sur les droits des minorités ethniques et nationales, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellée en ses passages pertinents :

Article 4

« 1)  La République de Hongrie interdit toutes les politiques ou conduites qui :

a)  ont pour objectif ou pour résultat d’assimiler une minorité dans la nation majoritaire ou de l’en exclure ou de l’en séparer ;

b)  visent à modifier la composition ethnique ou nationale de zones peuplées de minorités ;

c)  persécutent ou portent préjudice à une minorité ou à des personnes appartenant à une minorité parce qu’elles appartiennent à une minorité ou entravent l’exercice des droits de telles personnes pour cette raison (...) »

20.  Le décret-loi no 8 de 1976, qui incorpore le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies lors de sa XXIe session du 16 décembre 1966, dispose :

Article 20

« 2.  Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi. »

21.  Le décret-loi no 8 de 1969, qui incorpore la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée à New York le 21 décembre 1965, dispose :

Article premier

« 1.  Dans la présente Convention, l’expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. »

Article 2

« 1.  Les États parties condamnent la discrimination raciale et s’engagent à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l’entente entre toutes les races, et, à cette fin :

(...)

d)  Chaque État partie doit, par tous les moyens appropriés, y compris, si les circonstances l’exigent, des mesures législatives, interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations et y mettre fin ; »

Article 4

« Les États parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui (...) prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales ; ils s’engagent (...)

a)  À déclarer délits punissables par la loi (...) toute incitation à la discrimination raciale (...) de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement ;

b)  À déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande organisée et tout autre type d’activité de propagande qui incitent à la discrimination raciale et qui l’encouragent et à déclarer délit punissable par la loi la participation à ces organisations ou à ces activités ; »

22.  La décision no 30/1992 (V.26) AB de la Cour constitutionnelle contient les passages suivants :

« II. 3.  Les codes pénaux de tous les pays européens démocratiques de droit continental ainsi que ceux de l’Angleterre et du pays de Galles, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, pays de droit coutumier, interdisent l’incitation à la haine fondée sur des motifs « raciaux ». La ligne de démarcation entre l’incitation à la haine, le fait d’éveiller la haine et l’expression d’opinons demeure l’objet de vifs débats même sur le plan international.

IV. 1.  Les dommages que peuvent causer l’incitation à la haine et des propos méprisants qui humilient certains groupes d’une population sont largement attestés dans les annales de l’expérience humaine (...)

Les expériences historiques tragiques de notre siècle montrent que les opinions proclamant l’infériorité ou la supériorité raciale, ethnique, nationale ou religieuse et la diffusion de la haine, du mépris et de l’exclusion mettent en danger les valeurs de la civilisation.

Il est prouvé tant par l’histoire que par les événements de notre époque que tout propos exprimant l’intention de susciter la haine contre un groupe spécifique de personnes peut faire monter la tension sociale à un paroxysme, rompre l’harmonie et la paix sociales et, dans les cas extrêmes, provoquer des heurts violents entre certains groupes de la société.

Outre les expériences historiques et contemporaines qui montrent les effets extrêmement négatifs qu’engendre l’incitation à la haine, il y a lieu de prendre en compte les menaces quotidiennes qui résultent d’une expression non limitée d’idées et de concepts susceptibles de susciter la haine. Pareille expression empêche les communautés humaines de vivre en harmonie avec d’autres groupes. Exacerber les tensions émotionnelles et sociales à l’intérieur d’une communauté, grande ou petite, peut détruire les liens au sein de la société, renforcer les positions extrêmes et augmenter les préjugés et l’intolérance. Tout cela conduit à une réduction des chances de créer une société tolérante et multiculturelle reconnaissant le pluralisme, le droit à la différence et l’égale dignité de tous les êtres humains, et où la discrimination n’est pas portée au rang de valeur.

2.  Accorder une protection constitutionnelle à l’incitation à la haine contre certains groupes sous couvert de défendre la liberté d’expression et la liberté de la presse provoquerait une contradiction insurmontable avec le système de valeurs et l’orientation politique exprimés dans la Constitution, à savoir l’état de droit, l’égalité de tous les êtres humains, l’interdiction de la discrimination, la liberté de religion et de conscience et la protection des minorités nationales et ethniques, garantis par divers articles de la Constitution (...)

L’incitation à la haine est la négation des notions précitées et prépare émotionnellement à l’usage de la violence. Cela constitue un abus de la liberté d’expression, car il s’agit de la stigmatisation d’un groupe qui caractérise les dictatures et non les démocraties. Tolérer que la liberté d’expression et la liberté de la presse soient exercées d’une manière interdite par l’article 269 § 1 du code pénal irait à l’encontre des exigences découlant du principe démocratique de la prééminence du droit (...)

Pour résumer sa position, la Cour constitutionnelle précise qu’il est nécessaire et justifié de restreindre la liberté d’expression et celle de la presse en raison des expériences historiques négatives qu’a provoqué l’incitation à la haine contre certains groupes, pour protéger les valeurs constitutionnelles et pour honorer l’obligation où se trouve la République de Hongrie de respecter ses engagements au regard du droit international (...) »

23.  La décision no 14/2000 (V.12) AB de la Cour constitutionnelle contient les passages suivants :

« 3.  La liberté d’expression n’est pas seulement un droit subjectif ; c’est aussi la garantie que s’expriment librement les différents points de vue qui forment l’opinion publique (...)

Bien que ce droit puisse subir des restrictions, il bénéficie d’une protection particulière en raison de son rôle primordial ; il ne peut être limité que par rapport à un petit nombre d’autres droits. En conséquence, des valeurs d’importance secondaire telles que la paix publique bénéficient d’une protection moins forte que le droit en question (...)

Comme le droit à la vie, le droit à la dignité humaine bénéfice d’une très haute protection dans la Constitution (...) La Constitution n’est pas neutre du point de vue des valeurs mais renferme ses propres valeurs. L’expression d’opinions non conformes aux valeurs constitutionnelles n’est pas protégée par l’article 61 de la Constitution (...)

La Cour constitutionnelle indique que, comme cela découle également de la Convention, la liberté d’expression comporte des « devoirs et des responsabilités ». Les autorités de l’État sont tenues de protéger les valeurs de l’État démocratique conformément au principe de l’état de droit et de respecter la dignité des personnes. Il faut agir contre les comportements traduisant la force, la haine et le conflit. Rejeter l’usage de la force ou la menace de l’usage de la force comme mode de règlement des conflits fait partie de la notion complexe de démocratie. »

24.  La décision no 18/2004 (V.25) AB de la Cour constitutionnelle contient le passage suivant :

« III. 2.1.  (...) Même dans le cas d’opinions extrêmes, ce n’est pas la teneur des opinions mais ce sont les conséquences directes et prévisibles de leur communication qui justifient de restreindre la liberté d’expression et d’appliquer des mesures juridiques au titre du droit civil ou, dans certains cas, du droit pénal. »

25.  La décision no 95/2008 (VII.3) AB de la Cour constitutionnelle contient les passages suivants :

« III. 3.4.  (...) Le but de l’amendement [du code pénal] est de punir les discours et gestes de haine même s’il est impossible d’identifier la partie lésée. Cependant, l’amendement punirait non seulement les comportements portant atteinte à l’honneur et à la dignité de personnes en particulier mais aussi toutes les formes de discours de haine, y compris les déclarations racistes comportant des généralisations, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire que les parties « touchées » ou les parties qui se considèrent comme « touchées » participent aux échanges entre des personnes exprimant de la haine ou les suivent, ou soient exposées à des idées de haine exprimées dans certains médias (...) On ne fait pas taire les voix extrémistes dans les démocraties constitutionnelles simplement à cause de la teneur de leur discours. Dans une société démocratique, que des propos racistes et généralisateurs soient tenus ne change rien au fait que, du point de vue de l’État, tous les citoyens ont une égale valeur et disposent des mêmes droits fondamentaux.

Sous sa forme actuelle, l’amendement punirait également les discours contenant seulement de telles généralisations. Le fait que des personnes appartenant au groupe visé participent aux échanges, c’est-à-dire que ces personnes entendent ou soient exposées de quelque manière que ce soit à des déclarations racistes, n’est pas un élément constitutif de l’infraction telle que définie dans l’amendement.

Toutefois, il s’agit précisément des cas où l’expression d’une opinion peut offenser non seulement la sensibilité ou le sens de la dignité de certaines personnes, mais aussi leurs droits constitutionnels. Si, par exemple, une personne exprime ses convictions politiques extrémistes de telle manière qu’un membre du groupe lésé est contraint d’écouter ces propos alors qu’il se trouve en état d’intimidation et n’est pas en mesure de s’y soustraire [« public captif »] (...) alors le droit de cette personne de ne pas écouter ou subir des opinions déplaisantes ou insultantes mérite d’être protégé (...)

Les gens appartiennent non seulement à la communauté des citoyens mais aussi à un groupe ou à une communauté plus restreints. De par son appartenance à un tel groupe, un individu peut se trouver exposé à un préjudice d’une gravité et d’une intensité telles que le recours à des sanctions pénales peut même se justifier pour remédier à la situation. »

III.  OBSERVATIONS D’ORGANES INTERNATIONAUX DE SURVEILLANCE DES DROITS DE L’HOMME

26.  Les Observations finales du Comité des droits de l’homme des Nations unies concernant la Hongrie (Genève, 11-29 octobre 2010), contiennent le passage suivant :

« 18.  Le Comité est préoccupé par les déclarations anti-Roms virulentes et généralisées faites par (...) les membres de l’organisation dissoute Magyar Gàrda. (...) Il est en outre préoccupé de relever des indications d’une montée de l’antisémitisme dans l’État partie. Le Comité est préoccupé par l’interprétation restrictive donnée par la Cour constitutionnelle de l’article 269 du Code pénal relatif à l’incitation à la violence contre la communauté, qui peut être incompatible avec les obligations de l’État partie en vertu de l’article 20 du Pacte (...) »

27.  Le quatrième rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la Hongrie, adopté le 20 juin 2008, contient les passages suivants :

« 61.  (...) on a observé une inquiétante montée du racisme et de l’intolérance dans le discours public en Hongrie. La création et la progression de la Garde hongroise [Magyar Gárda] (...) est notamment mentionnée sans cesse comme une préoccupation majeure. Depuis sa création en août 2007 et la prestation de serment publique de plusieurs centaines de nouveaux membres en octobre de la même année, la Garde hongroise a organisé de nombreux rassemblements publics dans tout le pays, y compris dans des villages accueillant une grande population rom ; malgré les statuts apparemment inoffensifs de l’association, son chef prône notamment la défense des Hongrois de souche face à une prétendue « criminalité tsigane ». Les membres de la Garde hongroise défilent en uniformes et bottes noirs de style paramilitaire, avec des insignes et des drapeaux ressemblant beaucoup au drapeau du parti des Croix fléchées, organisation ouvertement nazie qui a été brièvement au pouvoir en Hongrie pendant la Seconde Guerre mondiale, courte période durant laquelle des dizaines de milliers de Juifs et de Roms ont été tués ou déportés.

(...)

73.  (...) Des groupes comme la Garde hongroise expriment aussi ouvertement des opinions antisémites (...) l’antisémitisme ne cesse d’augmenter en Hongrie. »

28.  Le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a adopté le 18 mars 2010 son troisième avis sur la Hongrie, lequel contient le passage suivant :

« 75.  Depuis sa création en 2007, la Garde hongroise [Magyar Garda] a organisé de nombreux rassemblements publics dans le pays, y compris dans des villages où vit une importante population rom, au cours desquels ses membres défilent en uniformes et bottes noires de style paramilitaire, avec des insignes et des drapeaux nazis. (...) Le Comité consultatif est préoccupé par ce comportement menaçant. »

IV.  DROIT COMPARÉ

29.  La Cour constitutionnelle fédérale allemande a dit, dans son arrêt Stoppt den Synagogenbau ! (23 juin 2004 ; BVerfGE, 111, 147 – Inhaltsbezogenes Versammlungsverbot), que pour prévenir un risque de trouble à l’ordre public, il était possible de restreindre la liberté de réunion si c’étaient les modalités (Art und Weise) d’organisation d’un rassemblement, et non son contenu, qui suscitaient des préoccupations. Dès lors, il était possible de limiter « les comportements agressifs et provocateurs de nature à intimider les citoyens et par l’intermédiaire desquels les manifestants créent un climat propice à la violence ». S’agissant d’un défilé organisé par l’extrême droite lors de la journée en mémoire de l’Holocauste, la haute juridiction a dit en outre que « les modalités [d’organisation d’un rassemblement] [peuvent] donner lieu à des provocations heurtant sérieusement la sensibilité morale [sittliches Empfinden] ». Quant à la manière dont le rassemblement était organisé, elle a également accordé de l’importance au comportement provocateur des manifestants. Elle a ajouté que la même chose valait aussi « lorsqu’un défilé, du fait de son caractère d’ensemble [durch sein Gesamtgepräge], s’identifie avec les rites et symboles de la tyrannie nazie et intimide d’autres citoyens en évoquant les horreurs d’un régime totalitaire et inhumain ».

30.  À propos de la dissolution d’une association, la Cour administrative fédérale allemande a résumé ainsi, dans un arrêt du 5 août 2009 (BVerwG 6 A 3.08), sa jurisprudence en matière d’interdiction des associations :

« 16.  Les objectifs et activités d’une association sont punissables pénalement en fonction des intentions et du comportement de ses membres. Une association ne peut en tant que telle être tenue pour pénalement responsable. Seules les personnes physiques peuvent être sanctionnées pénalement car, pour qu’il y ait incrimination, il faut qu’il y ait capacité à endosser une responsabilité pénale [Schuldzurechnungsfähigkeit]. Comme il ressort clairement de l’article 3 § 5 de la loi sur les associations [Vereinsgesetz], il est néanmoins juridiquement possible qu’une association soit responsable pénalement [Strafgesetzwidrigkeit einer Vereinigung] parce que l’association, par l’intermédiaire de ses membres et de ses organes représentatifs, peut avoir une volonté collective qui est détachée de ses membres individuels et qui développe son propre objectif [Zweckrichtung] et peut agir de manière indépendante. Si la loi pénale est violée en raison de cet objectif propre ou des actions indépendantes de l’association, toutes les conditions requises pour une interdiction [Verbotstatbestand] sont réunies. Il est un facteur décisif à cet égard : il faut que le comportement des membres de l’association puisse être attribué à celle-ci. La nature de l’association doit être déterminée [prägen] par les infractions pénales [Strafgesetzwidrigkeit] commises par ses membres. Une association peut viser en même temps des buts différents ; à côté du but légal énoncé dans son règlement, elle peut aussi poursuivre des buts criminels qu’elle atteint par le biais du comportement de ses membres (...)

17.  L’interdiction d’une association fondée sur l’article 3 § 1, première phrase, première branche, de la loi sur les associations, combiné avec la première branche de l’article 9 § 2 de la Loi fondamentale, est juridiquement indépendante de la condamnation pénale d’un membre ou d’un responsable de cette association. Il incombe à l’autorité qui émet l’ordonnance d’interdiction et au tribunal administratif de déterminer s’il y a eu infraction pénale [Gesetzeswidrigkeit]. Toutefois, l’interdiction [Verbotstatbestand] n’a pas pour but d’imposer une sanction supplémentaire à des individus qui ont déjà violé des dispositions pénales. Il s’agit plutôt de traiter un type particulier de menace à la sûreté publique et à l’ordre public qui se manifeste par la création ou la poursuite de l’existence d’une organisation qui prépare ou commet des actes criminels. De telles organisations constituent une menace particulière pour les intérêts [Rechtsgüter] protégés par la législation pénale. Le mouvement propre et les ressources humaines et matérielles de l’organisation facilitent et promeuvent des actes répréhensibles. En même temps, le sens de la responsabilité de chacun de ses membres est souvent réduit, la résistance individuelle à l’égard de la commission d’actes criminels est diminuée et l’élan est donné pour la commission d’autres actes criminels (arrêt du 18 octobre 1988 précité, p. 307 et pp. 23-24 respectivement ; Löwer, in v. Münch/Kunig, GG, Vol. 1, 5e éd. 2000, note 39 et article 9. »

La Cour administrative fédérale a confirmé à plusieurs reprises des ordonnances de dissolution prises à l’égard d’associations qui soutenaient des idées (néo)nazies. Dans son arrêt Heimattreue Deutsche Jugend du 1er septembre 2010 (BVerwG 6 A 4.09), qui portait sur une association dont les membres propageaient les études et idées raciales des nazis, la Cour administrative fédérale a rappelé sa jurisprudence pertinente, à savoir que pour satisfaire aux conditions requises pour sa dissolution, l’association devait avoir eu pour intention de mettre en œuvre ses objectifs anticonstitutionnels de manière militante ou agressive, condition qui ne nécessitait pas le recours à la force ou une violation spécifique de la loi. Il suffisait, pour conclure à l’existence d’un but anticonstitutionnel justifiant l’interdiction, que le programme, les images et le style employés témoignent d’un lien avec l’essence du nazisme. Le fait qu’une association s’allie au parti nazi (interdit en Allemagne) ou propage une théorie raciale non conforme à l’interdiction constitutionnelle de la discrimination suffisait pour que soient remplies les conditions nécessaires à l’interdiction de l’association. La haute juridiction a déclaré que, si une association cherchait à cacher ses intentions anticonstitutionnelles, il suffisait que les conditions nécessaires à l’interdiction ressortent clairement du tableau d’ensemble formé par les déclarations individuelles et le comportement de ses membres, et que le fait que ces éléments puissent paraître subordonnés à un nombre variable de circonstances inoffensives ne disait en soi rien de leur importance.

31.  La Cour suprême des États-Unis s’est penchée sur le problème de l’intimidation dans l’affaire Virginia v. Black (538 U.S. 343 (2003)). Une loi de l’État de Virginie érige en infraction majeure « le fait pour toute personne (...) de brûler une croix sur la propriété d’autrui, une route ou tout autre lieu public (...) avec l’intention d’intimider une personne ou un groupe » et précise que « l’acte de brûler ainsi une croix (...) constituera un commencement de preuve de l’intention d’intimider une personne ou un groupe ».

La Cour suprême a dit que l’acte de brûler une croix est aux États-Unis indissolublement associé à l’histoire du Ku Klux Klan et que celui-ci avait souvent brûlé des croix pour intimider et menacer d’actes de violence imminents. Elle a précisé que, jusqu’à ce jour, qu’il s’agisse d’un message politique ou d’un moyen d’intimidation, le fait de brûler une croix était un « symbole de haine ». Bien que cet acte ne fût pas automatiquement un message d’intimidation, la personne qui brûlait une croix avait souvent pour intention d’amener le destinataire du message à craindre pour sa vie. Le premier amendement à la Constitution des États-Unis permettait à un État d’interdire les « vraies menaces », ce qui englobait les déclarations par lesquelles l’auteur entendait communiquer à un individu ou groupe d’individus particulier son intention de commettre un acte de violence illégale. Il n’était pas nécessaire que l’auteur du message eût véritablement l’intention de mettre sa menace à exécution. En revanche, l’interdiction des vraies menaces protégeait les personnes de la peur de la violence et de la perturbation engendrée par la peur, ainsi que de la possibilité que la menace de violence ne devienne réalité. L’intimidation au sens interdit par la Constitution constituait un type de vraie menace, où la personne qui la proférait la dirigeait vers une personne ou un groupe de personnes avec l’intention de faire naître chez la victime la peur d’être agressée ou tuée. La Cour suprême conclut que le premier amendement permettait à la Virginie de proscrire l’acte de brûler une croix avec l’intention d’intimider, car il s’agissait d’un acte qui constituait une forme d’intimidation particulièrement virulente.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

32.  Le requérant allègue que la dissolution de l’association qu’il présidait a emporté violation de son droit à la liberté d’association garanti par l’article 11 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

33.  Le Gouvernement considère qu’il y a lieu de déclarer la requête irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention en vertu de l’article 17, car il s’agissait à son avis d’une association qui fournissait un cadre institutionnel pour l’expression de la haine raciale contre les Juifs et les Roms. Il attire l’attention sur le fait que les organes internationaux de surveillance des droits de l’homme (tels que le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) – paragraphes 26 à 28 ci-dessus) ont également fait part de leurs préoccupations quant à l’effet menaçant des uniformes, insignes et drapeaux utilisés dans les manifestations du mouvement en cause.

34.  Le Gouvernement renvoie à la jurisprudence des institutions de la Convention, dont la décision adoptée par la Cour dans l’affaire Garaudy c. France ((déc.), no 65831/01, CEDH 2003‑IX). Il signale que, dans les cas où des requérants avaient invoqué le droit à la liberté d’expression pour justifier la publication de textes portant atteinte à l’esprit même de la Convention et aux valeurs fondamentales de la démocratie, la Commission européenne des droits de l’homme s’est fondée sur l’article 17, directement ou indirectement, pour rejeter leurs arguments et déclarer les requêtes irrecevables (voir, par exemple, Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays‑Bas, nos 8348/78 et 8406/78, décision de la Commission du 11 octobre 1979, Décisions et Rapports (DR) 18, p. 198, et Marais c. France, no 31159/96, décision de la Commission du 24 juin 1996, DR 86-A, p. 184). D’après le Gouvernement, la Cour a par la suite confirmé cette approche (il cite l’arrêt Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, §§ 47 et 53, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII). En outre, il signale que, dans une affaire portant sur l’article 11 (W.P. et autres c. Pologne (déc.), no 42264/98, CEDH 2004‑VII), la Cour a observé que « le but général de l’article 17 est d’empêcher que des groupements totalitaires puissent exploiter en leur faveur les principes posés par la Convention ». Des conclusions similaires auraient été tirées dans les décisions Norwood c. Royaume-Uni ((déc.), no 23131/03, CEDH 2004‑XI) et Witzsch c. Allemagne ((déc.), no 7485/03, 13 décembre 2005) ; le Gouvernement renvoie aussi, par contraste, à l’arrêt Vajnai c. Hongrie (no 33629/06, § 25, CEDH 2008).

35.  Le requérant plaide en réponse que les activités de l’association ne constituent pas un abus du droit à la liberté d’expression et d’association car l’objectif de celles-ci aurait été de restaurer l’état de droit en protégeant les citoyens contre les criminels. L’association n’aurait participé à aucune activité visant à la destruction de l’un quelconque des droits et libertés énoncés dans la Convention.

36.  La Cour observe d’emblée que, contrairement aux affaires portant sur la liberté d’expression citées par le Gouvernement, la présente espèce concerne le droit du requérant à la liberté d’association et, de fait, une restriction tout à fait sérieuse de celle-ci puisqu’elle a conduit à la fin de l’existence juridique de l’association. C’est pourquoi cette affaire se distingue de celles mentionnées par le Gouvernement. La Cour observe en particulier que, dans les affaires Garaudy et Lehideux et Isorni (précitées), c’est la question de la justification de politiques de type nazi qui était en jeu. Par conséquent, le constat d’abus au titre de l’article 17 découlait du fait que l’article 10 avait été invoqué par des groupes animés de motivations totalitaires.

37.  Or en l’espèce le Gouvernement ne soutient pas que le requérant a exprimé du mépris pour les victimes d’un régime totalitaire (voir a contrario la décision Witzsch précitée) ou qu’il a appartenu à un groupe ayant des visées totalitaires. Les informations figurant dans le dossier ne permettent pas non plus de parvenir à une telle conclusion. Le requérant qui, à l’époque des faits, était le président d’une association enregistrée, dénonce la dissolution de cette association ainsi que du mouvement qui, d’après les juridictions internes, constituait une entité au sein de cette association, alors que cette mesure avait été prise essentiellement en raison de la tenue d’une manifestation qui n’avait pas été déclarée illégale au niveau interne et n’avait conduit à aucun acte de violence. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que les activités de l’association visaient à justifier ou propager une idéologie d’oppression servant la cause de « groupes totalitaires ».

38.  Ces activités, dont la compatibilité avec l’article 11 de la Convention va faire l’objet d’un examen au fond (comparer avec Féret c. Belgique, no 15615/07, § 52, 16 juillet 2009), ne révèlent à première vue aucun acte visant à la destruction de l’un quelconque des droits et libertés énoncés dans la Convention (Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juillet 1998, § 29, Recueil 1998‑IV) ni aucune intention de la part du requérant de défendre publiquement les thèses totalitaires ou de diffuser de la propagande en faveur de ces thèses (Vajnai, précité, §§ 24-26). Ce n’est que lorsqu’elle aura terminé son examen au fond que la Cour sera en mesure de décider, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’affaire, s’il y a lieu d’appliquer l’article 17 de la Convention (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 96, CEDH 2003‑II).

39.  Il s’ensuit que, pour la Cour, la requête ne constitue pas un abus du droit de recours aux fins de l’article 17 de la Convention. Dès lors, elle n’est pas incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Constatant que la requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Les arguments des parties

a)  Le Gouvernement

40.  Le Gouvernement soutient que le mouvement ne possédait aucun statut juridique propre mais formait une subdivision de l’association, laquelle, selon lui, l’avait créé et en assurait l’organisation et le financement. Il ajoute que les membres du mouvement avaient agi dans l’intérêt et sous le patronage de l’association et payé leur cotisation d’adhésion à celle-ci, et que ce n’est pas parce que les statuts de l’association ne précisaient pas sa structure interne qu’il fallait conclure que le mouvement ne faisait pas partie de jure de l’association. Toutefois, même à supposer que le mouvement ait constitué une entité distincte de jure, ses liens de facto avec l’association auraient permis de dire que l’association avait outrepassé sa liberté d’expression en raison du fonctionnement du mouvement. Dès lors, l’association présidée par le requérant n’aurait pas été dissoute à cause des actes d’une entité distincte mais à cause de ses propres activités.

41.  De plus, le Gouvernement considère qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans l’exercice par le requérant du droit à la liberté d’association dès lors que cette liberté n’engloberait pas le droit d’association en vue de diffuser de la propagande raciste. Toutefois, même à supposer qu’il y ait eu pareille ingérence, elle aurait été prévue par la loi et aurait visé des buts légitimes : protection de la sûreté publique, défense de l’ordre et prévention du crime et protection des droits et libertés d’autrui.

42.  En outre, une telle ingérence aurait été nécessaire dans une société démocratique eu égard au contenu raciste et antisémite des manifestations organisées par le mouvement et à ses rituels paramilitaires, qui auraient été intimidants et traumatisants, auraient promu la ségrégation, augmenté les tensions sociales et provoqué la violence. Quant à la proportionnalité, la dissolution aurait été une sanction appropriée face à la propagation de la discrimination et de la ségrégation raciales. Il ne s’agirait d’ailleurs pas de la sanction la plus sévère, étant donné qu’il aurait été également possible de prévoir des sanctions pénales, à titre d’ultima ratio, pour les individus responsables des expressions les plus graves de haine raciale incitant autrui à la violence.

b)  Le requérant

43.  D’emblée, le requérant souligne que, contrairement aux conclusions des juridictions nationales, les actions reprochées au mouvement ne peuvent être imputées à l’association dissoute. Pour lui, le mouvement ne constituait pas une partie intégrante de l’association, étant donné que les deux entités fonctionnaient de manière séparée et indépendante, même si elles coopéraient. Il souligne aussi qu’aucun des membres de l’association n’a pris part au mouvement.

44.  Le requérant conteste l’argument du Gouvernement selon lequel la dissolution de l’association visait un but légitime servant la sécurité nationale et la sûreté publique, à savoir qu’elle était nécessaire à la défense de l’ordre et à la prévention du crime et à la protection des droits et libertés d’autrui, au sens de l’article 11 § 2 de la Convention. Selon lui, les tribunaux n’ont pas réussi à établir qu’il y avait véritablement eu des troubles ou des violations des droits d’autrui. Il souligne que les juridictions nationales ont fait état d’un danger purement hypothétique, dont la prévention ne pourrait passer pour constituer un but légitime au regard de la Convention.

45.  En outre, le requérant allègue que, même à supposer que l’ingérence dans les droits consacrés par l’article 11 ait été légale, la dissolution de l’association n’était ni nécessaire ni proportionnée aux buts poursuivis. Il note que toute ingérence des autorités publiques dans l’exercice du droit à la liberté d’association doit être proportionnée à la gravité du comportement litigieux ; dès lors, la sanction prononcée par les tribunaux internes aurait été excessivement sévère. Il soutient que, d’après la jurisprudence de la Cour, la dissolution est réservée à des situations où les activités d’une association mettent sérieusement en danger l’essence même de la démocratie ; or ni les activités de l’association ni celles du mouvement n’auraient recherché ou eu un tel effet. En tout état de cause, le droit interne pertinent ne prévoirait aucune autre sanction que la dissolution pour le cas où une association mènerait des activités illégales, ce qui en soi empêcherait toute proportionnalité.

46.  Le requérant signale en outre que les exceptions énoncées au paragraphe 2 de l’article 11 doivent être interprétées de manière étroite et que seules des raisons convaincantes et impérieuses peuvent justifier des restrictions à la liberté d’association. En l’espèce, toutefois, les tribunaux internes n’auraient pas donné de motifs suffisants et pertinents pour justifier la restriction puisqu’ils n’auraient pas réussi à démontrer comment les activités de l’association risquaient de provoquer des conflits ou même de soutenir ou de promouvoir la violence et la destruction de la démocratie. De fait, les activités de l’association auraient eu pour seul but de permettre de discuter de problèmes sociaux non résolus tels que la sécurité des personnes vulnérables et le taux de criminalité extrêmement élevé.

47.  Le requérant attire aussi l’attention sur la jurisprudence de la Cour relative à l’article 11 examiné à la lumière de l’article 10. Dans ce contexte, il concède que les idées exprimées par le mouvement peuvent passer pour offensantes ou choquantes. Néanmoins, il pense qu’elles ne s’analysent pas en une incitation à la haine ou à l’intolérance et qu’elles sont donc compatibles avec les principes de pluralisme et de tolérance dans une société démocratique.

c)  Le tiers intervenant

48.  Le Centre européen pour les droits des Roms soutient que les libertés garanties par l’article 11 de la Convention peuvent faire l’objet de restrictions afin de protéger les droits et libertés de communautés minoritaires. S’appuyant notamment sur les dispositions pertinentes de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, il arguë que les organisations qui cherchent à justifier ou à promouvoir la haine et la discrimination raciales sous quelque forme que ce soit ne jouissent pas de la protection de l’article 11 de la Convention. Il signale aussi que les minorités, et les Roms en particulier, jouissent d’une protection spéciale au titre de l’article 14 ; il renvoie au consensus international qui se fait jour au sein des États membres du Conseil de l’Europe pour reconnaître l’obligation de protéger leur sécurité.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Sur l’existence d’une ingérence

49.  La Cour note que l’association présidée par le requérant a été dissoute et que cette mesure a eu des effets sur le mouvement en cause (paragraphe 15 ci-dessus). Elle considère donc qu’il y a eu une ingérence dans l’exercice par le requérant des droits garantis par l’article 11 de la Convention.

b)  Sur la justification de l’ingérence

50.  Pareille ingérence constitue une violation de l’article 11 sauf si elle est prévue par la loi, vise un ou plusieurs buts légitimes énumérés à l’article 11 § 2 et est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ces buts.

i.  « Prévue par la loi »

51.  La Cour observe que l’association a été dissoute en vertu de l’article 16 § 2 d) de la loi no II de 1989 sur le droit à la liberté d’association (paragraphe 18 ci-dessus), lequel renvoie à l’article 2 § 2 (« ne doit pas nuire aux droits et libertés d’autrui »), ce qui a entraîné par voie de conséquence la dissolution du mouvement.

Elle prend note en outre des arguments divergents des parties sur le point de savoir si la décision des juridictions internes de dissoudre l’association englobait légalement la dissolution du mouvement.

À cet égard, la Cour observe que, en réponse aux observations factuelles des autorités de poursuite (voir les détails au paragraphe 11 ci-dessus), la cour d’appel de Budapest et la Cour suprême ont déclaré (paragraphes 15 et 16 ci-dessus) que, pour l’interprétation de la législation interne sur les associations, le mouvement devait passer pour une entité fonctionnant au sein de l’association plutôt que de manière indépendante. Ces juridictions ont relevé que la principale activité de l’association avait été de créer puis de faire fonctionner, guider et financer le mouvement.

La Cour ne voit dans le dossier ou les arguments des parties aucun élément particulier de nature à rendre arbitraire cette application de la loi, étant donné que les autorités nationales sont les mieux placées pour interpréter la législation interne et pour apprécier les éléments de preuve. Sachant que la création du mouvement était un projet de l’association, que le mouvement et l’association partageaient un même compte bancaire, que les candidats à l’adhésion au mouvement étaient entendus par l’association et que l’uniforme du mouvement pouvait être acheté auprès de l’association, la Cour juge que la position de ces juridictions n’était nullement déraisonnable.

En conséquence, la Cour est convaincue que la dissolution de l’association en raison des actions du mouvement était « prévue par la loi » eu égard au constat des juridictions internes quant au lien qui les unissait.

ii.  But légitime

52.  La Cour considère que la mesure litigieuse peut passer pour viser à la protection de la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui, tous buts légitimes aux fins de l’article 11 § 2 de la Convention, et ce en dépit de l’allégation du requérant selon laquelle les tribunaux internes n’ont pas démontré qu’il y avait véritablement eu des troubles ou des violations des droits d’autrui (paragraphe 44 ci-dessus).

Il rester à déterminer si la mesure en cause était nécessaire dans une société démocratique.

iii.  Nécessaire dans une société démocratique

α)  Principes généraux

53.  Les principes généraux élaborés par la Cour dans sa jurisprudence en la matière se trouvent résumés comme suit dans l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie (30 janvier 1998, Recueil 1998‑I) :

« 42.  La Cour rappelle que malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, l’article 11 doit s’envisager aussi à la lumière de l’article 10. La protection des opinions et de la liberté de les exprimer constitue l’un des objectifs de la liberté de réunion et d’association consacrée par l’article 11 (voir, parmi d’autres, les arrêts Young, James et Webster c. Royaume-Uni du 13 août 1981, série A no 44, p. 23, § 57, et Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A no 323, p. 30, § 64).

43.  Il en va d’autant plus ainsi dans le cas de partis politiques, eu égard à leur rôle essentiel pour le maintien du pluralisme et le bon fonctionnement de la démocratie (paragraphe 25 ci-dessus).

La Cour l’a souvent souligné : il n’est pas de démocratie sans pluralisme. C’est pourquoi la liberté d’expression consacrée par l’article 10 vaut, sous réserve du paragraphe 2, non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Vogt précité, p. 25, § 52). En tant que leurs activités participent d’un exercice collectif de la liberté d’expression, les partis politiques peuvent déjà prétendre à la protection des articles 10 et 11 de la Convention.

(...)

45.  La démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de « l’ordre public européen » (arrêt Loizidou précité, p. 27, § 75).

(...)

En outre, les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention requièrent d’apprécier les ingérences dans l’exercice des droits qu’ils consacrent à l’aune de ce qui est « nécessaire dans une société démocratique ». La seule forme de nécessité capable de justifier une ingérence dans l’un de ces droits est donc celle qui peut se réclamer de la « société démocratique ». La démocratie apparaît ainsi comme l’unique modèle politique envisagé par la Convention et, partant, le seul qui soit compatible avec elle.

(...)

46.  En conséquence, les exceptions visées à l’article 11 appellent, à l’égard de partis politiques, une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à leur liberté d’association. Pour juger en pareil cas de l’existence d’une nécessité au sens de l’article 11 § 2, les États contractants ne disposent que d’une marge d’appréciation réduite, laquelle se double d’un contrôle européen rigoureux portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, y compris celles d’une juridiction indépendante. La Cour a déjà relevé la nécessité d’un tel contrôle à propos de la condamnation d’un parlementaire pour injures (arrêt Castells précité, pp. 22-23, § 42) ; à plus forte raison pareil contrôle s’impose-t-il quand il s’agit de la dissolution de tout un parti politique et de l’interdiction frappant ses responsables d’exercer à l’avenir toute autre activité similaire.

47.  Lorsqu’elle exerce son contrôle, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article 11 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A no 298, p. 26, § 31). »

54.  D’autres principes pertinents sont exposés dans l’arrêt Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres (précité) ; ils se lisent ainsi :

« γ)  La possibilité d’apporter des restrictions et le contrôle européen rigoureux

96.  Les libertés garanties par l’article 11 de la Convention ainsi que par les articles 9 et 10 ne sauraient priver les autorités d’un État, dont une association, par ses activités, met en danger les institutions, du droit de protéger celles-ci. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé inhérente au système de la Convention une certaine forme de conciliation entre les impératifs de la défense de la société démocratique et ceux de la sauvegarde des droits individuels. Une telle conciliation requiert que l’intervention des autorités se fasse en conformité avec le paragraphe 2 de l’article 11, question dont la Cour aborde l’examen ci-dessous (...)

(...)

98.  (...) la Cour estime qu’un parti politique peut promouvoir un changement de la législation ou des structures légales ou constitutionnelles de l’État à deux conditions : 1.  les moyens utilisés à cet effet doivent être légaux et démocratiques ; 2.  le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux. Il en découle nécessairement qu’un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence ou proposent un projet politique qui ne respecte pas la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci ainsi que la méconnaissance des droits et libertés qu’elle reconnaît ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs (arrêt Yazar et autres c. Turquie, nos 22723/93, 22724/93 et 22725/93, § 49, CEDH 2002-II ; voir également, mutatis mutandis, les arrêts Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, nos 29221/95 et 29225/95, § 97, CEDH 2001-IX, et Parti socialiste et autres c. Turquie du 25 mai 1998, Recueil 1998-III, pp. 1256-1257, §§ 46 et 47).

99.  On ne saurait exclure qu’un parti politique, en invoquant les droits consacrés par l’article 11 de la Convention ainsi que par les articles 9 et 10, essaie d’en tirer le droit de se livrer effectivement à des activités visant la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention et ainsi, la fin de la démocratie (Parti communiste (KPD) c. Allemagne, no 250/57, décision de la Commission du 20 juillet 1957, Annuaire 1, p. 222). Or, compte tenu du lien très clair entre la Convention et la démocratie (paragraphes 86-89 ci-dessus), nul ne doit être autorisé à se prévaloir des dispositions de la Convention pour affaiblir ou détruire les idéaux et valeurs d’une société démocratique. Le pluralisme et la démocratie se fondent sur un compromis exigeant des concessions diverses de la part des individus ou groupes d’individus, qui doivent parfois accepter de limiter certaines des libertés dont ils jouissent afin de garantir une plus grande stabilité du pays dans son ensemble (voir, mutatis mutandis, Petersen c. Allemagne (déc.), no 39793/98, CEDH 2001-XII). Dans ce contexte, la Cour considère qu’il n’est pas du tout improbable que des mouvements totalitaires, organisés sous la forme de partis politiques, mettent fin à la démocratie, après avoir prospéré sous le régime démocratique. L’histoire européenne contemporaine en connaît des exemples.

(...)

δ)  L’imputabilité à un parti politique des actes et des discours de ses membres

101.  La Cour estime aussi que les statuts et le programme d’un parti politique ne peuvent être pris en compte comme seul critère afin de déterminer ses objectifs et intentions. L’expérience politique des États contractants a montré que dans le passé les partis politiques ayant des buts contraires aux principes fondamentaux de la démocratie ne les ont pas dévoilés dans des textes officiels jusqu’à ce qu’ils s’approprient le pouvoir. C’est pourquoi la Cour a toujours rappelé qu’on ne saurait exclure que le programme politique d’un parti cache des objectifs et intentions différents de ceux qu’il affiche publiquement. Pour s’en assurer, il faut comparer le contenu de ce programme avec les actes et prises de position des membres et dirigeants du parti en cause. L’ensemble de ces actes et prises de position, à condition de former un tout révélateur du but et des intentions du parti, peut entrer en ligne de compte dans la procédure de dissolution d’un parti politique (...)

ε)  Le moment opportun de la dissolution

102.  La Cour considère par ailleurs qu’on ne saurait exiger de l’État d’attendre, avant d’intervenir, qu’un parti politique s’approprie le pouvoir et commence à mettre en œuvre un projet politique incompatible avec les normes de la Convention et de la démocratie, en adoptant des mesures concrètes visant à réaliser ce projet, même si le danger de ce dernier pour la démocratie est suffisamment démontré et imminent. La Cour accepte que lorsque la présence d’un tel danger est établie par les juridictions nationales, à l’issue d’un examen minutieux soumis à un contrôle européen rigoureux, un État doit pouvoir « raisonnablement empêcher la réalisation d’un (...) projet politique, incompatible avec les normes de la Convention, avant qu’il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime démocratique dans le pays » (arrêt de chambre, § 81).

103.  Selon la Cour, un tel pouvoir d’intervention préventive de l’État est également en conformité avec les obligations positives pesant sur les Parties contractantes dans le cadre de l’article 1 de la Convention pour le respect des droits et libertés des personnes relevant de leur juridiction. Ces obligations ne se limitent pas aux éventuelles atteintes pouvant résulter d’actions ou d’omissions imputables à des agents de l’État ou survenues dans des établissements publics, mais elles visent aussi des atteintes imputables à des personnes privées dans le cadre de structures qui ne relèvent pas de la gestion de l’État (...) Un État contractant à la Convention, en se fondant sur ses obligations positives, peut imposer aux partis politiques, formations destinées à accéder au pouvoir et à diriger une part importante de l’appareil étatique, le devoir de respecter et de sauvegarder les droits et libertés garantis par la Convention ainsi que l’obligation de ne pas proposer un programme politique en contradiction avec les principes fondamentaux de la démocratie.

ζ)  Examen global

104.  À la lumière de ce qui précède, l’examen global par la Cour de la question de savoir si la dissolution d’un parti politique pour risque d’atteinte aux principes démocratiques répondait à un « besoin social impérieux » (voir, par exemple, l’arrêt Parti socialiste et autres précité, p. 1258, § 49) doit se concentrer sur les points suivants : i.  s’il existe des indices montrant que le risque d’atteinte à la démocratie, sous réserve d’être établi, est suffisamment et raisonnablement proche ; ii.  si les actes et discours des dirigeants et des membres du parti politique pris en considération dans le cadre de l’affaire sont imputables à l’ensemble du parti ; iii.  si les actes et les discours imputables au parti politique constituent un tout qui donne une image nette d’un modèle de société conçu et prôné par le parti, et qui serait en contradiction avec la conception d’une « société démocratique ».

105.  Dans le cadre de l’examen global que doit entreprendre la Cour sur ces points, il faut aussi tenir compte de l’évolution historique dans laquelle se situe la dissolution (...) dans le pays concerné pour le bon fonctionnement de la « société démocratique » (voir, mutatis mutandis, la décision Petersen précitée). »

55.  L’arrêt adopté par la Cour dans l’affaire Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne (nos 25803/04 et 25817/04, CEDH 2009) contient d’autres passages pertinents :

« 79.  (...) Il en découle nécessairement qu’un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence ou proposent un projet politique qui ne respecte pas une ou plusieurs règles de la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci ainsi que la méconnaissance des droits et libertés qu’elle reconnaît, ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs (...)

(...)

81.  (...) un État doit pouvoir « raisonnablement empêcher la réalisation d’un (...) projet politique, incompatible avec les normes de la Convention, avant qu’il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime démocratique dans le pays » (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres, précité, § 102).

(...)

83.  (...) Dès lors, l’examen de la question de savoir si la dissolution d’un parti politique pour risque d’atteinte aux principes démocratiques répond à un « besoin social impérieux » (voir, par exemple, Parti socialiste et autres, précité, § 49) doit se concentrer sur le point de savoir, d’une part, s’il existe des indices montrant que le risque d’atteinte à la démocratie, sous réserve d’être établi, est suffisamment et raisonnablement proche et, d’autre part, si les actes et discours imputables au parti concerné constituent un tout qui donne une image nette d’un modèle de société conçu et prôné par le parti, et qui serait en contradiction avec la conception d’une « société démocratique » (...) »

β)  Application en l’espèce des principes précités

56.  La Cour observe d’emblée que, bien que le droit de créer et de faire fonctionner des partis politiques relève de la protection de l’article 11 de la Convention, tout comme le droit de créer et de faire fonctionner des organisations sociales, ces deux types d’entités se distinguent l’une de l’autre notamment en ce qui concerne le rôle qu’elles jouent dans le fonctionnement d’une société démocratique, étant donné que de nombreuses organisations sociales contribuent à ce fonctionnement seulement de manière indirecte.

Dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, les partis politiques jouissent d’un statut juridique spécial qui facilite leur participation à la politique en général et aux élections en particulier ; ils ont aussi des fonctions spécifiques, reconnues par la loi, dans le cadre du processus électoral et de la formation des politiques publiques et de l’opinion publique.

Les organisations sociales ne jouissent normalement pas de tels privilèges conférés par la loi et ont en principe moins de possibilités pour influer sur les décisions prises dans le domaine politique. Nombre d’entre elles ne prennent pas part à la vie politique publique, bien qu’il n’existe pas de séparation stricte à cet égard entre les diverses formes d’associations ; leur influence politique réelle ne peut donc s’apprécier qu’au cas par cas.

Les mouvements sociaux peuvent jouer un rôle important dans la formation des politiques mais la loi leur fournit en général moins d’occasions qu’aux partis politiques d’influer sur le système politique. Toutefois, eu égard à l’impact politique réel de ces organisations et mouvements sociaux, il faut tenir compte de leur influence lorsqu’il s’agit d’évaluer un risque pesant sur la démocratie.

57.  De l’avis de la Cour, l’État a également le droit de prendre des mesures préventives pour protéger la démocratie face à des entités autres que des partis lorsqu’un préjudice menaçant de manière suffisamment imminente les droits d’autrui risque de saper les valeurs fondamentales sur lesquelles se fonde une société démocratique. L’une de ces valeurs est la coexistence, au sein de la société, des membres qui la composent hors de toute ségrégation raciale ; en effet, on ne peut concevoir une société démocratique dépourvue de cette valeur. On ne saurait exiger de l’État d’attendre pour intervenir qu’un mouvement politique mène des actions qui sapent la démocratie ou recoure à la violence. Même si pareil mouvement n’a pas tenté de prendre le pouvoir et que le risque que son projet politique fait courir à la démocratie n’est pas imminent, l’État a le droit de prendre des mesures préventives s’il est établi que pareil mouvement a commencé à adopter des actes concrets dans la vie publique pour mettre en pratique un projet politique incompatible avec les normes de la Convention et la démocratie (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres, précité, § 102).

58.  S’agissant d’apprécier la nécessité et la proportionnalité de la mesure litigieuse, la Cour note que la présente espèce concerne la dissolution d’une association et d’un mouvement et non celle d’un parti politique. Les responsabilités qui découlent du rôle constitutionnel particulier et les privilèges juridiques qui sont ceux des partis politiques dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe ne s’appliquent aux organisations sociales que dans la mesure où ces dernières ont véritablement un degré comparable d’influence politique. En revanche, la Cour est consciente que mettre fin à l’existence juridique de l’association et du mouvement est une sanction d’une extrême gravité qui a privé ces groupes des avantages juridiques, financiers et pratiques normalement accordés aux associations enregistrées dans la plupart des pays (paragraphe 18 ci-dessus). Dès lors, pareille mesure doit être justifiée par des motifs pertinents et suffisants, tout comme pour la dissolution d’un parti politique bien que, dans le cas d’une association, dont les possibilités d’exercer une influence au plan national sont plus réduites, il est légitime que la justification de restrictions préventives soit moins forte que lorsqu’il s’agit d’un parti politique. Étant donné qu’un parti politique et une association non politique n’ont pas la même importance pour une démocratie, seul le premier mérite que l’on procède à l’examen le plus rigoureux de la nécessité d’une restriction au droit d’association (comparer, par analogie, avec le niveau de protection accordé au discours politique et au discours qui ne concerne pas des questions d’intérêt public dans les arrêts Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103, et Tammer c. Estonie, no 41205/98, § 62, CEDH 2001‑I). Cette distinction doit être exercée avec suffisamment de souplesse. Pour ce qui est des associations ayant des objectifs et une influence politiques, le niveau de l’examen dépend de la nature et des fonctions réelles de l’association compte tenu des circonstances de l’affaire.

59.  La Cour observe que le mouvement dont le requérant conteste la dissolution a été créé par l’association dans le but affiché de « défendre la Hongrie (...) sans défense physiquement, spirituellement et intellectuellement » (paragraphe 8 ci-dessus). Le mouvement a par la suite, entre autres activités, organisé des rassemblements et manifestations, ses membres portant l’uniforme et défilant en formations de style militaire. Ces événements eurent lieu dans diverses parties du pays et en particulier dans des villages ayant une forte population rom, comme Tatárszentgyörgy ; des appels furent également lancés pour la défense des « Hongrois de souche » contre ce qui était qualifié de « criminalité tsigane » (paragraphe 10 ci‑dessus). En réaction à ces événements, le parquet engagea une action contre le mouvement et l’association au motif, en substance, que les activités de ceux-ci constituaient des manœuvres d’intimidation à caractère raciste dirigées contre des citoyens d’origine rom (paragraphe 11 ci-dessus).

60.  Au cours de la procédure judiciaire qui s’ensuivit, les tribunaux examinèrent les liens entre les deux défendeurs et constatèrent qu’il existait des preuves convaincantes qu’il ne s’agissait pas d’entités distinctes. Eu égard aux arguments pris en compte dans ce contexte, la Cour ne saurait juger cette conclusion déraisonnable ou arbitraire (paragraphes 11, 13, 15, 16 et 51 ci-dessus).

61.  La procédure a débouché sur la dissolution tant de l’association que du mouvement. En substance, les juridictions nationales ont considéré que, même si les activités des défendeurs n’avaient concrètement donné lieu à aucune violence, ces derniers avaient créé un climat d’hostilité envers les Roms par le biais de démonstrations de force verbales et visuelles et que cela constituait une violation de la loi sur les associations, était contraire à la dignité humaine et nuisait aux droits d’autrui, en l’occurrence ceux des citoyens roms. À ce dernier égard, les juridictions observèrent que le thème central du rassemblement de Tatárszentgyörgy était la « criminalité tsigane », à savoir un concept raciste. Les tribunaux portèrent une attention particulière au fait que les rassemblements litigieux mettaient en jeu des uniformes, ordres, saluts et formations de style militaire ainsi que des brassards rappelant les symboles des Croix fléchées. En appel, ce raisonnement fut complété par des considérations sur le fait que les populations des villages visés par le mouvement constituaient un « public captif » puisqu’elles n’avaient pu se soustraire aux opinions extrêmes et porteuses d’exclusion véhiculées par les actions du mouvement. De l’avis des juridictions nationales, ces actions créaient une menace à l’ordre public du fait qu’elles causaient des tensions sociales et généraient une atmosphère propice à la violence (paragraphes 15 et 16 ci-dessus).

62.  La Cour répète qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Lehideux et Isorni, précité, § 50). La Cour a seulement pour tâche de vérifier les décisions rendues par les autorités en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Ce faisant, elle doit se convaincre que celles-ci se sont fondées sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 48, Recueil 1998-IV). Dans les circonstances de la présente espèce, la Cour ne saurait juger déraisonnables ou arbitraires les conclusions des juridictions hongroises, et elle partage l’avis de celles-ci selon lequel les activités et les idées du mouvement se fondaient sur une comparaison raciale de la minorité rom et de la majorité hongroise (paragraphe 13 ci-dessus).

63.  La Cour a dit précédemment, dans le contexte de l’article 10, que des idées ou comportements ne sauraient être soustraits à la protection de la Convention simplement parce qu’ils sont susceptibles de créer un sentiment de malaise parmi des groupes de citoyens ou parce que certaines personnes peuvent s’en offusquer (Vajnai, précité, § 57). Elle estime que des considérations similaires doivent s’appliquer à la liberté d’association pour autant que celle-ci concerne un regroupement d’individus visant à diffuser des idées qui ne sont pas largement acceptées, voire qui choquent ou dérangent. De fait, à moins que l’association en question puisse raisonnablement passer pour être le terreau de la violence ou pour incarner la négation des principes démocratiques, il est difficile de concilier des mesures radicales destinées à restreindre des droits fondamentaux tels que la liberté d’association – sous couvert de protéger la démocratie – avec l’esprit de la Convention, laquelle vise à garantir l’expression d’opinions politiques (même celles qui sont difficiles à accepter par les autorités ou par un grand groupe de citoyens et qui contestent l’ordre établi) par le biais de tous les moyens pacifiques et légaux, y compris les associations et rassemblements (voir, mutatis mutandis, Güneri et autres c. Turquie, nos 42853/98, 43609/98 et 44291/98, § 76, 12 juillet 2005).

64.  Cela posé, il reste à déterminer si, en l’espèce, les actions de l’association et du mouvement n’ont pas outrepassé le cadre d’activités légales et pacifiques. À cet égard, la Cour ne saurait négliger le fait que leurs activistes ont organisé plusieurs défilés, tel celui de Tatárszentgyörgy, qui rassemblait quelque deux cents personnes dans un village comptant environ 1 800 habitants. Certes, il n’y a pas eu de violence, mais il n’est pas possible de savoir après coup si cela était ou non le résultat de la présence de la police. Les activistes qui ont défilé dans le village portaient des uniformes de style militaire et des brassards menaçants ; ils étaient disposés en une formation de type militaire, exécutaient des saluts et lançaient des ordres également d’inspiration militaire.

65.  Pour la Cour, un tel rassemblement pouvait être compris par les personnes présentes comme signifiant que ses organisateurs avaient l’intention et le pouvoir de recourir à une organisation paramilitaire pour atteindre leurs objectifs, quels que ceux-ci puissent être. La formation paramilitaire rappelait le mouvement nazi hongrois, les Croix fléchées, l’épine dorsale du régime qui fut responsable, entre autres, de l’extermination en masse des Roms en Hongrie. Eu égard à l’existence de liens organisationnels établis entre le mouvement dont les activistes étaient présents et l’association, la Cour juge également que l’effet d’intimidation des rassemblements organisés à Tatárszentgyörgy et ailleurs n’a pu qu’être amplifié – et même démultiplié – par le fait que ces rassemblements s’appuyaient sur une association enregistrée bénéficiant d’une reconnaissance juridique.

66.  La Cour considère que la démonstration par des protagonistes politiques de leur capacité et de leur volonté d’organiser une force paramilitaire va au-delà de l’utilisation de moyens pacifiques et légaux destinés à exprimer des opinions politiques. Eu égard à l’expérience historique – en l’occurrence celle de la Hongrie, qui a connu à une époque le pouvoir des Croix fléchées –, le fait qu’une association recoure à des manifestations paramilitaires qui expriment une division raciale et appellent implicitement à des actions fondées sur la race ne peut qu’avoir un effet d’intimidation sur les membres d’une minorité raciale, en particulier lorsque ceux-ci se trouvent chez eux et constituent ainsi un public captif. Pour la Cour, cela sort des limites de la protection qu’assure la Convention en matière d’expression (Vajnai, précité) ou de réunion, et s’analyse en une intimidation, ce qui – pour reprendre les termes utilisés dans l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis Virginia c. Black [538 U.S. 343 (2003)] (paragraphe 31 ci-dessus) – constitue une « menace véritable ». L’État est donc autorisé à protéger le droit des membres des groupes visés de vivre sans subir d’intimidation. Cela est d’autant plus vrai qu’ils ont été visés pour des motifs raciaux et ont fait l’objet d’intimidation en raison de leur appartenance à un groupe ethnique donné. La Cour estime qu’un défilé paramilitaire va au-delà de la simple expression d’une idée dérangeante ou offensante, car le message s’accompagne de la présence physique d’un groupe menaçant d’activistes organisés. Lorsque l’expression d’idées s’accompagne d’un certain comportement, la Cour considère que le niveau de protection généralement accordé à la liberté d’expression peut être réduit au vu des importants intérêts tenant à l’ordre public liés à ce comportement. Si le comportement qui est associé à l’expression d’idées est intimidant ou menaçant ou s’il empêche une personne d’exercer librement des droits ou privilèges garantis par la Convention, ou d’en jouir librement, à cause de sa race, de telles considérations ne peuvent être ignorées même dans le contexte des articles 10 et 11.

67.  En l’espèce, les activités litigieuses visaient tout à fait clairement la minorité rom, censée être responsable de la « criminalité tsigane », et la Cour n’est pas convaincue par l’argument du requérant selon lequel les entités dissoutes n’avaient pas l’intention de viser et d’intimider ce groupe vulnérable (Horváth et Kiss c. Hongrie, no 11146/11, § 102, 29 janvier 2013). À cet égard, la Cour reconnaît la pertinence des préoccupations exprimées par différentes organisations internationales (paragraphes 26 à 28 ci-dessus).

68.  Comme la Cour l’a déjà indiqué (paragraphe 57 ci-dessus), dans de telles circonstances, on ne saurait exiger des autorités d’attendre d’autres événements pour intervenir dans le but de protéger les droits d’autrui, puisque le mouvement avait adopté des actes concrets dans la vie publique pour mettre en pratique un projet politique incompatible avec les normes de la Convention et la démocratie.

69.  Pour la Cour, le caractère d’intimidation des rassemblements en question prime sur toute autre considération, alors même que ces rassemblements n’avaient pas été interdits par les autorités et qu’ils n’ont donné lieu à aucune violence ni à aucun crime. Ce qui importe est que l’organisation répétée de rassemblements (paragraphe 15 ci-dessus) était de nature à intimider autrui, et donc à avoir des répercussions sur les droits d’autrui, surtout vu le lieu des défilés. Concernant la dissolution de l’association, il importe peu qu’aucune des manifestations n’ait été illégale ; la Cour n’est pas appelée en l’espèce à déterminer dans quelle mesure les manifestations s’analysent en un exercice du droit de réunion garanti par la Convention. Il est possible que la véritable nature et les véritables buts d’une association ne se révèlent qu’en fonction du déroulement concret de telles manifestations. Pour la Cour, organiser une série de rassemblements dans le but annoncé de tenir la « criminalité tsigane » en échec au moyen d’un défilé paramilitaire peut passer pour la mise en pratique d’une politique de ségrégation raciale. En fait, ces défilés à caractère intimidant peuvent être vus comme la première étape vers la réalisation d’une certaine vision de l’ordre public qui est d’essence raciste.

La Cour signale à cet égard que si le droit à la liberté de réunion est exercé de manière répétée par le biais de défilés intimidants impliquant des groupes importants, l’État a le droit de prendre des mesures pour restreindre le droit à la liberté d’association qui lui est lié pour autant que cela est nécessaire afin de parer le risque qu’une telle intimidation à grande échelle représente pour le fonctionnement de la démocratie (paragraphe 54 ci‑dessus). Des actes d’intimidation coordonnés pris à grande échelle et, de surcroît, se rapportant à la défense de politiques à motivation raciale incompatibles avec les valeurs fondamentales de la démocratie sont de nature à justifier une ingérence de l’État dans l’exercice de la liberté d’association, même dans le cadre de l’étroite marge d’appréciation applicable dans la présente affaire. La raison à cela tient aux conséquences négatives de pareille intimidation sur la volonté politique du peuple. Alors que la défense accidentelle d’idées antidémocratiques ne constitue pas en soi un motif impérieux justifiant l’interdiction d’un parti politique (paragraphe 53 ci-dessus), et encore moins dans le cas d’une association qui ne peut bénéficier du statut spécial accordé aux partis politiques, les circonstances prises dans leur ensemble, et en particulier d’éventuelles actions planifiées et coordonnées, peuvent constituer un motif pertinent et suffisant de prendre une telle mesure, en particulier lorsque d’autres formes potentielles d’expression d’idées par ailleurs choquantes ne sont pas directement touchées (paragraphe 71 ci‑dessous, in fine).

70.  Vu les considérations qui précèdent, la Cour est convaincue que les arguments avancés par les autorités nationales étaient pertinents et suffisants pour démontrer que la mesure litigieuse correspondait à un besoin social impérieux.

71.  La Cour est consciente que la dissolution du mouvement et de l’association a représenté une mesure tout à fait radicale. Elle est néanmoins convaincue que les autorités ont choisi la mesure la moins intrusive et, d’ailleurs, la seule qui fût raisonnable, pour régler la question. Il faut de surcroît noter que les autorités nationales avaient précédemment attiré l’attention de l’association sur le caractère illégal des activités du mouvement, ce qui n’a provoqué qu’un respect de pure forme (paragraphe 9 ci-dessus), puisque d’autres rassemblements ont eu lieu pendant que la procédure était en cours (paragraphe 15 ci-dessus) (comparer avec S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 84, CEDH 2011). Pour la Cour, la menace que représentaient pour les droits d’autrui les rassemblements organisés par le mouvement ne pouvait être éradiquée de manière effective qu’en supprimant le soutien organisationnel que l’association apportait au mouvement. Si les autorités avaient toléré que le mouvement et l’association poursuivent leurs activités en entérinant leur existence juridique sous la forme privilégiée d’une entité fondée sur la loi sur les associations, le public aurait pu comprendre cette attitude comme une légitimation de cette menace par l’État. L’association, bénéficiant des prérogatives d’une entité reconnue légalement, aurait ainsi pu continuer à soutenir le mouvement, et l’État aurait de la sorte indirectement facilité l’organisation de sa campagne de rassemblements. Par ailleurs, la Cour note qu’aucune autre sanction n’a été infligée à l’association ou au mouvement, ou à leurs membres, lesquels n’ont en rien été empêchés de poursuivre des activités politiques sous d’autres formes (voir, a fortiori, Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres, précité, §§ 133-134). Dans ces conditions, la Cour juge que la mesure dénoncée n’était pas disproportionnée aux buts légitimes visés.

72.  Les considérations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 11 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque.

G.RA.
S.H.N.


OPINION CONCORDANTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

La propagation de l’antitsiganisme et de l’antisémitisme par des personnes morales et les moyens d’y faire face au titre de la Convention européenne des droits de l’homme sont les questions qui se trouvent au cœur de l’affaire Vona. Je partage l’avis de la chambre, mais je suis convaincu que l’affaire soulève des questions d’une importance cruciale qu’il convient de traiter. Tel est le but de la présente opinion.

L’obligation internationale d’ériger en infraction la propagation du racisme

L’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale[1] exige des États parties qu’ils punissent par la loi six catégories de comportement raciste : i.  la diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale ; ii.  l’incitation à la haine raciale ; iii.  les actes de violence dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique ; iv.  la provocation à de tels actes ; v.  le financement d’activités racistes, et ; vi.  la participation à des organisations ainsi qu’à des activités de propagande organisée et tout autre type d’activité de propagande, qui incitent à la discrimination raciale et qui l’encouragent[2]. En outre, cette convention exige des États parties qu’ils déclarent illégales et interdisent les organisations qui incitent à la discrimination raciale et l’encouragent, et qu’ils s’attachent à agir le plus promptement possible à l’encontre de ces organisations[3]. Ces prescriptions de l’article 4 étant impératives[4], pour y satisfaire, les États parties ne doivent pas se contenter de promulguer des lois punissant les actes de discrimination raciale, mais aussi s’assurer que les lois pénales et autres dispositions de loi interdisant la discrimination raciale sont effectivement appliquées par les juridictions nationales compétentes et les autres institutions de l’État[5].

En vertu du paragraphe 2 de l’article premier de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, les États parties doivent ériger en crime l’apartheid, lequel désigne les actes commis par des organisations, des institutions et des individus en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci, à l’instar des politiques et pratiques de ségrégation et de discrimination raciales pratiquées par l’ancien régime politique d’Afrique du Sud[6].

En vertu de l’article 7 § 1 h) du Statut de Rome de 1998 de la Cour pénale internationale[7], la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d’autres critères constitue un crime contre l’humanité soumis à la juridiction de la Cour pénale internationale, lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. Les actes de harcèlement, d’humiliation et d’abus psychologique visant les membres d’une race, d’une nationalité ou d’un groupe ethnique peuvent être qualifiés de persécution[8].

Après que la Charte des droits fondamentaux adoptée en 2000 par l’Union européenne a interdit toute discrimination fondée notamment sur la race, la couleur, la nationalité, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, l’Union européenne a poursuivi la répression de la diffusion du racisme avec l’adoption en 2008 de la décision-cadre sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal[9]. D’après la décision-cadre, sont punissables en tant qu’infractions criminelles certaines formes de conduite perpétrées avec un dessein raciste ou xénophobe, entre autres, l’incitation publique à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe, défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique. Chaque État membre doit faire en sorte que ces infractions soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, y compris une peine maximale d’au moins un à trois ans d’emprisonnement pour les personnes physiques, et des amendes pénales ou non pénales pour les personnes morales. Ces dernières sont également passibles d’autres sanctions telles que des mesures d’exclusion du bénéfice de prestations ou d’aides publiques, des mesures d’interdiction temporaire ou permanente d’exercer une activité commerciale, un placement sous surveillance judiciaire ou une mesure judiciaire de dissolution.

À la suite de l’adoption d’un instrument général pour lutter contre la discrimination, à savoir le Protocole no 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[10], le Conseil de l’Europe a créé un instrument spécifique pour sanctionner les manifestations de racisme et de xénophobie : le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques, tels que la diffusion de matériel raciste et xénophobe, les menaces ou insultes avec une motivation raciste et xénophobe, et la négation, minimisation grossière, approbation ou justification du génocide ou des crimes contre l’humanité[11]. Auparavant, la recommandation no R (97) 20 du Comité des Ministres avait déjà indiqué aux gouvernements des États membres qu’ils devaient établir un cadre juridique solide, composé de dispositions civiles, pénales et administratives portant sur le discours de haine, ce dernier devant être compris comme couvrant toutes formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration. En outre, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe s’est occupée dès l’origine des activités de certains groupes ayant un discours ouvertement hostile aux Roms et antisémite. Dans sa toute première recommandation de politique générale, l’ECRI a préconisé que les formes d’expression orales, écrites et audiovisuelles et autres, y inclus les messages passant par les médias électroniques, incitant à la haine, à la discrimination ou à la violence contre des groupes raciaux, ethniques, nationaux ou religieux ou contre leurs membres au motif qu’ils appartiennent à un tel groupe soient juridiquement considérées comme une infraction pénale, laquelle vise également la production, la distribution et le stockage aux fins de distribution du matériel incriminé. L’ECRI a recommandé de donner une haute priorité aux poursuites pénales contre les délits à caractère raciste ou xénophobe et de les mener de manière proactive et conséquente. L’ECRI a aussi conseillé d’interdire les organisations racistes lorsqu’il est considéré que cela contribuerait à la lutte contre le racisme[12]. Notant que les Roms sont en butte dans toute l’Europe à des préjugés persistants, l’ECRI a spécifiquement recommandé aux États de prendre des mesures appropriées pour une pleine et rapide administration de la justice dans les affaires concernant les violations de droits fondamentaux des Roms[13]. Plus récemment, le 1er février 2012, le Comité des Ministres a adopté une déclaration sur la montée de l’antitsiganisme et de la violence raciste envers les Roms en Europe[14], dans laquelle il exprime sa profonde inquiétude face à la montée de l’antitsiganisme, de la rhétorique anti-rom et des agressions violentes contre les Roms, et appelle les pouvoirs publics à tous les niveaux à mener rapidement et efficacement les enquêtes nécessaires sur tous les crimes commis contre des Roms et à identifier tout motif raciste de tels actes. Dans cette déclaration, le Comité se félicite également des efforts menés pour la prévention et la condamnation des organisations extrémistes incitant à commettre ou commettant de tels crimes.

En parfaite cohérence avec ces normes, la Cour européenne des droits de l’homme a souligné l’importance vitale que revêt la lutte contre la discrimination raciale sous toutes ses formes et manifestations, y compris le discours de haine ou le discours visant à la discrimination de groupes ethniques[15]. En outre, la Cour a déclaré que la violence raciale constitue un affront particulier à la dignité humaine et exige une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités[16]. La vulnérabilité du groupe visé par la discrimination et la violence est un facteur dont la Cour a tenu compte dans son analyse ; elle a par exemple établi que les personnes d’origine rom jouissent d’une protection spéciale au titre de l’article 14 de la Convention[17].

Dès lors, les États parties à la Convention ont le devoir d’ériger en infraction criminelle toute forme de diffusion, par le discours ou autre, du racisme, de la xénophobie ou de l’intolérance ethnique, d’interdire tout rassemblement et de dissoudre tout groupe, organisation, association ou partie qui en fait la promotion. Les États ont l’obligation non seulement de traduire en justice les auteurs allégués d’infractions et de donner aux victimes du racisme un rôle actif dans la procédure pénale, mais aussi d’empêcher des acteurs privés de commettre ou de répéter l’infraction. Pareille obligation internationale positive doit être reconnue, eu égard au consensus large et ancien mentionné ci-dessus, comme un principe de droit international coutumier qui s’impose à tous les États, et comme une norme impérative ayant pour effet que nulle autre règle de droit international ou national ne peut conduire à y déroger. Ainsi, la tolérance par un État, de la part de toute personne physique, rassemblement, groupe, organisation, association ou parti politique, de discours, expressions ou activités ayant pour but la diffusion du racisme, de la xénophobie ou de l’intolérance ethnique représente une violation par l’État partie de son obligation à cet égard.

La dissolution d’une association

La dissolution d’une association dépend des conditions strictes posées à l’article 11 de la Convention, à savoir que doivent être visés la sécurité nationale ou la sûreté publique, la défense de l’ordre ou la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d’autrui. De plus, l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’association ne se justifie que si elle satisfait à un critère double : la nécessité et la proportionnalité[18]. En particulier, les gouvernements, autorités publiques et fonctionnaires doivent respecter strictement le principe de neutralité quant au contenu lorsqu’ils interfèrent dans la liberté d’association, et s’abstenir d’interdire des associations ou de traiter différemment celles dont ils n’approuvent pas les actions ou opinions[19].

Normalement, les associations ont de multiples buts définis dans leurs statuts, certains étant plus importants que d’autres. Il est donc primordial de faire la distinction entre les buts principaux – ceux sans lesquels l’association n’aurait pas été créée – et les buts secondaires, en l’absence desquels l’association aurait été fondée, la dissolution n’étant une mesure appropriée que lorsque le but principal de l’association est illégal. Lorsqu’un but illégal peut être supprimé, la dissolution n’est en principe pas indiquée ; les autorités doivent plutôt supprimer le but illégal de l’acte juridique fondateur de l’association[20].

Néanmoins, les objectifs d’une association doivent être évalués en se référant non seulement à son acte fondateur, mais également à sa pratique. L’acte fondateur sert parfois à couvrir une pratique illégale. L’écart par rapport aux buts figurant dans les statuts peut se produire dès le départ ou à l’occasion des activités ultérieures. En tout état de cause, les statuts de l’association ne doivent pas être utilisés comme un écran derrière lequel poursuivre des objectifs non conformes[21]. De plus, l’examen de la pratique d’une association doit porter sur son « style global » (Gesamtstil), ce qui désigne ses symboles, uniformes, formations, saluts, chants et autres modes d’expression, étant donné que la vision d’ensemble du mode de fonctionnement de l’association peut révéler une « affinité de nature » (Wesensverwandschaft) avec d’autres associations interdites[22].

Les associations sont responsables des actions de leurs dirigeants et de leurs membres lorsque celles-ci sont liées à la poursuite des buts de l’association[23]. La responsabilité peut être engagée à raison de la direction, de l’organisation, du financement ou simplement de la tolérance d’actions illégales par des membres de l’association ou des tiers lorsqu’ils agissent pour le compte de cette dernière. Le critère ultime, pour imputer la responsabilité d’actions, est l’impression ressentie par la société que l’association elle-même participe à des actions illégales ou en tolère[24].

Les associations sont des institutions sociales organisées, dotées de sections, branches et mouvements. La dissolution d’une association entraîne la cessation de toutes ses activités, y compris celles de ses sections, branches ou mouvements. À l’inverse, la dissolution de la filiale d’une association peut justifier la dissolution de l’association-mère si la première a été créée ou soutenue d’une manière quelconque par la seconde. La même chose vaut naturellement pour les partis politiques. Des personnalités juridiques différentes ne doivent pas servir à camoufler les liens entre des associations et des partis politiques qui partagent les mêmes objectifs politiques et suivent des stratégies identiques[25].

Enfin, la question épineuse du moment de la dissolution doit être abordée avec la plus extrême prudence afin d’éviter, d’une part, une action précipitée qui porterait atteinte à l’exercice des libertés fondamentales et, d’autre part, une réaction tardive face à un comportement réellement dangereux. Ce n’est que lorsqu’il existe un danger clair et imminent pour les intérêts protégés par l’article 11 § 2 qu’il convient de procéder à la dissolution d’une association[26].

Le racisme dans la société hongroise

Il est établi par divers organes internationaux de surveillance des droits de l’homme que l’expression d’opinions anti-Roms et antisémites est fréquente dans la vie publique hongroise. Dans son quatrième rapport sur la Hongrie, l’ECRI note que « on a observé une inquiétante montée du racisme et de l’intolérance dans le discours public en Hongrie » et que « on a l’impression que l’antisémitisme ne cesse d’augmenter en Hongrie »[27]. Dans son troisième avis sur la Hongrie, le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a constaté que « la Hongrie est actuellement confrontée à une montée inquiétante de l’intolérance et du racisme, principalement à l’encontre des Roms »[28]. Par la suite, le Comité des Ministres a approuvé une résolution qui a établi ce qui suit : « Depuis quelques années, les Roms sont de plus en plus la cible de manifestations d’intolérance, d’hostilité et de violence à caractère raciste. On observe également une montée extrêmement préoccupante des propos haineux et racistes dans le discours public ainsi que dans certains médias »[29]. Tant le Comité des droits de l’homme des Nations unies que le Comité contre la torture des Nations unies se sont déclarés préoccupés par les déclarations anti-Roms virulentes et généralisées émanant de personnalités publiques et des médias et par les signes d’une montée de l’antisémitisme en Hongrie[30], ainsi que par des rapports faisant état du nombre anormalement élevé de Roms dans les prisons et des mauvais traitements et de la discrimination dont les Roms font l’objet de la part des responsables de l’application des lois[31]. Dans son rapport sur la Hongrie, Githu Muigai, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, a exprimé sa profonde préoccupation devant l’augmentation dans ce pays des organisations paramilitaires ayant des programmes racistes visant les Roms[32].

En bref, le racisme constitue actuellement un fléau de la société hongroise, l’illustration la plus frappante de cette situation étant que des groupes de vigilance continuent d’organiser des défilés dans plusieurs villages, où ils lancent des objets sur les maisons des Roms, intimident les Roms qui y habitent, scandent des slogans anti-Roms et profèrent des menaces de mort[33].

L’appréciation des faits de la cause à l’aune de la norme européenne

La présente espèce doit être analysée sous l’angle des obligations négatives qui découlent de l’article 11 de la Convention, étant donné que la dissolution litigieuse constitue un acte positif d’ingérence par l’État dans le droit de l’association à la reconnaissance juridique. De plus, l’association avait l’intention d’intervenir, et est d’ailleurs intervenue, dans l’arène politique pour y diffuser un message consistant à défendre les Hongrois de souche et leurs traditions, ce qui est une question touchant à l’intérêt général. Les défilés n’ont pas eu lieu dans des endroits ou à des moments liés à des épisodes traumatisants de l’histoire de l’État défendeur[34]. Compte tenu de ces facteurs, la marge d’appréciation de l’État est étroite car la Cour est particulièrement appelée à exercer un contrôle de l’ingérence lorsque la liberté d’association et de réunion met en cause la dignité humaine et la sécurité d’un groupe de personnes précis.

Le critère de proportionnalité

Maintenant que l’on a précisé quels sont les critères d’appréciation applicables, il faut procéder à l’examen de l’ingérence litigieuse à la lumière de l’affaire dans son ensemble afin de déterminer si elle est « proportionnée au but légitime visé » et correspond à un « besoin social impérieux », c’est-à-dire si les motifs particuliers avancés par les autorités nationales paraissent « pertinents et suffisants ».

En l’occurrence, les membres du mouvement de la Garde hongroise ont défilé dans toute la Hongrie pour appeler à la défense des Hongrois de souche contre la « criminalité tsigane ». Se fondant sur l’article 2 de la loi no II de 1989 ainsi que sur les obligations internationales de l’État défendeur, les tribunaux internes ont considéré que ces actions étaient discriminatoires par nature, violaient le droit à la liberté et à la sûreté des habitants des villages et menaçaient l’ordre public. Les motifs invoqués à cet égard par les juridictions nationales sont pertinents et suffisants.

Par principe, est incompatible avec la Convention toute forme de discours qui sépare la population en « nous » et « eux », où « eux » représente un groupe racial ou ethnique auquel sont attribués des caractéristiques et un comportement négatifs. L’utilisation de l’expression « criminalité tsigane », qui suggère l’existence d’un lien entre le crime et une certaine origine ethnique, constitue une forme de discours raciste destinée à alimenter des sentiments de haine envers le groupe ethnique visé. Cette expression traduit la vision d’une société clairement divisée entre « eux », les Roms, des criminels, et « nous », les Hongrois « de souche », victimes de leurs crimes. Des généralisations aussi radicales attribuant un comportement et des caractéristiques négatives à un groupe donné reposent uniquement sur l’origine ethnique de ce groupe. L’intolérance et les préjugés envers les Roms sont objectivement attisés par des déclarations de ce genre. On peut en dire autant des propos antisémites prononcés au cours des défilés.

De plus, les tribunaux internes ont considéré que le mouvement de la Garde hongroise était un écran derrière lequel se cachait l’association du même nom, celle-ci ayant fondé, dirigé et financé le mouvement. Partant, ces tribunaux ont jugé que les actions du mouvement devaient être attribuées à l’association. Là encore, les motifs invoqués par eux étaient pertinents et suffisants.

En réalité, ériger en infraction le discours et les propos racistes, interdire des rassemblements et dissoudre des associations prônant le racisme sont des mesures compatibles avec la liberté d’expression, de réunion et d’association. Les articles 10 et 11 de la Convention doivent être interprétés de manière à être compatibles avec l’obligation internationale impérative et coutumière mentionnée plus haut. Le droit international des droits de l’homme exige d’adopter une approche globale face à ces libertés, surtout eu égard aux restrictions applicables[35]. L’exercice de la liberté d’expression comporte des obligations spéciales, mentionnées à l’article 29 § 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, parmi lesquelles l’obligation de ne pas diffuser d’idées racistes revêt une importance particulière, et à l’article 20 § 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lequel tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi[36]. Cette interdiction est valable non seulement pour les propos racistes[37], mais aussi pour les rassemblements ou les associations qui font l’apologie du racisme[38]. Dans certains cas, la diffusion du racisme par le biais de discours, d’un rassemblement ou d’une association peut même conduire à la « destruction de droits », justifiant ainsi l’application des dispositions contenues à l’article 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à l’article 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l’article 17 de la Convention[39].

Le fait que le contexte soit celui d’un débat politique est manifestement dénué de pertinence s’agissant de la nature raciste d’un discours, d’un rassemblement ou d’une association[40]. Même dans ce cas, la liberté d’expression, de réunion et d’association doit s’effacer devant la dignité humaine et les droits des personnes dont la race, la nationalité ou l’origine ethnique sont attaquées. Au fil du temps, il est apparu que les activités de l’association constituaient un danger clair et imminent pour l’ordre public et les droits d’autrui[41]. Dès lors, la dissolution était une mesure proportionnée face à la rhétorique et aux activités de l’association, qui ont privé les personnes touchées du droit d’être respectées en tant qu’êtres humains et mis en péril leur sécurité et l’ordre public.

Le critère de nécessité

La dissolution d’une association est la mesure ultime (ultimum remedium) à prendre contre une personne morale. Avant de recourir à cette mesure radicale, l’État doit envisager de prendre d’autres mesures moins intrusives telles que l’interdiction des rassemblements, l’exclusion du bénéfice de prestations publiques ou un placement sous surveillance judiciaire. Dans l’affaire à l’étude, les autorités nationales ont bien fourni à l’association l’occasion de modifier ses méthodes et de mettre sa pratique en conformité avec ses statuts et la loi. L’association n’a toutefois pas saisi cette occasion mais a poursuivi ses activités illégales, préparant la voie à une réaction plus sévère des autorités. Il n’y a donc pas de contradiction entre la dissolution de l’association et la tolérance officielle de ses défilés pendant un certain laps de temps. Une fois cette période de probation terminée, la dissolution était le seul moyen adéquat de réagir face au danger que représentait l’association pour les droits d’autrui et l’ordre public.

Conclusion

« Les Roms sont ce que nous nous efforçons d’être : de vrais Européens », ainsi que l’a dit Günter Grass. Or l’association, avec ses buts et activités racistes, a ignoré cette leçon. Eu égard à l’obligation faite à l’État d’ériger en infraction la diffusion du racisme, de la xénophobie et de l’intolérance ethnique, d’interdire tout rassemblement et de dissoudre tout groupe, organisation, association ou parti prônant cela, à la différence entre les buts officiels de l’association et sa pratique et à l’existence d’un danger clair et imminent découlant de son discours et de ses activités, et après examen des décisions rendues par les autorités compétentes dans le cadre de l’étroite marge d’appréciation applicable en l’espèce, je conclus que les motifs sur lesquels s’est fondée la dissolution litigieuse étaient pertinents et suffisants et que l’ingérence correspondait bien à un besoin social impérieux.


[1].  Cette convention a été adoptée le 21 décembre 1965 et compte 176 États parties, dont la Hongrie.

[2].  Aux termes de cette convention, l’expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. Ainsi, la définition universelle ne fait aucune différence entre la discrimination fondée sur l’origine ethnique et celle fondée sur la race.

[3].  Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no 15 (1993) concernant les violences organisées fondées sur l’origine ethnique, §§ 3-6, la Recommandation générale no 27 (2000) concernant la discrimination à l’égard des Roms, § 12, Recommandation générale no 30 (2004) concernant la discrimination contre les non‑ressortissants, §§ 11-12, et Recommandation générale no 31 (2005) concernant la prévention de la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale, § 4.

[4].  Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no 7 (1985) concernant la législation visant à éliminer la discrimination raciale (article 4) et Recommandation générale no 15 (1993), précitée, § 2.

[5].  Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Gelle c. Danemark, Communication no 34/2004, 6 mars 2006, § 7.3, et TBB-Turkish Union in Berlin/Brandenburg c. Allemagne, Communication no 48/2010, 4 avril 2013, § 12.3.

[6].  La Convention, adoptée le 30 novembre 1973, a 108 États parties, dont la Hongrie.

[7].  Le Statut de Rome a été ratifié par 122 États, dont la Hongrie.

[8].  Voir le procès des Einsatzgruppen, Procès des criminels de guerre devant le tribunal de Nuremberg en vertu de la loi no 10 du Conseil de contrôle allié, vol. IV, p. 435 : « inciter les membres de la population à abuser, maltraiter et massacrer leurs concitoyens (…) à susciter la passion, la haine, la violence et la destruction parmi la population, vise à briser la structure morale », et, plus récemment, Kvocka et autres, IT-98-30/1-A, arrêt du TPIY du 28 février 2005, §§ 324-325.

[9].  La décision-cadre fait suite à l’action commune 96/443/JAI du 15 juillet 1996, adoptée par le Conseil sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, concernant l’action contre le racisme et la xénophobie.

[10].  STE no 177, avec 18 États parties.

[11].  STE no 189, avec 20 États parties. Aux fins de ce Protocole, l’expression « matériel raciste et xénophobe » désigne tout matériel écrit, toute image ou toute autre représentation d’idées ou de théories qui préconise ou encourage la haine, la discrimination ou la violence, contre une personne ou un groupe de personnes, en raison de la race, de la couleur, de l’ascendance ou de l’origine nationale ou ethnique, ou de la religion, dans la mesure où cette dernière sert de prétexte à l’un ou l’autre de ces éléments, ou qui incite à de tels actes.

[12].  ECRI, Recommandation de politique générale no 1 sur la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance, 4 octobre 1996 ; la Recommandation de politique générale no 7 sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale, adoptée par l’ECRI le 13 décembre 2002, élargit le champ des infractions pénales aux injures et à la diffamation publiques, aux menaces à l’égard d’une personne ou d’un ensemble de personnes, en raison de leur race, leur couleur, leur langue, leur religion, leur nationalité ou leur origine nationale ou ethnique, et prévoit la responsabilité pénale des personnes morales, qui doit être engagée lorsque l’infraction a été commise pour le compte de la personne morale par toute personne agissant notamment comme son organe ou comme son représentant ; la responsabilité pénale de la personne morale n’exclut pas celle des personnes physiques ; les personnes physiques ou groupes qui prônent le racisme doivent être interdits et, si nécessaire, dissous.

[13].  ECRI, Recommandation de politique générale no 3 sur la lutte contre le racisme et l’intolérance envers les Roms/Tsiganes, 6 mars 1998, et Recommandation de politique générale no 13 sur la lutte contre l’antitsiganisme et les discriminations envers les Roms, 24 juin 2011.

[14].  Le terme « Roms » utilisé au Conseil de l’Europe désigne les Roms, les Sintés (Manouches), les Kalés (Gitans) et les groupes de population apparentés en Europe, dont les Voyageurs et les branches orientales (Doms, Loms) ; il englobe la grande diversité des groupes concernés, y compris les personnes qui s’auto-identifient comme « Tsiganes » et celles que l’on désigne comme « Gens du voyage ».

[15].  Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 30, série A no 298, Soulas et autres c. France, no 15948/03, §§ 43-44, 10 juillet 2008, et Féret c. Belgique, no 15615/07, §§ 69‑71, 16 juillet 2009.

[16].  Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005‑VII, et Timichev c. Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005‑XII.

[17].  D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 181, CEDH 2007‑IV, Muñoz Díaz c. Espagne, no 49151/07, § 60, CEDH 2009, et Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 44, CEDH 2012.

[18].  Voir la description de ces deux critères dans mon opinion séparée jointe à l’arrêt Mouvement raëlien suisse c. Suisse [GC], no 16354/06, CEDH 2012-IV, dont les considérations s’appliquent mutatis mutandis à la liberté d’association.

[19].  Un exemple du principe de la liberté de créer des associations sans aucun contrôle préalable fondé sur le contenu est fourni par la remarquable décision du Conseil constitutionnel français du 16 juillet 1971 (no 71-44 DC), qui a déclaré inconstitutionnelle une procédure par laquelle la reconnaissance de la capacité juridique d’une association était subordonnée à la vérification préalable de sa conformité à la loi par une autorité judiciaire.

[20].  Voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Association Rhino et autres c. Suisse, no 48848/07, 11 octobre 2011.

[21].  Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 101, CEDH 2003‑II, Association de citoyens « Radko » et Paunkovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 74651/01, § 71, CEDH 2009, et les arrêts de la Cour administrative fédérale allemande du 1er septembre 2010 (Heimattreue Deutsche Jugend) et du 19 décembre 2012 (Hilfsorganisation für nationale politische Gefangene).

[22].  Arrêts de la Cour administrative fédérale allemande du 1er septembre 2010 et du 19 décembre 2012, précités, et arrêt de la Cour constitutionnelle autrichienne du 16 mars 2007.

[23].  Voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Mouvement raëlien suisse (précité). Les actes commis par les membres de l’association dans le cadre de leur vie privée, en dehors du contexte des activités de l’association, ne peuvent passer pour un motif pertinent et suffisant de dissoudre l’association concernée.

[24].  Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne, nos 25803/04 et 25817/04, § 88, CEDH 2009, concernant le soutien tacite du terrorisme.

[25].  Par exemple, patrouiller, surveiller, observer, suivre ou contrôler par tout autre moyen les mouvements de personnes d’une certaine race ou minorité ethnique dans le but allégué de défendre l’ordre public (action de milice ou de vigilance) est à coup sûr une activité raciste inadmissible qui met elle-même en danger l’ordre et la sûreté publics et les droits d’autrui, et justifie donc la dissolution de l’association qui agit ainsi et du parti politique qui soutient l’activité de pareille association.

[26].  Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres, précité, § 104, et Association de citoyens « Radko » et Paunkovski, précité, § 75. Selon moi, le paragraphe 57 du présent arrêt ne suit pas le principe énoncé dans l’arrêt Refah Partisi car il admet que la dissolution puisse avoir eu lieu avant que l’existence d’un danger imminent pour les intérêts protégés par l’article 11 § 2 ait été prouvée.

[27].  Quatrième rapport sur la Hongrie, 24 février 2009, CRI(2009)3, §§ 60-74. Les mêmes préoccupations avaient déjà été exprimées dans le troisième rapport sur la Hongrie, 8 juin 2004, CRI(2004)25, §§ 58 et 79.

[28].  ACFC/OP/III(2010)001.

[29].  CM/ResCMN(2011)13 sur la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par la Hongrie, 6 juillet 2011.

[30].  CCPR/C/HUN/CO/5, 16 novembre 2010, § 18.

[31].  CAT/C/HUN/CO/4, 6 février 2007, § 19.

[32].  Conseil des droits de l’homme des Nations unies, rapport du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Githu Muigai, 23 avril 2012.

[33].  Voir, parmi des descriptions récentes de la situation émanant d’institutions indépendantes et d’ONG, le rapport 2012 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe intitulé « Droits de l’homme des Roms et Gens du voyage en Europe », les rapports 2011 et 2012 d’Amnesty International, et le rapport 2013 de Human Rights Watch intitulé « Le climat alarmant d’intolérance en Hongrie ».

[34].  Voir mon opinion dissidente jointe à l’arrêt Fáber c. Hongrie, no 40721/08, 24 juillet 2012.

[35].  Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 37, série A no 202, et Young, James et Webster c. Royaume-Uni, 13 août 1981, § 57, série A no 44.

[36].  Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no 15 (1993), précitée, § 4, Saada Mohamad Adan c. Danemark, Communication no 43/2008, 13 août 2010, § 7.6, et Communication no 48/2010, précitée, § 12.7 ; Comité des droits de l’homme des Nations unies, Faurisson c. France, Communication no 550/1993, UN doc. CCPR/C/58/D/550/1993(1996), § 9.6, et Ross c. Canada, Communication no 736/1997, UN doc. CCPR/C/70/D/736/1997(2000), §§ 11.5-11.8.

[37].  Par exemple, lorsque des déclarations décrivent les étrangers ou les Roms comme inférieurs en leur attribuant par généralisation un comportement ou des caractéristiques socialement inacceptables, la liberté d’expression ne peut l’emporter sur la dignité humaine (Cour constitutionnelle fédérale allemande, décision du 4 février 2010).

[38].  Par exemple, les participants à des rassemblements publics dont la défense de l’hostilité nationale, raciale ou religieuse constitue une incitation à la discrimination, la haine ou la violence perdent la protection de leur droit à la liberté d’expression garanti par la Convention (Lignes directrices du BIDDH/OSCE-Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, 4 juin 2010, § 96).

[39].  Pour ce qui est de l’article 10 de la Convention et de l’article 3 du Protocole no 1, voir Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays-Bas, nos 8348/78 et 8406/78, décision de la Commission du 11 octobre 1979, Décisions et Rapports 18, p. 198, Norwood c. Royaume-Uni (déc.), no 23131/03, CEDH 2004-XI, Witzsch c. Allemagne (déc.), no 7485/03, 13 décembre 2005, et Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, §§ 47 et 53, Recueil 1998‑VII ; et, concernant l’article 11, W.P. et autres c. Pologne (déc.), no 42264/98, CEDH 2004-VII, et Kasymakhunov et Saybatalov c. Russie, nos 26261/05 et 26377/06, § 113, 14 mars 2013.

[40].  Féret c. Belgique, no 15615/07, §§ 75-76, 16 juillet 2009 ; voir aussi, du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, la Communication no 34/2004, précitée, § 7.5, la Communication no 43/2008, précitée, § 7.6, et la Communication no 48/2010, précitée, § 8.4.

[41].  À propos d’un tel danger, la Cour suprême hongroise a notamment mentionné, dans son arrêt du 15 décembre 2009, les événements survenus à Fadd le 21 juin 2008 et l’escalade dans les déclarations menaçantes échangées entre les membres de l’association et quelques Roms.

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. CODE PENAL
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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE VONA c. HONGRIE, 9 juillet 2013, 35943/10