CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE LÓPEZ RIBALDA ET AUTRES c. ESPAGNE, 9 janvier 2018, 1874/13;8567/13

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Chronologie de l’affaire

Commentaires5

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www.actu-juridique.fr · 19 décembre 2019

CEDH · 10 octobre 2019

Communiqué de presse sur les affaires 1874/13 et 8567/13

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 9 janv. 2018, n° 1874/13;8567/13
Numéro(s) : 1874/13, 8567/13
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Allan c. Royaume-Uni, n° 48539/99, §§ 42 et 43, 5 novembre 2002
Bărbulescu c. Roumanie [GC], n° 61496/08, CEDH 2017 (extraits)
Benediktsdóttir c. Islande (déc.), n° 38079/06, 16 juin 2009
Bykov c. Russie [GC], n° 4378/02, §§ 88-98, 10 mars 2009
García Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, § 28, CEDH 1999 I
Halford c. Royaume-Uni, 25 juin 1997, § 45, Recueil des arrêts et décisions 1997 III
I. c. Finlande, n° 20511/03, §§ 35-36, 17 juillet 2008
J.H. c. Royaume-Uni, n° 48839/09, §§ 77-79, 20 décembre 2011
Kemmache c. France (n° 3), 24 novembre 1994, § 44, série A n° 296 C
Khan c. Royaume-Uni, n° 35394/97, § 34, CEDH 2000 V
K.U. c. Finlande, n° 2872/02, §§ 42-43, CEDH 2008
Peck c. Royaume-Uni, n° 44647/98, §§ 58-59, CEDH 2003 I
Perry c. Royaume-Uni, n° 63737/00, §§ 36-38, CEDH 2003 IX (extraits)
P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, n° 44787/98, CEDH 2001 IX
Reklos et Davourlis c. Grèce, n° 1234/05, § 40, 15 janvier 2009
Rotaru c. Roumanie [GC], n° 28341/95, §§ 43-44, CEDH 2000 V
Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, série A n° 140, p. 29, §§ 45-48
Schüssel c. Autriche (déc.), n° 42409/98, 21 février 2002
Söderman c. Suède [GC], n° 5786/08, §§ 78-79, CEDH 2013
Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 50, Recueil 1997 III
Von Hannover c. Allemagne, n° 59320/00, § 50, CEDH 2004 VI
Référence au règlement de la Cour : Article 27
Organisations mentionnées :
  • Commission de Venise
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité ; Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8 - Obligations positives ; Article 8-1 - Respect de la vie privée) ; Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Procès équitable) ; Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Procès équitable) ; Dommage matériel - demande rejetée (Article 41 - Dommage matériel ; Satisfaction équitable) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-180024
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:0109JUD000187413
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE LÓPEZ RIBALDA ET AUTRES c. ESPAGNE

(Requête nos 1874/13 et 8567/13)

ARRÊT

STRASBOURG

9 janvier 2018

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 17/10/2019

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l’affaire López Ribalda et autres c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, président,
Luis López Guerra,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 décembre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 1874/13 et 8567/13) dirigées contre le Royaume d’Espagne par cinq ressortissantes de cet État, dont les noms et dates de naissance figurent en annexe (« les requérantes »), qui ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La première requérante a introduit sa requête le 28 décembre 2012 et les autres ont introduit la leur le 23 janvier 2013. Les requérantes ont toutes été représentées devant la Cour par Me J.A. González Espada, avocat à Barcelone. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par M. R.A. León Cavero, avocat de l’État.

3.  Les requérantes voyaient dans la vidéosurveillance secrète que leur employeur avait ordonnée sans les en avoir averties au préalable une violation de leur droit au respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Convention. En outre, sur le terrain de l’article 6 de la Convention, elles estimaient que leurs procès devant les juridictions internes avaient été inéquitables parce que les enregistrements vidéo recueillis avaient servi d’élément principal prouvant la légitimité de leur licenciement. Les troisième, quatrième et cinquième requérantes soutenaient en outre que les juridictions internes avaient statué sur la légitimité de leur licenciement en se fondant sur des actes de transaction qu’elles disaient avoir signés sous la contrainte, au mépris de leur droit à un procès équitable énoncé à l’article 6 de la Convention. Enfin, la première requérante considérait que les jugements étaient insuffisamment motivés eu égard à sa situation personnelle.

4.  Le 17 février 2015, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

5.  La Confédération européenne des syndicats a été autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement de la Cour – « le règlement »).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  À l’époque des faits, les requérantes travaillaient toutes comme caissières chez M.S.A., une chaîne de supermarchés familiale espagnole.

7.  Au début du mois de février 2009, l’employeur des requérantes remarqua des incohérences entre le niveau des stocks et les chiffres des ventes réelles du supermarché. En particulier, le directeur de l’établissement constata des pertes d’un montant de 7 780 euros (« EUR ») en février, de 17 971 EUR en mars, de 13 936 EUR en avril, de 18 009 EUR en mai et de 24 614 EUR en juin 2009.

8.  Le 15 juin 2009, afin d’enquêter sur ces pertes financières et d’y mettre fin, l’employeur installa des caméras de surveillance, certaines visibles et d’autres cachées. Les caméras visibles avaient pour but de filmer les éventuels vols commis par les clients et elles étaient dirigées vers les entrées et sorties du supermarché. Les caméras cachées avaient pour but de filmer et de dissuader les éventuels vols commis par les employés et elles étaient dirigées vers les caisses, ce qui couvrait la zone à l’arrière des guichets. La société avertit préalablement ses employés de la présence des caméras visibles. Ni eux ni le comité du personnel ne furent informés de la présence des caméras cachées.

9.  Les 25 et 29 juin 2009, tous les employés soupçonnés de vol furent convoqués à des entretiens individuels. Au cours de ceux-ci, les requérantes, en la présence de leur représentant syndical et du représentant légal de la société, reconnurent avoir participé aux vols.

10.  À partir de là, et dans un souci de clarté, les requérantes seront appelées les première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérantes (voir l’annexe ci-jointe).

A.  Groupe A (les première et deuxième requérantes)

11.  Les 25 et 29 juin 2009, les requérantes furent licenciées pour motif disciplinaire : elles avaient été filmées en train d’aider des collègues et des clients à voler des produits et d’en voler elles-mêmes. Selon leurs lettres de licenciement, les caméras de sécurité les avaient surprises en train de scanner des produits tirés de paniers à provisions de clients et de collègues, puis d’annuler les achats. Elles les avaient également filmées en train d’autoriser des clients et des collègues à quitter le magasin avec des marchandises qu’ils n’avaient pas payées.

12.  Le 22 juillet 2009, la première requérante forma devant le juge du travail no 1 de Granollers (« le juge du travail ») une action en licenciement abusif. Ce même jour, la deuxième requérante saisit le juge du travail d’une même action, à laquelle se joignirent les troisième, quatrième et cinquième requérantes (paragraphe 20 ci-dessous).

13.  Dans le cadre de ces procédures, chacune des requérantes contesta le recours à la vidéosurveillance secrète, y voyant une atteinte à son droit à la protection de sa vie privée.

14.  Le 20 janvier 2010, le juge du travail prononça deux jugements en la défaveur des requérantes, estimant leur licenciement légitime. Les principaux éléments qui avaient permis de prouver la légitimité des licenciements étaient des enregistrements obtenus grâce à la vidéosurveillance secrète, ainsi que les dépositions des collègues licenciés pour avoir participé aux vols, du directeur du magasin, du représentant syndical et du représentant légal de la société.

15.  Le juge du travail estima dans ces deux jugements – concernant ces deux requérantes en particulier – que le recours à la vidéosurveillance secrète sur le lieu de travail sans avertissement préalable était conforme à l’article 20 du statut des travailleurs (Estatuto de los Trabajadores), qui permettait à l’employeur d’adopter toute mesure de contrôle et de surveillance qu’il jugerait bonne pour s’assurer qu’un employé respecte ses obligations professionnelles, pourvu que la « dignité humaine » soit respectée. Il nota que le Tribunal constitutionnel avait opéré des constats similaires dans plusieurs arrêts (voir, parmi d’autres précédents, l’arrêt no 186/2000 du 10 juillet 2000). Il conclut de cette jurisprudence que le droit de l’employeur à s’organiser comme il l’entend et à tenir lieu d’instance disciplinaire s’appréciait à l’aune du droit fondamental à la vie privée de l’employé reconnu par l’article 18 de la Constitution. Il en conclut aussi que, en cas de soupçons corroborés de vol, des circonstances spéciales justifiaient une atteinte au droit à la vie privée de l’employé, pourvu que cette atteinte soit adaptée au but légitime poursuivi, nécessaire et proportionnée. Appliquant cette jurisprudence, il jugea, au vu du dossier, que le comportement des requérantes s’analysait en un « manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi » et en un « abus de confiance ». Aussi estima-t-il chacun des licenciements légitime, conformément à l’article 54.2.d du statut des travailleurs.

16.  Les requérantes firent appel devant le Tribunal supérieur de justice de Catalogne (« le Tribunal supérieur ») les 16 et 22 mars 2010, respectivement. Les 28 janvier et 24 février 2011, le Tribunal supérieur confirma chacun des jugements de première instance, s’appuyant sur la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et faisant sienne la conclusion du juge du travail selon laquelle la partie défenderesse était en droit de placer les caisses sous vidéosurveillance secrète. Tout en reconnaissant la possibilité que l’employeur s’expose à une sanction administrative pour n’avoir informé au préalable ni ses employés ni le comité du personnel de l’installation des caméras, il estima que ce seul élément n’avait aucune pertinence sur le plan constitutionnel étant donné que, sous ce dernier angle, la vidéosurveillance secrète était justifiée (puisqu’il existait des soupçons légitimes de vol), adaptée aux buts légitimes poursuivis, nécessaire et proportionnée. Aussi estima-t-il les licenciements légitimes pour les mêmes motifs que ceux retenus par le juge du travail.

17.  Les requérantes formèrent des pourvois en cassation, qui furent déclarés irrecevables respectivement le 5 octobre 2011 et le 7 février 2012. En dernier ressort, elles saisirent le Tribunal constitutionnel de recours en amparo, lesquels furent respectivement déclarés irrecevables les 27 juin et 18 juillet 2012, pour « inexistence d’une violation d’un droit fondamental ».

B.  Groupe B (les troisième, quatrième et cinquième requérantes)

18.  Les 25 et 29 juin 2006, les requérantes furent licenciées pour motif disciplinaire parce qu’elles avaient été surprises à l’aide de la vidéo en train d’aider des collègues et des clients à voler des produits et d’en voler elles‑mêmes. Selon l’employeur, les caméras de sécurité avaient surpris la troisième requérante en train de scanner des produits tirés de paniers à provisions de clients et de collègues, puis d’annuler les achats. Elles l’avaient également filmée en train d’autoriser des clients ou des collègues à quitter le magasin avec des marchandises non payées. Quant aux quatrième et cinquième requérantes, les caméras les avaient surprises en train de voler des marchandises avec l’aide de leurs collègues, notamment de la deuxième requérante.

19.  Au moment de leur licenciement, les requérantes signèrent chacune un acte intitulé « accord de transaction » (acuerdo transaccional), par lequel elles s’engageaient à ne pas assigner leur employeur en licenciement abusif, en contrepartie de quoi ce dernier s’engageait à ne pas porter plainte au pénal contre elles pour vol. Au moins un représentant syndical ainsi que le représentant légal de la société assistèrent aux entretiens.

20.  Le 22 juillet 2009, malgré les accords de transaction, les requérantes, de concert avec la deuxième requérante (paragraphe 12 ci-dessus), formèrent devant le juge du travail une action en licenciement abusif. Elles demandaient l’annulation de ces accords, soutenant que le consentement qu’elles avaient donné n’était pas valable parce qu’elles s’étaient trouvées sous la contrainte au moment où elles les avaient signés (un représentant de l’employeur les aurait menacées de poursuites pénales si elles ne signaient pas les accords). Elles estimaient également que les preuves tirées de la vidéosurveillance secrète avaient été recueillies illégalement.

21.  Le 20 janvier 2010, le juge du travail débouta les requérantes et estima leur licenciement légitime. Il analysa méticuleusement les accords de transaction signés par elles. En particulier, il examina la thèse, défendue par les requérantes, du vice de consentement, et constata que rien ne prouvait l’existence d’une quelconque forme de contrainte ou d’intention dolosive au moment de la signature par elles des accords de transaction. Il conclut qu’elles avaient signé volontairement et librement ces accords, à l’évidence dans le but d’éviter toute poursuite pénale pour les vols qui leur étaient reprochés (et qu’elles avaient déjà avoués). Il considéra que le refus par d’autres employés dans la même situation que les requérantes (par exemple les première et deuxième requérantes) de signer les documents confirmait l’absence de toute menace ou coercition. En conséquence, il valida, en vertu de l’article 1809 du code civil, les accords de transaction et débouta les troisième, quatrième et cinquième requérantes. La signature des accords ayant légitimé les licenciements, il jugea inutile d’utiliser et d’analyser les vidéos en question à titre de preuve en l’instance.

22.   Les requérantes firent appel devant le Tribunal supérieur le 16 mars 2010. Le 24 février 2011, ce dernier confirma le jugement de première instance et fit sienne la conclusion du juge du travail validant les accords de transaction signés par les requérantes. Pour faire le tour du sujet, il analysa aussi la légalité de la vidéosurveillance secrète. S’appuyant sur la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, il confirma que la partie défenderesse avait été fondée à placer les requérantes sous vidéosurveillance secrète.

23.  Les requérantes formèrent un pourvoi en cassation conjoint, qui fut déclaré irrecevable le 7 février 2012. En dernier ressort, elles saisirent le Tribunal constitutionnel d’un recours conjoint en amparo, qui fut jugé irrecevable le 18 juillet 2012 pour « inexistence d’une violation d’un droit fondamental ».

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  Le droit et la pratique internes

1.  La Constitution

24.  Voici les dispositions pertinentes de la Constitution espagnole :

Article 18 § 1

« Le droit au respect de l’honneur, de la vie privée et familiale et de l’image est garanti. »

Article 18 § 4

« La loi limite l’usage de l’informatique de manière à garantir le respect de l’honneur et de la vie privée et familiale des citoyens ainsi que le plein exercice de leurs droits. »

Article 24

« 1.  Chacun a le droit d’obtenir la protection effective des juges et tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes. En aucun cas les droits de la défense ne peuvent être restreints.

2.  De même, chacun a droit (...) à un procès public, conduit dans un délai raisonnable, et entouré de toutes les garanties »

Article 53 § 2

« 2.  Tout citoyen peut réclamer la protection des libertés et des droits reconnus à l’article 14 et à la section première du chapitre II en formant une action devant les tribunaux ordinaires selon une procédure conduite de manière prioritaire et avec célérité et, le cas échéant, au moyen d’un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle. »

2.  Le Code civil

25.  Les dispositions pertinentes du Code civil sont ainsi libellées :

Article 1809

« Une transaction est un contrat par lequel l’une des parties donne, reçoit ou conserve une chose en contrepartie de quoi l’autre renonce [à une action en justice] ou met fin [à celle] déjà entamée. »

3.  La loi no 6/1985 du 1er juillet 1985 sur l’organisation judiciaire

26.  Voici la disposition pertinente de cette loi :

Article 11

« 1.  Le principe de la bonne foi doit être respecté dans toute procédure. Toute preuve directement ou indirectement recueillie en violation des droits ou libertés fondamentaux sera exclue (...) »

4.  Le statut des travailleurs (approuvé par le décret-loi royal no 1/1995 du 24 mars 1995 – Estatuto de los Trabajadores)

27.  Voici la disposition pertinente en vigueur au moment des faits :

Article 20.3

« L’employeur peut adopter toute mesure de contrôle et de surveillance qu’il jugerait bonne pour s’assurer qu’un employé respecte ses obligations professionnelles, pourvu que la « dignité humaine » soit respectée. »

5.  La loi no 36/2011 sur la procédure en matière de contentieux du travail

28.  Voici les dispositions pertinentes de cette loi :

Article 90

« 2.  Toute preuve directement ou indirectement recueillie en violation des droits ou libertés fondamentaux sera exclue (...) »

6.  La loi no 15/1999 sur la protection des données à caractère personnel

29.  Les dispositions pertinentes de ce texte sont ainsi libellées :

Article 5

« 1.  Les personnes dont les données à caractère personnel sont sollicitées doivent avoir été explicitement, précisément et sans équivoque informées au préalable de ce qui suit :

a)  l’existence d’un fichier de données à caractère personnel ou le traitement futur de celles-ci, le but de ces mesures et les destinataires de l’information ;

b)  le caractère obligatoire ou facultatif de leurs réponses aux questions posées ;

c)  les conséquences de la communication ou du refus de communication des données ;

d)  l’existence de droits d’accès, de rectification, de suppression et d’opposition ;

e)  l’identité et l’adresse du contrôleur ou, le cas échéant, de son représentant.

(...)

5.  Les dispositions du paragraphe précédent ne s’appliquent pas si la loi le prévoit expressément, si le traitement des données poursuit un but d’ordre historique, statistique ou scientifique ou si informer la personne concernée est impossible ou nécessiterait un effort disproportionné aux yeux de l’Agence de protection des données ou de l’organe régional compétent compte tenu du nombre de personnes concernées, de l’ancienneté des données et des éventuelles mesures de réparation.

Par ailleurs, les dispositions du paragraphe précédent ne s’appliquent pas lorsque les données sont recueillies à partir de sources accessibles au public et sont destinées à des activités de publicité ou d’études de marché, auquel cas chaque communication adressée à la personne concernée doit préciser à celle-ci l’origine des données, l’identité de la personne physique ou morale chargée du traitement de celles-ci et les droits de la personne concernée. »

Article 6

« 1.  [Le] traitement des données à caractère personnel requiert le consentement non équivoque de la personne concernée, sauf lorsque la loi en dispose autrement.

2.  Le consentement n’est pas requis lorsque les données à caractère personnel sont recueillies aux fins de l’exercice par les administrations publiques des fonctions relevant de leur mission ; lorsqu’elles se rapportent aux parties à un contrat ou à un contrat préliminaire dans le cadre d’une relation commerciale, professionnelle ou administrative, et qu’elles sont nécessaires à sa conclusion ou à son exécution ; lorsque le traitement des données a pour but de protéger un intérêt vital de la personne concernée, au sens de l’article 7(6) de la présente loi, ou que les données proviennent de sources accessibles au public et que leur traitement est nécessaire pour satisfaire l’intérêt légitime revendiqué par le contrôleur ou par le tiers à qui les données sont communiquées, sauf si les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée sont menacés.

3.  Le consentement au sens du présent article peut être révoqué si des raisons légitimes le justifient, et pareille révocation n’a pas d’effet rétroactif.

4.  Lorsque le consentement de la personne concernée n’est pas requis pour le traitement de données à caractère personnel, et à moins que la loi n’en dispose autrement, la personne concernée peut s’opposer à ce traitement pour des raisons impérieuses et légitimes tenant à sa situation personnelle particulière. Le contrôleur exclut alors du traitement les données concernant la personne concernée. »

7.  L’instruction no 1/2006 du 8 novembre publiée par l’Agence espagnole de protection des données

30.  Voici les dispositions pertinentes de cette instruction :

Article 3

« Tout utilisateur d’un système de vidéosurveillance doit respecter chaque obligation énoncée à l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel et doit, à cette fin :

a.  Placer un signe distinctif signalant les zones sous surveillance (...)

b.  Mettre à disposition des documents renfermant les informations visées à l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel (...) »

8.  La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

31.  Le 10 juillet 2000, le Tribunal constitutionnel a rendu un arrêt de principe sur la légalité de la vidéosurveillance sur le lieu de travail (arrêt no 186/2000) au regard de la protection offerte par l’article 18.1 de la Constitution espagnole. Dans cet arrêt, il s’est penché sur le recours à un système de caméras de vidéosurveillance secrètes installé au plafond du rayon vêtements et chaussures d’un magasin, dirigé seulement vers trois caisses et l’accueil. Il a dit que la mesure en cause devait satisfaire à trois critères pour être jugée acceptable : elle devait poursuivre un but légitime (« critère de l’adéquation »), et être nécessaire (« critère de la nécessité ») et proportionnée (« critère de la stricte proportionnalité »). Autrement dit, il fallait rechercher si un juste équilibre avait été ménagé entre l’atteinte à un droit fondamental et l’importance du but légitime poursuivi. Au sujet de la vidéosurveillance secrète, il a dit ceci :

« En l’espèce, la vidéosurveillance secrète (...) était une mesure justifiée (puisqu’il y avait des soupçons légitimes que l’employé avait commis des irrégularités au travail) ; adaptée au but poursuivi par la société (s’assurer que l’employé était bien l’auteur de ces irrégularités, auquel cas il ferait l’objet de sanctions disciplinaires appropriées) ; nécessaire (les enregistrements seraient utilisés comme preuves des irrégularités) et proportionnée (les caméras n’étaient dirigées que vers les caisses et pour une durée limitée) (...) si bien qu’il n’y a eu aucune atteinte au droit au [respect de] la vie privée tel que consacré à l’article 18.1 de la Constitution espagnole. »

32.  Par la suite, dans son arrêt no 29/2013 du 11 février 2013, qui concernait des faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi sur la protection des données à caractère personnel, le Tribunal constitutionnel a jugé que l’installation permanente d’une vidéosurveillance comme mesure de sécurité et de surveillance devait être signalée au préalable aux employés et à leurs représentants, faute de quoi il y aurait violation de l’article 18.4 de la Constitution espagnole. Dans cette affaire, un employé de l’université de Séville avait été suspendu de ses fonctions sans salaire pour retard et absence, sur la base de preuves recueillies à l’aide de caméras installées avec l’accord de l’administration. Le Tribunal constitutionnel a dit ceci :

« 7. (...) En conclusion, il faut se rappeler que le Tribunal [constitutionnel] a constamment et invariablement jugé que les pouvoirs de l’employeur étaient limités par les droits fondamentaux (voir, parmi d’autres [précédents], STC no 98/2000, du 10 avril, moyen de droit no 7, ou STC no 308/2000, du 18 décembre, moyen de droit no 4). Par conséquent, autant l’« intérêt public » justifiant la sanction dont est assortie une infraction administrative ne suffit pas pour permettre à l’État de priver le citoyen concerné de ses droits tirés des [articles 5(1) et 5(2) de la loi sur la protection des données à caractère personnel] (STC no 292/2000, du 30 novembre, base légale no 18), autant l’« intérêt privé » de l’employeur ne peut justifier que des données à caractère personnel relatives à l’employé soient traitées au détriment de ce dernier sans qu’il eût été averti au préalable des mesures de surveillance mises en œuvre.

Il n’y a aucune raison dans la sphère professionnelle (...) de restreindre le droit à l’information, un droit fondamental protégé par l’article 18.4 de la Constitution. Dès lors, il ne suffit pas que le traitement des données lui-même poursuive un but légitime (...) ni qu’il soit proportionné à ce but : dans le cadre d’une surveillance sur le lieu de travail, il faut également préserver le droit à être informé au préalable [de l’existence d’un système de collecte et de traitement des données.]

En l’espèce, les caméras de vidéosurveillance installées sur le campus ont saisi l’image de l’auteur du recours et permis [à l’employeur] de vérifier si l’auteur du recours respectait [la réglementation en matière d’]heures de travail. (...) Le propriétaire des caméras était l’université de Séville et c’est cette personne morale qui a utilisé les enregistrements, devenant ainsi la seule personne responsable du traitement des données relatives à l’auteur du recours sans avoir informé au préalable celui-ci de [l’existence de] ce système de surveillance au travail. (...) Il en résulte une violation (...) de l’article 18.4 de la Constitution espagnole.

La mise en place de signes indiquant l’existence d’un système de vidéosurveillance sur le campus et le fait que l’Agence de protection des données en avait été avertie ne permettent pas d’écarter cette conclusion. Les employés auraient dû être informés de manière nécessaire, mais aussi préalable, explicite, précise et sans équivoque, de la finalité du système de surveillance au travail. (...) Les informations doivent préciser les caractéristiques et l’étendue du traitement des données, (...) par exemple dans quel cas, pendant combien de temps et à quelle fin les images peuvent être examinées, en indiquant expressément sous certaines formes que les images peuvent être utilisées dans l’optique de l’imposition d’une sanction disciplinaire aux employés pour non-respect du contrat de travail. »

33.  Dans un arrêt relativement récent rendu le 3 mars 2016 (no 39/2016), le Tribunal constitutionnel a étoffé sa jurisprudence relative à l’usage des caméras de vidéosurveillance secrètes. Dans cette affaire, l’employeur avait détecté, concernant un tiroir-caisse, des irrégularités dont il soupçonnait l’un de ses employés. Il installa temporairement des caméras cachées dirigées vers la zone où le tiroir-caisse était situé. Il avait affiché un signe indiquant de manière générale l’existence d’une vidéosurveillance, ainsi qu’un document reproduisant le texte de l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel, comme l’exigeait l’article 3 de l’instruction no 1/2006 du 8 novembre publiée par l’Agence de protection des données espagnole (« l’instruction no 1/2006 »). Le Tribunal constitutionnel a conclu à la non-violation de l’article 18.4 de la Constitution, notamment au motif que l’employeur avait installé sur la fenêtre du magasin un signe indiquant l’installation d’une vidéosurveillance, conformément à l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel ainsi qu’à l’instruction no 1/2006. Il a estimé que l’employé avait été prévenu de l’installation du système de surveillance et de sa finalité. Il a constaté que la vidéosurveillance avait permis de voir que l’employé volait de l’argent dans le tiroir-caisse, et c’est la raison pour laquelle il avait été licencié. Voici sa conclusion :

« (...) l’utilisation de caméras de sécurité était justifiée (il existait des soupçons légitimes que certains des employés volaient de l’argent dans le tiroir-caisse), appropriée (il fallait vérifier si les irrégularités étaient commises par certains des employés et, dans l’affirmative, prendre les mesures disciplinaires qui s’imposaient), nécessaire (les enregistrements tirés de la vidéosurveillance serviraient à prouver la matérialité de ces irrégularités) et proportionnée (les enregistrements se limitaient à la zone où se trouvait le tiroir-caisse). »[1]

B.  Droit international

1.  Le Conseil de l’Europe

34.  Le 1er octobre 1985, la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108), ratifiée par l’Espagne le 31 janvier 1984, est entrée en vigueur. D’après son article 1er, elle a pour but de « garantir, sur le territoire de chaque Partie, à toute personne physique, quelles que soient sa nationalité ou sa résidence, le respect de ses droits et de ses libertés fondamentales, et notamment de son droit à la vie privée, à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel la concernant (« protection des données ») ». Elle prévoit notamment ceci :

« Article 5 – Qualité des données

Les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement automatisé sont :

a.  obtenues et traitées loyalement et licitement ;

b.  enregistrées pour des finalités déterminées et légitimes et ne sont pas utilisées de manière incompatible avec ces finalités ;

c.  adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ;

d.  exactes et si nécessaire mises à jour ;

e.  conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées.

(...)

Article 7 – Sécurité des données

Des mesures de sécurité appropriées sont prises pour la protection des données à caractère personnel enregistrées dans des fichiers automatisés contre la destruction accidentelle ou non autorisée, ou la perte accidentelle, ainsi que contre l’accès, la modification ou la diffusion non autorisés.

Article 8 – Garanties complémentaires pour la personne concernée

Toute personne doit pouvoir :

a.  connaître l’existence d’un fichier automatisé de données à caractère personnel, ses finalités principales, ainsi que l’identité et la résidence habituelle ou le principal établissement du maître du fichier ;

b.  obtenir à des intervalles raisonnables et sans délais ou frais excessifs la confirmation de l’existence ou non dans le fichier automatisé, de données à caractère personnel la concernant ainsi que la communication de ces données sous une forme intelligible ;

c.  obtenir, le cas échéant, la rectification de ces données ou leur effacement lorsqu’elles ont été traitées en violation des dispositions du droit interne donnant effet aux principes de base énoncés dans les articles 5 et 6 de la présente Convention ;

d.  disposer d’un recours s’il n’est pas donné suite à une demande de confirmation ou, le cas échéant, de communication, de rectification ou d’effacement, visée aux paragraphes b et c du présent article. »

35.  En 2007, la Commission de Venise, l’organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles, a adopté, lors de sa 71e session plénière (Venise, 1er - 2 juin 2007, document CDL‑AD(2007)027), un avis sur la vidéosurveillance dans les sphères publiques et privées par des opérateurs privés et dans la sphère privée par les autorités publiques et la protection des droits de l’homme, dont voici les passages pertinents :

« 18.  Aux fins de la présente étude, relèveront aussi de la sphère privée les lieux de travail et l’utilisation de la vidéosurveillance en milieu professionnel, ce qui soulève des problèmes juridiques concernant le droit des employés au respect de leur vie privée.

(...)

52.  Pour ce qui est des lieux de travail, la mise en place d’une surveillance vidéo exige que le droit à la vie privée des employés soit respecté.

53.  En pareil cas, la surveillance serait d’une manière générale autorisée pour éviter ou déceler des malversations ou des vols de la part d’employés en cas de soupçons fondés. Toutefois, à l’exception de cas d’espèce, l’enregistrement sur bande vidéo ne serait pas autorisé dans des lieux comme les toilettes, les douches, les vestiaires ni les zones fumeurs et les salons des employés où une personne peut compter sur le fait que sa vie privée sera respectée.

54.  De plus, la surveillance secrète ne devrait être autorisée, et uniquement sur une base temporaire, que si elle s’impose faute d’autres solutions appropriées.

(...)

57.  Pour ce qui est des magasins, la surveillance par caméras peut se justifier pour protéger les biens si cette mesure se révèle nécessaire et proportionnelle. Elle peut aussi se justifier dans certains endroits du magasin pour prévenir et réprimer les vols qualifiés mais de nouveau uniquement si elle est absolument nécessaire.

58.  La législation nationale devra définir clairement la base juridique de la surveillance et la nécessité de l’atteinte compte tenu des intérêts protégés.

(...)

100.  Par ailleurs, compte tenu des particularités de la vidéosurveillance, la Commission recommande de prendre systématiquement les mesures suivantes :

–  Le public doit être prévenu qu’il est surveillé sauf si le système de surveillance est évident. Cela signifie que, concrètement, on pourra présumer que la personne observée est consciente qu’elle fait l’objet d’une surveillance ou qu’elle a donné son consentement sans ambiguïté à ce sujet. »

36.  Le 1er avril 2015, le Comité des Ministres a adopté, lors de la 1224e réunion des Délégués des Ministres, sa recommandation CM/Rec(2015)5 sur le traitement des données à caractère personnel dans le cadre de l’emploi, dont voici les parties pertinentes :

« 10.  Transparence du traitement

10.1.  Des informations sur les données à caractère personnel détenues par des employeurs devraient être mises à la disposition de l’employé concerné, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants, ou être portées à sa connaissance par d’autres moyens appropriés.

10.2.  Les employeurs devraient fournir à leurs employés les informations suivantes :

–  les catégories de données qui seront traitées et une description des finalités du traitement ;

–  les destinataires ou catégories de destinataires de ces données ;

–  les moyens d’exercer les droits énoncés au principe 11 de la présente recommandation, sans pour autant porter préjudice à des moyens plus favorables prévus dans le droit interne ou le système législatif ;

–  toute autre information nécessaire pour garantir un traitement loyal et licite des données.

10.3.  Une description particulièrement claire et complète des catégories de données à caractère personnel qui peuvent être collectées au moyen de TIC, telle que la vidéosurveillance, et de leur utilisation potentielle, devrait être fournie. Ce principe vaut pour toutes les formes particulières de traitement de données à caractère personnel prévues à la partie II de l’annexe de la présente recommandation.

10.4.  Les informations devraient être fournies sous une forme accessible et tenues à jour. Ces informations devraient, en tout état de cause, être fournies avant que l’employé exerce effectivement l’activité ou l’action prévue, et être mises à disposition au moyen des systèmes d’information habituellement utilisés par l’employé.

(...)

15.  Systèmes et technologies de l’information pour le contrôle des employés, notamment la vidéosurveillance

15.1.  L’introduction et l’utilisation des systèmes et technologies d’information ayant pour finalité directe et principale le contrôle de l’activité et du comportement des employés ne devraient pas être permises. Lorsque leur introduction et leur utilisation sont nécessaires pour d’autres finalités légitimes, telles que la protection de la production, de la santé, de la sécurité ou la gestion efficace d’une organisation et mènent de façon indirecte à la possibilité de contrôler l’activité des employés, elles devraient être soumises aux garanties complémentaires visées au principe 21, notamment la consultation des représentants des employés.

15.2.  Les systèmes et technologies de l’information qui contrôlent l’activité et le comportement des employés de façon indirecte devraient être spécialement conçus et placés de façon à ne pas porter préjudice à leurs droits fondamentaux. L’utilisation de la vidéosurveillance pour le contrôle de lieux ayant trait à la vie intime des employés n’est en aucun cas autorisée.

(...)

21.  Garanties complémentaires

Pour toutes formes particulières de traitement, établies dans la partie II de la présente recommandation, les employeurs devraient respecter en particulier les garanties suivantes :

a.  informer préalablement les employés de l’introduction des systèmes et technologies d’information permettant le contrôle de leur activité. L’information fournie devrait être mise à jour et prendre en compte le principe 10 de la présente recommandation. Les informations devraient inclure la finalité du dispositif, la durée de conservation, l’existence ou non des droits d’accès et de rectification, et la façon dont ces droits peuvent être exercés ;

b.  prendre les mesures internes appropriées concernant le traitement de ces données et les notifier préalablement aux employés ;

c.  consulter les représentants des employés conformément aux législations et pratiques nationales, avant l’introduction d’un système de surveillance ou lorsqu’un système existant devrait être modifié. Lorsque la procédure de consultation révèle une possibilité d’atteinte au droit au respect de la vie privée et de la dignité humaine d’un employé, l’accord des représentants devrait être recherché ;

d.  consulter, conformément à la législation nationale, les autorités nationales de contrôle sur les traitements de données à caractère personnel. »

2.  L’Union européenne

37.  La Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dispose :

Article 7

« Les États membres prévoient que le traitement de données à caractère personnel ne peut être effectué que si :

a)  la personne concernée a indubitablement donné son consentement ou

b)  il est nécessaire à l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l’exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ou

c)  il est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ou

d)  il est nécessaire à la sauvegarde de l’intérêt vital de la personne concernée ou

e)  il est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique, dont est investi le responsable du traitement ou le tiers auquel les données sont communiquées ou

f)  il est nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le ou les tiers auxquels les données sont communiquées, à condition que ne prévalent pas l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée, qui appellent une protection au titre de l’article 1er paragraphe 1. »

Article 10

Informations en cas de collecte de données auprès de la personne concernée

« Les États membres prévoient que le responsable du traitement ou son représentant doit fournir à la personne auprès de laquelle il collecte des données la concernant au moins les informations énumérées ci-dessous, sauf si la personne en est déjà informée :

a)  l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de son représentant ;

b)  les finalités du traitement auquel les données sont destinées ;

c)  toute information supplémentaire telle que :

–  les destinataires ou les catégories de destinataires des données,

–  le fait de savoir si la réponse aux questions est obligatoire ou facultative ainsi que les conséquences éventuelles d’un défaut de réponse,

–  l’existence d’un droit d’accès aux données la concernant et de rectification de ces données, dans la mesure où, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles les données sont collectées, ces informations supplémentaires sont nécessaires pour assurer à l’égard de la personne concernée un traitement loyal des données. »

Article 11

Informations lorsque les données n’ont pas été collectées
auprès de la personne concernée

« 1.  Lorsque les données n’ont pas été collectées auprès de la personne concernée, les États membres prévoient que le responsable du traitement ou son représentant doit, dès l’enregistrement des données ou, si une communication de données à un tiers est envisagée, au plus tard lors de la première communication de données, fournir à la personne concernée au moins les informations énumérées ci-dessous, sauf si la personne en est déjà informée :

a)  l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de son représentant ;

b)  les finalités du traitement ;

c)  toute information supplémentaire telle que :

–  les catégories de données concernées,

–  les destinataires ou les catégories de destinataires des données,

–  l’existence d’un droit d’accès aux données la concernant et de rectification de ces données,

dans la mesure où, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles les données sont collectées, ces informations supplémentaires sont nécessaires pour assurer à l’égard de la personne concernée un traitement loyal des données.

2.  Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque, en particulier pour un traitement à finalité statistique ou de recherche historique ou scientifique, l’information de la personne concernée se révèle impossible ou implique des efforts disproportionnés ou si la législation prévoit expressément l’enregistrement ou la communication des données. Dans ces cas, les États membres prévoient des garanties appropriées. »

38.  Un groupe de travail sur la protection des données (« le groupe de travail ») a été institué en vertu de l’article 29 de la directive afin d’examiner la question de la surveillance des communications électroniques sur le lieu de travail et d’en évaluer les implications en matière de protection des données pour les employés et les employeurs. Organe consultatif de l’UE, ce groupe est indépendant. Il a rendu en septembre 2001 un avis sur le traitement des données à caractère personnel dans le contexte professionnel (avis no 8/2001), qui expose les principes fondamentaux en matière de protection des données : finalité, transparence, légitimité, proportionnalité, exactitude, sécurité et information du personnel. S’agissant de la surveillance des employés, il recommande ceci [traduction du greffe] :

« Il convient également de noter que :

Tout contrôle, s’il est réalisé sur la base de l’article 7 point f) de la directive 95/46/CE et si, dans tous les cas de figure, il satisfait à l’article 6, doit être une réponse proportionnée de l’employeur aux risques qui pèsent sur lui, et tenir compte de la protection légitime de la vie privée et des autres intérêts des travailleurs.

Toute donnée à caractère personnel détenue ou utilisée au cours du contrôle doit être adéquate, pertinente et non excessive au regard des finalités pour lesquelles le contrôle se justifie. Le contrôle doit être réalisé de la façon la moins intrusive possible. Il doit cibler la zone à risques, en tenant compte des règles de protection des données et, le cas échéant, du principe du secret de la correspondance.

Le contrôle, qui inclut la vidéosurveillance, doit être conforme aux exigences de transparence de l’article 10. Les travailleurs doivent avoir connaissance de la surveillance, des finalités du traitement des données et de toute autre information nécessaire à la garantie d’un traitement équitable. La directive ne traite pas moins strictement le contrôle de l’utilisation d’Internet ou du courrier électronique par un travailleur si la surveillance se fait au moyen d’une caméra vidéo installée dans le bureau. »

39.  En février 2004, le groupe de travail a publié son avis no 4/2004 sur le traitement des données à caractère personnel, qui dit ceci :

« En raison de son caractère spécifique, ainsi que pour l’existence de dispositions spécifiques connexes également associées à des activités d’investigation effectuées par les autorités de police et/ou judiciaires, ainsi que pour des finalités de sûreté de l’État (...) (qui peuvent inclure la vidéosurveillance « cachée », c’est à dire sans fournir aucune information sur les endroits surveillés), cette catégorie de traitements n’est pas prise en considération de manière analytique dans ce document.

Toutefois, le groupe de travail souligne qu’il est nécessaire, similairement à ce qui a été noté à propos d’autres traitements de données à caractère personnel qui ne tombent pas dans le champ d’application de la directive, que la vidéosurveillance justifiée par des exigences réelles de sécurité publique ou de détection, prévention et répression d’infractions, respecte les conditions requises à l’article 8 de la Convention sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Elle doit en outre être prévue par des dispositions spécifiques connues par le public et être connexe et proportionnée à la prévention de dangers concrets et d’infractions spécifiques (par exemple, les endroits exposés à des risques réels ou en cas de manifestations publiques qui peuvent raisonnablement être l’occasion pour la commission d’actes criminels) (...). Les effets produits par les systèmes de vidéosurveillance doivent être pris en considération (par exemple, le déplacement des activités illicites en d’autres milieux ou secteurs) ; le responsable du traitement devrait toujours être indiqué de manière claire afin de permettre aux personnes concernées d’exercer leurs droits. »

EN DROIT

I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

40.  Comme le lui permet l’article 42 § 1 du règlement, la Cour décide de joindre les requêtes compte tenu de leur similitude en fait et en droit.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

41.  Les requérantes voient dans la vidéosurveillance cachée ordonnée par leur employeur, ainsi que dans l’enregistrement et dans l’utilisation au cours de leurs procès devant les juridictions internes des données ainsi recueillies, une violation de leur droit au respect de leur vie privée garanti par l’article 8, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

42.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Les requérantes

43.  Les requérantes estiment toutes que la vidéosurveillance secrète de leur lieu de travail a gravement porté atteinte à leur droit au respect de leur vie privée. Selon elles, l’article 8 de la Convention n’a pas pour seule finalité de protéger l’individu des ingérences des pouvoirs publics : il doit aussi permettre d’assurer le respect de la vie privée dans les rapports entre individus.

44.  Les requérantes font également remarquer qu’en l’espèce leur employeur les a filmées sur leur lieu de travail sans les en avoir averties au préalable, en méconnaissance du droit interne alors en vigueur (et en particulier de la loi sur la protection des données à caractère personnel).

45.  Elles ajoutent que la vidéosurveillance secrète n’était pas limitée dans le temps puisqu’elle avait un caractère permanent et qu’elle visait à contrôler tous les employés pendant les heures de travail.

46.  Elles soutiennent enfin que l’utilisation des enregistrements comme preuves au cours de leurs procès devant les juridictions internes a gravement nui à leur droit au respect de leur vie privée.

b)  Le Gouvernement

47.  Le Gouvernement relève tout d’abord que la vidéosurveillance cachée était le fait d’une société privée, en conséquence de quoi aucune violation de la Convention qui en résulterait ne serait imputable à l’État.

48.  Il ajoute que l’employeur avait prévenu ses employés qu’un système de vidéosurveillance avait été mis en place à des fins de prévention du vol. Il reconnaît toutefois que les employés n’avaient pas été avisés de l’installation des caméras cachées dirigées vers les caisses, et qu’ils n’avaient pas non plus été expressément informés de leurs droits en vertu de la loi sur la protection des données à caractère personnel.

49.  Le Gouvernement constate en outre que, en vertu de la législation en vigueur à l’époque, le justiciable pouvait dénoncer devant l’Agence de protection des données tout recours à la vidéosurveillance cachée, ce qui en l’espèce aurait permis de faire condamner la société à des sanctions administratives.

50.  Enfin, le Gouvernement conclut que la mise en place d’une vidéosurveillance cachée sans en avoir avisé au préalable les requérantes n’était conforme ni à l’article 18.4 de la Constitution espagnole ni à l’article 8 de la Convention. Il répète néanmoins que, au regard de l’article 1 de la Convention, l’État n’a pas engagé sa responsabilité puisque cette vidéosurveillance avait été réalisée par une société privée.

c)  La Confédération européenne des syndicats (« CES »), tiers intervenant

51.  La CES, en qualité de tiers intervenant, se dit préoccupée par la possibilité que les États ne protègent pas suffisamment la vie privée des employés sur le lieu de travail. Elle dit que la préservation de la vie privée en général et dans les relations de travail en particulier est une branche relativement nouvelle des droits de l’homme en droit international, et que les risques pour la vie privée nés des nouvelles technologies augmentent. Voilà pourquoi, selon elle, la protection internationale, et en particulier européenne, des droits de l’homme s’est étoffée en ce qu’elle impose d’informer la ou les personnes concernées, indépendamment de ce que le traitement des données à caractère personnel soit en lui-même permis ou non. Pour la CES, le consentement de l’intéressé est en principe nécessaire.

52.  La CES souligne en outre que le droit interne, en l’occurrence l’article 5(1) de la loi sur la protection des données à caractère personnel, reconnaît expressément le droit à être informé de l’existence de données de ce type. Elle expose également de quelle manière plusieurs instruments juridiques européens (au niveau aussi bien du Conseil de l’Europe que de l’Union européenne) abordent la question de la protection de la vie privée, fût-ce sous l’angle général de la protection des données à caractère personnel ou plus précisément sous celui de la vidéosurveillance sur le lieu de travail.

53.  La CES en conclut que le droit de la personne concernée à être informée préalablement du traitement des données doit être considéré comme un droit découlant de l’article 8 de la Convention en tant que garantie procédurale, droit également renforcé par le principe du consentement préalable au traitement des données.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

54.  La Cour rappelle que la « vie privée », au sens de l’article 8 de la Convention, est une notion large, qui ne se prête pas à une définition exhaustive. Le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants. Il existe en effet différentes manières d’assurer le respect de la vie privée, et la nature de l’obligation de l’État dépend de l’aspect de la vie privée qui se trouve en cause (Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 79, CEDH 2013, et Bărbulescu c. Roumanie [GC], no 61496/08, § 113, 5 septembre 2017 (extraits)).

55.  La notion de vie privée comprend des éléments se rapportant à l’identité d’une personne, tels que son nom ou sa photographie (Schüssel c. Autriche (déc.), no 42409/98, 21 février 2002, et Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, § 50, CEDH 2004-VI). Elle peut s’étendre à des activités professionnelles ou commerciales et être affectée par des mesures prises en dehors du domicile ou des locaux privés de l’intéressé (voir, en comparaison, Peck c. Royaume-Uni, no 44647/98, §§ 57-58, CEDH 2003‑I, Perry c. Royaume-Uni, no 63737/00, §§ 36-37, CEDH 2003‑IX (extraits), et Benediktsdóttir c. Islande (déc.), no 38079/06, 16 juin 2009).

56.  S’agissant de la surveillance des actions d’un individu au moyen de matériel photographique, la Cour estime que des considérations tenant à la vie privée peuvent entrer en jeu lorsque de telles informations sont enregistrées et que les enregistrements ont un caractère systématique ou permanent (voir, en comparaison, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, no 44787/98, § 57, CEDH 2001-IX, Peck, précité, §§ 58-59, et Perry, précité, § 38). L’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, du fait qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses pairs. Le droit de la personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des composantes essentielles de son épanouissement personnel et il présuppose principalement la maîtrise par elle de son image (Reklos et Davourlis c. Grèce, no 1234/05, § 40, 15 janvier 2009).

57.  La Cour estime pertinent à cet égard de savoir si la personne en question était ciblée par la mesure de surveillance (voir, en comparaison, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, §§ 43-44, CEDH 2000-V, Peck, précité, § 59, et Perry, précité, § 38) et si des données à caractère personnel ont été traitées ou utilisées d’une manière s’analysant en une atteinte au respect de sa vie privée (voir, en particulier, Perry, précité, §§ 40-41, et I. c. Finlande, no 20511/03, § 35, 17 juillet 2008). Ce que l’intéressé est raisonnablement en droit d’attendre quant au respect de sa vie privée peut constituer un facteur significatif, quoique pas nécessairement décisif (Halford c. Royaume-Uni, 25 juin 1997, § 45, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III, Perry, précité, § 37, et Bărbulescu, précité, § 73).

b)  Application en l’espèce des principes susmentionnés

58.  La Cour observe que, en l’espèce, l’employeur avait décidé de mettre en place une vidéosurveillance mêlant caméras visibles et caméras cachées. N’ayant pas été prévenus de l’installation de caméras de surveillance dirigées vers les caisses, les employés n’avaient connaissance que des caméras visibles dirigées vers les sorties du supermarché.

59.  La Cour considère que la vidéosurveillance cachée d’un employé sur son lieu de travail doit être regardée en elle-même comme une intrusion considérable dans sa vie privée. Cette mesure permet notamment d’enregistrer et de reproduire des matériaux retraçant le comportement d’un employé sur son lieu de travail, ce à quoi, tenu par son contrat de travail d’accomplir ses fonctions en ce lieu, il ne peut échapper (Köpke c. Allemagne (déc.), no 420/07, 5 octobre 2010). La Cour est donc convaincue que la « vie privée » des requérantes, au sens de l’article 8 § 1, a été touchée par ces mesures.

60.  Selon le Gouvernement, la vidéosurveillance a été réalisée sur les instructions de l’employeur des requérantes, une société privée dont l’action ne pourrait engager la responsabilité de l’État sur le terrain de la Convention. La Cour rappelle toutefois que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives impliquant l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée. Ces obligations peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les rapports interindividuels (von Hannover, précité, § 57, I. c. Finlande, précité, § 36, K.U. c. Finlande, no 2872/02, §§ 42-43, CEDH 2008, Söderman, précité, § 78 et Bărbulescu, précité, § 108).

61.  La Cour doit donc rechercher si l’État défendeur, au regard des obligations positives que l’article 8 fait peser sur lui, a ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit des requérantes au respect de leur vie privée et, d’autre part, l’intérêt pour leur employeur à protéger ses droits en matière d’organisation et de gestion des biens dont il est propriétaire, ainsi que l’intérêt du public à une bonne administration de la justice (Bărbulescu, précité, § 112).

62.  La Cour note tout d’abord que la vidéosurveillance secrète a été réalisée après que le directeur du magasin avait découvert des pertes, ce qui lui avait légitimement fait soupçonner que les requérantes ainsi que d’autres employés et des clients avaient commis des vols.

63.  La Cour relève en outre que la vidéosurveillance en question impliquait notamment le stockage et le traitement de données à caractère personnel étroitement rattachées à la sphère privée d’individus. Ces matériaux avaient ainsi été traités et examinés par plusieurs personnes travaillant pour l’employeur des requérantes (notamment le représentant syndical et le représentant légal de l’employeur) avant que ces dernières ne soient averties de l’existence des enregistrements.

64.  La Cour observe en outre que la législation en vigueur au moment des faits comportait des dispositions spécifiques sur la protection des données à caractère personnel. En effet, en vertu de l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel, les requérantes avaient le droit d’être « informées préalablement, explicitement, précisément et sans équivoque » de « l’existence d’un fichier de données à caractère personnel ou [du] traitement futur de celles-ci, [du] but de l’un et de l’autre et [des] destinataires de l’information ; [du] caractère obligatoire ou facultatif de leurs réponses aux questions posées ; [d]es conséquences de la communication ou du refus de communication des données ; [de] l’existence d’un droit d’accès, de rectification, de suppression et d’opposition ; [de] l’identité et l’adresse du contrôleur ou, le cas échéant, de son représentant » (paragraphe 29 ci-dessus). L’article 3 de l’instruction no 1/2006 publiée par l’Agence de protection des données espagnole précisait également que cette obligation s’appliquait aussi à tout utilisateur de systèmes de vidéosurveillance, lequel était censé placer un signe distinctif indiquant les zones sous surveillance et mettre à la disposition des intéressés des documents exposant les informations visées à l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel (paragraphe 30 ci‑dessus).

65.  La Cour constate que, comme l’ont reconnu les juridictions internes, l’employeur des requérantes n’a pas respecté l’obligation, faite par la législation interne susmentionnée, d’informer les personnes concernées de l’existence de systèmes permettant la collecte et le traitement de données à caractère personnel les concernant. De plus, elle note que le Gouvernement a expressément admis que les employés n’avaient pas été avertis de l’installation de caméras de surveillance cachées dirigées vers des caisses ni de leurs droits garantis par la loi sur la protection des données à caractère personnel (paragraphe 48 ci-dessus).

66.  Les juridictions internes ont cependant estimé que la mesure était justifiée, puisqu’il y avait des soupçons légitimes de vols, adaptée au but poursuivi, nécessaire et proportionnée, puisqu’il n’existait pour protéger les droits de l’employeur aucun autre moyen aussi efficace qui aurait porté une atteinte moins grave au droit des requérantes au respect de leur vie privée. C’est ce qu’a dit le juge du travail à l’égard des première et deuxième requérantes, et c’est ce qu’a confirmé le Tribunal supérieur à l’égard de toutes les requérantes en disant expressément que les enregistrements secrets (et leur utilisation comme preuves valables dans le cadre des procès) étaient conformes à l’article 20.3 du statut des travailleurs, et qu’ils étaient nécessaires et proportionnés aux buts légitimes poursuivis.

67.  La Cour constate que la situation dans la présente affaire diffère de celle de l’affaire Köpke. En effet, dans cette dernière affaire, au moment où l’employeur avait réalisé la vidéosurveillance secrète après qu’il avait soupçonné deux employés de vol, la loi n’avait pas encore posé les conditions dans lesquelles il pouvait être recouru à la mise sous vidéosurveillance d’un employé de façon à faire la lumière sur d’éventuelles infractions pénales, même si la Cour fédérale du travail allemande avait dégagé dans sa jurisprudence d’importants principes encadrant la vidéosurveillance sur le lieu de travail. Or, en l’espèce, la législation en vigueur à l’époque des faits disposait clairement que tout collecteur de données devait informer les personnes concernées de l’existence d’un système de collecte et de traitement de leurs données à caractère personnel (paragraphes 29 et 30 ci-dessus). Dans une situation où le droit de chaque personne concernée à être informée de l’existence, de la finalité et des modalités d’une vidéosurveillance secrète était clairement encadré et énoncé dans la loi, les requérantes pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que leur vie privée fût protégée.

68.  De plus, en l’espèce et à l’inverse de l’affaire Köpke, la mise en place de la vidéosurveillance secrète n’avait pas fait suite à des soupçons antérieurs solides dirigés contre les requérantes, et elle visait non pas ces dernières précisément mais tous les employés travaillant aux caisses, pendant des semaines, sans la moindre limite dans le temps et pendant toutes les heures de travail. Dans l’affaire Köpke, la mesure de surveillance était limitée dans le temps – elle a duré deux semaines – et elle ne visait que deux employés. Or, en l’espèce, la décision de recourir à des mesures de surveillance était fondée sur des soupçons généraux dirigés contre tous les employés au vu des irrégularités découvertes auparavant par le directeur de l’établissement.

69.  Dès lors, la Cour ne peut partager l’opinion des juridictions internes quant à la proportionnalité des mesures adoptées par l’employeur au but légitime de la protection de l’intérêt pour ce dernier à la préservation de ses droits patrimoniaux. Elle note que la vidéosurveillance réalisée par l’employeur, qui a duré longtemps, n’était pas conforme aux conditions énoncées à l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel et, en particulier, à l’obligation d’informer préalablement, explicitement, précisément et sans équivoque de l’existence et des caractéristiques particulières d’un système de collecte de données à caractère personnel. Elle observe que les droits de l’employeur auraient pu être sauvegardés, au moins dans une certaine mesure, par d’autres moyens, notamment en informant au préalable les requérantes, fût-ce de manière générale, de l’installation d’un système de vidéosurveillance et en leur communiquant les informations prescrites par la loi sur la protection des données à caractère personnel.

70.  Au vu de ce qui précède, et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur, la Cour conclut en l’espèce que les juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Convention et l’intérêt de l’employeur à la préservation de ses droits patrimoniaux.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

71.  Sur le terrain de l’article 6 § 1, les requérantes se plaignent de ce que les tribunaux internes les aient jugées en utilisant, comme principaux éléments de preuve de la réalité des vols, les enregistrements recueillis grâce à la vidéosurveillance.

72.  Les troisième, quatrième et cinquième requérantes soutiennent également que les accords de transaction sur le fondement desquels leur licenciement a été jugé légitime avaient été signés sous la contrainte sur la base des enregistrements vidéo irrégulièrement obtenus. Elles en concluent que le consentement qu’elles ont donné à ces accords était vicié et que ceux‑ci auraient dû être annulés.

73.  L’article 6 § 1 est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

74.  La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Les requérantes

75.  Les requérantes soutiennent toutes que les tribunaux internes ont principalement fondé leurs jugements sur les constats tirés des enregistrements irrégulièrement recueillis par l’employeur. Elles font également remarquer qu’elles n’avaient pas eu connaissance de l’existence de la vidéosurveillance secrète et qu’elles n’ont eu accès aux données ainsi recueillies qu’une fois licenciées. Elles estiment donc qu’elles n’ont pas pu exercer leurs droits d’accès, de rectification, de suppression et d’opposition, garantis par l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel. Elles ajoutent que les vidéos, obtenues au mépris du droit interne et du droit international, ont été déclarées admissibles par les tribunaux internes en violation de leur droit à un procès équitable.

76.  Les troisième, quatrième et cinquième requérantes considèrent quant à elles que les accords de transaction par lesquels elles s’étaient engagées à ne pas former d’action en licenciement abusif contre leur employeur auraient dû être annulés parce qu’elles les avaient signés contre leur gré et sous la contrainte. Elles ajoutent que l’employeur n’avait pas capacité à renoncer à son droit à engager des poursuites pénales contre elles et qu’il n’était donc pas en mesure d’empêcher l’éventuelle ouverture de poursuites pénales contre elles.

b)  Le Gouvernement

77. Le Gouvernement constate que les jugements internes étaient fondés non pas seulement sur les enregistrements recueillis grâce à la vidéosurveillance secrète, mais aussi sur plusieurs autres éléments de preuve, comme par exemple la déposition du représentant syndical, les pièces du dossier établissant les irrégularités comptables quotidiennes, ainsi que/ou le comportement des requérantes au moment de leur licenciement, lesquelles au cours des entretiens auraient reconnu avoir commis les vols, en la présence notamment du représentant syndical et du représentant légal de la société.

78.  Quant aux troisième, quatrième et cinquième requérantes, le Gouvernement souligne que les accords de transaction étaient valables puisqu’elles les avaient signés librement et volontairement.

c.  La Confédération européenne des syndicats (« CES »), tiers intervenant

79.  La CES estime qu’un jugement reposant principalement sur des enregistrements recueillis au moyen d’une vidéosurveillance secrète est contraire à l’article 6 de la Convention.

80.  Pour ce qui est des accords de transaction signés par les troisième, quatrième et cinquième requérantes, la CES fait observer que de tels accords sont souvent utilisés lorsque des employés sont confrontés aux irrégularités dont ils sont accusés, ce qui fait naître une situation où ces derniers se sentent soumis à une pression particulière, sans avoir reçu de conseils adéquats, sans avoir été prévenus et sans encore moins avoir pu exiger la reconnaissance de leurs droits procéduraux et matériels. Elle en conclut que, en raison de la particularité des relations de travail, il ne faut valider de tels accords qu’avec prudence.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

81.  La Cour rappelle que, aux termes de l’article 19 de la Convention, elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les États contractants. En particulier, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit qu’aurait commises une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention.

82.  Si l’article 6 de la Convention garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matières qui relèvent au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, §§ 45-46, série A no 140, et García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I).

83.  La Cour rappelle à cet égard qu’elle n’a pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne (Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 50, Recueil 1997‑III, et Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000V). La question essentielle qui se pose est donc de savoir non pas si des éléments de preuve recueillis irrégulièrement ou en violation de la Convention auraient dû ou n’auraient pas dû être admis mais si la procédure dans son ensemble, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable, ce qui implique l’examen de l’illégalité en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (voir, entre autres, Khan, précité, § 34, et P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, précité, § 76).

84.  Pour ce qui est de la nature de la violation de la Convention constatée, la Cour rappelle que, pour déterminer si l’utilisation comme preuves d’informations obtenues au mépris de l’article 8 a privé le procès dans son ensemble du caractère équitable voulu par l’article 6, il faut prendre en compte toutes les circonstances de la cause et se demander en particulier si les droits de la défense ont été respectés et quelles sont la qualité et l’importance des éléments en question (voir, en comparaison et entre autres, Khan, précité, §§ 35-40, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, précité, §§ 77-79, et Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, §§ 94-98, 10 mars 2009, où aucune violation de l’article 6 n’a été constatée). Parmi les éléments à retenir figurent les points de savoir si le requérant a pu contester l’authenticité des preuves et s’opposer à leur utilisation, si les preuves étaient d’une qualité suffisante – ce qui impose de rechercher si les circonstances dans lesquelles elles ont été obtenues jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude – et si elles sont corroborées par d’autres éléments (Schenk, précité, §§ 46‑48, Khan, précité, §§ 34 et 35, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, précité, §§ 76 et 77, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, §§ 42 et 43, CEDH 2002‑IX, et Bykov, précité, §§ 88‑90). Enfin, la Cour juge importante la question de savoir si, oui ou non, les preuves en question étaient déterminantes pour l’issue du procès (voir, en comparaison et en particulier, Khan, précité, §§ 35 et 37).

b)  Application en l’espèce des principes susmentionnés

85.  Pour en revenir à la présente affaire et par souci de clarté, la Cour analysera tout d’abord le grief de violation de l’article 6 § 1 tiré par toutes les requérantes de l’utilisation comme preuves des enregistrements recueillis au moyen de la vidéosurveillance. Elle se penchera ensuite sur le grief de violation de cet article tiré par les troisième, quatrième et cinquième requérantes de la validation des accords de transaction signés par elles.

i.  Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 à l’égard de l’ensemble des requérantes

86.  La Cour va à présent rechercher si l’utilisation par les juridictions internes de preuves recueillies en violation de l’article 8 de la Convention était également contraire au droit des requérantes à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

87.  En l’espèce, la Cour doit examiner si l’utilisation pendant les procès de vidéos filmées en secret au mépris de la Convention était à même de rendre ceux-ci inéquitables dans leur ensemble.

88.  La Cour relève tout d’abord que, lors des procès contradictoires conduits en première instance et en appel, les requérantes ont amplement eu l’occasion de contester aussi bien l’authenticité que l’usage des matériaux recueillis au moyen de la vidéosurveillance. Les tribunaux internes, à tous les niveaux (à savoir le juge du travail no 1 de Granollers, le Tribunal supérieur de justice de Catalogne et le Tribunal constitutionnel), ont examiné les moyens présentés par elles sur ces questions.

89.  La Cour relève en outre que les enregistrements en cause n’étaient pas les seules preuves sur lesquelles les tribunaux internes se sont appuyés pour baser leurs jugements déclarant les licenciements légitimes. D’ailleurs, s’agissant de la première requérante, les principales preuves à l’appui de la légitimité de son licenciement étaient non seulement les enregistrements obtenus grâce à la vidéosurveillance secrète, mais aussi les dépositions d’une collègue elle aussi licenciée parce qu’elle était impliquée dans les vols, du directeur du magasin, du représentant syndical et du représentant légal de la société. De la même manière, s’agissant des autres requérantes, les principales preuves qui ont permis de légitimer les licenciements étaient non seulement les enregistrements, mais aussi les dépositions de collègues licenciées elles aussi parce qu’elles étaient impliquées dans les vols, du directeur du magasin, du représentant syndical et du représentant légal de la société.

90.  La Cour estime dès lors qu’aucun élément ne permet de conclure que les droits de la défense n’aient pas été dûment respectés pour ce qui est de l’administration de la preuve ni que l’examen du dossier par les tribunaux internes ait été arbitraire (Bykov, précité, § 98).

91.  La Cour en conclut que l’utilisation pendant les procès de matériaux enregistrés en secret n’était pas contraire aux exigences d’équité découlant de l’article 6 § 1 de la Convention.

ii.  Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 à l’égard des troisième, quatrième et cinquième requérantes

92.  La Cour va à présent rechercher si la validation des accords de transaction par les tribunaux internes était contraire à l’article 6 § 1 de la Convention.

93.  La Cour note qu’en l’espèce les tribunaux internes ont minutieusement examiné si les accords de transaction étaient des éléments admissibles et fiables. Les requérantes ont amplement eu l’occasion de contester la validité de ces accords, et les tribunaux internes ont analysé tous les arguments pertinents avancés par elles et dûment motivé leurs décisions validant le consentement qu’elles avaient donné (paragraphes 21 et 22 ci-dessus).

94.  En outre, la Cour constate que les tribunaux internes n’ont trouvé aucune preuve que les requérantes avaient, comme elles le soutenaient, signé sous la contrainte les accords de transaction. En particulier, ils ont constaté que le comportement de l’employeur devait s’analyser non pas en une menace à même de vicier le consentement des requérantes mais en l’exercice légitime par lui de son droit de décider ou non d’engager des poursuites pénales contre les requérantes, lesquelles avaient par ailleurs déjà volontairement reconnu leur implication dans les vols. L’absence de tout signe de coercition ou de contrainte a été confirmée lors des entretiens par le représentant syndical ainsi que par le représentant légal de la société, lesquels étaient présents à ces occasions.

95.  La Cour ne voit aucune raison en l’espèce de revenir sur l’appréciation des éléments de preuve livrée sur ce point par les tribunaux internes. D’ailleurs, elle ne peut apprécier elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre, sinon elle s’érigerait en juge de quatrième instance et méconnaîtrait les limites de sa mission (voir, mutatis mutandis, Kemmache c. France (no 3), 24 novembre 1994, § 44, série A no 296‑C).

96.  La Cour en conclut à l’absence de violation de l’article 6 § 1 sur ce point pour ce qui est des troisième, quatrième et cinquième requérantes.

IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

97.  Enfin, sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, la première requérante estime également que son procès n’a pas été équitable parce que, selon elle, les jugements n’étaient pas dûment motivés eu égard à sa situation personnelle et au raisonnement sur la base duquel son licenciement a été jugé fondé.

98.  À l’issue de son examen du grief et de son analyse méticuleuse des arguments de la requérante à la lumière de l’ensemble des éléments en sa possession, et pour autant que la question relève de sa compétence, la Cour estime que ceux-ci ne font apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles.

99.  Il s’ensuit que ce volet de la requête est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

100.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

1.  Dommage matériel

101.  Pour dommage matériel, les requérantes réclament toutes réparation pour la perte des revenus qu’elles auraient perçus si les tribunaux internes avaient jugé leur licenciement illégitime et si en conséquence elles avaient continué à travailler pour leur employeur.

102.  Le Gouvernement estime qu’il n’y a aucun lien de causalité entre les violations alléguées et les prétentions au titre d’un dommage matériel. Il ajoute que les requérantes n’ont pas établi qu’elles n’avaient pas trouvé d’autre emploi après leur licenciement.

103.  Ne voyant aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, la Cour rejette la demande présentée à ce titre.

2.  Dommage moral

104.  Les requérantes disent avoir subi un « dommage moral considérable » et réclament 6 250 EUR chacune.

105.  Le Gouvernement s’oppose à cette demande.

106.  Au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour reconnaît que les requérantes ont subi un dommage moral que ne peut réparer le seul constat d’une violation. Elle accorde à chacune 4 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B.  Frais et dépens

107.  Les requérantes réclament également une somme forfaitaire de 2 906,80 EUR chacune pour leurs frais et dépens occasionnés devant les tribunaux internes.

108.  Le Gouvernement s’oppose à cette demande.

109.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères ci‑dessus, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérantes les sommes indiquées dans le tableau ci-dessous au titre de leurs frais et dépens occasionnés pendant leurs procès devant les juridictions internes.

No de requête

Nom de la requérante

Montant

1874/13

Isabel LÓPEZ RIBALDA

500 EUR

8567/13

María Ángeles GANCEDO GIMÉNEZ

568,86 EUR

8567/13

María Del Carmen RAMOS BUSQUETS

568,86 EUR

8567/13

Pilar SABORIDO APRESA

568,86 EUR

8567/13

Carmen Isabel POZO BARROSO

568,86 EUR

C.  Intérêts moratoires

110.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2.  Déclare, à l’unanimité, le grief de violation de l’article 8 de la Convention, le grief tiré sur le terrain de l’article 6 § 1 de l’utilisation de preuves présentées comme ayant été obtenues en violation de l’article 8 et le grief formulé sous l’angle de l’article 6 § 1 concernant la validité des accords de transaction recevables, et le reste de la première requête irrecevable ;

3.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard de chacune des requérantes pour ce qui est de l’utilisation de preuves présentées comme ayant été obtenues en violation de l’article 8 de la Convention ;

5.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard des troisième, quatrième et cinquième requérantes pour ce qui est de la validité des accords de transaction ;

6.  Dit, par quatre voix contre trois,

a)  que l’État défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, à la première requérante, ainsi que 568,86 EUR (cinq cent soixante-huit euros et quatre-vingt-six centimes) chacune, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérantes, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8.  Rejette, à l’unanimité, le reste des prétentions des requérantes au titre de la satisfaction équitable.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 9 janvier 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Stephen PhillipsHelena Jäderblom
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

–  opinion partiellement dissidente de la juge Poláčková, à laquelle se rallie le juge Pastor Vilanova ;

–  opinion dissidente du juge Dedov.

H.J.
J.S.P.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE LA JUGE POLÁČKOVÁ,
À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE PASTOR VILANOVA

(Traduction)

1.  Nous partageons le raisonnement et les conclusions de la majorité pour ce qui est du grief de violation de l’article 8 de la Convention, du grief tiré par toutes les requérantes sur le terrain de l’article 6 § 1 de l’utilisation de preuves présentées comme ayant été obtenues en méconnaissance de l’article 8 de la Convention, ainsi que du grief, formulé sous l’angle de l’article 6 § 1 par les troisième, quatrième et cinquième requérantes, relatif à la validité des accords de transaction. Nous partageons également sur tous les points le raisonnement de la majorité sur l’application de l’article 41 de la Convention s’agissant des frais et dépens.

2.  Nous regrettons toutefois de ne pas pouvoir souscrire à la conclusion de nos collègues de la majorité selon laquelle l’État défendeur doit verser aux requérantes 4 000 EUR (quatre mille euros) au titre d’un dommage moral. Cette conclusion repose sur le constat que les requérantes ont subi un dommage moral que ne peut réparer le seul constat d’une violation.

3.  Nous sommes d’accord avec nos collègues de la majorité que, nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur, les tribunaux internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Convention et l’intérêt de leur employeur à la préservation de ses droits patrimoniaux. Cependant, au vu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire et de la jurisprudence récente de la Cour, nous sommes parvenus à la conclusion que le constat de violation vaut en lui-même satisfaction équitable pour le dommage moral subi par les requérantes (voir, en comparaison, Bărbulescu c. Roumanie [GC], no 61496/08, § 148).


OPINION DISSIDENTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je suis au regret d’être en désaccord avec mes collègues, car j’estime que la conclusion de la Cour en la présente affaire n’est pas cohérente par rapport à sa jurisprudence, ainsi que pour d’autres raisons.

S’agissant du manque de cohérence par rapport à la jurisprudence de la Cour, on pourrait observer que l’approche suivie en l’espèce se démarque d’un certain nombre d’affaires tranchées par elle, notamment Bărbulescu (citée dans l’arrêt), où l’employeur avait enregistré des conversations privées du requérant avec des membres de sa famille. Or, ici, il n’y a eu aucune atteinte à la vie privée dans de telles circonstances.

Au regard des principes généraux, la surveillance secrète d’un employé sur son lieu de travail doit être regardée en elle-même comme une intrusion considérable dans sa vie privée. Cette mesure permet notamment d’enregistrer et de reproduire des matériaux retraçant le comportement de l’employé sur son lieu de travail, ce à quoi, tenu par son contrat de travail d’accomplir ses fonctions en ce lieu, il ne peut échapper (Antović et Mirković c. Monténégro, no 70838/13, § 44, 28 novembre 2017, et Köpke c. Allemagne (déc.), no 420/07, 5 octobre 2010). Les autorités nationales étaient donc tenues de ménager un équilibre entre les droits et les « intérêts concurrents » de l’employeur et des employées.

Contrairement à la présente affaire, la Cour a jugé dans l’affaire Antović et Mirković que les caméras visibles avaient été installées en dehors de tout but légitime. À titre de comparaison, les circonstances dans l’affaire Köpke étaient similaires à celles de la présente espèce. On pourrait dire que l’ingérence dans l’affaire Köpke était plus grave parce qu’il n’y avait que des caméras cachées et que l’employé n’avait à aucun moment été prévenu d’une quelconque surveillance. La Cour n’en a pas moins jugé le grief infondé. Dans sa décision Köpke, elle a confirmé la conclusion des juridictions internes selon laquelle il n’existait aucun autre moyen aussi efficace de protéger les droits patrimoniaux de l’employeur qui aurait porté une atteinte moins grave au droit au respect de la vie privée de la requérante. Au vu des circonstances de cette affaire, elle a fait sienne cette conclusion parce que l’inventaire effectué dans le département des boissons n’avait pas permis d’imputer les pertes clairement à tel ou tel employé. Une surveillance menée par les supérieurs et collègues ou une vidéosurveillance ouverte n’aurait pas offert autant de chances de découvrir un vol en cachette.

J’ai déjà exprimé mon opinion dans des arrêts antérieurs, comme par exemple Vukota-Bojić c. Suisse, no 61838/10, 18 octobre 2016, et Trabajo Rueda c. Espagne, no 32600/12, 30 mai 2017, qui est qu’un comportement offensant est incompatible avec le droit au respect de la vie privée garanti par la Convention. Cela signifie que l’intérêt général de la société doit prévaloir, et que les garanties contre les inégalités et l’arbitraire doivent se limiter à une protection contre les atteintes abusives. La majorité a implicitement cherché à corriger un certain nombre d’irrégularités qui pouvaient être considérées comme abusives. Or, je doute de l’existence en l’espèce d’un quelconque élément abusif.

Premièrement, la Cour souligne que l’employeur a installé à la fois des caméras visibles et des caméras cachées. On pourrait y voir un élément abusif parce que les caméras cachées étaient dirigées vers les caisses derrière les guichets. Or, elles étaient installées dans des lieux publics et non privés. De plus, au cours des procès devant les juridictions internes, l’employeur s’est servi des enregistrements recueillis par les deux types de caméras pour prouver la perpétration d’une infraction. Donc, les caméras visibles semblaient nécessaires afin de donner un tableau complet de la manière dont les requérantes avaient mis en place toute leur combine de vol.

Deuxièmement, les employées n’avaient pas été informées de la surveillance. Or, les caméras visibles montraient elles-mêmes que l’employeur avait mis en place une vidéosurveillance, de sorte que l’on ne peut pas dire que les employées n’en avaient pas été avisées. Le paragraphe 33 de l’arrêt dit que la même approche avait été suivie par le juge constitutionnel national, qui avait conclu à l’absence de violation du droit au respect de la vie privée au motif que le système de vidéosurveillance avait été signalé de manière générale. De la même manière, la Cour ne peut constater une violation au seul motif que les requérantes ne pouvaient pas s’attendre à être surveillées dans des endroits où elles rassemblaient les objets qu’elles avaient volés.

Troisièmement, on pourrait voir un autre élément abusif dans ce que les caméras visibles étaient dirigées vers les clients, tandis que les caméras cachées étaient dirigées vers les employés. Cela donne l’impression que l’employeur cherchait à faire croire que les employés ne faisaient pas du tout l’objet d’une surveillance spécifique, tandis que les caméras visibles étaient neutres et qu’elles pouvaient enregistrer ce que faisaient les clients comme les employés, et même le directeur lui-même.

Quatrièmement, la Cour souligne que la décision de recourir à des mesures de surveillance était fondée sur des soupçons généraux dirigés contre tous les employés (paragraphe 68 de l’arrêt). Il me faut signaler ici que les pertes constatées par le directeur étaient assez importantes (entre environ 8 000 et 25 000 EUR par mois) pour un détaillant vendant des marchandises à des prix assez peu élevés, et que ces pertes ne cessaient d’augmenter, de sorte qu’il pouvait raisonnablement être conclu qu’elles n’étaient peut-être pas le fait d’une seule personne. Il ne peut donc être conclu que la surveillance n’était pas nécessaire. Rappelons que le seul endroit où les objets volés pouvaient être cachés des caméras visibles était derrière les caisses.

En conséquence, j’estime que les actions de l’employeur et des autorités nationales ne peuvent passer pour abusives, arbitraires ou disproportionnées. En l’espèce, tout comme dans les autres affaires précitées, la conclusion de la majorité contredit le principe général de droit selon lequel nul ne peut à bon droit invoquer sa propre faute (Riggs v. Palmer, 1889, New York Court of Appeals). La Convention ne saurait donc être analysée et interprétée d’une manière qui cautionnerait la perpétration de méfaits. Comme l’a dit Soljenitsyne, aucun système ne peut survivre sans repentir ni regrets. Tel un chêne au tronc pourri, un tel système ne ferait pas long feu.


ANNEXE

No

No de requête

Nom de la requérante

date de naissance

lieu de résidence

  1.  

1874/13

Isabel LÓPEZ RIBALDA

03/08/1963

Sant Celoni

  1.  

8567/13

María Ángeles GANCEDO GIMÉNEZ

14/03/1967

Sant Celoni

  1.  

8567/13

María Del Carmen RAMOS BUSQUETS

11/11/1969

Sant Celoni

  1.  

8567/13

Pilar SABORIDO APRESA

15/09/1974

Sant Celoni

  1.  

8567/13

Carmen Isabel POZO BARROSO

20/05/1974

Sant Pere de Vilamajor


[1] Ibidem, argument de droit n° 5.

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE LÓPEZ RIBALDA ET AUTRES c. ESPAGNE, 9 janvier 2018, 1874/13;8567/13